Analyse UFAPEC juin 2014 par B. Loriers

09.14/ Comment susciter le désir d’apprendre ?

Introduction

En Fédération Wallonie-Bruxelles, nous sommes les champions du monde de l’échec scolaire, et c’est la ministre elle-même, Marie-Martine Schyns, qui le dit[1]. En 2011-2012, en moyenne, près d’un élève sur cinq est en retard scolaire dans l’enseignement primaire, et c’est le cas de près d’un élève sur deux en fin de secondaire[2].

Le manque de désir d’apprendre des élèves serait-il en partie à l’origine de ces échecs ? Comment l’enseignant peut-il donner l’envie d’apprendre à un enfant qui n’a pas envie d’apprendre, comment (re)donner le goût du savoir, quand on sait combien certains situations d’apprentissages sont parfois déplaisantes, et combien la transmission du savoir est délicate et hasardeuse ? Et cette étincelle d’envie, est-elle fondamentale pour apprendre ?

Le désir d’apprendre est-il naturel ?

Oui pour Ostiane Mathon, pédagogue : l’acte est vital et naturel, ne pas apprendre, c’est mourir. « Le nourrisson le sait, le sent, intuitivement. Il a cette intelligence du désir, cette intelligence du corps tout entier qui prend vie en apprenant à vivre, à ne pas mourir. Ainsi il inspire, il tête, il cherche, il désire en dehors de toute rationalité. L’instinct, c’est la forme brute du désir, là où se niche le désir de vivre[3] ».

Pour Elise de Villeroy, sociologue, le bébé fut longtemps considéré comme un être passif à qui il fallait inculquer les savoirs les plus élémentaires. Or, depuis quelques décennies déjà, les psychologues du développement ont montré que l’enfant est un agent actif qui explore son environnement physique, social, culturel pour y capter seul une grande partie de ce qu’il sait.« En matière de langage par exemple, il suffit de plonger un bébé dans un bain linguistique pour qu’il apprenne seul à identifier les sons, les mots puis les règles de grammaire. Inutile de lui enseigner explicitement à parler. Ce désir spontané d’apprendre touche de nombreux domaines. Le nourrisson s’intéresse à tout ce qui l’entoure ; il explore du regard et des mains tout ce qui est nouveau ».[4]

Rares sont les enfants qui ne désirent pas réussir …

Apprendre n’est pas aussi spontané qu’on pourrait le croire

En effet, le développement psychique de l’enfant peut connaître des freins qui viendront perturber ce désir d’apprendre : l’angoisse par exemple pourra perturber les compétences nécessaires à l’étude, telles que la sérénité. Pour la psychanalyste Martine Menès[5], «  le besoin de dépendance infantile autant que la difficulté à accepter les limites peuvent empêcher d’accéder aux rencontres avec les règles, avec les manques, avec la solitude, qui sont les contraintes naturelles de l’apprentissage. Les aléas du parcours d’un enfant, ses interactions avec l’environnement, ses rencontres avec l’imperfection ordinaire des adultes qu’il croyait tout-puissants, influencent autant sur son développement affectif que sur son fonctionnement intellectuel ».

D’autre part, de récentes recherches en neuro-sciences montrent que l’apprentissage de l’écriture et de la lecture n’est pas naturel. Les apprentissages scolaires se jouent de part et d’autre dans un univers de signes graphiques. Or s’il est naturel de parler, il est totalement artificiel d’écrire et de lire. L’un des grands progrès des neurosciences récentes est d’avoir identifié les neurones de la lecture, qui ne sont, en réalité, pas programmés pour cet usage. On comprend mieux l’extrême difficulté que représente cette acquisition d’apprendre à lire et à écrire, puisqu’il s’agit, pour les enfants, de répéter cette maîtrise d’un « non naturel » dans ses facultés cérébrales.[6] Ce monde de l’écrit est propre au monde scolaire, et les familles « populaires » éprouvent parfois des difficultés à s’y retrouver, elles qui vivent dans une culture essentiellement orale.

D’autre part, apprendre, c’est souventaccepter de recevoir des autres, et certains apprenants connaissent des difficultés dans l’acceptation de cette aide : voilà une autre piste à creuser pour certains élèves qui connaissent des troubles d’apprentissage.

Enfin, les apprentissages sont une nécessité vitale et naturelle, comme on l’a vu plus haut, mais c’est aussi une nécessité sociale : apprendre, c’est s’adapter à notre monde, c’est communiquer avec l’autre et tisser du lien social.

Une époque de saturation ?

De manière générale, notre époque ne fait-elle pas disparaitre le désir ? Les adultes saturent l’enfant,son horaire est rempli, l’enfant ne ressent plus de manque à combler, on lui amène tout sur un plateau. Beaucoup d’adultes, parents et enseignants, se plaignent du manque de motivation des enfants. Martine Fournier, sociologue explique que trop souvent, « nous bridons leurs rêves, éteignons leur joie, nions leurs talents, nous les transformons en enfants-chaises, les emprisonnons dans une camisole de sage écolier et les accusons par la suite de paresse d’esprit et de manque d’initiative! [7] »Il arrive parfois que l’enfant ne sache plus de qui provient le désir : de lui ou de son entourage ?

Chaque enfant est riche de sa singularité

Les parents, les enseignants, et tous les « accompagnateurs » d’enfants peuvent aider à découvrir le désir d’apprendre, au sein de la vie de tous les jours, en prenant comme support un journal, la télévision, internet, un musée, un livre, une discussion ou une promenade, une recette de cuisine, le partage d’une passion, ...

Michèle Stern, la maman d’André Stern, a poussé cette démarche à l’extrême, en faisant « l’école à la maison ». Quand on lui demande pourquoi elle n’a pas mis ses enfants à l’école, elle répond :« permettre à l’enfant de se maintenir dans sa dynamique naturelle qui l’habite, sans l’entraver stupidement, est le seul rôle possible de l’adulte. L’éducateur, tel que je le vois, permet à chacun de s’impliquer dans sa propre construction, de faire valoir ses imprévisibles et immenses ressources personnelles (...) Je m’inquiétais du rôle de l’école qui œuvrait inconsciemment pour le nivellement et l’uniformité des personnes, et cela dès la maternelle. Si la même prodigieuse force vitale est en tous, chacun est différent, et il faut offrir à chacun l’occasion d’exercer sa particularité.[8] ».Pour André Stern, une personne non entravée se transforme naturellement en éponge lorsqu’elle rencontre des informations liées à ce qui la passionne. « Mes semaines types, composées, à côté des riches heures improvisées, de nombreuses activités hebdomadaires ou structurées, étaient chargées et pourtant affranchies du stress, de la concurrence, de la course à la performance et du combat pour la bonne note. »[9]

Que peuvent faire les éducateurs, parents et enseignants pour susciter chez les enfants le désir d’apprendre ?

Selon certains comme la pédagogue Ostiane Mathon, l’enfant, pour apprendre, a souvent besoin d’un environnement propice à la découverte.La relation au savoir ne peut se construire sans rapport au monde, un rapport forcément original, à nul autre semblable, à l’image de la singularité de chaque être humain. On entrevoit bien ici les limites du seul envoyer-recevoir dans l’acte pédagogique: l’enseignant n’apprend rien à ses élèves. Pour Ostiane Mathon, son rôle d’enseignante est dans la façon dont chaque matin elletente de créer les conditions les plus favorables à l’émergence de leur désir d’apprendre, les plus en lien avec leurs forces, leurs besoins, leur ingéniosité, leur curiosité, leur généreux plaisir de partage. « Cela demande sans doute une certaine forme de liberté et d’audace, mais avant tout, cela demande du désir, celui qui permet de lâcher-prise et ce faisant, autorise l’enseignant qu’on est devenu à se reconnecter à l’enfant qu’il a toujours été, et avec lui, à ses multiples capacités d’émerveillement, de questionnement, d’invention et de renouvellement. Plus un jour sans que mes élèves ne m’invitent à improviser, sans qu’ils m’épatent en se dépassant au-delà de ce qu’ils imaginaient possible, plus un soir sans que je ne me demande de quoi le lendemain sera fait et quelles surprises ils me réserveront»[10].

Pour aller plus loin 

La lutte contre l’échec scolaire est une des principales revendications de notre mouvement parental, notre Mémorandum 2014 est très clair à ce sujet[11] ; et nous sommes persuadés que le taux important d’échecs en Fédération Wallonie-Bruxelles est, en partie, dû au manque de désir que connaissent nos élèves. L’UFAPEC souhaite que nos politiques se préoccupent davantage de ce problème trop généralisé de (dé)motivation des élèves.

Quelle aide apporter à ceux qui ont du mal de recevoir les apprentissages inculqués à l’école? Voilà une piste de réflexion, qui sort des sentiers battus, bien au-delà des contenus de savoirs.

Pour l’UFAPEC, la découverte du désir d’apprendre est propre à chaque être humain, et ce tout au long de sa vie. Plus l’apprenant est acteur de sa formation, plus ses apprentissages seront efficaces et durables si son engagement lui est singulier. Mais cette découverte du désir d’apprendre ne dépend-elle pas aussi en grande partie de l’environnement « humain » du jeune, qui va pouvoir susciter sa curiosité ? Susciter le désir d’apprendre, c’est finalement le fondement de toute éducation, qu’elle ait lieu à l’école, à la maison, ou dans un autre contexte de rencontres. Ce désir d’apprendre serait-il une responsabilité collective, qui peut naître de la collaboration, de réflexions entre les parents et les enseignants, qui ensemble, vont mettre l’enfant ou le jeune en condition d’apprentissage ? Il s’agit, pour chaque éducateur, d’un travail d’équilibriste : susciter l’envie d’apprendre sans toutefois se substituer à l’apprenant.

Le goût des apprentissages pourrait-il (re)naitre par une approche du sens ? Les élèves sont demandeurs d’enseignements tangibles qui les relient à leur quotidien. Les professionnels de l’enfance et de la petite enfance peuvent accompagner les jeunes parents pour susciter ce désir d’apprendre. Dans l’enseignement maternel, le désir d’apprendre est abordé par le jeu, par des projets qui donnent sens. Ce souci du désir d’apprendre semble diminuer dès l’enseignement primaire. L’école serait-elle le lieu d’une démotivation à apprendre ?

Certains enseignants travaillent beaucoup sur ce désir d’apprendre, ces mises en conditions d’apprentissage efficaces et durables, mais la plupart des profs se retrouvent cloués par les contenus de leur programme, sans trop oser en sortir pour découvrir ce qui éveillera l’envie d’apprendre. Mais faut-il attendre que le jeune décroche complètement du monde scolaire, qu’il soit envoyé par exemple dans un des Services d’Accrochage Scolaire[12] (SAS) qui réalisent un travail formidable avec les jeunes en décrochage, mais où les places sont très limitées, pour se préoccuper de cette étincelle du désir indispensable aux apprentissages ? Le travail sur la motivation ne serait-il pas fondamentalement la clé de la réussite scolaire ?

 

Bénédicte Loriers

 

 

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[1]BOUILLON Pierre, L’échec scolaire enfin en recul, in Le soir du 13 novembre 2013.

[2]Les indicateurs de l’enseignement 2013, fédération Wallonie-Bruxelles, p.36.

[3]MATHON Ostiane,  Plaidoyer pour le désir d’apprendre à l’école, http://lewebpedagogique.com/ostiane/2014/03/03/plaidoyer-pour-le-desir-dapprendre-a-lecole/.

[4]De VILLEROY Elise,Le désir d’apprendre est-il naturel ?; in revue Sciences Humaines n°257, Apprendre par soi-même, mars 2014.

[5]MENES Martine, L’enfant et le savoir, d’où vient le désir d’apprendre ?, éditions Seuil, 2012.

[6]Extrait de l’interview croisée entre Marcel GAUCHET et Marc CROMMELINCK, en marge de l’université d’été 2012, par Guy SELDERSLAGH et Conrad van de WERVE : enseignement.catholique.be>Services du SeGEC> Etude>Activités>Université d’été 2012>traces.

[7]FOURNIER Martine, La motivation, ça s’en va et ça revient, in revue Sciences Humaines n°230, Apprendre pourquoi ?, octobre 2011.

[8]STERN André, … Et je ne suis jamais allé à l’école, histoire d’une enfance heureuse,  éditions Actes Sud, 2011.

[9]Ibidem.

[10]MATHON Ostiane, Plaidoyer pour le désir d’apprendre à l’école, http://lewebpedagogique.com/ostiane/2014/03/03/plaidoyer-pour-le-desir-dapprendre-a-lecole/

[12]Pour en savoir plus sur les SAS, lire : LORIERS Bénédicte, Les SAS pour rétablir une spirale positive?, analyse 2013 : http://www.ufapec.be/files/files/analyses/2013/1113-sas.pdf

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