Analyse UFAPEC juin 2014 par A. Pierard

10.14/ La relation entre enfants et beaux-parents dans les familles recomposées

Introduction

Depuis les années 1980, on peut compter un nombre de plus en plus important de divorces et de séparations, mais aussi de familles recomposées. Dans de nombreux cas, un parent divorcé (voire les deux) se remet en couple et cette situation instaure de nouvelles relations. « Plus d’un enfant sur dix vit aujourd’hui dans une famille recomposée.[1] »

La recomposition familiale est une réalité sociétale qui s’est développée ces trente dernières années dont il faut tenir compte, avec laquelle il faut évoluer. Elle a un impact sur les relations au sein de ces familles, le vécu de ces personnes… Elle a aussi un impact important sur la société dans son ensemble : réflexion sur les modèles familiaux, sur les relations fraternelles, sur la relation entre les familles et l’école…

Mais quel est cet impact ? Quelles relations s’établissent au sein de ces familles, entre l’enfant et son beau-parent ? Quels devraient être la place et le rôle de chacun ? Comment construire les relations au sein des familles recomposées ? Quelle relation du beau-parent avec l’école ? Quelle implication du beau-parent dans l’éducation et la scolarité de l’enfant ?

Avant tout, des questions

La recomposition familiale pose question à chacune des personnes concernées : parent, enfant et beau-parent. Mais aussi à la société dans son ensemble, car des questions concernent la représentation de la famille, des relations familiales, la place de ces familles dans notre société…

Quelles sont les spécificités de la famille recomposée ? Comment les relations vont pouvoir s’y établir ? Quel regard de la société sur ces familles ?

Comment annoncer une remise en couple aux enfants ? Comment accueillir le beau-parent au sein de la famille ? En tant qu’enfant, comment accepter le nouveau partenaire de l’un de mes parents ? Comment construire la vie ensemble ?

Quelle place du beau-parent auprès des enfants de son conjoint ? Qu’est ce qui définit le beau-parent ? Quel rôle peut-il prendre dans l’éducation de ses beaux-enfants ? Quelle autorité a-t-il sur eux ? Quelle légitimité a-t-il à leurs yeux ? »

Quelle relation établir entre enfant et beau-parent ? L’enfant doit-il apprécier, aimer son beau-parent ? Quelle relation va-t-il garder avec ses propres parents ?

Cette analyse permet de comprendre les enjeux et les différents points de vue. Même si l’UFAPEC y exprime sa position, au lecteur de se faire sa propre opinion sur cette nouvelle question de société. Chacun va trouver des réponses différentes à ces questions.

Mais aussi, du changement dans la vie de chacun

Recomposer une famille, c’est créer du changement pour le parent qui se remet en couple et veut faire accepter cette relation par ses enfants, pour le beau-parent qui entre dans la vie d’une famille, pour les enfants qui vont construire une relation avec le conjoint de leur parent, et ses enfants s’il en a.

1. DU COTE DU BEAU-PARENT

Etant un tiers par rapport aux enfants de son conjoint, le beau-parent va prendre du temps pour apprendre à les connaitre et définir la relation qui se met en place. « Même si vous aimez les enfants, il n'est jamais facile d'accepter que votre conjoint a aimé une autre femme avant vous, au point de vouloir fonder une famille avec elle. Par ailleurs, les enfants eux-mêmes, attristés par la séparation de leurs parents et souhaitant souvent une éventuelle réconciliation, pourraient ne pas vous accueillir à bras ouverts. Leur révolte et leurs réticences n'aideront probablement pas à vous les rendre sympathiques. (…) Si vous n'avez pas d'enfants vous-même et que votre nouveau conjoint a la garde des siens, vous aurez à adapter votre mode de vie en conséquence.[2] »

L’absence de repères et de reconnaissance légale[3] à leur sujet, propulse les beaux-parents dans l’inconnu et la débrouille pour définir leur place au sein de la famille. « A partir de quand deviens-je le beau-parent des enfants de mon conjoint (mariage, temps de vie en commun, emménagement ensemble…) ? » ; « Quelle est ma légitimité au sein de la famille ? » ; « Quelle autorité, quel rôle ai-je dans l’éducation de mes beaux-enfants ? »

2. DU COTE DES ENFANTS

Les enfants ont une place, un rôle à jouer dans la recomposition familiale qui est souvent un chamboulement pour eux. Mais comment leur donner cette place ? Selon les psychologues, il est important de leur permettre de rencontrer le nouveau conjoint avant un emménagement ensemble, de leur donner du temps. Un point essentiel est de permettre aux enfants d’exprimer ce qu’ils ressentent. En découvrant un de ses parents amoureux de quelqu’un d’autre, un enfant peut développer des sentiments mitigés, confus, voire contradictoires. Cette mise en couple peut être motif de joie et d’excitation de voir son parent heureux mais aussi motif d’inquiétude, de tristesse ou de colère en pensant à son autre parent, qui est peut-être toujours seul, et en faisant le deuil du couple parental. Chaque réaction est différente.

Effectivement, dans les situations de séparation, de divorce et de recomposition familiale, l’enfant peut vivre des deuils[4] :

  • Deuil du couple parental

« Notre enfant ne veut pas de cet "autre" dans sa vie, et encore moins dans la nôtre. Surtout s’il est convaincu que c’est lui qui a séparé le couple et brisé la famille. Loyauté oblige, les enfants choisissent toujours le camp de la victime (celui qui est quitté, celui qui n’a pas refait sa vie...) et sont parfois prêts à tout pour la venger." C’est normal qu’un enfant essaie de séparer le couple dans une famille recomposée, car son souhait intime est de parvenir à remettre papa et maman ensemble.[5] »

  • Deuil du lieu de vie
  • Deuil de certains liens sociaux

Il faut pouvoir entendre, comprendre et accepter l’ambivalence des émotions et sentiments de l’enfant, mais aussi les autres conflits auxquels il est soumis.

  • Conflit de loyauté

« Est-ce que je reste loyal envers mon papa/ma maman si j’accepte d’entrer en relation avec l’autre homme/l’autre femme qui est entré(e) dans la vie de ma maman/mon papa ? »

  • Conflit identitaire
  • Relations et rivalité avec les enfants du beau-parent

L’enfant n’ose pas forcément parler, de peur de mal faire ou de faire souffrir. Mais il semble important de donner une place au dialogue sur les sentiments de l’enfant face à la remise en couple d’un de ses parents.

Du changement qui demande de prendre du temps

Comme déjà dit dans une précédente analyse[6], la relation de beau-parentalité ne s’instaure pas du jour au lendemain. Elle demande une existence du couple depuis un certain temps, des contacts préalables entre l’enfant et le nouveau conjoint de son parent, des discussions à ce sujet entre l’enfant et son parent.

« D’où le conseil donné par de nombreux psychologues : prendre son temps ! Ne pas réunir tout de suite les deux composantes de la nouvelle famille, mais laisser chacune vivre dans son lieu propre, en se rencontrant ponctuellement pour des repas, des sorties le week-end… Une organisation qui donne le loisir de faire connaissance et de commencer à s’apprivoiser. « Cela permet au couple de se voir seul et aux enfants de ne pas risquer tout de suite de vivre des conflits de loyauté entre le parent absent et le nouveau conjoint, explique Marie-Dominique Linder, psychothérapeute-psychanalyste, auteure d’ouvrages sur la famille. Il faut, bien sûr, que ce mode de vie soit matériellement possible. Mais cette transition représente une phase essentielle.[7] »

Comme le disent les psychologues, il faudra du temps pour que les relations se construisent, que chacun s’adapte à la situation et que les places et rôles au sein de la famille recomposée se définissent. Ce temps permet à l’enfant de faire plus ample connaissance avec son beau-parent, et ses enfants s’il en a, de tisser une relation particulière.

Du changement qui propose des défis à relever

Il n’est pas toujours facile de faire coexister les membres d’une famille recomposée. Le beau-parent doit inventer sa place au sein de la famille et les enfants n’ont rien demandé (déjà pour la séparation) et préfèreraient vivre avec leurs deux parents ensemble. Face à la complexité de la recomposition familiale, des défis sont à relever à différents niveaux.

« Réunir un groupe d’adultes et d’enfants, dont certains n’ont aucun lien de sang, et faire en sorte que chacun trouve sa place, tout en maintenant un contact rapproché avec les familles« d’avant », est une affaire compliquée.« Cela exige du temps, de la patience, une grande souplesse et une capacité à dialoguer quasi infinie, souligne Claire Régner, psychologue-conseillère familiale et conjugale. Sans oublier une solide dose d’humour pour dédramatiser et prendre le recul nécessaire. »Un chemin miné ? Sans doute. Pourtant, le parcourir n’est pas une gageure. (…) S’il n’existe pas de clé ouvrant les portes de la réussite, les spécialistes en conseil familial pointent une série de précautions et d’avertissements propres à faciliter la construction d’une cellule familiale nouvelle.[8] »

Les enfants et le nouveau couple vont ensemble s’accepter les uns les autres, construire les relations au sein de la famille, se donner une place en tant qu’adulte ou enfant dans la famille, construire et légitimer l’autorité et le rôle éducatif du beau-parent dans la vie quotidienne…

« Pour se structurer, l’enfant a besoin de comprendre que son beau-parent n’est pas un copain ou un égal, mais un adulte, sur lequel il peut compter et à qui, en échange, il doit respect et obéissance. Le beau-parent a un rôle éducatif et, au minimum, le devoir d’autorité et de protection, sans pour autant se substituer au père ou à la mère.[9] »

Enjeu de société : la reconnaissance juridique du beau-parent

Comme cela est explicité dans différents textes[10] et dans ma précédente analyse[11] sur le sujet, les beaux-parents s’investissent au quotidien auprès de leurs beaux-enfants, prennent auprès d’eux des responsabilités de soin, d’éducation et de prise en charge.

Leur implication, leur bienveillance, leur attention et d’autres raisons du même ordre font que « 80% de ces beaux-parents demandent une reconnaissance sociale[12] » sans être « des substituts ou des rivaux des parents biologiques[13] ».

Concernant une réponse politique à cette demande de reconnaissance, la Ligue des familles exprime qu’il serait plus judicieux de donner aux beaux-parents une reconnaissance sociale plutôt qu’un statut juridique. « Un statut légal, c'est fixer (et figer) des conditions strictes pour obtenir ce statut et c'est de facto prendre le risque de compliquer encore plus la vie de ces familles. C'est pourquoi nous proposons une reconnaissance sociale qui passe par des mesures concrètes visant à simplifier leur vie quotidienne, à protéger les relations entre l'ensemble des membres de la famille et à favoriser l'intérêt de l'enfant.[14] »

Des 17 propositions de loi déposées à la Chambre depuis 2002 (aucune n’a été votée à ce jour), la Ligue des familles[15] retient quelques principes pour guider la mise en place des mesures attendues :

  • permettre au beau-parent, s’il le souhaite et que les parents marquent explicitement leur accord, d'obtenir un « mandat d'éducation » lui octroyant des droits concernant la vie quotidienne avec l’enfant ;
  • permettre aux parents de déléguer une part de l'autorité parentale pour accomplir des gestes de la vie quotidienne ;
  • permettre de maintenir le lien avec les beaux-enfants pour faire face à des situations difficiles, telles la séparation du nouveau couple ;
  • revoir la fiscalité pour faciliter les legs, la transmission de biens aux beaux-enfants.

Maïté Béague, juriste, insiste sur« l’importance de la prise en compte du respect du temps, de la filiation, des deux parents, de l’intérêt de l’enfant et de la volonté du beau-parent de s’investir et d’assumer des responsabilités.[16] »Il faudrait reconnaitre les fonctions que les beaux-parents peuvent assumer aux côtés des parents.

L’UFAPEC partage les positionnements de la Ligue des familles et de Maïté Béague demandant une reconnaissance du beau-parent au sein de notre société. Celui-ci est présent dans la vie quotidienne des enfants et est un acteur éducatif aux côtés des parents. C’est pourquoi il a avant tout besoin d’une reconnaissance de la part des parents, de leur collaboration, de leur soutien et de leur confiance. Mais il a aussi besoin d’une reconnaissance au sein de la société. Il peut être amené à rencontrer l’équipe éducative de l’école (simplement en allant conduire et rechercher l’enfant), les professionnels du parascolaire…

Conclusion

L’absence de repères et de références concernant les relations au sein de la famille recomposée et le rôle du beau-parent propulse ces familles dans l’inconnu et la débrouille. C’est un nouveau mode de vie à déchiffrer, un parcours semé de défis et d’incertitudes. Il faut du temps pour apprendre à se connaitre, pour définir la place et les rôles de chacun… pour s’apprivoiser.

Accepter le nouveau conjoint d’un de ses parents, composer avec les enfants issus d’une union précédente, donner une place à chacun, prendre le temps de construire les nouvelles relations, définir ensemble le nouveau cadre de vie… sont les défis des familles recomposées pour rendre la vie commune la plus harmonieuse possible.

Comme pour toute famille, chaque famille recomposée a ses spécificités et se doit, dans l’intérêt de chacun, de se construire une unité dans le respect de chacun de ses membres, de souder ensemble la famille recomposée.

Les recompositions familiales et le rôle de beau-parent concernant de plus en plus de monde, l’UFAPEC trouve important de donner une reconnaissance sociale aux beaux-parents en pensant l’intérêt et le bien-être de l’enfant. Reconnu par les parents, mais ne se substituant pas à eux, le beau-parent sera un partenaire éducatif coopérant avec les parents dans une optique de dialogue, de respect et de confiance. Cette coopération sera bénéfique pour l’équilibre et l’épanouissement de l’enfant. Elle le sera sans doute aussi pour la société.

 

Alice Pierard

 

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[1]CHABBERT Delphine, « Pour une reconnaissance des beaux-parents », article publié le 12 mai 2014, In le ligueur.be.

[2]DOMPIERRE Jeanne, « Famille recomposée : composer avec les enfants de votre conjoint », In Canal Vie.

[3]Voir PIERARD A., La place du beau-parent dans les familles recomposées, Analyse UFAPEC 2012 N°25.12.

[4]HAIKIN Dimitri, « Beau-père, belle-mère, un rôle pas toujours facile… », article du 10 septembre 2008, In psy.be.

[5]HOUGHET Véronique, « Relation beau-père enfant: Quand l’enfant sépare le couple », In marieclaire.fr, p 1.

[6]PIERARD A., op cit., p 5.

[7]« Famille recomposée : les clés de la réussite », article publié le 20 juin 2011, In dossierfamilial.com, p 2.

[8]« Famille recomposée : les clés de la réussite », op cit., p 1.

[9]GANNAC Anne-Laure, « Réussir sa famille recomposée », février 2004, In psychologies.com, p 2.

[10]Voir bibliographie.

[11]Voir PIERARD A., op cit.

[12]CHABBERT Delphine, op cit.

[13]Idem.

[14]CHABBERT DElphine, op cit..

[15]Idem.

[16]PIERARD A., op cit., p 4.

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