Analyse UFAPEC juillet 2015 par B. Loriers

10.15/ Réhabiliter collectivement les sanitaires à l’école, pour un bien-être propice aux apprentissages ?

Introduction : constat alarmant

La mission d’éducation permanente de l’UFAPEC est de d’informer et de faire réfléchir sur la réalité de notre société.  Une de ses réalités est la vétusté et le manque d’hygiène des toilettes à l’école, ce qui préoccupe les élèves, leurs parents, et tous les membres de la communauté scolaire. Un état des lieux sur la thématique de l’eau à l’école, commandé par le Fonds BYX[1] en partenariat avec l’ASBL Question Santé dresse ce constat : près de 60% des élèves, du primaire et du secondaire, préfèrent aller à la toilette chez eux plutôt qu’à l’école. «J’aime mieux avoir mal au ventre du matin au soir et pendant toute l’année que de devoir aller à la toilette à l’école » confie un jeune interrogé. Plus de 700 personnes ont été interrogées dont 300 directeurs d’école. Quels sont les principaux griefs émis à l’encontre des toilettes? Les odeurs (78%), la malpropreté (65%), la peur de rester enfermé (66%), le manque d’intimité (49%). Loin de se vouloir une enquête scientifique, ce sondage pointe aussi l’éloignement des sanitaires par rapport à la classe, leur nombre insuffisant, l’état de vétusté, le manque de papier et de savon, et l’interdiction de se rendre au petit coin pendant les cours.

Se retenir d’aller à la toilette pendant des heures et, pour certains enfants, boire le moins possible à l’école ne génèrent pas que de l’inconfort. Les enfants qui urinent moins souvent à l’école ont, de manière significative, plus d’infections urinaires. Selon une étude française, 15,1% des élèves qui s’abstiennent de fréquenter les toilettes de leur école souffrent de constipation chronique, 21,6% d’une infection urinaire.

«Il est ici question d’hygiène, mais aussi de bien-être en classe, de concentration, parce qu’un enfant qui se retient toute la journée est moins performant»[2], affirme Sophie Liebman, enseignante et auteur d’un mémoire en Sciences de l’éducation sur les toilettes.

Certaines écoles déplorent[3] un manque de personnel d’encadrement (pour la surveillance lors du passage aux toilettes, par exemple) ou du personnel d’entretien (de manière structurelle ou en raison d’un taux d’absentéisme élevé). Complexe, cette question en évoque d’autres : celle du temps, de la motivation du personnel, elle-même liée à la valorisation de son travail. Face aux difficultés rencontrées, de nombreuses personnes mettent en avant l’absence de normes, notamment concernant le ratio des sanitaires : il existe des recommandations, mais elles ne sont pas contraignantes[4].

Les toilettes, lieu de défoulement

Les sanitaires scolaires sont un lieu de « libération contre les injustices vécues en classe et dans la cour de récréation »[5]. C’est un lieu où l’enfant doit pouvoir s’isoler, se retrouver, se soulager pas seulement de ses besoins premiers, mais aussi de sa colère. Il doit pouvoir s’y calmer. Les écoliers et étudiants doivent pouvoir se rendre sereinement aux toilettes. Avoir des toilettes en bon état à l’école permet aussi d’assouvir un certain besoin de reconnaissance des élèves. Une directrice nous disait que la propreté des sanitaires, c’est aussi l’image de la santé mentale de l’école.

La décadence dans les toilettes : à qui la faute ?

La faute à qui si les toilettes sont sales, mal situées, vétustes, trop peu nombreuses, souvent inaccessibles…? À l’école et aux pouvoirs organisateurs, souvent impuissants à prendre le problème à bras-le-corps, faute de moyens financiers et/ou humains ? Aux enseignants à la gestion du temps trop rigide ? Aux élèves qui salissent et dégradent les sanitaires ? Au personnel d’entretien démotivé ? Aux parents qui parfois n’ont pas ou ne prennent pas le temps d’éduquer aux rudiments de l’hygiène ?

Responsabiliser les élèves pour un projet qui fonctionne : exemples

L’objectif est pour chaque initiative d’encourager les enfants et les jeunes à s'approprier leur environnement quotidien et leur lieu de vie que représentent leur école, leur classe et les sanitaires. Cette prise de conscience de leurs responsabilités vise aussi à les inciter à respecter ces espaces.

a.      L'article "Lever le tabou des toilettes à l'école"[6]raconte une initiative prise par des élèves. "Ils en avaient marre de leurs toilettes immondes, les élèves de cette école primaire bruxelloise. Ils s'en plaignaient durant chaque conseil des enfants mensuel. Alors, ils ont fait une proposition : désigner des 'gardiens de la chasse'.
Soit deux élèves (parmi les plus grands) par récréation, affublés d'un badge leur conférant autorité dans les W-C, d'une brosse pour le nettoyage des cuvettes et de papier à distribuer aux enfants. Un projet 'rigolo et génial', d'après une instit, mais surtout 'qui marche' et permet de conserver des toilettes plus propres".

b.      Une autre pratique est appliquée par les Ecoles Citoyennes, qui ont choisi de suivre un modèle de participation. Les élèves (un par niveau) créent des règles qui touchent à la vie de l'école. Ces règles sont affichées partout dans l'établissement. Si un élève commet une incivilité, il est invité au Conseil de Citoyenneté, qui regroupe les représentants des élèves, des enseignants, le directeur... Ils recherchent alors, tous ensembles, une réparation à l'incivilité. Ainsi que l'explique une animatrice de l'asbl Jeune Et Citoyen, "l'élève qui commet une incivilité manifeste quelque chose. Le conseil de citoyenneté, c'est un lieu où ils peuvent déposer, où on les entend avec bienveillance"[7].

c.       Des sciences dans les toilettes ? Hygiène et fonctionnement, parlons-en ! Quand le conseil d’école de l’école Peter Pan de Saint-Gilles a proposé d’organiser un concours de sciences, les enseignants ont suggéré de travailler sur le thème des toilettes. Chaque classe a décidé d’un thème à traiter dans ce vaste problème. Ils se sont demandé pourquoi les berlingots bouchent les toilettes et pas les selles, pourquoi la cuvette ne déborde pas, d’où proviennent les odeurs, comment fonctionnent les siphons, pourquoi va-t-on à la toilette, pourquoi doit-on se laver les mains, … »[8].

Autres atouts pour un  projet de réhabilitation des sanitaires

Pour que le projet de réhabilitation des sanitaires fonctionne et tienne la route, on peut tenir compte des atouts suivants.

  • Établir un état des lieux avec les élèves (délégués, classe responsable, …) ;
  • voir comment d’autres écoles fonctionnent ;
  • lancer un sondage dans les classes ;
  • lister les problèmes et les priorités ;
  • Qui fait quoi, quand, comment ?
  • Réfléchir à 2 axes  indispensables : axe technique (matériel adéquat) et axe « sensibilisation » (animations en classe, communication, charte du bon usage des toilettes, … ;
  • impliquer un adulte de l’école, personne-ressource, coordinateur, soutien à la direction ;
  • privilégier une certaine autonomie des élèves, à établir en fonction de l’âge ;
  • impliquer tous les enseignants ;
  • rendre le projet visible aux yeux de l’ensemble de la communauté éducative ;
  • rendre le projet rapidement concret : ne pas faire durer la période d’analyse et de réflexion ;
  • avoir une vision du projet sur le long terme, pas ponctuel, notamment au niveau matériel durable, même si le travail de sensibilisation et de communication est chaque année à renouveler ;
  • demander un soutien du conseil de participation : espace de concertation qui permet de réunir tous les partenaires d’une communauté éducative. C’est un[9]lieu d’échange, de consultation et de réflexion, qui porte sur la vie quotidienne de l’école dans l’ensemble de ses dimensions. C’est aussi un lieu de construction de projets dans des domaines divers : éducation au respect de l’environnement, hygiène alimentaire, citoyenneté, etc. ;
  • demander un soutien du service PSE (Promotion de la santé à l’école) ;
  • évaluer le projet entre partenaires.

Quels freins risque-t-on de rencontrer lors de la réalisation d’un tel projet ?

Parce qu’une personne avertie en vaut deux, voici quelques blocages qui risquent de se présenter lors de la mise sur pied d’un projet de réhabilitation des sanitaires à l’école:

·         des enseignants qui manquent de temps ou de motivation pour intégrer le problème des sanitaires dans leur programme, ou encore qui ne sont pas formés pour faire participer leurs élèves à un tel projet ;

·         des élèves qui ne se sentent pas impliqués, qui ne sont pas sensibilisés à ce sujet ;

·         des élèves « délégués » qui se sentent impuissants à modifier une situation difficile ;

·         une absence de réelle volonté de changer les choses de la part du pouvoir organiseur ;

·         le manque de suivi de certains parents pour éduquer au respect de soi, des autres et des lieux ;

·         la difficulté pour trouver le ton non-humiliant pour demander à un élève de nettoyer ce qu’il n’a pas laissé propre ;

·         les parents et associations de parents ne sont pas toujours entendus dans leur demande de réhabilitation des sanitaires, ce qui aboutit à une certaine lassitude parfois ;

·         le manque de concertation entre les différents partenaires de l’école ;

·         …

www.netournonspasautourdupot.be

Ce site est destiné à motiver les écoles à se lancer dans un projet d’amélioration de leurs espaces sanitaires et à les accompagner pas à pas dans la mise en place de ce projet.

Le site propose d’ores et déjà un état des lieux de la situation dans les écoles et détaille la démarche proposée pour mener ce type de projet (implication des élèves, participation active des acteurs de l’école, articulation aménagements matériels/actions pédagogiques…).

Il fournira également, dès septembre 2015, des fiches d’accompagnement à télécharger tout au long de l’année, chaque fiche correspondant à une étape-clé du projet (mobilisation des élèves, état des lieux, recherche d’idées, plan d’actions, réalisation, évaluation…).

Enfin, vous y trouverez une série d’outils et d’expériences concrètes pour vous soutenir et vous inspirer dans votre projet.

D’autre part, la fondation roi Baudouin a lancé un appel à projets dans l’enseignement fondamental de la fédération Wallonie-Bruxelles. Les projets soutenus en 2015 se trouvent ici :

http://www.kbs-frb.be/grants.aspx?callid=315462&year=2015&langtype=2060

Conclusion

Quel que soit le projet retenu, il est important de prévoir un retour à la maison. Il faut créer du lien avec les parents. L’éducation à l’hygiène ne se fait-elle pas d’abord en famille ? Certains parents demandent de visiter les toilettes quand ils vont inscrire leur enfant dans une école. C’est un bon indicateur en termes de respect du bien-être des élèves. L’UFAPEC plaide pour que s’installent dans les écoles des projets impliquant tous les partenaires de la communauté éducative, y compris les parents.

Porter son attention sur les sanitaires scolaires, n’est-ce pas aider les élèves à respecter des lieux qu’ils partagent, à apprendre le vivre ensemble? Les toilettes sont un objet de socialisation, où les réflexions peuvent se partager avec les élèves, sur des problématiques qui les concernent quotidiennement. Cela fait partie d’une éducation citoyenne.

Réfléchir à ce sujet peut vraiment faire diminuer la violence collective. Les enfants qui se sentent respectés devraient porter davantage de respect à ce qui les entoure. Cette réflexion participe au bien-être et à l’épanouissement des élèves, pour faciliter les apprentissages et donc … contribuer dans une certaine mesure à la réussite scolaire.

Enfin, un climat positif d’école est nourri par le respect mutuel, le sentiment de sécurité, l’existence de règles justes et équitables. Ce climat positif est nécessaire pour les apprentissages, et il ne pourra s’installer que si les besoins premiers des élèves sont respectés.

Mais est-ce vraiment la place des enfants de prendre le rôle de gardiens des lieux comme on le lit pour certains projets ? N’y a-t-il pas risque de moqueries ou de dérives ? Jusqu’où peut-on impliquer les élèves ? Le débat est ouvert, et mérite une réflexion concertée au sein de chaque école.

 

Bénédicte Loriers

 

 

Désireux d’en savoir plus ?
Animation, conférence, table ronde... n’hésitez pas à nous contacter
Nous sommes à votre service pour organiser des activités sur cette thématique.

 


[1] Géré par la Fondation Roi Baudouin, ce Fonds œuvre à la promotion de la santé dans les écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles

[2] L’école et ses fondament’eaux, constats et pistes pour une politique de l’eau à l’école, un état des lieux du Fonds BYX, géré par la Fondation Roi Baudouin, en partenariat avec Question Santé, Bruxelles, Mars 2015. Publication téléchargeable sur le site : http://www.kbs-frb.be/uploadedFiles/2012-KBS-FRB/05)_Pictures,_documents_and_external_sites/09)
_Publications/PUB_3300_Fonds%20BYX.pdf

[3] L’école et ses fondament’eaux, ibidem.

[4] SANTIBANEZ JIMMENEZ Hugo, Hygiène et normes sanitaires à l’école, analyse FAPEO novembre 2013 : http://www.fapeo.be/wp-content/uploads/2015/04/6-15-2013-Hygiène.pdf

[5] LIEBMAN Sophie, intervention du 12 mars 2015 au séminaire « Sanitaires à l’école : levons le tabou ! ».

[6] La libre Belgique, 23 novembre 2009, Lever le tabou des toilettes à l’école.

[7] L’école et ses fondament’eaux…, ibidem , p.53.

[8] DE RADIGUES Priscilla, Toilettes, hygiène et propreté, dossier de la revue Particip’action (JEC), n°1, 2011.

[9] UFAPEC, FAPEO, Participer à l’école, mode d’emploi, guide pratique à destination des parents, des directions, des pouvoirs organisateurs et de tous les acteurs éducatifs, téléchargeable sur le site http://www.ufapec.be/files/files/outils_brochures/2013-10-10-brochure-copa.pdf, octobre 2013, Bruxelles.

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