Analyse UFAPEC juin 2013 par B. Loriers

11.13/ Les services d’accrochage scolaire (SAS) pour rétablir une spirale positive

Introduction : aider à reprendre pied

Il y a quelques temps, une maman d’élève (qui a bénéficié de l’aide d’un SAS) écrivait sur le site de l’UFAPEC: Je trouve qu'il serait intéressant de rédiger une analyse sur les services d’accrochage scolaire,  qui accueillent les jeunes en décrochage scolaire pour 1001 raisons (déscolarisation, phobie scolaire, problèmes sociaux.... Ils font un travail extraordinaire et sont bien trop peu connus et reconnus. Tant de parents sont démunis quand ce genre de problème arrive et ne savent souvent pas où se tourner alors qu'une solution existe! Chose promise, chose due … L’UFAPEC tente, par cette analyse, de faire connaître ces services d’accrochage scolaire. Des jeunes qui développent une phobie de l’école, ou dont le comportement est inadapté à notre système scolaire, des jeunes à haut potentiel, des jeunes qui sont présents physiquement dans le fond de la classe, mais qui ne participent pas du tout aux cours, … le désarroi peut être grand pour certains jeunes exclus de l’école ou en décrochage profond. Parmi les dispositifs de lutte contre le décrochage et la violence en milieu scolaire, la Fédération Wallonie-Bruxelles[1] a institué les services d’accrochage scolaire. Mais d’amblée, la question se pose : pourquoi notre système scolaire a-t-il besoin de ces services extérieurs aux écoles ? Pourquoi nos écoles ne parviennent-elles pas à éviter la « coupure » scolaire que vivent  de nombreux ados ? Comment agir  pour éviter le décrochage de nos jeunes ?

Mission des SAS

Les douze SAS[2] établis en Fédération Wallonie-Bruxelles ont pour mission d’apporter une aide sociale, éducative et pédagogique au jeune en décrochage, par l’accueil en journée et, le cas échéant, une aide et un accompagnement dans son milieu familial[3]. L’aide dont bénéficie le jeune lui permettra d’améliorer ses conditions de développement et d’apprentissage. L’objectif de chaque prise en charge est la réintégration de ces élèves, dans les meilleurs délais (6 mois maximum) et dans les meilleures conditions possibles, dans une structure scolaire ou une structure de formation agréée dans le cadre de l’obligation scolaire.

Qui peut faire appel aux services d’un SAS ?

Joëlle Coenraets, responsable du SAS de Namur (Carrefour Accueil) nous explique[4] : « La famille, le jeune en décrochage, la direction de l’école, le conseil de classe, le médiateur scolaire, le centre PMS, un conseiller du SAJ (Service d’Aide  à la Jeunesse) peuvent faire appel à notre service. Les jeunes qui intègrent le SAS vont venir en journée à la place d’aller à l’école.  Ils participeront à différents ateliers. Les SAS organisent des entretiens entre le jeune et sa personne de référence au SAS, afin d’y voir clair dans son parcours personnel, pour cerner les difficultés et les ressources dont le jeune dispose pour y faire face. D’autre part, des rencontres avec la direction, les professeurs et la classe du jeune visent à instaurer ou restaurer un lien positif avec eux. »

Pour qui ?

Ces services accueillent et aident temporairement des élèves mineurs[5] :

  • exclus d’un établissement d’enseignement organisé ou subventionné par la Fédération Wallonie-Bruxelles et ne pouvant être réinscrits dans un établissement scolaire ;
  • inscrits dans un établissement d’enseignement organisé ou subventionné par la Fédération Wallonie-Bruxelles et qui sont en situation de crise au sein de l’établissement ;
  • qui ne fréquentent pas l’école sans pour autant avoir été exclu d’un établissement scolaire;
  • Tout mineur d’âge (encore en obligation scolaire), tous réseaux confondus. Il peut s’agir d’un jeune exclu des écoles, ou en écartement (pour éviter le renvoi), ou encore d’un jeune en décrochage profond (qui n’est pas inscrit dans une école).

Pour quelle période ?

Moyennant l’accord du Ministre, cette prise en charge peut être considérée comme satisfaisant aux obligations relatives à la fréquentation scolaire.

La période maximale de prise en charge est[6] :

  • pour les élèves exclus, de trois mois renouvelable une fois, sans pouvoir dépasser au total 6 mois par année scolaire et une année sur l’ensemble de leur scolarité ;
  • pour les élèves en situation de crise dans un établissement scolaire, de trois mois renouvelable une fois, sans pouvoir dépasser au total 6 mois par année scolaire et une année sur l’ensemble de leur scolarité.
  • pour les élèves qui ne fréquentent plus un établissement scolaire, de trois mois renouvelable une fois, sans pouvoir dépasser au total 6 mois par année scolaire et une année sur l’ensemble de leur scolarité

Quelles activités ?

Différents ateliers sont proposés aux jeunes dans le cadre des SAS, par exemple[7] :

-  Ateliers d’expression et de création : art plastique, sculpture, écriture, espace d’expression corporelle. Les jeunes travaillent à partir de la liberté du geste, pour remobiliser, remettre en mouvement ;

-  Atelier musique, assistée par ordinateur permet aux jeunes de créer de petites compositions (rap, …) ;

-  Ateliers à orientation sportive : jonglerie, technique de cirque, escalade, VTT, course à pied ;

-  Atelier de découverte de la nature et de construction en bois ;

-  Atelier « formes » : les jeunes réalisent des formes proches des mandalas, … ;

-  Atelier de méthode de travail, de travail scolaire en autonomie et de jeux de société ;

-  Atelier kiffe tes maths ;

-  Activités plus occasionnelles (visites diverses, randonnées, théâtre, …)

-  Activités citoyennes comme du bénévolat, des rencontres, témoignages de vie ;

-  Des découvertes professionnelles (électricité, horticulture, …) ;

« Aller à la rencontre de personnes âgées ou handicapées, de mineurs d’âge non accompagnés de Fedasil ou encore participer à l’opération Thermos avec les sans-abri sont autant d’activités "génératrices de petits miracles", se réjouit Mme Otte[8], directrice du SAS « le Seuil » à Bruxelles, où peu à peu les jeunes apprennent à mieux se connaître, découvrir leurs compétences, définir leurs problèmes, appréhender la différence, avoir confiance en eux,... » Julie, 16 ans, qui a des difficultés à "s’intégrer avec les autres", a particulièrement apprécié l’opération Thermos : "Ce n’est ni réconfortant ni gratifiant, c’est simplement pouvoir aider quelqu’un. On nous aide, alors pourquoi ne pourrions-nous pas aider les autres ?"

Quel est le rôle des parents ?

Le décrochage ne vient pas de nulle part, il est souvent, mais pas toujours, en lien avec des difficultés vécues au sein de la famille. Le SAS tente de rendre les parents partenaires du travail d’accrochage, de les rassurer, d’écouter leur stress. C’est important qu’ils puissent partager avec leur enfant ce qu’ils vivent, leurs inquiétudes, leurs espoirs, leurs chagrins suite à une séparation, un moment difficile dans la vie professionnelle ou autre…

Rétablir la confiance en soi

Les animateurs des SAS travaillent à partir de la valorisation des compétences du jeune. Souvent après un atelier, il y a un retour par écrit du jeune et de l’animateur, à propos des compétences mises en œuvre. La confiance en soi est un des critères pour relancer le processus de motivation. Joëlle Coenraets : « Pour y arriver, nous avons constitué depuis plus de dix ans une équipe pluridisciplinaire. Nous y trouvons différentes compétences, comme celles de juriste, médiateur, sculpteur, logopède, musicien, éducateur, artiste, prof de gym, … L’idée est d’amener le jeune à être dans le « oser faire », « oser dire », « oser participer ». Nous travaillons beaucoup au niveau des relations entre jeunes, mais aussi entre jeunes et adultes ; comment vivre ensemble, travailler ensemble ? Cela implique la mise en place et le respect d’un cadre. Les problèmes d’indiscipline sont souvent jumelés à des problèmes relationnels. »

Les SAS organisent aussi des entretiens entre le jeune et sa personne de référence au SAS, afin d’y voir clair dans son parcours personnel, pour cerner les difficultés et les ressources dont le jeune dispose pour y faire face. De plus, des rencontres avec la direction, les professeurs et la classe du jeune visent à instaurer ou restaurer un lien positif avec eux.

Difficultés à surmonter au sein du SAS

Catherine Otte[9] raconte la difficulté à gérer certains comportements : « Des jeunes qu’on nous a orientés et annoncés comme étant les plus horribles, ont été des leaders positifs incroyables en tirant le groupe vers le haut. Mais l’inverse est vrai aussi. Certains qui arrivent à Seuil sont très fragiles, à la limite de la santé mentale et sont capables du meilleur mais aussi, pour des raisons parfois obscures, de « pètages de plomb » incroyables. Dans ces moments-là, il est important pour nous de gérer ces crises afin de préserver le groupe et de lui permettre d’avancer tout en pouvant soutenir le jeune dans son « pètage de plombs » sans que cela ne lui porte préjudice... Quand il y a 16 à 20 jeunes dans la maison, en plus des adultes, cela peut amener des tensions incroyables. Les jeunes qui sont accompagnés par notre service nécessitent beaucoup d’attention. On a de plus en plus de demandes qui émanent de l’enseignement spécialisé, ce qui pose question parce que certains de ces jeunes se font renvoyer du spécialisé pour les mêmes raisons qui les y ont amenés… On est loin d’un projet qui veut formater les jeunes à l’école. On se questionne régulièrement sur l’accompagnement que l’on propose aux jeunes puisque délibérément on a choisi une façon d’apprendre qui est, sur certains points, assez loin de ce qui est proposé généralement en milieu scolaire ».

Inspirations de la pédagogie nomade

Le projet pédagogique du « Seuil », qui se retrouve dans d’autres SAS, s’inspire en partie de la « pédagogie nomade » … « A l’école Pédagogie Nomade, personne n’est considéré comme inadapté à l’école ; on part du principe que chacun doit participer à la construction de son école de sorte qu’il s’y sente adapté. Pour des élèves en difficulté avec l’école traditionnelle, l’école nomade présente une alternative parce que le fonctionnement scolaire y est en perpétuelle réflexion. Rien n’est acquis : tout est à construire, déconstruire, reconstruire[10] »

Le projet pédagogique du « Seuil » se décline en différents pôles d’activités[11]:

  • Un groupe « vécu »qui propose aux jeunes de vivre une série d’expériences citoyennes et de rencontres humaines. Ces expériences permettent notamment de se frotter aux exigences et contraintes de la vie en groupe mais surtout d’agir et d’interagir comme « sujet acteur de solidarité ». Ces expériences permettent aux jeunes de se découvrir de « nouvelles » compétences, de gagner confiance en eux et de progressivement, modifier l’image que le jeune a de lui-même et son image auprès de son entourage (sa famille notamment).
  • Un groupe « besoin » qui permet aux jeunes de travailler des compétences scolaires de manière élargie et transversale par des mises à niveau ainsi que des activités de dépassement pour travailler principalement les compétences en matière d’expression écrite et orale.
  • Un groupe « désir »qui se concentre sur la réalisation d’un projet collectif. L’accent est mis sur l’apprentissage du processus qui mène à la réalisation d’un projet : album rap, écriture d’un synopsis de court-métrage. Il est important que le laps de temps entre les moments de réflexion du projet et celui de la réalisation ne soit pas trop long pour que les jeunes ne se découragent pas. Ce sont généralement des jeunes qui ont du mal à se projeter dans le temps donc si on leur dit que le projet va voir le jour dans 3 mois, ils se découragent.
  • Un pôle « projet du jeune et jeune en projet »qui concerne toute la maturation du projet de formation du jeune entre le moment où il arrive au SAS et celui où il part. Il est important qu’un chemin se fasse autour des questions : « Où j’en suis et où je vais ? », « Qu’est-ce que j’ai envie de faire ? ». Cela peut se traduire sous forme de mise en stage, de rencontres de personnes ressources (écoles, centres P.M.S, etc.), la réalisation d’un CV, la recherche d’un patron, etc. Il est important de réussir à accompagner le jeune dans son projet de formation afin que le jeune y trouve un intérêt et que ni lui, ni les adultes qui l’entourent n’aient perdu leur temps. Cet accompagnement prend une forme individuelle et peut dépasser largement, pour certains jeunes, la question scolaire.

Utilité des SAS ?

La parenthèse ouverte, il faut aussi la refermer. Les jeunes sont appelés à réfléchir à un projet scolaire ou de formation, se structurer dans le temps et l’espace, s’affirmer. Pour ce faire, ils sont outillés collectivement : faire un reportage dans une école, travailler l’expression écrite et orale, développer l’esprit critique. Ils sont aussi outillés individuellement. "Nous réfléchissons avec le jeune aux perspectives légales de son retour à l’école, mais nous le mettons aussi au défi d’aller sur le terrain, de rencontrer des professionnels", indique Aline, référente sociale[12]. Pour assurer la mise en œuvre concrète des projets, « nous travaillons toujours pendant environ trois semaines la transition, l’après Seuil. Nous prodiguons un suivi plus limité, mais restons pour certains jeunes un repère, voire un refuge", affirme la directrice. Quant à la question de la réintégration, on n’a pas d’évaluation très objective car on en est toujours à l’expérience pilote et on n’a pas beaucoup d’écho sur le suivi des jeunes et la suite de leur parcours. Certains jeunes repassent à Seuil pour nous dire bonjour, donner des nouvelles mais ce n’est qu’une minorité. En termes de ressenti, je pense que globalement, on arrive à faire un petit bout de chemin avec le jeune. De là à dire qu’on peut travailler sur l’ensemble des difficultés qu’il rencontre et qu’on fait des miracles, certainement pas. Je crois qu’une expérience comme celle qu’on propose à Seuil doit inévitablement laisser des traces dans le vécu du jeune même si le déclic se fait parfois avec retard. Il nous importe de travailler principalement sur le « goût d’apprendre », l’envie de découvrir ! En termes de confiance en soi et de valorisation personnelle, je suis sûre qu’on marque des points, acquis qui sont transposables lors du retour à l’école[13]. »

Conclusion : donne du sens à ce que tu apprends !

Troubles du comportement, difficultés relationnelles, parcours de vie social et familial compliqués, perte de repères et de confiance en soi, … ces jeunes que l’on rencontre dans les SAS, qui ont décroché de l’école ou de leur lieu de formation sont un peu des écorchés par la vie. Dans chacun des 12 services d’accrochage scolaire de la fédération Wallonie-Bruxelles, on trouve des jeunes en souffrance qui ont besoin de souffler pour tenter de démêler les nœuds, trouver des réponses, des pistes de solution, et reprendre pied. Chaque SAS a sa propre identité, son fonctionnement, mais ils se retrouvent tous autour de la recherche du sens à donner dans les apprentissages, par des rencontres, des expériences, du concret, des projets citoyens.

L’UFAPEC se pose la question de l’efficacité de ces expériences quand les jeunes sortent d’un SAS. Pour Catherine Otte[14]"à certains moments, cela reste très compliqué, avec certains jeunes qui replongent complètement. Pour d’autres, cette parenthèse a été très utile et bénéfique dans la suite de leur parcours. Nous sommes témoins d’une évolution. En cela, c’est une réussite. Mais nous n’allons jamais donner la garantie que le jeune n’aura plus de problèmes".

Quoi qu’il en soit, avant de prendre contact avec un SAS (le nombre de places étant limité), l’UFAPEC insiste sur le fait qu’il est important de s’assurer que la famille et le jeune ont fait appel avant tout aux aides et remédiations qui existent au sein de l’école : rencontres avec les enseignants et le titulaire, les éducateurs, avec la direction, le PMS, …Le travail de l’équipe éducative et des parents doit se faire autour de la motivation et du renforcement de la confiance en soi. Pour l’UFAPEC, l’idéal serait que ces structures de SAS n’existent pas, que les écoles bénéficient de moyens humains pour aider les jeunes en difficulté, et que des pédagogies alternatives se mettent davantage en place pour leurs venir en aide. Les SAS doivent rester une solution de la dernière chance, et le passage du jeune doit y être le plus bref possible.

 

Bénédicte Loriers

 

 

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[1]Les SAS sont subsidiés par les ministères de l’enseignement obligatoire et de l’aide à la jeunesseainsi que par la région wallonne via l’aide à l’emploi (contrats APE)..

[2]La liste complète des SAS est reprise en annexe 2 de cette analyse et sur le site suivant :

http://www.enseignement.be/index.php?page=23748&navi=2666

[3]Missions précisées dans le décret du 30 juin 1998 (lire annexe 3): http://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/22209_002.pdf

[4]LORIERS Bénédicte, Les Services d’accrochage scolaire, in « Les parents et l’école » n°77, p.12 et 13.

[5]L’accompagnement des jeunes par un SAS s’organise autour des articles 30, 31 et 31bis du décret du 30 juin 1998 (organisant les discriminations positives) et concerne des situations de renvoi (article 30, prise en charge de 3 mois renouvelable une fois), de « mise à l’écart » (article 31, un mois renouvelable une fois pour des jeunes toujours inscrits à l’école) et les situations de décrochage scolaire (article 31 bis, 3 mois renouvelable une fois).

[7]Nous avons pris l’exemple du SAS de Namur.

[8]BOCART Stéphanie, Le SAS, parenthèse dans la scolarité, in La Libre Belgique, 28 mars 2011.

[10]LORIERS Bénédicte, L’acquisition du savoir par l’auto-gestion : exemple de l’école Pédagogie Nomade à Limerlé : http://www.ufapec.be/files/files/analyses/2010/13-10-pedagogie-institutionnelle.pdf

[11]OTTE Catherine, op cit.

[12]OTTE Catherine, op cit.

[13]Idem.

[14]OTTE Catherine, op cit. 

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