Analyse UFAPEC juin 2013 par D. Houssonloge

12.13/ Le rôle des écoles de devoirs : instrumentalisation, substitution ou médiation?

 

L’échec scolaire du petit, dès qu’il est énoncé devient l’échec parental

Philippe Marhic

 

Introduction

Pour les parents précarisés et en difficulté pour accompagner leur enfant, les écoles de devoirs représentent la seule forme de soutien scolaire accessible hors de l’école.

Dans une société où cohabitent chômage et inflation des titres scolaires, l’école est devenue une voie incontournable vers la réussite socioprofessionnelle. Et pourtant, loin d’assurer la réussite de tous (comme le prescrit le décret Missions), l’école produit massivement de l’échec[1] voire du décrochage scolaire tout spécialement dans les milieux défavorisés qui n’ont ni les compétences ni les codes nécessaires.

Très vite, malentendu et méfiance s’installent entre l’école et les familles précarisées. Cela rejaillit directement sur l’enfant en tension permanente entre ses parents et l’école.[2]

Le 22 mai 2013, un nouveau décret vient de renforcer les moyens des écoles de devoirs et repréciser leurs missions.[3] C’est l’occasion de s’interroger sur la place que les écoles de devoirs ou EDD occupent entre l’école et la famille, sur leur rôle réel entre instrumentalisation, substitution et médiation.

Définition et rôles des EDD

Organisées depuis les années 70, et au nombre de 346 aujourd’hui, les EDD n’ont été reconnues officiellement qu’en 2004[4], et mieux encore en 2007[5]. C’est donc récemment qu’une place et un rôle leur ont été attribués par des instances officielles. C’est majoritairement à proximité voire dans des locaux d’écoles de quartiers défavorisés que se sont développées les EDD. Aujourd’hui elles accueillent 60 % d’élèves de milieux très défavorisés.

Les EDD ont pour mission de favoriser :

  • « le développement intellectuel de l’enfant, notamment par l’accompagnement aux apprentissages, à sa scolarité et par l’aide aux devoirs et autres travaux à domicile ;
  • le développement et l'émancipation sociale de l'enfant, notamment par un suivi actif et personnalisé, dans le respect des différences, dans un esprit de solidarité et dans une approche interculturelle;
  • la créativité de l'enfant, son accès et son initiation aux cultures dans leurs différentes dimensions, par des activités ludiques, d'animation, d'expression, de création et de communication;
  • l'apprentissage de la citoyenneté et de la participation ».[6]

Malheureusement, le secteur manque cruellement de moyens : manque de places, manque de subsides, manque d’animateurs formés au contrat stable.[7] Et si le récent décret renforce quelque peu les moyens des EDD c’est loin de suffire. Alors que les EDD jouent un rôle de cohésion sociale fondamental, comme l’a rappelé le ministre Jean-Marc Nollet à l’occasion du vote du nouveau décret : « elles permettent aux enfants de garder le contact avec le milieu scolaire, de les accompagner dans leur processus éducatif à travers leçons et devoirs, mais aussi, de manière plus globale, de redonner du sens à leur parcours scolaire, de les réconcilier avec l’école, voire avec leur avenir scolaire. »[8]

Pourtant, comme l’expliquele Forum bruxellois de lutte contre la pauvretédans son étude de 2011, le rôle des EDD n’est pas facile. Depuis toujours, elles jouent un rôle d’entre-deux, en demi-teinte entre l’école et la famille, coincées entre les demandes des parents et les limites de l’école. Cette difficulté à trouver sa place dans le triangle éducatif provoque une tension et un véritable malaise dans le travail quotidien des écoles de devoirs.[9]

Lien avec les parents

Qui sont les parents dont les EDD accueillent les enfants et quels liens les parents entretiennent-ils avec elles ?

Plutôt que de présenter l’image facile et vendeuse de parents « démunis, dépassés ou même violents » comme titrent certains journaux[10], les professionnels du secteur voient davantage les parents comme volontaires et intéressés par la scolarité de leur enfant.

Dans son analyse partielle des rapports d’activités de 2008-2009, l’Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la jeunesse précise que 67,9% des écoles de devoirs s’estiment satisfaites des contacts établis avec les parents, que la fréquence des contacts la plus importante est celle d’une ou plusieurs fois par semaine, que des contacts réguliers semblent être importants pour la plupart des écoles de devoirs et que la place des parents est réelle car l’initiative parentale concerne plus d’un quart de notre effectif total.[11]

Le Forum bruxellois de lutte contre la pauvreté souligne deux constantes évidentes chez les parents qui font appel aux EDD : « d’une part, ils proviennent de milieux très précarisés et fréquentent les services sociaux et d’autre part, bien qu’ayant eu souvent un parcours scolaire des plus chaotiques qui complexifient leur rapport à la scolarité, ces parents manifestent un intérêt certain pour la chose scolaire.[12] »

La fédération des écoles de devoirs que nous avons interrogé rappelle le postulat de base essentiel au travail des EDD : « La famille est et doit rester le premier lieu de l’éducation de l’enfant :


 

Les Ecoles de Devoirs : un soutien à la parentalité à nuancer...

Depuis de nombreuses années, les Ecoles de Devoirs jouent un rôle essentiel auprès des familles en leur offrant de multiples occasions (réunions, comités, ateliers, sorties, fêtes de quartier...) de découvrir leur enfant sous un autre jour et de favoriser la communication entre eux en vivant ensemble des activités au sein de l'EDD. En effet, de nombreuses EDD, en éveillant l'intérêt des parents pour les réalisations de leur enfant et en valorisant leurs compétences, créent un climat favorable à la communication, à la découverte de l'autre et à la confiance. Ce soutien à la parentalité passe aussi par des ateliers destinés directement aux parents, par exemple les ateliers d'alphabétisation, qui leur permettent dès lors de mieux suivre la scolarité de leur enfant.  Autant d'occasions de donner aux parents une place active dans l'éducation de l'enfant car si l'EDD est là pour écouter, accompagner, conseiller le parent, la famille reste et doit rester le premier lieu de l'éducation de l'enfant. Il s'agit de prendre conscience que chacun a un rôle à jouer et occupe une place précise d'après l'angle de vue où on se situe (école-famille-EDD). Il est primordial en effet d'éviter que les parents soient démissionnaires en déléguant leurs responsabilités sur l'animateur ou le professeur. En EDD, nous croyons effectivement que ces 3 pôles (école-famille-EDD) forment un triangle éducatif autour de l'enfant et qu'il est important que la communication soit efficace entre eux. C'est pourquoi, nous pensons aussi que l'EDD peut servir de relais entre la famille et l'école et qu'il est utile de favoriser les échanges et les partenariats entre école et EDD.

Fédération Francophone des Ecoles de Devoirs asbl


 

Nous rejoignons Elise Thiry, des Ateliers du Soleil[13], et Caria et Hanane Habdi, du Safa[14],  dans leur perception du lien à avoir avec les parents entre écoute et reconnaissance : « Informer, accompagner les parents, c’est pouvoir par des capacités d’écoute, entendre leurs attentes, leurs demandes, leurs besoins et reconnaître leurs compétences.[15] »

Les EDD sont bien conscientes qu’elles ne doivent ni provoquer la démission des parents ni s’y substituer. Au contraire, ce qui va permettre à l’enfant de progresser, c’est de renforcer l’implication des parents.[16] Cela passe par tisser des liens avec eux, construire une relation de confiance, les impliquer dans des activités où à la fois ils se sentiront compétents et utiles et où, en même temps, ils verront les compétences et les progrès de leur enfant. Emsal Iliaz, du Toucan[17], explique : « Retrouver parents et enfants autour d’une lecture, d’un jeu permet de partager un moment de plaisir, de découvrir ses potentialités, de prendre du recul par rapport à ses représentations sur les apprentissages, la lecture et les jeux, l’effort et le plaisir… Il est en effet intéressant de travailler les croyances des parents par rapport à l’apprentissage, de leur expliquer que l’on apprend de différentes manières et le démontrer en le faisant vivre et partager ! [18] »

Bref, on peut dire que l’EDD prend le relais de l’école auprès des parents pour construire un véritable partenariat scolaire autour de l’enfant.

Construire un partenariat avec des parents qui doutent de leurs capacités, c’est d’abord se mettre dans une attitude de bientraitance, comme le résume le guide de soutien à la parentalité que l’ONE vient de publier : « le non-jugement, la non-disqualification, l’empathie, l’écoute active et respectueuse, la construction d’un lien de confiance réciproque, la prise en compte des références culturelles de la famille, le respect, la non-stigmatisation, la co-construction des solutions et l’alliance éducative [19] ».

Lien avec l’école

Les relations entre EDD et école peuvent être complexes et empreintes de préjugés basés sur une méconnaissance de l’autre partenaire.

Il y a tout d’abord un manque de contacts réguliers : en général, cela varie d’une fois par mois à une fois tous les 6 mois. Ce manque de contacts peut s’expliquer par des horaires difficilement conciliables de part et d’autre mais, en majorité, c’est les EDD qui doivent faire la démarche.

Les principales difficultés pointées par les EDD sont une collaboration à sens unique de l’EDD vers l’enseignant, un manque de compréhension voire de reconnaissance de la part de l’école du travail fait par les EDD et enfin un manque de confiance mutuel.[20]

Les EDD aimeraient ne pas être instrumentalisées par l’école : elles voudraient être autre chose qu’un service de sous-traitance de soutien scolaire, juste bon à faire les devoirs et à s’occuper des enfants en échec ou en décrochage. Dans ce sens, le nouveau décret ne parle plus de « soutien à la scolarité » mais d’ « accompagnement aux apprentissages, à sa scolarité et par l’aide aux devoirs et travaux à domicile ».[21]

L’école aussi éprouve des difficultés face aux EDD. Le Forum bruxellois de lutte contre la pauvreté a étudié la question et balayé de fausses représentations réciproques et tenaces qui peuvent entretenir des malentendus et de mauvaises relations entre école et EDD :

  • contrairement à ce que des enseignants pensent, les animateurs des EDD ne sont pas incompétents mais peut-être faut-il s’interroger sur les moyens disponibles.
  • contrairement à ce que des animateurs d’EDD pensent, les enseignants restent motivés et impliqués dans le soutien scolaire des enfants en difficulté mais peut-être faut-il aussi s’interroger sur ce qui est demandé à l’école.[22]

Une communication via le journal de classe entre l’école et l’école de devoirs ne suffit pas et des collaborations sont à développer dans l’intérêt de l’élève et de sa réussite.

La nécessité d’un partenariat école-famille pour éviter l’échec scolaire voire le décrochage n’est plus à démontrer et, dans ce sens, nous sommes convaincus que les écoles de devoirs ont toute leur place dans le triangle éducatif. Fortes de leur expertise développée auprès des enfants des milieux précarisés, de la relation de confiance et de reconnaissance construite avec les parents, des collaborations développées avec l’école, les EDD peuvent jouer un trait d’union essentiel.

Certains enseignants expriment d’ailleurs le souhait de voir les EDD jouer un rôle de médiation entre l’école et les familles  « pour leur expliquer l’importance d’être en relation avec l’instituteur de leur enfant [23] » même si «  l’école en tant qu’institution et l’instituteur en tant que professionnel doivent rester les  premiers et les derniers garants de l’accrochage scolaire des enfants issus de familles socio économiquement lésées. [24] »

Conclusion

Face aux deux institutions à l’identité bien marquée en charge de l’enfant que sont l’école et la famille, les écoles de devoirs ont encore des difficultés à trouver leur place.

Pourtant, elles ont un rôle capital à jouer. A la fois, elles complètent le rôle de l’école pour que celle-ci tende vers une école de la réussite pour tous et en même temps, les EDD jouent un rôle de médiation et même de déminage entre l’école et les familles précarisées.

Ce rôle capital, les écoles de devoirs ne pourront le remplir pleinement sans le soutien et la reconnaissance de tous les partenaires scolaires comme celui de la société civile.

Cela passe par plus de moyens en termes d’équipements et de personnel mais aussi par une collaboration accrue avec les enseignants et les directions et une place faite aux EDD dans les lieux de concertation de l’école comme le conseil de participation, tel que le décret Missions le prévoit.[25]

 

Dominique Houssonloge

 

 

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[1]60 000 élèves redoublent chaque année en Communauté française, près de 70 % des élèves recommencent au moins une année durant leur scolarité, 20 % des élèves quittent l'enseignement sans diplôme à la fin du secondaire voir http://www.ligue-enfants.be.

[2]Jean-Luc van Kempen, L’école et les familles populaires, un malentendu profond. Analyse UFAPEC 2008 - http://www.ufapec.be/nos-analyses/1108milieux-populaires/

[3]Parlement de la Communauté française. Session 2012-2013– Compte-rendu intégral de la séance du 22 mai 2013 - http://archive.pfwb.be/1000000010c10ea

[4]Décret du 28/04/2004 relatif à la reconnaissance et au soutien des écoles de devoirs

[5]Décret du 12/01/2007 modifiant le décret du 28/04/2004.

[6]Décret relatif à la reconnaissance et au soutien des écoles de devoirs du 22 mai 2013.

[7]Parlement de la Communauté française. Session 2012-2013– Compte-rendu intégral de la séance du 22 mai 2013. Op. cit.

[8]Parlement de la Communauté française. Session 2012-2013– Compte-rendu intégral de la séance du 22 mai 2013. Op. cit.

[9]Nicolas De Kuyssche, Rocco Vitali, Le rôle des écoles de devoirs dans l’accrochage scolaire des enfants pauvres, Forum bruxellois de lutte contre la pauvreté, janvier 2011- Voir aussi l’étude de la Ligue de l’Enseignement et de l’éducation permanente : les écoles de devoirs, au-delà du soutien scolaire. Décembre 2011.

[10]Le Soir, Ecole de devoirs négligées. 19/01/2012

[11]Écoles de devoirs. Exploitation des rapports d’activités 20082009.Exploitation des données et rédaction : Alice Pierard, stagiaire. 2010.

[12]Op. cit. Pp. 32-35.

[13]Organisation d'éducation permanente et d'insertion socio-professionnelle, centre d'expression et de créativité et d'actions parascolaires reconnus par la Fédération Wallonie-Bruxelles, la Région de Bruxelles-Capitale, la Commission Communautaire Française, Bruxelles-Formation, Actiris, le Fonds social européen et l'Echevinat de la Famille de la Ville de Bruxelles

[14]L’asbl SAFA installée à Anderlecht propose principalement des activités extra - scolaires ainsi que des activités pour les parents

[15]CEDD. Feuillet d’information mensuel de la coordination des Ecoles de Devoirs de Bruxelles. Janvier 2009, p. 15

[16]La Ministre Catherine Fonck avait mené une action dans ce sens en 2008. La Filoche, février 2008, p.14

[17]AMO de Bruxelles

[18]CEDD. Feuillet d’information mensuel de la coordination des Ecoles de Devoirs de Bruxelles. Janvier 2009, p.14

[20]Écoles de devoirs. Exploitation des rapports d’activités 20082009. Op. cit.

[21]Décret relatif à la reconnaissance et au soutien des écoles de devoirs du 22 mai 2013 Op. cit. Article 2, § 1er.

[22]Nicolas De Kuyssche, Rocco Vitali, op. cit. pp. 48-50

[23]Op. cit.. p. 49

[24]Op. cit. p. 42

[25]« Le Conseil de participation comprend des membres de droit, des membres élus et des membres représentant l'environnement social, culturel et économique de l'établissement. » Extrait du décret Missions de 1997

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