Analyse UFAPEC juin 2016 par F. Baie

13.16/Les rites de virilité à l'adolescence sont-ils encore présents dans notre société ?

Introduction

"Tous les parents le savent, la traversée de l'adolescence désormais englobée sous le terme de jeunesse n'est pas une mince affaire. Une majorité de jeunes s'intègrent apparemment sans trop de difficultés à nos sociétés, mais une frange non négligeable peine à donner sens à sa vie et à projeter son histoire dans l'avenir"[1], affirme David Le Breton[2].  C'est pour cette raison que l'UFAPEC désire analyser précisément les rites de virilité qui pour certains adolescents représentent une particularité et même peut-être  une difficulté de l'accès à l'âge adulte. Les rites de virilité à l'adolescence sont-ils encore présents dans notre société  et jouent-ils un rôle important dans ce passage délicat qui consiste à devenir soi ? Pour accéder au statut d'homme faut-il à tous prix passer par ces rites de virilité? Ces rites sont-ils encouragés par la famille, l'école, l'entourage, les médias, les pairs? Quel message notre société véhicule-t-elle envers nos garçons pour les faire devenir des hommes?  Les rites de virilité conduisent-ils à des changements de comportements: transgression des interdits, pied de nez aux autorités?

Les milieux sociaux  et culturels dans lequels baignent le jeune influencent-ils  ces rites de virilité? Sont-ils plus marqués dans les milieux plus précarisés ou au contraire ce facteur n'a-t-il  aucune importance? Ces rites de virilité peuvent-ils présenter des conduites à risques?

La question des rites de virilité touche également à la question de l'émancipation de l'individu. Certains adolescents qui dérogent aux modèles de virilité véhiculés par notre société prennent-ils des coups au sens propre comme au figuré?

Enfin, nous verrons également quel peut être le lien entre ces rites de virilité et le parcours scolaire de nos enfants.

Rites de virilité et cultures

Selon les cultures, la transition de l'enfance à l'âge adulte est un moment plus ou moins délicat  dans la vie de chacun. Cette transition s'accompagne souvent de rites de passage associés à des rites de virilité pour les garçons afin qu'ils deviennent des hommes. "Mais l'âge auquel cela se produit, et comment chaque enfant célèbre son rite de passage à l'adolescence, dépend entièrement de l'endroit où il vit et de la culture dans laquelle il grandit"[3].

Exemples:

Les jeunes garçons juifs célèbrent leur Bar Mitsvah[4] à 13 ans afin de démontrer leur engagement envers leur foi et reconnaitre qu'ils sont maintenant assez responsables pour suivre la loi juive.

Dans la tradition Amish[5], "Rumspringa marque le moment où les jeunes à  l’âge de 16 ans sont enfin en mesure de profiter de week-ends sans surveillance loin de la famille. Pendant ce temps, ils sont encouragés à profiter de ce qu'ils aiment, que ce soit des vêtements modernes ou de l'alcool. Le but de cette période est de permettre aux jeunes Amish d’avoir l'occasion de voir et de découvrir le monde au-delà de leur culture et de leur éducation"[6].

"À l'Île du Nord de Baffin, les garçons Inuits âgés de 11 et 12 ans  partent souvent dans la nature avec leurs pères pour tester leurs compétences de chasse et s’acclimater aux très rudes la température de l’Arctique. Selon la tradition, un chaman serait appelé pour ouvrir les lignes de communication entre les hommes et les animaux"[7]

" Les Maasai du Kenya et de la Tanzanie ont plusieurs rites de passage qui transportent les garçons à l'âge adulte. Les garçons âgés de 10 à 20 ans sont réunis pour être initiés comme nouveaux «guerriers » de la tribu, placés dans des dizaines de maisons construites pour l'occasion. La nuit avant la cérémonie, les garçons dorment dehors dans la forêt, et à l'aube, ils reviennent pour une journée de chant et de danse. Ils boivent un mélange d'alcool, de sang de vache et de lait, tout en consommant de grandes portions de viande. Après ces festivités, ils sont prêts à être circoncis, ce qui rend officielle leur transformation en homme, guerrier et protecteur. Comme dans d'autres rites de passage, les garçons ne peuvent pas flancher, car cela serait la honte pour leurs familles et montrerait leur manque de bravoure"[8].

" Au Vanuatu, un petit pays insulaire au milieu du Pacifique Sud, pour leur rite de passage les jeunes garçons sautent d'une tour de 98 mètres de haut avec une liane attachée à leurs chevilles, qui les retient de se  fracasser contre le sol. Le hic? Contrairement à un cordon élastique, la liane manque d'élasticité, et la moindre erreur de calcul de longueur pourrait conduire à des fractures ou même à la mort"[9]….

On le voit, un peu partout dans le monde, les rites de passage prennent une place plus ou moins importante dans la vie du garçon. Faut-il donc inévitablement passer par ces rites pour devenir un homme? En Europe, quels sont ces rites de virilité ? Sont-ils aussi encadrés et cautionnés que dans les sociétés traditionnelles? Sont-ils aussi marqués qu'au Vanuatu ou que chez les Maasai, les inuits, les juifs ( pour ne donner que quelques exemples)...

Message de notre société envers les garçons

Même si le genre du mot "virilité" est féminin, sa définition est bien empreinte de masculinité: " la virilité est l'ensemble des caractères physiques de l'homme adulte, ce qui constitue le sexe masculin, les attributs de la virilité, la capacité d'engendrer, vigueur sexuelle, mâle, énergie, courage"[10].

Aujourd'hui encore, en Europe, même si les jeunes garçons ne doivent pas sauter de 98 mètres de haut avec une liane attachée à leurs chevilles, notre société attribue insidieusement aux garçons, dès le plus jeune âge,  une étiquette sociale. Pour parvenir au statut d'homme, la famille, l'entourage, les médias, l'école, etc., encouragent les garçons à se mouler dans un corps d'homme et à adopter des comportements virils.  

Selon le sociologue Pierre Bourdieu[11], "On n'en finirait pas de recenser les actions sexuellement différenciées de différenciation sexuelle qui visent à accentuer en chacun les signes extérieurs les plus immédiatement conformes à la définition sociale de son identité sexuelle ou à encourager les pratiques qui conviennent à son sexe tout en interdisant ou en décourageant les conduites impropres, notamment dans la relation avec l'autre sexe".

 

 

Des exemples? :

Pour devenir un homme, "tu dois être fort",  "tu dois être sportif", "tu dois t'imposer", "tu dois être musclé", "tu dois relever des défis", "tu dois protéger ton honneur", "tu dois être fier", "tu dois être agressif", "tu dois avoir de l'énergie", "tu dois réussir", "tu ne dois pas te plaindre", "tu ne dois pas pleurnicher", "tu ne dois pas être une mauviette",  "tu dois montrer aux autres que tu es un dur," "tu dois dominer", "tu ne dois pas être soumis",…

Dès le plus jeune âge, certains parents éduquent encore  les garçons à l'agressivité,  à la compétition, à masquer leurs émotions, à  parler en utilisant le "nous" impersonnel, à pratiquer un sport intensif, à ne pas pleurer, à monopoliser l’attention et l’espace, à faire usage de sa force physique, à s’afficher comme sexuellement dominant …

Les médias, et plus particulièrement la publicité, participent à propager ces stéréotypes et mettent en scène des jeunes hommes musclés qui se retrouvent très fréquemment  torse nu (huilé de préférence pour faire ressortir les abdominaux): " Le stéréotype de l’homme fort reste toujours bien présent dans la publicité. Il est principalement utilisé pour promouvoir des produits typiquement masculins comme de l’alcool ou des déodorants. Des hommes magnifiques, musclés, qui n’ont pas peur de mouiller le maillot pour arriver à leur fin sont mis en scène. Ces athlètes arrivent à se surpasser grâce aux produits qu’ils utilisent. »[12]

Nos garçons s'identifient, se projettent, fantasment…  Les publicitaires l'ont bien compris.

Nos garçons ne sont-ils pas le réceptacle des messages que la société toute entière tente de leur faire passer?

Fierté de parents

En tant que parents,  nous sommes encore nombreux  à être fiers des prouesses physiques de nos garçons. Nous hurlons à leurs matches de football, nous les encourageons dans leurs exploits physiques. Faut-il trouver normal que nos garçons se battent, aillent  au contact, dans leurs sports ou jeux de tous les jours tels de jeunes chiots  parce que depuis la nuit des temps, les garçons et les filles ne sont pas faits pareils? 

La masse musculaire de nos "petits mecs" est différente de "nos petites princesses", vous diront certains.  Déjà  à l'époque des hommes préhistoriques, les garçons combattaient les bêtes féroces, vont diront d'autres.  Il subsiste un formatage de nos enfants : " Nos garçons rivalisent au bras de fer ! Nos filles  font du  shopping !"  Notre société a-t-elle besoin de ces caricatures ? Est-ce ainsi, est-ce la loi des genres ?

En Europe, même si nous connaissons une évolution des mentalités, les sports les plus pratiqués par les garçons sont toujours le football, le rugby, le hockey, les sports extrêmes, les sports de combat…

« De fait, filles et garçons ne font pas les mêmes sports, et toute transgression suscite la suspicion. La pratique, par un garçon, d'un sport dit féminin sera plus mal vue que l'inverse: au soupçon de défaillance de virilité s'ajoute celui de l'homosexualité, moins admise lorsqu'elle est masculine »[13]

Cependant, les mentalités évoluent. Aux Etats-Unis, par exemple, le football est de plus en plus pratiqué par les jeunes filles: "Le football, qui est perçu en Europe comme un sport exsudant la testostérone, est en revanche aux États-Unis le sport le plus pratiqué par les femmes. On y compte, selon les chiffres de la FIFA, plus de 1,6 million de joueuses »[14].

Notre éducation modèle de façon inconsciente ou intentionnelle des manières d'être et des attitudes spécifiques. Selon son milieu social et culturel, ses appartenances religieuses, son histoire, le garçon s'accommodera plus ou moins bien des influences et des injonctions qui pèsent sur lui et produira ses signes propres de masculinité plus ou moins prononcés.  « Il faut explorer la manière dont familles, école et société projettent sur les «petits mâles» des rêves, des désirs ou des fantasmes qui influent sur leurs identités et leurs carrières »[15].

Le regard des autres

Un grand nombre d'adolescents mènent un combat permanent pour briller dans le regard de leurs pairs. Quand on fait partie d’un groupe, d’une bande de copains, l’imitation de certaines attitudes, paroles, comportements,  vêtements est fondamentale.  La reconnaissance des pairs est fondamentale!  

Comme l'explique Michel Claes[16] , le groupe d'amis « assume un rôle prépondérant dans les procédures de socialisation des adolescents, car les interactions avec les partenaires du même sexe et du sexe opposé offrent un prototype des relations qu’adultes ils réaliseront sur le plan social, professionnel et sexuel. Le groupe assume une fonction centrale auprès d’individus vivant une problématique commune sur le plan de l’émancipation de l’autorité parentale, de la recherche d’un statut et de l’identification sexuelle".[17]

Certains  codes, signes et normes d'appartenance au groupe sont également indispensables aux yeux de certains ados pour paraître plus "mâles": casquette à l'envers, capuche, marques de vêtements,  démarche, crachats réguliers, salutations en se frappant le poing de manière démonstrative, vitesse d'élocution, sifflement, insultes, lieu de rassemblement, port de lunettes ou de blousons, musique, baffles, tabac, cannabis, alcool, … Si le jeune ado ne fait pas comme les autres, il chutera dans l'appréciation et le regard des autres.

Certaines activités sont également prisées pour se sentir plus homme et montrer aux autres sa force physique. La musculation a pour cela un grand succès. Pouvoir montrer fièrement ses "tablettes de chocolat"  aux yeux des copains est un véritable rêve pour certains!

Yves Raibaud[18]  explique: "Tous les garçons ne sont pas machos. Mais tous sont encouragés à aller vers certaines activités. Un garçon ne va pas choisir l’équitation comme loisir car il sait que c’est une activité à 80 % féminine. Il aura peur d’être moqué, de se faire traiter de “pédé”. C’est le cas aussi de la gymnastique, et encore plus de la danse. Les garçons doivent tenir leur rang, ne pas perdre la face devant les leaders qui rassemblent autour d’eux un groupe solidaire dans le harcèlement d’un plus faible désigné comme “la gonzesse” ou “le pédé”. Le machisme comme le sexisme ou l’homophobie (qui est une forme de sexisme car on déteste tout ce qui est féminin chez un garçon) sont les travers de cette virilité exacerbée"[19].

Luc Bronner[20] explique que ce regard des autres est exacerbé dans les quartiers précaires, cités et banlieues: "Vivre en cité impose aux adolescents d'en respecter les règles implicites et de se conformer aux normes du groupe. L'âge est évidemment critique puisque, entre 12 ans et 17 ans, le regard des pairs est décisif. Tenter de s'en échapper est, comme ailleurs, comme dans les collèges et lycées de centre-ville, une vraie prise de risque. Passer pour un "bouffon", un "intello", un "bolos" (une victime) est une forme de condamnation sociale, beaucoup plus lourde, beaucoup plus pénible à porter que d'éventuelles punitions venues du monde scolaire ou judiciaire".

Les rites de virilité mènent-ils  parfois à des conduites à risques ?

Dans une analyse de l'UFAPEC  intitulée « La notion de risque chez les adolescents », Michaël Lontie explique que: "les métamorphoses de l’adolescence ne se marquent pas seulement par des transformations relationnelles. Elles sont aussi des transformations corporelles, morphologiques et physiologiques qui poussent le jeune à tester son nouveau corps, sa force, ses aptitudes face au danger. Et les opportunités de se tester sont nombreuses et variées"[21]

Certains adolescents sont, en effet, tenter d'expérimenter  des sports extrêmes, jeux dangereux ou violents (pratiques de non-oxygénation, d'agression,...), de consommer du  tabac et des drogues (en ce compris l'alcool, en particulier le « binge drinking »[22], d'avoir des relations  sexuelles non protégées, de faire usage de la vitesse dans ses moyens  locomotion sans protection (pas de casque, pas de ceinture,...), d'être tentés par les vols et les actes de vandalisme, par des pratiques sportives excessives, etc.

"Bien souvent, l'adolescent n'a pas conscience du risque ; il ne mesure simplement pas le risque, ne prend pas tous les éléments en compte, ou est aveuglé par l'opportunité, la recherche du plaisir. Rappelons-le, l'une des caractéristiques de l'adolescence est d'agir par pulsion. Les adolescents ne parlent d'ailleurs pas spontanément en termes de « risque ». Ils disent plutôt : « On va faire la fête ». D'autres jeunes, ou les mêmes à d'autres moments, ont dépassé ce stade pulsionnel et ont pleinement conscience des risques. Mais ils estiment que le risque vaut le coup, que vivre est un risque"[23].

Concluons-en que nos ados sont des épicuriens.  C'est plutôt la bonne nouvelle! La mauvaise,  c'est que certains rites  de virilité semblent les mettre en danger.

Différences selon la classe sociale ?

Selon David Le Breton,   la "Virilité" n'a pas le même sens pour un jeune de classe moyenne ou privilégiée ou pour un jeune d'un quartier précarisé: "Si elle demeure une valeur essentielle pour les milieux sociaux populaires, et particulièrement ceux des quartiers de grands ensembles avec des populations en grande précarité, elle est dérisoire, et même contestable pour les autres milieux qui y voient plutôt de la vanité, de la violence, du machisme, de la dérision. Les jeunes de classes moyenne ou privilégiée valorisent la volonté, la réussite plutôt que la force"[24].

 

Il explique: " Pour des garçons de milieux populaires en échec scolaire, l'affirmation d'une "virilité" liée à la violence, au mépris  des femmes et des efféminés, au refus de l'école et de sa civilité, est une forme de reconnaissance mutuelle, la certitude au moins d'avoir une valeur personnelle aux yeux des pairs, en dépit des circonstances"[25].

Provocation, défis, transgressions, jeux dangereux, ivresse, vitesse sur la route, délinquance, violence physique ou psychologique, mépris des femmes, affirmation de signes extérieurs de richesse ou de virilité sont autant de signaux d'alarmes d'une société qui a mal.  Il n'est pas simple de construire son identité masculine dans un contexte précaire, marginalisé, avec un manque criant de perspectives:  "les garçons sont dans un entre-deux, entre l'ici et l'ailleurs, le mode de vie de leur quartier et ce qu'ils voient dans d'autres, entre leur pauvreté et leur aspiration à la société de consommation, entre la culture mise en œuvre au sein de la famille et celle de l'école, entre la sociabilité de rue et celle de l'espace public, entre la débrouille et la recherche de travail. Ils sont écartelés entre des codes sociaux en opposition"[26] …" Le sentiment de déliaison, de n'être rien ou peu de chose, les amène à se regrouper autour de signes a minima …"[27]. Ainsi se forme les bandes, les ghettos, les regroupements autour de même quartier, même rite, même culture ou religion….

Transgression des interdits et tensions avec l'autorité

Le plaisir d'avoir trompé ou défié l'autorité prend parfois aussi une place importante dans cet espoir d'accéder au "statut d'homme ou de vrai dur".

 

Selon David Le Breton[28], "la mémoire masculine est imprégnée de ces moments de heurts ou de tensions avec l'autorité des adultes. La jubilation d'avoir trompé ou défié un enseignant, transgressé un interdit ou le code de la route, etc., d'avoir su se mettre en danger avec sang-froid, en organise les souvenirs les plus puissants. Le jeune garçon construit son "héroïsme" en s'opposant aux formes d'autorité incarnées par les adultes (parents, police, enseignants, etc.)."

Pour David Le Breton, l'environnement social de l'adolescent a une influence sur son comportement de transgression de l'autorité sociale.  Selon lui, " dans les milieux sociaux moyens ou privilégiés ce modèle est plutôt contesté mais dans certains milieux populaires, surtout précarisés, il est poussé à son point culminant sans la moindre distance critique".

Pourtant selon le journal Libération[29] , le milieu social ne semble pas être le premier facteur qui pousse les garçons à  transgresser les interdits et à narguer l'autorité. La construction identitaire accompagnée des rites de virilité semble être le facteur décisif: "Quelque chose ne tourne pas rond chez les garçons. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : au collège, ils représentent 80% des élèves sanctionnés tous motifs confondus, 92% des élèves sanctionnés pour des actes relevant d’atteinte aux biens et aux personnes, ou encore 86% des élèves des dispositifs Relais qui accueillent les jeunes entrés dans un processus de rejet de l’institution scolaire.  Tous ces garçons ont-ils des problèmes, des troubles du comportement et/ou de l’apprentissage ? Eh bien non, loin s’en faut. Des travaux récents[30] montrent que leurs transgressions et leurs difficultés scolaires sont, le plus souvent et quel que soit leur milieu social d’origine, des conduites liées à la construction même de leur identité masculine".

Les rites de virilité imposés de manière insidieuse par notre société joueraient-ils un rôle aussi sur la réussite ou l'échec scolaire de nos enfants? La fierté d'appartenir au groupe, la fierté de faire un pied de nez aux enseignants ou à toute forme d'autorité pèserait-elle lourd dans la balance?

Les indicateurs de l'enseignement 2015 [31]  ont comparé le taux de redoublement généré en 2012-2013 pour les filles et les garçons dans l'enseignement secondaire. La conclusion est  significative: "Le redoublement est plus important pour les garçons que pour les filles, que ce soit en troisième ou en cinquième année, quelle que soit la forme d'études. En moyenne, en troisième année, ce taux est de 16% pour les filles et de 23% pour les garçons et, en cinquième année, ces taux sont respectivement de 13% et de 18%. Cet écart entre filles et garçons se marque plus faiblement dans la forme professionnelle".

Outre l'orientation qui intervient souvent à ces âges, le besoin de contrer l'autorité, le besoin de prouver sa virilité,  le besoin de se construire son identité masculine entreraient-ils en jeu dans ce haut taux de redoublement des garçons?

Face aux injonctions sociales

Sylvie Ayra[32] , docteur en sciences de l’éducation, nous fait part, par l'intermédiaire de son livre Pour en finir avec la fabrique des garçons,  d'injonctions paradoxales capitales dans la construction identitaire des garçons:

"A l’école par exemple, ils subissent une double injonction: on leur dit qu’il faut être obéissants, qu’il faut s’appliquer, mais s’ils sont trop sages, leurs camarades vont les traiter d’intellos, de “gonzesse” ou même, comme on l’entend fréquemment en ce moment, de “soumis”. Implicitement, on s’attend à ce que les garçons soient indisciplinés, rebelles, fumistes. Cette pression exercée par les pairs et naturalisée par l’école (“les garçons sont naturellement plus turbulents, moins appliqués, etc.” entend-on régulièrement) entraîne le fait qu’ils sont quatre fois plus souvent punis que les filles, se retrouvent plus souvent en échec scolaire. Ils sont poussés à investir dans leur scolarité les matières à “haute valeur virile ajoutée” – les maths, le sport, la technologie – et à rejeter ce qui serait le “domaine des femmes” – la littérature, les arts plastiques. La mixité, qui est pourtant un grand pas en avant, ne suffit pas à réduire ces différences puisque les garçons se construisent en se distinguant hiérarchiquement de tout ce qui est féminin"[33].

Durant la période de puberté, les garçons se retrouvent pris entre deux systèmes normatifs. L'un véhiculé par l’école (il faut être calme et discipliné); l'autre relayé par la communauté des pairs et la société civile (il faut crâner et ne pas être soumis). "Cette injonction paradoxale traduit celle de nos sociétés contemporaines qui acceptent la coexistence du principe d’égalité entre les femmes et les hommes et d’une réalité fondée sur l’inégalité réelle entre les sexes, dans tous les champs du social"[34].

Pour Sylvie Ayra, il faudrait contrer les mécanismes de séparation et de hiérarchisation des sexes à l’œuvre à l’école et dans les activités périscolaires.  "Tout ce qui encourage les enfants de sexe masculin à réprimer, peu à peu, leurs goûts personnels, leurs émotions, leurs affects, à rompre la relation à soi-même et à autrui". Selon elle, "cette fabrique des garçons se prolonge hors de l’école. Dans un cadre que les enfants choisissent progressivement eux-mêmes, et qui tend à la séparation des sexes, les activités périscolaires, culturelles et sportives participent fortement à la construction d’identités sexuées stéréotypées"[35].

Ils ne rentrent pas dans le moule !

Nous le voyons tous les jours, le regard des autres pour les adolescents comme pour nous-mêmes d'ailleurs a un impact important sur notre épanouissement et notre bien-être. Comment  des garçons qui ne rentrent pas dans le moule et qui n'adoptent pas des comportements considérés comme virils vivent-ils cela?

Les garçons qui sont efféminés ne sont pas nécessairement homosexuels. De même, les garçons homosexuels ne sont pas nécessairement efféminés ! Et pourtant, ces amalgames subsistent encore. Le moindre indice de non virilité ou de coquetterie suscite la suspicion et le rejet.

Pour ce qui concerne les jeunes homosexuels ou bisexuels, David Le Breton[36] explique: « Certains [jeunes] dérogent aux modèles ambiants à cause de leur manière d’être ou de leur sexualité et le vivent douloureusement. Les tentatives de suicide chez de jeunes homosexuels ou bisexuels sont supérieures en nombre à l’ensemble d’une tranche d’âge considérée".

 

Il ressort d'une étude[37]  de Michel Dorais[38] que "c'est dans la famille et à l'école que se retrouvent les plus grandes difficultés à vivre l'homosexualité à l'adolescence. Dans les locaux scolaires et dans les cours (en particulier ceux d'éducation physique), le dénigrement, voire des agressions envers les jeunes identifiés comme homosexuels sont souvent tolérés. Personne ne confronte les propos et les actes homophobes. Dans la famille, le dévoilement de l'homosexualité représente souvent une crise qui fragilise d'autant plus les jeunes gays ou bisexuels qu'ils n'ont alors plus personne vers qui se tourner, l'école et la famille étant leurs principaux milieux de vie".

Mais il n'y a pas, bien sûr,  que l'homosexualité, la bisexualité ou le caractère efféminé de la personne qui peut faire l'objet de dénigrement et de railleries. La différence  en soi est source de moquerie. Ne pas appartenir au groupe et ne pas employer les mêmes codes, mêmes normes, mêmes rites dérangent les pairs, c'est une réalité!

Comment éviter le harcèlement quand on ne se conforme pas à certaines façons d'être ou de penser?  Certaines campagnes[39] de sensibilisation  et de lutte contre les stéréotypes auprès  des jeunes ont heureusement  des effets positifs.

Conclusion 

Nous venons de le voir, les rites de virilité sont bien encore présents dans notre société. Ils sont souvent impulsés, de manière plus au moins inconsciente,  par l'éducation, l'entourage, les copains, les médias… Selon certains, ces rites sont plus exacerbés dans les milieux précarisés, pour d'autres le facteur social n'a pas autant d'importance qu'il ne le laisse croire. Pour d'autres encore, c'est plus le fait de rechercher son identité masculine qui amène les garçons à user des rites de virilité. Nous l'avons vu, les rites de virilité peuvent parfois amener nos garçons à des conduites à risques.

Ceux qui dérogent aux modèles ambiants de virilité à cause de leur manière d’être ou de leur sexualité peuvent le vivre douloureusement.

Nous avons pu également remarquer  que les garçons étaient coincés entre deux injonctions paradoxales: la première étant d'être dociles et de bien travailler (école - institution),  la seconde étant de ne pas être soumis et d'être viril (pairs). Cette constatation nous a permis de soulever une question qui nous paraît importante: "Le haut taux de redoublement chez les garçons ne serait-il pas  aussi lié au fait qu'ils ont besoin de montrer leur virilité à leurs pairs et de transgresser l'autorité ?"

Afin d'amoindrir les effets néfastes de ces rites de virilité, S. Ayral et Y.Raibaud [40]  nous suggèrent une piste: "Ne faudrait-il  pas accepter l’abolition des certitudes et des évidences dans le domaine du genre et des sexualités?  Cette proposition passe par une approche critique des pédagogies et des activités éducatives. Elle montre comment les «lunettes du genre» remettent en question de façon radicale un système d’éducation qui, sous couvert d’apprentissages de plus en plus techniques, perpétue des rapports sociaux de sexe toujours inégalitaires.»[41]

Pour l'UFAPEC, notre système scolaire devrait veiller à réduire  au maximum les mécanismes de séparation et de hiérarchisation des sexes. L'école ne doit plus continuer à penser que tous les élèves sont hétérosexuels et conformes aux normes de genre.

L’enjeu est de faire une école qui offre aux garçons et aux filles un éventail large de possibilités  en encourageant  autant les filles que les garçons à choisir des options de manière égalitaire,  à promouvoir des activité sportives mixtes non compétitives,  à danser, à  chanter, à exprimer des émotions, à favoriser la créativité,  à susciter l'entraide plutôt que la compétition (moins de sanctions dont les garçons s'emparent),   à limiter les classements, à  respecter les différences (ex: garçons manqués, garçons éfféminés, etc. ) .

Enfin, nous vous laissons avec cette question de S. Ayral et Y. Raibaud qui nous semble pertinente: "Une école émancipatrice ne devrait-elle pas être, avant tout, une école accueillante à toutes les variations des rôles de genre qui ne sauraient se résumer à la bicatégorisation  fille-garçon? "[42]

Une école émancipatrice doit permettre l'inclusion de toutes les différences quelles qu'elles soient.

 

France Baie

 

 


[1] D. LE BRETON, « En souffrance : adolescence et entrée dans la vie » Editions Métailié.

[2] Professeur en sociologie à l'Université de Strasbourg, membre de l'Institut universitaire de France et du laboratoire URA-CNRS "Cultures et société en Europe".

[4] La Bar Mitsvah (en hébreu, בר מצוה) est l'état de majorité religieuse acquis par les jeunes garçons Juifs - https://fr.wikipedia.org/wiki/Bar_Mitzvah - lien vérifié le 12 juin 2016

[5] Communauté religieuse présente surtout en Amérique du Nord, vivant de façon austère et à l’écart de la société moderne.

[6] Idem

[7] Idem

[8] Idem

[11] P. BOURDIEU, « La domination masculine », 1990, Volume 84, p13 - http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1990_num_84_1_2947 - lien vérifié le 17 mai 2016

[16] Directeur du laboratoire sur le développement psychosocial des adolescents, département de psychologie à l’Université de Montréal.

[17] M. CLAES, L’expérience adolescente, Collection psychologie et sciences humaines, Edition Pierre Mardaga, Bruxelles, 1983, p. 157.

[18] Maître de conférence à l’Université de Bordeaux III et chargé de mission pour l’égalité hommes-femmes, co-auteur du livre : « Pour en finir avec la fabrique des garçons », vol. 1 et 2, MSHA, 2014.

[19] http://www.lesinrocks.com/2014/11/16/actualite/fabrique-garcons-on-eduque-les-garcons-lagressivite-competition-pas-pleurer-11535760/ - lien vérifié le 20 mai 2016.

[21] M. LONTIE, La notion de risque chez les adolescents, Analyse UFAPEC n°33.12. Déc.2012

[22] Le « binge drinking » consiste à boire une quantité d'alcool importante dans un laps de temps très court dans le but d'accéder rapidement à l'état d'ivresse. Lisez sur ce sujet :   BAIE, F., Notre société impulse-t-elle un changement de comportement des adolescents par rapport à l’alcool ?, Analyse UFAPEC n°02.10 : 02.10/ les adolescents boivent-ils autrement ? Le Binge drinking, une nouvelle norme ?

[23] M. LONTIE.  La notion de risque chez les adolescents, Analyse UFAPEC n°33.12. Déc.2012

[24] D. LE BRETON, « Rites de virilité à l’adolescence », yapaka.be – Fédération Wallonie-Bruxelles – Mars 2015, p7.

[25] D. LE BRETON, « Rites de virilité à l’adolescence », yapaka.be – Fédération Wallonie-Bruxelles – Mars 2015, p10.

[26] D. LE BRETON, idem, p 9

[27] D. LE BRETON, idem, p10.

[28] D. LE BRETON, idem 

[29] Tribun- Libération  « En finir avec la fabrique des garçons » - http://www.liberation.fr/societe/2014/11/06/en-finir-avec-la-fabrique-des-garcons_1137816 - lien vérifié le 20 mai 2016

[30] S. AYRAL et Y. RAIBAUD – Pour en finir avec la fabrique des garçons, vol. 1 et 2, MSHA, 2014.

[31] Les indicateurs de l’enseignement 2015 – Fédération Wallonie-Bruxelles – p.35 http://www.enseignement.be/index.php?page=26998 – lien vérifié le 31 mai 2016

[32] Professeur agrégée, docteur en sciences de l’éducation et co-auteure du livre « Pour en finir avec la fabrique des garçons », vol. 1 et 2, MSHA, 2014

[34] S. Ayral et Y. Raibaud – Pour en finir avec la fabrique des garçons, vol. 1 et 2, MSHA, 2014.

[36] D. LE BRETON, « Rites de virilité à l’adolescence », yapaka.be – Fédération Wallonie-Bruxelles – Mars 2015 

[37] M. DORAIS  et S. LAJEUNESSE – « MORT OU FIF »: Contextes et mobiles de tentatives de suicide chez des adolescents et jeunes hommes homosexuels ou identifiés comme tels. Et perspectives de prévention. [Québec Study - Death or Fag: The contexts and motives for suicide attempts by adolescent and young adult homosexually oriented males. Recommendations for suicide prevention.] - Faculté des sciences sociales - Université Laval, Québec, Canada. - http://people.ucalgary.ca/~ptrembla/homosexuality-suicide/05-suicide-gai-dorais.htm - lien vérifié le 17 mai 2016
Cette étude constitue l'une des premières de ce type dans le monde francophone (à noter que le mot «fif» signifie «pédé» en français québécois). Elle fut subventionnée par le Ministère de la Santé et des Services Sociaux du Québec, en collaboration avec Gai Écoute, est publiée par le Centre de recherche sur les services communautaires de l'Université Laval, Québec.

[38] Sociologue québécois, spécialiste du genre et des sexualités. Professeur à l'École de service social à l’Université de Laval au Québec – Il s’est intéressé notamment aux séquelles d'agressions sexuelles sur les garçons, aux conditions de vie des jeunes gais (en particulier les tentatives de suicide et la résilience), à l’homophobie, à la prise de risque des jeunes de la rue en matière de MTS et du VIH et à la prostitution des jeunes hommes et aussi celle des adolescentes sous le joug de gangs de rue. - http://chairehomophobie.uqam.ca/recherche/chercheur-e-s/chercheur-e-s-associes/37-michel-dorais.html - lien vérifié le 12 mai 2016

[39] Exemple: Une campagne pour sensibiliser les jeunes aux stéréotypes homophobes et transphobes intiulée "Et toi, t'es casé(e)?" – Institut pour l’égalité des femmes et des hommes – Centre interfédéral pour l’égalité des chances – Francophones Bruxelles – Droits de l’Enfant –Wallonie – Fédération Wallonie-Bruxelles - http://www.ettoitescase.be/ - lien vérifié le 2 juin 2016

[40] S. AYRAL et Y. RAIBAUD, « Pour en finir avec la fabrique des garçons » - Volume I – Publications de la Maison des sciences de l’Homme d’Aquitaine. - http://www.lcdpu.fr/livre/?GCOI=27000100042690 – lien vérifié le 20 mai 2016

[42] S. AYRALet Y. RAIBAUD, « Pour en finir avec la fabrique des garçons » - Volume I – Publications de la Maison des sciences de l’Homme d’Aquitaine. - http://www.lcdpu.fr/livre/?GCOI=27000100042690 – lien vérifié le 20 mai 2016

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