Analyse UFAPEC 2008 par J-L. van Kempen

14.08/ Le système scolaire finlandais : un exemple à suivre?

Introduction

Depuis quelques années, l’école finlandaise est considérée comme un modèle tant au niveau de l’efficacité de son système (le taux élevé de jeunes qui réussissent) que de l’équité (l’égalité des chances)(1).

Les différentes enquêtes internationales organisées par PISA(2) confirment que les élèves finlandais arrivent en tête du classement au niveau de 30 pays de l’OCDE dans les trois matières suivantes : lecture en langue maternelle, sciences et mathématiques.

Rappelons les résultats obtenus par les élèves âgés de 15 ans dans ce pays dans le cadre de l’enquête PISA 2006 :

Lecture Mathématiques Sciences
Finlande 547 (2ème place) 548 (1ère place) 563 (1ère place)
Moyenne de l’OCDE 492 498 500
Communauté française de Belgique 473 (24ème place sur 32) 490 (23ème place sur 32) 486 (27ème place sur 32)

Pourquoi le système scolaire finlandais semble-t-il apporter tant de résultats positifs ?

Les raisons de ce succès ne proviennent pas d’éléments quantitatifs au niveau des dépenses ou de la durée de la scolarisation.

D’abord, le budget consacré à l’éducation n’est pas plus élevé en Finlande qu’en Belgique. Les dépenses publiques d’éducation en 2005 représentaient 6,3 % du produit intérieur brut alors qu’en Belgique elles sont équivalentes à 6 % (3).

Ensuite, le nombre total d’heures d’instructions est moindre que dans notre pays. Durant la période de 7 à 14 ans, les enfants âgés de 7 à 14 ans suivent moins de 6000 heures de cours en Finlande (comme en Norvège, en Suède, en Slovénie, en Estonie…) et 8.000 heures en Communauté francophone de Belgique(4).

Les journées d’études se terminent généralement vers 13 heures. Chaque année, les élèves fréquentent l’école durant 187 journées réparties sur 38 semaines. En communauté française de Belgique, on compte 181 journées réparties sur 37 semaines(5).

Nombre total d’heures d’instructions de 7 à 14 ans :

- moins de 6000 heures en Finlande (comme en Estonie, en Slovénie, en Norvège, en Suède…) ;
- près de 8000 heures en Belgique francophone.

Temps d’instruction par matière en pourcentages du temps total d’instruction de programme obligatoire des élèves de 12 à 14 ans (2006) :

En ce qui concerne le temps plus particulièrement consacré aux 3 branches évaluées dans le cadre des enquêtes PISA, la comparaison avec notre pays est la suivante :

- lecture, rédaction, littérature : 16 % en Belgique francophone et 13 % en Finlande,
- mathématiques : 13 % en Belgique francophone et en Finlande,
- sciences : 9 % en Belgique francophone et 17 % en Finlande.

Dès lors, si l’enseignement finlandais est considéré comme plus efficace que le système belge, les raisons ne se situent pas au niveau de son coût pris en charge par la collectivité ou au temps consacré aux études. D’autres caractéristiques plus fondamentales peuvent expliquer les bons résultats finlandais.

Les grands principes de l’école finlandaise

1. Une école sans redoublements

En Finlande, le redoublement n’existe pratiquement pas dans la mesure où chaque enfant est soutenu en cas de problème. Chaque enseignant a reçu la formation nécessaire pour déceler les difficultés des enfants et pour y apporter les remédiations nécessaires. Un enseignant spécialisé apporte également sa collaboration dans chaque école.

2. Les élèves suivent un tronc commun entre 7 et 16 ans

Aucune filière n’est proposée dans la mesure où chaque élève suit un enseignement global qui propose des matières théoriques et d’autres pratiques. L’orientation vers l’enseignement technique ou professionnel n’est envisagée qu’après les 9 années de formation de base. 35 % des élèves suivent cette filière et 55 % se dirigent vers l’enseignement général.

3. Les établissements scolaires se ressemblent et sont constitués de manière homogène

Les élèves fréquentent généralement l’école la plus proche dans la mesure où il y a très peu de différences entre les établissements : le tronc commun est le même partout, de même que le projet éducatif et la composition sociale de la population.

Cette caractéristique a été confirmée par les enquêtes internationales PISA. En comparant les résultats moyens obtenus en mathématiques par les élèves dans chaque établissement scolaire, il est possible de dégager 3 groupes de pays(6) :

  •  Variances faibles entre établissements : les variances sont estimées à 3,9 en Finlande, 3,6 en Islande, 6,5 en Norvège.
  •  Variances fortes entre établissements : les variances sont estimées à 56,9 en Belgique, 56,9 en Allemagne, 54,5 aux Pays-Bas.
  •  Variances moyennes entre établissements : les variances sont estimées à 30,3 au Portugal, 38,9 en Grèce.

Ce système n’entraîne-t-il pas un nivellement par le bas ?

Le tableau ci-dessous montre l’efficacité du système finlandais dans la mesure où, non seulement le score moyen des élèves est élevé (colonne A) mais, de plus, il apparaît que les 10 % des meilleurs élèves (colonne B) enregistrent des résultats supérieurs à 654 (ce qui constitue également un record par rapport aux autres pays) alors que le pourcentage d’élèves faibles est assez bas (7 %) (colonne C). Donc, ni les meilleurs élèves forts ni les plus faibles ne sont pénalisés par le système du non-redoublement.

Ce système est également assez égalitaire dans la mesure où le niveau socioculturel de la famille influence moins que dans d’autres pays, les chances de réussite. Afin d’analyser cet impact, les trois paramètres suivants avaient été pris en considération : le niveau socio-économique de la famille, le diplôme de la mère et la langue parlée à domicile (colonne D).

Epreuve de compréhension de la langue maternelle (PISA 2000) : indicateurs d’efficacité et d’égalité dans les systèmes scolaires(7) :

A B C D
Efficacité(score moyen) Compétences des meilleurs(Valeur du 9ème décile) (In)Egalité des acquis de base (Pourcentage d’élèves faibles) (In)Egalité des chances(Poids de l’influence familiale)
Finlande 546 654 7 % 5,5 %
Moyenne OCDE 481,5 606,2 23 % 16,8 %
Belgique francophone 476 614 28 % 14,1 %

Dès lors, le système éducatif finlandais offre les possibilités, sans redoublement, au plus grand nombre d’élèves d’acquérir des compétences.

Un modèle d’intégration individualisé

Selon une typologie proposé par Nathalie Mons (maître de conférences, université Pierre-Mendès-France, Grenoble), le système finlandais est qualifié de « modèle d’intégration individualisé », (comme au Danemark, en Islande, ou en Suède). Le système met l’accent sur le suivi individuel. Chaque élève bénéficie d’un accompagnement personnalisé et prend part à des travaux en petits groupes. Dans ces pays, les élèves forts ou faibles fréquentent des établissements très semblables. La relation entre l’origine sociale et culturelle et la réussite scolaire est la plus faible.

Ce système se distingue de celui en application en Belgique qui peut être qualifié de « modèle de la séparation », (comme en Allemagne, en Suisse et aux Pays-Bas). Ce modèle est fondé sur le principe de la séparation des élèves et de la sélection précoce. Dès la fin de l’école primaire ou après le 1er degré du secondaire, les élèves sont orientés, principalement en fonction de leurs résultats, vers des filières d’enseignement parallèles.

Les effets de cette stratégie ont été décrits de la manière suivante :

« Le recours au redoublement dans l’enseignement primaire est très important. En secondaire, les filières apparaissent comme une alternative pour gérer les différences de niveaux entre élèves. Les élèves faibles se retrouvent dans une formation technique ou professionnelle. Il apparaît que, sur le plan de la composition des écoles, les systèmes éducatifs qui mobilisent les filières de manière précoce sont également ceux au sein desquels nous observons les plus grosses différences de ‘composition d’établissement’ entre élèves faibles et élèves forts. La relation entre le milieu social et culturel des élèves et leurs résultats scolaires est puissante. La réussite scolaire des élèves semble être la plus lourdement influencée par leur origine sociale et culturelle. La sélection précoce opérée dans ce modèle isole en particulier les élèves issus de milieux peu favorisés, à travers des mécanismes d’auto et d’hétérosélection. Ces derniers se retrouvent dans des classes et des écoles plus faibles où le climat de discipline et les conditions d’enseignement sont moins favorables.»(8)

On pourrait donc en conclure que l’école finlandais se situe à l’opposé de celle qui fonctionne au sein de la Communauté française de Belgique.

Selon Nathalie Mons, il existe encore deux autres modèles :

  •  Le « modèle de l’intégration à la carte » (Etats-Unis, Canada, Royaume-Uni). Ce modèle propose généralement jusqu’à 16 ans, un programme d’enseignement relativement commun. Dans le secondaire, les élèves sont regroupés en fonction de leur niveau général ou de leur niveau dans chacune des disciplines.
  •  Le « modèle d’intégration uniforme » (France, Espagne, Portugal,…). Dans ces systèmes scolaires, on trouve de manière dominante un enseignement de tronc commun. Le redoublement apparaît comme le seul paramètre d’ajustement qui permet de réguler e flux d’élèves et de séparer ceux d’entre eux qui ne parviennent pas à suivre le niveau imposé. Le redoublement est massivement utilisé.

Ces 4 systèmes veillent à apporter des réponses spécifiques à des demandes contradictoires qui sont adressées à l’école :

« Tous les systèmes éducatifs doivent répondre à une double demande contradictoire. D’une part, orienter et évaluer les élèves de manière, notamment, à rendre légitime leur distribution sur le marché du travail. D’autre part, assumer une fonction d’intégration sociale en transmettant à tous un socle commun de valeurs et de savoirs. Tous les systèmes scolaires sont confrontés à cette tension entre intégration et différenciation. »(9)

La réussite du système finlandais pourrait dépendre aussi d’autres caractéristiques.

La valorisation de la fonction enseignante

En Finlande, les enseignants sont formés durant au moins 5 ans à l’université et suivent une année de stage dans une école d’application. Cette fonction est bien valorisée et le nombre de candidats dépasse largement le nombre de postes à pourvoir.

La fonction d’enseignant est particulièrement valorisée en Finlande comme en témoignage Paul Robert, Principal du Collège Nelson Mandela de Clarensac (Gard), à la suite d’un voyage d’études effectué en Finlande en avril 2006 :

« La profession d’enseignant jouit encore en Finlande d’un réel prestige dans la société. Cela ne tient pas tant à la rémunération – qui se situe dans la moyenne des pays de l’OCDE – qu’à l’importance qu’attache le pays à son éducation et au sentiment largement partagé que les enseignant sont des experts dans leur domaine et qu’ils se consacrent avec tout leur cœur à leur tâche. A la question ‘Pourquoi avez-vous choisi ce métier ?’, la réponse qui revient en effet le plus souvent dans les enquêtes de motivation menées auprès des jeunes aspirants à la fonction enseignante est ‘parce que j’aime les enfants’. A des enquêtes similaires menées en France, l’accent est plus souvent mis sur l’intérêt pour la discipline enseignée. Ainsi les enseignants finlandais sont-ils dès l’origine davantage tournés vers la compréhension de l’enfant, de ses besoins et se sentent-ils plus à son service qu’au service d’une matière »(10).

Quant à la rémunération des enseignants, elle correspond à celle d’un universitaire de niveau supérieur(11).

Les rémunérations des enseignants sont équivalentes en Finlande et en Communauté française de Belgique :

Les enseignants du primaire :

  • en Finlande : de 27.708 € en début de carrière à 45.164 € à l’échelon maximum selon l’ancienneté,
  • en Communauté française : de 27.551 € à 47.506 €.

Les enseignants du deuxième cycle du secondaire :

  • en Finlande : de 30.962 € à 53.867 €
  • en Communauté française : de 34.290 € à 60.122 € (12).

D’autres éléments peuvent caractériser l’école finlandaise : la gratuité totale (y compris les classes vertes), le bilinguisme (le finois et le suédois), la valorisation du travail manuel, les cours de cuisines pour les filles comme pour les garçons, etc.

L’école finlandaise, le reflet de la société finlandaise ?

L’école finlandaise égalitaire, solidaire et donnant ses chances à tous, correspond-elle à l’ensemble de la société finlandaise ?

« Sur le plan international, on considère que les pays nordiques, y compris la Finlande, valorisent fortement non seulement l’égalité des chances mais aussi l’égalité des résultats. Sous le vocable ‘modèle nordique (ou scandinave)’, on ne fait pas seulement référence à la taille du secteur public (caractérisé notamment par une lourde fiscalité et des dépenses sociales élevées), mais aussi aux résultats comme une distribution des revenus équitable, l’égalité des sexes, et de faibles taux de pauvreté.»(13)

La population finlandaise (5,2 millions en 2004) est assez homogène et se répartit comme suit : 92,1 % de finnois, 5,5 % de suédophones (ce pays est bilingue), et plus de 100.000 ressortissants étrangers (en 2002) qui proviennent essentiellement de la fédération de Russie (24.000), d’Estonie (12.000) et de Suède (8.000) (14).

Conclusions

Depuis plusieurs années, les enquêtes internationales menées dans le cadre de PISA confirment les bons résultats de l’enseignement finlandais, tant au niveau de son efficacité que de l’équité.

La Finlande est aussi un des pays où le tronc commun est le plus long : de 7 à 16 ans dans le cadre d’écoles dont la composition sociale et le niveau de connaissances des élèves est assez hétérogène. Les plus faibles continuent à étudier avec les moyens et les plus forts sans crainte de redoublement ou de relégation vers des filières spéciales pour les élèves « à l’esprit plus pratique ». Les activités manuelles et pratiques sont considérées au même niveau que les cours plus intellectuels.

L’encadrement des élèves est assuré par des enseignants qui sont généralement bien considérés dans la société et qui sont préparés assez longtemps (5 à 6 ans) à cette fonction. Ils sont formés pour déceler les difficultés des élèves afin d’y remédier à temps.

Un élève qui connaît des difficultés n’est pas en situation d’échec. Il faut simplement lui accorder plus de temps pour acquérir des compétences.

Il apparaît donc qu’une formation commune de longue durée dans des classes hétérogènes n’est pas contradictoire avec une formation de haute niveau qui donne des chances à tous.
 

 

Jean-Luc van Kempen

 

 

(1)Une conférence a été présentée le 28 avril 2008 par Mme Claude ANTTILA, ancienne directrice du Lycée Franco-finlandais d’Helsinki, consultante et formatrice en langue française à la Direction nationale de l’Enseignement finlandais. L’initiative de cette soirée revenait à l’association des parents du Collège Don Bosco à Woluwé-Saint-Lambert.
(2)Programme International pour le Suivi des Acquis des Elèves organisé par l’OCDE.
(3)Regards sur l’éducation 2008, Les indicateurs de l’OCDE, 2008.
(4) Regards sur l’éducation 2008, Les indicateurs de l’OCDE, 2008.
(5)Regards sur l’éducation 2008, Les indicateurs de l’OCDE, 2008.
(6)GRISAY Aletta, Que savons-nous de l’ « effet établissement » ? dans Améliorer l’école, op.cit.
(7)CHAPELLE Gaëtane, MEURET Denis, Améliorer l’école, PUF, Paris, 2006.
(8)DUPRIEZ Vincent, DUMAY Xavier, Des systèmes meilleurs que d’autres ? dans Sciences humaines, n° 5 spécial, L’école en question, octobre-novembre 2006.
(9)DUPRIEZ Vincent, DUMAY Xavier, op.cit.
(10)Robert Paul, L’éducation en Finlande : les secrets d’une étonnante réussite », 2006.
(11)Statistique des salaires Finlande en 2006.
(12)Regards sur l’éducation 2008, Les indicateurs de l’OCDE, 2008.
(13)KAUTTO Mikko (directeur de la recherche sur la protection sociale au Centre national de recherche et de développement sur la protection sociale et la santé – Stakes - Finlande), UUSITALO Hannu (directeur du Centre finlandais des retraites, Finlande) ; Protection sociale et distribution des revenus : l’expérience finlandaise dans les année quatre-vingt-dix, RFAS n° 4, 2003.
(14)Statistiques démographiques Finlande, 2002.
 

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