Analyse UFAPEC 2011 par D. Moret

14.11/ L’immersion linguistique

 Introduction

En Communauté française, les élèves ont la possibilité de suivre un enseignement en immersion qui leur permet de développer des compétences dans une deuxième langue en suivant une scolarité « bilingue ». Cela concerne actuellement 15.291 élèves dans le fondamental et 8401 dans le secondaire[1]. Dans le cadre de nos analyses sur l’apprentissage des langues, il nous semblait intéressant de faire le point sur ce phénomène en croissance. Qu’est-ce que l’enseignement en immersion, quels en sont les avantages et les inconvénients ? Depuis son apparition comment cette pratique a-t-elle évolué et avec quels résultats ? La méthode convient-elle à tous les enfants ?

Pratiquement

C’est le décret de 1998 qui donne une première reconnaissance légale à l’immersion. Le décret immersion voté en mai 2007 en réglemente son organisation. Il fixe clairement les modalités d’organisation tant dans le général que le professionnel, garantit la possibilité de poursuite du cursus, fixe le profil des enseignants et décrit le cadre d’accompagnement et d’évaluation.

Selon ce décret, il s’agit d’une procédure pédagogique visant à assurer la maitrise des compétences attendues en assurant une partie des cours et des activités pédagogiques de la grille horaire dans une langue moderne autre que le français en vue de l’acquisition progressive de cette autre langue. En Europe, le principe de l’immersion est connu sous le nom de CLIL (Content and Language Integrated Learning) ou EMILE (Enseignement de matières par l'intégration d'une Langue Etrangère).

 

Dans un même établissement, l’immersion peut être organisée dans deux langues maximum, en néerlandais, anglais ou allemand[2]. Un enfant peut démarrer ce cursus en 3è maternelle, 3e primaire, 1e ou 3e secondaire. Dans le fondamental, 8 à 21 périodes peuvent être données dans la langue cible, dans le secondaire, 8 à 13 périodes. En pratique, ce sont des matières comme la géographie, l’histoire, les sciences ou les pratiques artistiques ou sportives qui se prêtent le mieux à la méthode. Tout est possible à l’exception des cours philosophiques et de français ainsi que du cours de mathématiques au 1er degré du secondaire.

La particularité de cet apprentissage est que les cours dans la langue cible ont deux fonctions : transmettre des compétences linguistiques mais aussi disciplinaires. Pour réaliser cette double fonction, il est nécessaire d'articuler les exigences des deux domaines et de trouver des professeurs qui ont cette capacité, ce qui n’est pas si simple.

L’immersion en chiffres

Pour l’année 2010 - 2011 en Communauté française, quelques 150 écoles proposent l’immersion dont 77% en Néerlandais, 21% en anglais et 2% en allemand.[3] C’est dans le Hainaut que l’on retrouve la plus grande concentration (29%), suivi de Liège (21%), du Brabant (20%), de Namur (18%) et puis de Bruxelles et du Luxembourg avec chacune seulement 6%. Si les chiffres à Bruxelles se comprennent par la possibilité de suivre un enseignement de la communauté néerlandophone, les résultats pour le Luxembourg sont liés quant à eux à la plus faible densité des écoles en général.

Pourquoi l’immersion ?

Apprentissage versus acquisition

Les méthodes traditionnelles de cours de langue visent un « apprentissage » d’une langue étrangère. Dans le contexte de l’immersion, on parle plus souvent « d’acquisition » car le développement de nouvelles compétences se fera de manière plus naturelle.

Vygotski écrit à propos de l’apprentissage classique d’une langue étrangère que l’enfant assimile sa langue maternelle de manière inconsciente et non intentionnelle alors que l’apprentissage d’une langue étrangère commence par la prise de conscience et l’existence d’une intention. C’est pourquoi on peut dire que le développement de la langue maternelle se fait de bas en haut tandis que celui de la langue étrangère s’opère de haut en bas. Si le développement de la langue maternelle commence par sa pratique spontanée et aisée et s’achève par la prise de conscience de ses formes verbales et de leur maîtrise, le développement de la langue étrangère commence par la prise de conscience de la langue et sa maîtrise volontaire et s’achève par un discours aisé et spontané.[4]

L'apprentissage est donc un processus plus laborieux car "conscient" et demandeur d'efforts, alors que l'acquisition est un phénomène plus naturel et qui se produit (presque) inconsciemment. La méthode de l’immersion se situe très certainement à la frontière des deux processus.

Principe des 4C[5]

L’apprentissage classique, comme nous l’avons vu dans les précédentes analyses[6] montre ses limites et ne mène pas à la maitrise d’une langue étrangère au terme du cursus, ce qui n’est d’ailleurs pas l’objectif. L’immersion permet donc à ceux qui pourront s’y plonger d’acquérir d’une part, un avantage linguistique certain et d’autre part, divers bénéfices qui ont pu être mis en évidence au terme de plusieurs années de pratique.

L’EMILE contribue en effet au développement de quatre compétences clés : le Contenu, la Communication, la Cognition et la Culture/Citoyenneté. Le contenu concerne l’acquisition de la matière enseignée ; la communication s’intéresse plus à la langue en tant qu’outil ; la cognition part du principe que la méthode de l’immersion génère un bon terreau pour le développement d’autres compétences ; l’aspect culturel est inhérent au processus et participe à la transmission de valeurs telles que, par exemple, l’ouverture aux autres cultures.

Bénéfices linguistiques

Il est évident qu’au sortir du cursus, les élèves seront plus à même de communiquer dans la langue d’immersion et bénéficieront de cet avantage tout au long de leur vie car une langue acquise s’oublie moins vite qu’une langue apprise.

A propos de l’apprentissage classique, Patricia Bertaux fait la comparaison avec un enfant qui souhaite apprendre le piano mais sans toucher le clavier ou jouer au football sans taper sur le ballon. Pour elle, un apprentissage doit combiner l’aspect technique et pratique : un apprentissage a le plus de chances de réussir quand la personne a l'occasion de suivre un enseignement, tout en vivant des situations quotidiennes qui lui permettent d'acquérir la langue par la pratique. (…) Les occasions que nous avons de pratiquer la langue demeurent un facteur essentiel dans la réussite de l'apprentissage. Et c'est ici que l'EMILE peut être d'une grande utilité.[7]

Augmentation de la motivation et de l’intérêt pour une autre langue

Dans l’analyse sur l’apprentissage des langues en secondaire,[8] nous avons vu l’importance de la motivation des élèves qui conditionne la réussite de leur apprentissage. L’immersion permet de développer un intérêt particulier pour les langues et augmente la motivation des élèves.

D’autres auteurs vont plus loin en affirmant que c’est la pratique des heures durant qui fait qu’EMILE ne devrait pas viser une langue particulière, mais devrait être perçu davantage comme une approche éducative favorisant la diversité linguistique. Une première exposition à EMILE dans une langue de grande diffusion peut servir de tremplin pour un prolongement dans une autre langue de grande diffusion, ou une langue de petite diffusion.[9] C’est ainsi qu’au terme du cursus, les élèves seraient plus enclins à s’ouvrir à d’autres langues et à se diriger vers le plurilinguisme.

Bénéfices cognitifs

L’enseignement en immersion permet de développer chez les élèves des aptitudes plus larges et facilite les apprentissages. La gymnastique intellectuelle imposée par le passage d’une langue à l’autre développe chez l’enfant d’autres compétences parmi lesquelles : une meilleure concentration, une plus grande adaptabilité, une curiosité intellectuelle plus large, une meilleure organisation du travail[10]… Les résultats au CEB sont par ailleurs étonnants car le taux de réussite est plus important pour ces élèves. Selon les chiffres du SEGEC, en 2008 91,7% des élèves ont obtenu leur certificat contre 87,7% dans l’enseignement non-immersif.

Bénéfices culturels ou citoyens

La connaissance des langues offre aux enfants une ouverture sur le monde, suscite un intérêt pour une autre culture, fait disparaitre certains préjugés culturels et leur permet de développer des relations interculturelles plus riches. Cet avantage influence également leurs perspectives futures sur le marché de l’emploi dans un contexte européen de plus en plus intégré. [11]

La méthode est-elle sans faille ?

Les opposants à la méthode avertissent du risque de retard dans la langue maternelle mais aussi des difficultés qui peuvent apparaitre dans d’autres branches. Il est certain que travailler dans deux langues requiert un travail plus important et des aptitudes et, comme pour d’autres matières, certains élèves peuvent éprouver plus de difficultés dans l’apprentissage spécifique des langues.

Le risque de ne pas détecter aussi aisément des difficultés d’apprentissage telles que la dyslexie, la dysorthographie ou d’autres encore sont également pointés. La vigilance s’impose très certainement et si effectivement des difficultés d’apprentissage apparaissent, il convient peut-être d’abandonner la méthode de l’immersion.

Pour tous les enfants ?

Les défenseurs de la méthode estime que l’immersion n’est en tout cas pas (ou plus) une pratique élitiste mais au contraire parle d’une dimension sociale. A l'heure où la maitrise d'une ou plusieurs langues étrangères est clairement un atout dans le monde du travail, seuls les plus nantis peuvent bénéficier de séjours linguistiques et autres stages coûteux en dehors du cadre scolaire. Au début de l'expérience, dans les écoles pilotes, on rencontrait un public plus doué. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, on y trouve davantage un public plus hétérogène. Cependant, tant qu'il n'existe que quelques rares établissements pourvus d'une section immersive, le bénéfice de l'innovation reste dans une certaine mesure un privilège, même si celui-ci n'est pas de nature économique. Plus les sections immersives seront nombreuses, plus l'intérêt de cette approche sera largement connu, et plus l'innovation deviendra accessible à tous les enfants. [12]

D’autre part, pour une logique pédagogique, dans l’esprit du décret, il était recommandé que les enfants de primaire en immersion puissent la poursuivre en secondaire ? Or on le voit avec le nouveau décret inscription, même si le législateur en a tenu compte, ce n’est pas toujours possible. Des parents ont sacrifié l'aspect proximité d’une l'école et se retrouvent aujourd’hui confrontés à des difficultés de choix d’école. Dans le même ordre d’idée, les élèves qui aimeraient commencer en secondaire, n’en ont pas toujours la possibilité.

Rudy Wattiez de l’association Changement pour l’Egalité met en garde contre cette pratique qui met l’apprentissage des langues au centre du projet éducatif au détriment peut-être d’autres compétences : Il est paradoxal que les langues, vecteurs de la pensée et de la communication entre les hommes, deviennent un tel enjeu tout en ne bénéficiant qu’aux individus pourvus culturellement et économiquement. Face aux défis de l’apprentissage des langues pour tous, nous posons deux balises : il faut redonner aux langues leur juste place dans le parcours de l’élève et ensuite rappeler que, comme pour toutes les matières enseignées, l’école seule est incapable de relever ce défi.[13]

De manière générale, tous les auteurs insistent sur l’importance de la motivation des élèves car l’immersion implique un surcroît de travail et une difficulté supplémentaire du fait de l'étude d'une discipline dans une langue étrangère. On estime généralement que seuls les élèves les plus doués sur le plan cognitif ou les plus travailleurs pourront réussir dans une classe bilingue.

Du côté des parents

L’accompagnement des parents tout au long de la scolarité de l’enfant est primordial. Les parents doivent suivre activement et encourager leur enfant tout au long du cursus plus dur à certains moments qu’un parcours classique. Lors des premières années, il ne faut pas oublier que c'est avant tout à la maison que l'enfant va développer sa langue maternelle et que la communication doit dès lors être privilégiée.

D'après les directeurs, ces parents sont très impliqués dans la scolarité de leur enfant. Ils sont perçus comme étant plus concernés que d'autres par la vie de leur enfant à l'école. Inquiets des difficultés que celui-ci pourrait rencontrer, ils demandent à être souvent rassurés et réclament pour ce faire des contacts fréquents avec les enseignants. Afin d'apaiser leurs craintes, les écoles accèdent à leur demande et disent organiser des rencontres régulières entre parents et enseignants.[14]

Conclusion

L’immersion représente sans conteste une méthode d’apprentissage des langues efficace qui offre aux enfants qui en bénéficient un ensemble de compétences dont la connaissance linguistique n’est qu’un des éléments. La demande des parents est croissante et l’offre ne peut malheureusement pas y répondre. Les élèves qui y ont accès sont dès lors quelques privilégiés et l’existence des écoles en immersion à côté des autres a comme conséquence de proposer un enseignement des langues à deux vitesses : d’une part, un enseignement traditionnel présentant de nombreuses incohérences en termes de nombre d’heures de cours ou de compétences des professeurs et, d’autre part, une méthode d’apprentissage efficiente.

Il est certain que l’immersion doit être encouragée mais certainement pas au détriment de la filière d’apprentissage classique. Sans parler de la difficulté à trouver des enseignants compétents pour assurer les cours dans une des trois langues proposées.

Dans son mémorandum[15], l’UFAPEC en 2009 demandait déjà que l’offre d’immersion soit améliorée, accessible à tous les publics et que la réflexion porte également sur la problématique des élèves issus de l’immigration dont le français n’est pas la langue maternelle. Il est important également que les écoles qui s’engagent dans l’immersion aient un vrai projet pédagogique et que cette évolution ne soit pas la réponse à une diminution du nombre d’élèves.

 
 
Dominique Moret 
 

 

 

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[1] Chiffres de la Communauté française pour l’année 2010-2011

[2] Différentes réglementations en fonction de la région ; à Bruxelles, uniquement en néerlandais pour le fondamental et le 1er degré.

[3] Dans l’enseignement libre, nous retrouvons 57 établissements secondaires et 28 écoles fondamentales : 16 à Bruxelles, 9 en BW, 12 à Liège, 12 dans le namurois, 23 dans le Hainaut et 10 dans le Luxembourg. 77,5% proposent le Néerlandais, 17% l’anglais et 5,5% l’allemand.

[4] VYGOTSKI L., Pensée et langage, Terrain-Messidor, Paris, 1985.

[5] Coyle Do : Relevance of CLIL to the European Commision’s Language Learning Objectives, in: Marsh David (2002), CLIL/EMILE – The European Dimension. Actions, Trends and Foresight Potential, Jyväskylä, Finland, UniCOM, Continuing Education Centre, University of Jyväskylä, Finland; pp. 27-28, 2002

[6] MORET D., Le mythe du bilinguisme, analyse UFAPEC n°11.11, 2011 et  L’apprentissage d’une seconde langue, analyse UFAPEC n°6.11, 2011

[7] Bertaux Patricia : Utiliser les langues pour apprendre, apprendre en utilisant les langues, in: Marsh David & Langé Gisela, Using languages to learn and learning to use languages, Jyväskylä, Finland, UniCOM, University of Jyväskylä, Finland, pp. 1-16, 2000

[8] MORET D., Le mythe du bilinguisme, analyse UFAPEC n°11, 2011

[9] « CEILINK Recommandations » in CLIL Initiatives for the Millenium, report on the CEILINK Think Tank. Marsh,D. & B. Marsland (Eds), University of Jyväskylä, Finland 1999; pp.46-54.

[10] BRIQUET Robert, L’immersion linguistique, édition Labor, Pédagogie, 2006

[11] Fruhauf Gianna, Coyle Do et Christ Ingeborg, L’enseignement des matières non-linguistiques par une langue étrangère, Alkmaar, Stichting Europees platform voor het Nederlands onderwijs, Alkmaar, pp. 191-199, 1997

[12] Coyle Do : Vidéo conférence du professeur Do Coyle (Université de Nottingham, Royaume Uni) avec le Groupe d’accompagnement de l’immersion – FESeC, Liège, 28/10/04.

[14] Blondin Christiane : L’immersion linguistique dans l’enseignement fondamental en Communauté française de Belgique : état de la question, in : Journal de l’immersion journal/ volume 25, numéro 2, octobre 2003, pp.19 à 31.

[15] UFAPEC, Mémorandum 2009, www.ufapec.be

 

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