Analyse UFAPEC décembre 2020 par A.Pierard & D.Houssonloge

14.20/ L’école en temps de Covid : un laboratoire de la motivation

Introduction

Le 16 mars 2020, en raison de la crise sanitaire et pour donner suite au conseil national de sécurité[1], les écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles se voyaient contraintes de fermer leurs portes pour les rouvrir à certains élèves à partir du 18 mai. Après une rentrée scolaire pour tous en septembre, un enseignement hybride[2] et l’école à distance se remettent en place fin octobre pour la majorité des élèves du secondaire. Les élèves du fondamental, moins vecteurs et sensibles au virus, peuvent eux continuer à aller à l’école à temps plein.

Si les grèves des années 1990 et 96 avaient privé les élèves d’aller à l’école, c’était sans recevoir de cours. Ici, durant environ trois mois, une majorité des élèves du fondamental et du secondaire sont restés à la maison et des palliatifs se sont mis en place. L’outil numérique s’étant développé (mail, plateformes, etc.), une école à distance a vu le jour. Certains élèves ont pu également reprendre l’école à certains moments par demi-classe. Il s’agit là d’une situation totalement inédite !

Durant ces derniers mois, chacun a vécu des choses difficiles dans un contexte sombre et incertain.[3] Le risque de décrochage a augmenté et les inégalités scolaires se sont encore renforcées notamment en raison de l’externalisation de l’école, l’école se faisant à la maison, et de la prise en charge de façon disproportionnée par les parents.[4] Pour les enseignants, comme pour les élèves et les parents, il a fallu innover et s’adapter au pied levé. En termes de motivation et de plaisir d’apprendre, il y a une multitude de situations. Les causes sont multiples telles que les conditions de vie à la maison, l’équipement numérique domestique disponible et la capacité à l’utiliser, l’accompagnement par les enseignants et les parents, l’âge, la filière, la matière, le travail fourni et les aptitudes de l’élève. Et pourtant, cela n’explique pas tout ! Au-delà de ces facteurs, pourquoi certains élèves ont-ils été plus motivés que d’autres ? Qu’est-ce que la crise sanitaire nous a fait expérimenter et qu’est-ce qu’elle nous a appris sur les enjeux de la motivation scolaire ? Véritable laboratoire improvisé, l’école a eu son lot de difficultés, de découragement et d’échecs pédagogiques, mais elle a aussi permis de récolter ce que nous avons appelé les cerises du confinement. Lors de l’atelier de notre table-ronde du 8 octobre dernier, point de départ de cette analyse.

Bien malgré elle, l’école en temps de Covid a permis d’ouvrir des portes et d’explorer certains ressorts de la motivation. Dans un système d’enseignement qui ne parvient pas à enrayer un taux d’échec important, il est intéressant de se pencher sur cette expérience unique et d’en tirer profit pour la suite. Et si ce qui motive les élèves à apprendre n’était pas ou était bien plus que ce qu’on pensait jusque-là ?

La motivation et ses multiples facettes

Pyramide des besoins - A.Maslow
La question de la motivation est essentielle dans les apprentissages, mais elle est également complexe, ses facteurs étant multiples. Beaucoup de recherches et de théories existent, apportant des éclairages complémentaires. Pour pouvoir comprendre ce que la crise sanitaire permet d’explorer en termes de motivation scolaire, il nous faut d’abord aborder brièvement cette littérature.

La célèbre pyramide de Maslow[5] ou pyramide des besoins, même si elle a montré ses limites, reste intéressante pour comprendre certains mécanismes. Pour que les besoins supérieurs soient rencontrés, il faut d’abord assurer les besoins inférieurs. Par exemple, un élève qui manque de sommeil ou qui a faim (besoins physiologiques) sera moins motivé à appendre ; un élève qui vit un gros stress (besoins de sécurité), qui se sent seul (besoins d’appartenance) ou non-reconnu (besoins de reconnaissance) sera également moins motivé.

En 1985, les psychologues et chercheurs américains Deci et Ryan développent la théorie de la motivation intrinsèque et de l’auto-détermination.[6] Selon cette approche, il faut distinguer motivation intrinsèque et extrinsèque.

La motivation intrinsèque consiste à réaliser une activité pour le plaisir et la satisfaction qu’elle procure en elle-même. Quatre sources importantes augmentent cette motivation : le défi, la curiosité, le contrôle et la fantaisie.[7]

La motivation extrinsèque répond à des éléments extérieurs, des renforcements positifs ou négatifs comme une rémunération, une qualification, une reconnaissance, une récompense (notes sur le bulletin, interrogations, argent, prix, diplôme, bonbons, bons points, punitions, privations).[8]

Citons aussi la théorie de Viau régulièrement exploitée depuis les années ‘90. L’enseignant et chercheur québécois définit la motivation en contexte scolaire comme un état dynamique qui a ses origines dans les perceptions qu’un élève a de lui-même et de son environnement et qui l’incite à choisir une activité, à s’y engager et à persévérer dans son accomplissement afin d’atteindre un but.[9] Ceci permet de comprendre que la motivation n’est pas quelque chose d’établi une fois pour toute et que les interférences entre les facteurs internes (propres au sujet) et externes (environnement scolaire, familial et sociétal…) à l’élève sont décisives dans sa motivation. Viau met encore en évidence que la motivation de l’élève ne dépend pas uniquement de lui ou de son enseignant et que la réussite scolaire est l’affaire de tous.[10]

  Triangle pédagogique J.Houssaye Enseigner-Apprendre-Former

Evoquons enfin le concept de triangle pédagogique développé dans les années ‘80 par Jean Houssaye. Selon ce pédagogue, la situation pédagogique peut être définie comme un triangle composé de trois éléments, le savoir, le professeur et les élèves, dont deux se constituent comme sujets tandis que le troisième doit accepter la place du mort ou, à défaut, se mettre à faire le fou [comme au bridge][11]. En fonction des deux éléments privilégiés, on sera dans la posture Enseigner, apprendre ou former. Ce modèle a lui aussi ses limites, mais il permet de comprendre que toute pédagogie est un choix et qu’il faut rester attentif à l’élément non pris en compte.

Données chiffrées

Pour saisir les impacts de la crise sanitaire sur la motivation scolaire, il est intéressant de se pencher sur des enquêtes qui font état de la motivation des élèves avant la pandémie. L’adolescence est une période de vie pleine de changements, de questionnements, de remise en question et de rejet, entre autres de l’école. Différentes recherches montrent une chute de la motivation en secondaire.

Une enquête menée par l’observatoire de la Santé du Hainaut de 2015 à 2017 dresse un état des lieux du bien-être à l’école chez les jeunes de 10 à 17 ans.[12] La motivation est corrélée positivement avec l’appréciation de l’école, l’estime de soi, l’efficacité personnelle et le sentiment d’appartenance à l’école. Selon les résultats de cette enquête, la satisfaction de soi (élément composant l’estime de soi) diminue avec l’âge.[13]

graphique : satisfaction de soi selon âge et sexe
L’efficacité personnelle, dépendant de la confiance en soi et de la persévérance, se définit comme la croyance de l’individu en sa capacité de réaliser avec succès une tâche, un apprentissage, un défi ou un changement, ce qui le motive à s’engager dans l’agir et à faire tout ce qu’il faut pour l’atteindre. [14] Même si la confiance en soi diminue avec l’âge, la persévérance et le sentiment d’efficacité personnelle augmentent avec l’âge.

Graphique : sentiment d'efficacité perso selon âge et sexe
En analysant les facteurs socio-économiques, les chercheurs font part d’une plus grande probabilité d’un niveau faible de confiance en soi pour les élèves issus de familles recomposées ou fonctionnant en garde alternée et pour les élèves dont les parents ont une situation économique moins valorisante.[15] Des besoins d’appartenance ou de sécurité seraient moins assouvis dans ces familles ?

En 2018, une étude[16] a été réalisée par le Service d’Information, Promotion, Éducation Santé (SIPES) de l’école de santé publique à l’université libre de Bruxelles (ULB) sur les comportements, le bien-être et la santé des élèves scolarisés de la 5e primaire à la fin du secondaire en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB).[17] Des éléments ayant un impact sur la motivation des élèves ont été analysés lors de cette étude : la satisfaction vis-à-vis de l’école, le stress lié au travail scolaire, la perception des relations avec les autres élèves de la classe et avec les enseignants. Avec l’âge, le nombre d’élèves n’aimant pas l’école augmente. Le stress lié au travail scolaire s’intensifie également avec l’âge. La perception des relations aux autres élèves est assez stable, mais celle aux enseignants est moins bonne pour les élèves du secondaire.[18]

Graphique : d° de stress, de satisfaction et de qualité relation prof des élèves

Un autre item, qui peut être révélateur de (non) motivation, est celui de l’absentéisme scolaire : 16,5 % affirmaient avoir brossé les cours de temps en temps, 5,5 % plusieurs fois par trimestre, 3,7 % plusieurs fois par mois et 1,9 % au moins une fois par semaine. La fréquence de l’absentéisme avait tendance à augmenter avec le degré scolaire.[19]

Diminution de la satisfaction et de la confiance en soi, augmentation du stress et de l’absentéisme avec l’âge, moins bonne perception des relations aux enseignants seraient tous des facteurs expliquant moins de motivation dans l’enseignement secondaire. En parallèle, la persévérance et le sentiment d’efficacité personnelle aideraient certains à rester motivés par l’école.

La crise sanitaire, laboratoire de la motivation

Au niveau de l’enseignement, comme dans d’autres domaines, de bonnes pratiques qui ont émergé lors du confinement pourraient-elles servir l’école de demain ? Différents éléments ayant un impact sur la motivation ont pu être identifiés : respect du rythme de chacun, diminution du stress, apprentissages différenciés, travail en plus petits groupes, etc. Tout cela en visant le maintien du lien des élèves à l’école qu’ils soient confinés ou dans un enseignement hybride.

Par ailleurs, les sessions d’examens de juin 2020 ayant été annulées, mais non les conseils de classe chargés de valider l’année, les élèves n’étaient plus guidés de manière habituelle par la cotation de fin d’année. Cela a fait perdre toute motivation à certains élèves car ils n’avaient plus l’impression d’avoir de « carotte » à la clé. D’autres se sont raccrochés au plaisir d’apprendre et à l’idée que leur travail réalisé pendant le confinement serait pris en compte dans le processus d’évaluation uniquement à leur avantage.

Dans le cadre d’un enseignement hybride, comme les élèves des deuxièmes et troisièmes degrés du secondaire le vivent actuellement, cette motivation est aussi difficile à maintenir. Certains sont démotivés, car ils ne vont plus tous les jours à l’école, ont perdu un lieu important de socialisation et ne sont pas boostés pour le travail à la maison. D’autres sont heureux de vivre cette expérience, parce qu’ils peuvent travailler à leur rythme et à leur façon selon leurs besoins. Pour une partie de ces élèves, même s’ils ont besoin de l’autre pour se construire, le temps réduit de présence effective à l’école a un effet positif. Il leur permet de relâcher la pression et diminuer le stress sur les apprentissages.

Des vécus variés nous ont été rapportés par des parents et par des partenaires. Cela ressort aussi des enquêtes menées en Fédération Wallonie-Bruxelles depuis le début de la crise sanitaire (les résultats de celles-ci seront présentés plus loin dans le texte). Voyons ce que nous pouvons retenir de ce laboratoire vivant, encore en cours, sur les adaptations du système scolaire en période de crise sanitaire et leurs effets sur la motivation des élèves.

  • Ce qu’apporte l’expérimentation

Dès le début de la crise sanitaire, nous avons eu des retours du terrain avec des réalités très variées selon les familles :

  • motivation des élèves ou non ;
  • cadre familial propice aux apprentissages ou non ;
  • présence et investissement variables des parents selon leurs obligations professionnelles et les ressources dont ils disposent ;
  • soutien et contact personnel avec les enseignants ou non ;
  • élèves du secondaire appréciant un retour à l’école en petits groupes en juin ;
  • élèves sur la voie du décrochage scolaire, notamment dans le qualifiant.

Une adaptation par certains enseignants à la situation, une écoute attentive, personnalisée et bienveillante ont été sources de motivation pour les élèves. Nous avons eu des témoignages d’élèves allant dans ce sens :

  • Certains professeurs ont réalisé eux-mêmes des vidéos pour expliquer autrement le contenu du cours.[20]
  • On peut obtenir des explications complémentaires, on se sent écouté.[21]
  • Dans une classe pleine, c’est plus difficile de poser des questions quand on n’a pas compris alors que là, en petits groupes, les profs semblent plus disponibles.[22]
  • On a plus de temps avec l’enseignant, on est moins bousculé. [23]

De nombreux élèves se sont impliqués dans leurs travaux et étaient en demande de lien avec l’école pour apprendre à leur rythme avec une évaluation formative. Comme l’explique un professeur de religion d’une école schaerbeekoise, les jeunes aiment apprendre. Le fait qu’on soit ici dans du non certificatif peut leur faire retrouver la joie d’apprendre pour le plaisir et non pas par obligation ou pour avoir une bonne note.[24]

Comme le souligne Ellen Hertegonne, professeur de néerlandais à l’institut de la Sainte-Famille d’Helmet à Schaerbeek, l’enseignement à distance peut être source de responsabilisation et donc de motivation pour les élèves. A certains élèves, cette expérience a étonnamment conféré une plus grande responsabilisation. Une élève m’a même dit que l’école à distance lui permettait de mieux gérer sa journée, de travailler à son rythme et d’organiser ses matières dans l’ordre qu’elle souhaitait. [25]

Ce qu’on peut aussi retenir du premier confinement, c’est que les élèves ont pu apprendre autrement et développer des apprentissages variés. Agnès Florin, professeure émérite de psychologie de l’enfant et de l’éducation à l’université de Nantes, appuie ces propos. On apprend avec un cahier de vacances, mais aussi en voyageant un peu, en prenant le temps de mettre le nez dans l’herbe, en faisant la cuisine avec papa ou du bricolage avec maman, en prenant un pinceau dans les mains ou un instrument de percussion, en ayant des relations sociales avec des copains, des relations amoureuses de vacances pour les plus grands… Dans toutes ces activités, l’enfant grandit, l’enfant apprend le vivre ensemble, l’autonomie, la confiance en soi.[26]

Lors de notre table ronde de rentrée du 8 octobre, nous avons consacré un atelier aux Cerises du confinement. Les parents participants et enseignants témoins y ont partagé leurs vécus positifs autour de la crise sanitaire.

  • L’accompagnement durant le confinement (mails, contacts personnalisés, réunions zoom) a été source de motivation.
  • Un enseignement adapté, comme l’a fait Célestin, instituteur en 5e primaire à Namur, avec des enveloppes de travail individualisées (quantité, respect du rythme de chacun, travail selon les plaisirs et forces de chacun, défi et non seulement exercices) permet aux élèves de rester motivés.
  • Le maintien du lien virtuel est important, car seul moyen de conserver le contact humain pendant le confinement ou une période d’enseignement à distance.
  • La motivation et l’estime de soi sont essentielles pour être acteur de ses apprentissages.
  • Comme l’a vécu Samuel, élève en 2e secondaire, travailler avec une demi-classe est plus dynamique, permet plus d’interactions, une participation active, des réponses de l’enseignant aux questions. C’est donc source de motivation et de concentration.
  • Fabrice, professeur de formation sociale et économique en 5e, 6e et 7e technique et professionnel à Gosselies, appuie l’intérêt de travailler avec un plus petit groupe. Cela permet de déceler les lacunes, d’y remédier, de faire de l’expression orale, de corriger en direct, de faire des apprentissages plus individualisés. C’est aussi source d’engagement et d’implication plus importants de la part des élèves. L’enseignant devient un coach et non un policier.
  • Des élèves sont plus à l’aise en petit groupe. Cela augmente la motivation. Il faut profiter de cette expérience pour faire un mixte entre travail virtuel et sur site, proposer une propre gestion de son travail et de son rythme en tenant compte des besoins différents des élèves.
  • Célestin témoigne que la crise permet d’aborder la classe autrement (taille du groupe, numérique, rythme) et de la redynamiser pour insuffler de la motivation.
  • Fabrice pose la question des projets menés dans l’école (mini entreprise, climat, démocratie) qui sont aussi sources de motivation pour les élèves mais sont mis à mal par la crise. Quel maintien possible de ces projets dans les conditions actuelles ?
  • Ce qu’apporte la recherche

Diverses études menées depuis le confinement nous donnent aussi un éclairage et des pistes quant à la motivation des élèves.

Les résultats de l’enquête menée en mars, durant le premier confinement, par la FAPEO (Fédération des associations de parents de l’enseignement officiel) auprès des parents d’élèves indiquent que lorsque le jeune n’était pas accompagné principalement par ses parents à qui revenait in fine l’externalisation de la scolarité, il était peu autonome et donc peu motivé ou en décrochage ce qui a renforcé les inégalités sociales. [27]

Cette étude permet aussi de s’interroger sur la relation pédagogique et sur le concept même de continuité pédagogique induite par l’enseignement à distance.[28]

Une autre étude menée conjointement par l’université catholique de Louvain-la-Neuve et l’université de Liège indique tout d’abord, pour les résultats récoltés lors de la première phase et publiés en juin, de fortes variations en termes de motivation. Cette enquête nous apprend que globalement, le travail scolaire est jugé comme important par trois-quarts des élèves, utile par la moitié et intéressant par un tiers des élèves seulement. Près de 40 % des élèves déclarent que les activités proposées les ennuient et environ 45 % des élèves ont l’impression de travailler pour pas grand-chose. On notera les proportions relativement importantes d’élèves qui ne se positionnent pas par rapport à ces items.[29]

Par ailleurs, cette recherche nous apprend encore que le sentiment d’efficacité personnelle des élèves pour les activités scolaires proposées pendant le (dé)confinement est inférieur à celui du sentiment d’efficacité personnelle en général et qu’il a chuté par rapport à 2011 lors d’une enquête menée auprès d’élèves de 3e secondaire.[30] Un autre élément intéressant pour notre sujet est la corrélation entre soutien et motivation : les élèves qui perçoivent que leurs enseignants s’intéressent à eux et sont disponibles pour les soutenir dans leurs apprentissages trouvent davantage que le travail à domicile est intéressant, utile ou important, se sentent davantage capables de réaliser le travail qui leur est demandé et s’y impliquent également davantage.[31]

Enfin, si un besoin de structurer le temps scolaire à domicile est nécessaire, il semble aussi que laisser de l’autonomie aux adolescents soit plus efficace pour leur motivation spécialement en contexte de crise sanitaire : De nombreux élèves ont notamment rapporté avoir mis à profit cette période pour réaliser d’autres apprentissages « non scolaires » ou bien pour se consacrer à des passions, ce qui aurait contribué selon eux à leur bien-être, mais également parfois à leur motivation scolaire en ce contexte particulier.[32]

A l’heure où nous écrivons, les résultats de la deuxième phase de l’enquête ne sont pas encore publiés, mais dans une interview donnée en exclusivité au Soir, les chercheurs font état pour les élèves du 2e et 3e degré d’un moindre sentiment de bonheur, d’émotions positives moins fréquentes, d’un accroissement des émotions négatives et des symptômes somatiques depuis la rentrée de septembre. Ils évoquent encore une moindre confiance en leurs capacités de la part des élèves qui, conjuguées avec le retard pris depuis mars, augmente le risque de décrochage. Ils soulignent tout l’enjeu de rendre aux élèves confiance en leurs capacités. [33]

Une dernière enquête à dimension plus psychologique dirigée par Fabienne Glowacz pour l’université de Liège nous apprend, contrairement sans doute à ce qu’une majorité d’adolescents laissent transparaitre, que la crise sanitaire et les mesures qui l’accompagnent, comme le fait de les priver d’école, de la relations avec les enseignants et avec leurs pairs, les ont bien bousculés, l’enquête parlant de véritables « chocs » ayant impacté leur fonctionnement.[34] Cette recherche montre combien, au-delà des apprentissages, le maintien des liens et le besoin d’appartenance via l’école ont un effet protecteur pour les jeunes et leur bien-être : Il s’agit ici de se sentir investi et d’investir des liens sans avoir accès en permanence aux lieux, et de continuer à se sentir appartenir à une communauté et à un groupe de pairs. Et plus le jeune se sent investi dans cette sphère scolaire, moins il est enclin à transgresser les mesures de distanciation et les gestes barrières.[35]

  • Les théories de la motivation revisitées par la crise sanitaire

Ces diverses expériences de l’école secondaire en temps de Covid nous permettent de confirmer ou infirmer des éléments présentés par les différentes théories de la motivation.

La pyramide de Maslow s’est vérifiée. Lorsque les besoins de sécurité puis d’appartenance et enfin de reconnaissance des élèves n’étaient pas rencontrés, leur motivation était moindre. Par ailleurs, l’école à distance semblerait plus motivante lorsqu’elle permet à l’élève, plus libre dans la planification de son travail, de se réaliser dans des besoins égaux ou supérieurs comme d’autres apprentissages ou des passions.

La théorie de Viau est corroborée également. La motivation a été fluctuante et dépendante des interactions entre l’apprenant et son environnement. Dans un rythme bouleversé et adapté au jour le jour, la motivation est apparue comme une petite flamme à maintenir dans les foyers, par écran interposé pour l’enseignement à distance et à chaque heure de cours pour ceux qui sont revenus à l’école.

Quant à la théorie de la motivation intrinsèque et extrinsèque, il faut nuancer. Nous sommes en présence de motivation intrinsèque lorsque des élèves sont restés motivés ou le sont devenus pour eux-mêmes alors que la certification de fin d’année ne semblait pas être en jeu. Néanmoins, une certaine motivation extrinsèque a subsisté : maintien des acquis et du statut de « bon élève » pour certains, parfois en vue d’études supérieures nécessitant des prérequis, sauvetage d’une année grâce à un comportement positif et des travaux réalisés à temps et correctement pour d’autres, pression ou imprégnation de l’environnement scolaire et familial…

Au-delà de cela, l’enseignement à distance tel qu’il a pu être appliqué ces derniers mois est perçu de façon générale comme moins motivant. Serait-ce qu’une dimension en est absente ? C’est l’hypothèse qui semble se vérifier : pour qu’il y ait acte pédagogique, l’enseignant et les élèves doivent être en interaction. Cela suscite d’autres questions : peut-on faire école sans mettre en présence l’enseignant et sa classe, sans qu’ils puissent se voir, s’entendre et interagir ? Quelle valeur attribuer à l’école à distance, à l’école avec masque qui freine la communication, à l’école numérique, mais aussi aux devoirs et au travail scolaire en général ?

La crise sanitaire et la fermeture des écoles ont replacé la dimension relationnelle au cœur de l’enseignement. C’est là que la posture de formation présentée dans le triangle pédagogique d’Houssaye entre l’élève est l’enseignant prend tout son sens et se présente même comme préexistante aux autres postures.  Nous sommes d’abord des êtres sociaux et si durant le confinement un certain stress généré par l’école a disparu pour certains et notamment pour les élèves harcelés, la crise sanitaire a aussi plongé une majorité dans l’isolement et la déstructuration.

Tout particulièrement dans le contexte actuel, le soutien social et pédagogique, comme en fait état l’enquête de l’université catholique de Louvain-la-Neuve et l’université de Liège, est fondamental pour maintenir la motivation et le bien-être :

  • un soutien social ou émotionnel pour permettre à l’élève d’être sécurisé, entendu, reconnu et en lien pour un climat de bien-être nécessaire aux apprentissages ;
  • un soutien pédagogique et personnalisé permettant une responsabilisation de l’élève en lui faisant confiance et en lui donnant un feed-back sur son travail pour lui permettre de rester motivé et avoir encore du plaisir à apprendre.

Un prof se perçoit dans deux dimensions indissociables que l’on avait peut-être tendance à oublier, celle d’enseignant et celle d’éducateur.

Pistes et conclusion

La crise sanitaire questionne les mécanismes d’une motivation par nature mouvante et déjà en régression dans le secondaire. Les diverses expériences, bonnes et moins bonnes, de ces derniers mois, nous montrent que différents éléments y jouent un rôle essentiel particulièrement quand l’école doit se faire à distance :

  • le maintien de la relation et du lien, même virtuel, pour un espace de socialisation bienveillant et sécurisant pour l’adolescent, avec un soutien social et pédagogique ;
  • une place laissée à la confiance et à la responsabilisation, comme la gestion personnelle du temps ;
  • Un enseignement adapté aux besoins et rythme de chacun, avec autant que possible un travail en plus petits groupes, un accompagnement personnalisé et un feed-back sur le travail (mails, vidéo, téléphone, etc.).

L’école secondaire en temps de Covid, c’est une hybridation, entre école en présentiel et un ersatz d’école dispensée via l’outil numérique, au pied levé et avec les moyens du bord en termes d’équipement et de ressources. Cette école met à l’épreuve la motivation des élèves et de leur famille, spécialement les plus fragilisés. Des élèves qui ont pu bénéficier d’accompagnement personnalisé en étant respecté dans leur rythme et leur fonctionnement sont restés motivés ou même le sont devenus. Cependant pour nombre d’entre eux, le risque de décrochage est bien présent alors que la confiance en soi et la relation aux enseignants s’érodent avec l’âge : Plus on est confinés longtemps, plus mes capacités de concentration diminuent et ma motivation également. Le fait de travailler seule et sans encadrement d’adultes, de professeurs ne me rassure pas dans mon apprentissage.[36]

La Covid vient mettre en lumière, de façon significative et particulière, le besoin d’adapter notre système scolaire pour maintenir la motivation et lutter contre le redoublement tel qu’évoqué dans l’’Avis n° 3 du Pacte pour un enseignement d’excellence par :

  • le plaisir d’apprendre des élèves, leur motivation et leur capacité à prendre une part active dans leur évaluation et dans la responsabilité de leurs apprentissages ;
  • la formation initiale et continue des enseignants ;
  • le développement de l’innovation pédagogique et des programmes de recherche ;
  • l’utilisation du numérique en tant que moyen d’apprendre et source de sens pour les élèves.[37]

L’année dernière, dans son Mémorandum, l’UFAPEC recommandait déjà d’encourager la motivation de l’élève par rapport aux apprentissages, le mettre en projet à travers ceux-ci et favoriser son autonomie, tant vis-à-vis de son parcours d’apprentissage que vis-à-vis de son parcours de vie.[38]

Préoccupée par le creusement des inégalités scolaires depuis mars, l’UFAPEC insiste encore pour que les élèves les plus impactés par la crise sanitaire, ayant décroché ou en voie de décrochage bénéficient d’un encadrement différencié et d’un soutien renforcé. L’UFAPEC tire la sonnette d’alarme pour la scolarité des élèves du qualifiant dont le point d’ancrage est souvent les cours pratiques et demande que l’organisation de ces cours en présentiel soit une priorité.

Ces derniers mois ont permis de prendre conscience au quotidien de certaines choses comme le fait que l’école est indispensable à notre société, que recourir à l’externalisation de l’école c’est prendre le risque de laisser bon nombre d’élèves sur le carreau, que rien ne remplace un enseignant en classe en interaction avec chacun de ses élèves et enfin que, bien au-delà du champs scolaire, l’école est un lieu de socialisation majeur.

De façon générale, l’école, tant dans le chef du politique que des acteurs scolaires, a le mérite de s’être jetée dans la bataille en faisant un maximum pour garder ses portes ouvertes et pour ouvrir des portes virtuelles faute de mieux. Néanmoins, la question de la légitimité de l’école à distance demeure et avec elle, celle de la continuité des apprentissages, de la motivation et de la valeur des futures évaluations. La vigilance reste de mise, mais on peut espérer que l’expérience et les bonnes pratiques observées ces six derniers mois pour, malgré tout, motiver les élèves serviront l’école de demain.

 

Dominique Houssonloge et Alice Pierard

 

 


[1] FWB, Circulaire n°7515 du 17/03/2020, Coronavirus Covid-19 : décision du Conseil National de sécurité du 12 mars 2020 – Informations nouvelles

[2] Un enseignement hybride est une combinaison d’activités d’apprentissage en présentiel et à distance. L’élève a donc une partie des cours à l’école, en classe et d’autres activités à la maison. L'apprentissage à distance peut inclure des activités synchrones (l’enseignant et les participants travaillent au même moment en visioconférence) et asynchrones (les activités, sous forme de travaux personnels, se déroulent pour chaque personne à un moment différent).

[4] Pour plus d’informations à ce sujet, nous vous invitons à lire :

PIERARD A, Ecole face au Covid 19… Risque de décrochage scolaire, Analyse UFAPEC 2020 n° 12.20, novembre 2020, Ufapec - 12.20/ Ecole face au covid 19… risques de décrochage scolaire ?

GAUTHIER S., Travail scolaire en temps de Covid-19 : de la responsabilisation des parents aux inégalités scolaires structurelles, Etude FAPEO 2020, http://www.fapeo.be/wp-content/uploads/2020/07/FAPEO_ETUDE_COVID19_CONTINUITE-APPRENTISSAGES_20200723.pdf

[5] MASLOW A., « A theory of human motivation », in Psychological Review, 50(4), 1943, pp. 370–396, https://doi.org/10.1037/h0054346

[6] DECI E. et RYAN R., Intrinsic motivation and self-determination in human behavior, New York, 1985.

[7] DEMIERBE C. et MALAISE S., La motivation scolaire. Comprendre la motivation pour la favoriser, Université de Mons, La motivation scolaire (umons.ac.be) 

[8] DEMIERBE C. et MALAISE S, La motivation scolaire. Comprendre la motivation pour la favoriser, op cit.

[9] VIAU R., La motivation en contexte scolaire, De Boeck Université, Bruxelles, 1994, p. 7.

[10] VIAU R., La motivation : condition au plaisir d’apprendre et d’enseigner en contexte scolaire,

3e congrès des chercheurs en Éducation, Bruxelles, mars 2004 – enseignement.be.

[11] HOUSSAYE J., Le triangle pédagogique - Théorie et pratiques de l'éducation scolaire, volume 1, 3e édition, 2000, résumé, https://www.decitre.fr/livres/le-triangle-pedagogique-9783906754956.html#resume

[12] Regard sur la santé des jeunes, 2019, Sante_en_Hainaut_14_RSJ-2019.pdf

[13] Idem, p. 93.

[14] Idem, p. 95.

[15]Regard sur la santé des jeunes, 2019, p. 96.

[16] L’enquête « Comportements, bien-être et santé des élèves » est menée tous les quatre ans, depuis 1986, auprès des élèves scolarisés de la 5e primaire à la fin du secondaire en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). Cette enquête est le versant francophone belge de l’étude internationale « Health Behaviour in School-aged Children » (HBSC) à laquelle participent près de 50 pays ou régions, sous le patronage du bureau régional de l’organisation mondiale de la santé (OMS) pour l’Europe.

[17] Comportements, santé et bien-être des élèves en 2018 – Relations sociales et vie à l’école, 2020, HBSC2018_Relations-sociales-et-vie-a-l-ecole.pdf (ulb.ac.be)

[18] Idem, pp. 11-15.

[19] Idem, p. 17.

[20] Témoignage recueilli durant le premier confinement.

[21] Témoignage recueilli durant le premier confinement.

[22] Témoignage recueilli lors de la réouverture des écoles en juin.

[23] Témoignage recueilli lors de la réouverture des écoles en juin.

[25] VAN REETH C., « Reconnaissance et bienveillance, nouvelles relations entre profs et élèves », in Le Soir, 23 août 2020, https://plus.lesoir.be/320561/article/2020-08-23/reconnaissance-bienveillance-de-nouvelles-relations-entre-profs-et-eleves

[26] GRAVELEAU S., « Nous n’avons pas assez donné la parole aux élèves durant cette crise », in Le Monde, 1er juin 2020, https://www.lemonde.fr/education/article/2020/06/01/nous-n-avons-pas-assez-donne-la-parole-aux-eleves-durant-cette-crise_6041418_1473685.html

[27] GAUTHIER S., Travail scolaire en temps de Covid-19 : de la responsabilisation des parents aux inégalités scolaires structurelles, op cit., p. 42.

[28] Idem, p. 43.

[29] « Le bien-être et la motivation des élèves en période de (dé)confinement », note de synthèse, recherche commune de l’Université catholique de Louvain et de l’Université de Liège, août 2020, https://www.news.uliege.be/upload/docs/application/pdf/2020-09/oase_7_sondage_covid-19_round_1_juin_2020_note_de_synthese_final.pdf, p. 5.

[30] Idem, p. 6.

[31] Idem, pp. 7-8.

[32] « Le bien-être et la motivation des élèves en période de (dé)confinement », op. cit., p. 10.

[33] HUTIN C., « Coronavirus : des élèves plus stressés et moins confiants en leur capacité de réussir », in Le Soir, 30 novembre 2020, https://plus.lesoir.be/340695/article/2020-11-30/coronavirus-des-eleves-plus-stresses-et-moins-confiants-en-leur-capacite-de

[34] Lien social, besoin d’appartenance et engagement : impliquer les jeunes dans les différentes étapes de la crise, 25 novembre 2020, https://www.news.uliege.be/cms/c_12941160/fr/lien-social-besoin-d-appartenance-et-engagement-impliquer-les-jeunes-dans-les-differentes-etapes-de-la-crise

[35] Idem.

[36] « Le bien-être et la motivation des élèves en période de (dé)confinement », op. cit., p. 4.

[37] FWB, Pacte pour un Enseignement d’Excellence, Avis n° 3, 7 mars 2017, Enseignement.be - Document: Pacte d'Excellence - Avis N° 3 du Groupe central

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