Analyse UFAPEC octobre 2018 par B. Loriers

16.18/ Ecole à domicile, école de vie ?

Du côté de Spa, trois familles ont tourné le dos à l’école. Poussés par leurs idéaux, les parents n’ont pas inscrit leurs aînées en première primaire. A la place, des aventures dans les bois, des sorties culturelles et des moments pour flâner. (…) Mais un tel pari est-il seulement tenable ? Comment instruire des enfants sans contrainte ?
C. JOIE

 

Introduction

De plus en plus de parents font le choix de ne plus inscrire leurs enfants dans notre système scolaire traditionnel. Quelles en sont les raisons, et quels sont les obstacles que ces familles rencontrent ? L’enjeu sociétal n’est-il pas l’accentuation du phénomène de l’enfant-roi, au détriment de l’apprentissage du vivre ensemble et de l’intégration du jeune dans notre société ?

Avant tout, il faut savoir que le droit à l'instruction est un droit fondamental consacré non seulement par la Constitution belge en son article 24, mais également par différents textes internationaux. Ainsi, la Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant, ratifiée par la Belgique en 1991, prévoit en son article 28 que les Etats parties reconnaissent le droit de l'enfant à l'éducation[1].

Rappelons que la situation des mineurs soumis à l’obligation scolaire, qui ne sont pas inscrits dans un établissement organisé ou subventionné par la Fédération Wallonie-Bruxelles, est régie par des règles strictes présentes dans le décret du 25 avril 2008[2] fixant les conditions pour pouvoir satisfaire à l’obligation scolaire en dehors de l’enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française.

Même si le nombre d’enfants instruits à domicile est minoritaire au regard du nombre total d’élèves en Fédération Wallonie-Bruxelles, les chiffres sont interpellants. Selon une publication de l’administration de l’enseignement, datant du 20 aout 2018, le nombre d’enfants instruits par leurs parents à domicile aurait doublé en Fédération Wallonie-Bruxelles. En seulement dix ans, on serait passé de 502 à 1.044 enfants instruits à la maison[3].

Avant tout, rappelons-nous que chaque parent instruit quotidiennement ses enfants, parfois même sans s’en rendre compte, lors de promenades, visites, rencontres, discussions en famille, etc. mais faire le choix de l’école à domicile constitue une démarche qui remet en question nos représentations du rôle de parent, ainsi que le rôle d’enseignant. Tout parent est-il apte à assurer le rôle d’enseignant, en termes de formation, de bagage scolaire, de pédagogie, d’endurance, … ? Est-ce le rôle du parent de prendre la place entière du professeur ? Et si des parents en sont venus à prendre ce rôle, n’est-ce pas un signe que le rôle des professeurs n’est plus en phase avec ce que les parents attendent pour leurs enfants ?

Pourquoi faire le choix de l’école à la maison ?

André Stern, auteur du livre « … Et je ne suis jamais allé à l’école », écrit que ses nombreuses activités quotidiennes à la maison étaient chargées, et pourtant affranchies du stress, de la concurrence, de la course à la performance et du combat pour la bonne note[4].

Pour Bernard Delvaux, sociologue à l’Université catholique de Louvain, beaucoup de parents contestent le modèle éducatif ou trouvent que les exigences sont trop importantes et l’apprentissage non-adapté au rythme des enfants. (…) De plus, les parents ont aujourd’hui plus facilement accès à de la documentation sur Internet. Elle leur permet de préparer des cours[5] .

A la rentrée 2015, une case a été ajoutée dans le formulaire de déclaration d’enseignement à domicile, à remplir de manière facultative. Les parents y sont invités à expliquer leur décision. 299 sur les 638 répondants invoquent des raisons pédagogiques : ils ne se reconnaissent plus dans notre système scolaire[6].

Les autres raisons évoquées par les parents qui font le choix de l’école à domicile sont : voyage itinérant, raisons médicales[7], harcèlement, phobie scolaire, offre scolaire insuffisante ou inadaptée, troubles d’apprentissage, raisons artistiques ou sportives, professions itinérantes…[8].

Notons encore que certains parents retirent leurs enfants de l’école parce qu’ils ne sont pas en concordance avec certains référentiels que l’école utilise, ou parce qu’ils ne désirent pas aborder telle question par conviction, ou parce qu’ils ne veulent pas que leurs enfants participent à certaines activités (piscine, cours de biologie, sensibilisation à l’EVRAS : Education à la vie relationnelle, affective et sexuelle, etc.).

Une autre raison qui incite les parents à retirer leurs enfants du système traditionnel est que ces derniers doivent pouvoir apprendre aux moments où ils en ont envie. Fanny, une maman ayant fait ce choix de l’école à domicile raconte : De plus en plus de chercheurs dans les neurosciences étudient les apprentissages par l’émotion, par l’enthousiasme. N’y a-t-il pas plus de sens à apprendre les choses quand on en a envie ? Ce serait la clef pour que les enfants deviennent (ou restent) hyper créatifs[9].

Sans doute l’instruction en famille (IEF) génère-t-elle moins de stress et de compétition qu’à l’école, permettant à l’enfant de mieux apprendre. Mais ce point concerne notre système scolaire dans son ensemble : le fait de ne pas avoir de stress ni de compétition, n’est-ce pas un élément dans les apprentissages qu’il faudrait envisager et qui convient à tous les enfants plutôt qu’à ceux qui ne le supportent pas ? Si certains le supportent, est-ce néanmoins bon et souhaitable pour eux ?

Aurélie Collard, mère de famille, va plus loin dans son analyse : les enfants apprennent au même âge, les mêmes choses, au même moment. L’école ne développe pas des potentiels, mais des normes. Et après une journée en classe, qui peut aussi troubler le cycle hormonal, les enfants ont perdu 90 % de ce qu’ils étaient censés avoir appris[10].

Des études et statistiques réalisées aux Etats-Unis (il n’en existe pas en Belgique) convergent toutes pour démontrer que les enfants non-scolarisés sont plus nombreux à suivre des études universitaires (74% pour 54% de jeunes américains qui ont suivi un enseignement à l’école). Elles démontrent également que ces jeunes ont un réflexe civique, se déplacent plus volontiers que la moyenne pour voter par exemple. Qu’ils sont aussi davantage impliqués dans la vie de leur communauté sur le plan associatif, et culturellement très actifs (nombreuses lectures, visites de musées, participation à des concerts, …)[11]. Peut-être aussi parce que ces enfants sont déjà issus de milieux socio-culturellement plus favorisés et plus investis ?

Enseignement à domicile : sous contrôle en FWB [12]

L’école à domicile n’est pas sans contraintes administratives chez nous. En Fédération Wallonie-Bruxelles, peut-on parler réellement d’apprentissage autonome, tant le cadre est strict ?

Les parents doivent signaler au Service Général du contrôle de l’obligation scolaire au moyen d’un formulaire spécifique, au plus tard pour le 30 septembre de l’année scolaire, que leur enfant suit un enseignement à domicile. Il n’existe pas de dérogation pour l’inscription à l’enseignement à domicile en cours d’année scolaire (sauf si le mineur est arrivé sur le territoire belge au cours de l’année scolaire). Cette déclaration n’est valable que pour une année scolaire, il faudra le cas échéant la renouveler chaque année. Attention : une année scolaire réalisée à l’enseignement à domicile n’est pas certifiée. Seule l’obtention des différentes épreuves certificatives (CEB, CE1D et CE2D) permet le passage dans une année supérieure en cas de retour vers un établissement scolaire.

Les parents doivent encore fournir au Service général du contrôle, et sur demande de celui-ci, les documents sur lesquels se fonde l’enseignement dispensé à domicile. Ce sont notamment les manuels scolaires et le matériel pédagogique employés, les fardes et les cahiers, les productions écrites, un plan individuel de formation.

D’autre part, les parents ou les tuteurs dispensant un enseignement à domicile sont tenus d’assurer un certain niveau d’études, de se soumettre aux contrôles de l’inspection, et d’inscrire le jeune aux épreuves certificatives[13]. Les objectifs de ces contrôles sont de s’assurer que l’enseignement dispensé à l’enfant lui permet d’atteindre le niveau des socles de compétences et d’acquérir les savoirs requis pour son âge ; c’est-à-dire de s’assurer que le niveau atteint est suffisant au regard du niveau des enfants scolarisés dans un établissement scolaire organisé ou subventionné par la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Les limites de l’enseignement à domicile

On est en droit de se demander comment ces élèves apprennent à vivre en société en dehors de l’école, comment ils apprennent la tolérance, la vie en groupe et la solidarité ? Comment ces enfants font-ils l’apprentissage de travaux en groupe, tellement important pour la suite de leur cursus, qu’il soit scolaire ou professionnel ? Ces enfants acquièrent-ils la notion de respect des règles, des consignes, des horaires ?

Ces questions sont à placer en face de la lecture de nombreux témoignages, dans lesquels on observe que beaucoup de parents qui font le choix de l’école à domicile l’organisent à certains moments en groupe et inscrivent leur enfant dans un groupe de sport, musique, mouvement de jeunesse, etc.

D’autre part, la surprotection qu’exercent certains parents sur leurs enfants en choisissant l’instruction en famille n’est-elle pas un problème sociétal ? Pour Françoise Persoons, ancienne directrice d’école, et présidente de l’asbl « L’école à l’hôpital et à domicile », c’est la culture de l’enfant-roi. Les parents surprotègent leur enfant et le garder à la maison est un caprice de leur part. Ces dernières années, nous avons une véritable explosion du nombre de parents qui demandent à bénéficier de nos cours à domicile gratuitement. Leur explication est toujours la même : leur enfant est victime de phobie scolaire. C’est un problème très à la mode. Mais on doit apprendre à y faire face et à le surmonter alors que beaucoup essaient de fuir. (…) Quand je vois, à l’hôpital, ce que ressentent les enfants qui sont privés de se trouver sur les bancs de leur classe, je me dis que la place d’un jeune est bien à l’école. En plus, il faut se souvenir qu’à l’époque, obtenir l’obligation scolaire avait été une vraie victoire. Et maintenant que fait-on ? On fait tout pour les en arracher, cela me révolte. Il est nécessaire que les autorités prennent des mesures pour restreindre l’accès à cette forme d’enseignement. Il en va du futur de ces jeunes.[14]

De plus, c’est souvent à la maman de sacrifier sa carrière. Elle partage donc en permanence la vie des enfants. Inutile de dire que l’investissement en temps, en patience, en rigueur, est considérable[15]. Et cela amène une autre question : ces enfants arrivent-ils à couper le cordon avec leurs parents et à devenir autonomes ? Arrivent-ils à s’intégrer par la suite dans l’enseignement secondaire, supérieur ou professionnel ?

Et ce choix de vie, est-il accessible à tous ? Il est inaccessible pour une mère seule ou à un couple ayant besoin de deux revenus professionnels, sauf indépendant éventuellement[16]. Il faut aussi un minimum de capital scolaire et culturel pour assurer l’instruction des enfants. Donc non, ce modèle est loin d’être accessible à tous, mais faut-il pour autant le réprouver ?

Cette hausse du nombre d’élèves instruits à domicile, la ministre de l’enseignement Marie-Martine Schyns souhaite la combattre. Elle l’a réaffirmé en commission de l’enseignement : en collaboration avec l’administration, un projet de modification est en cours. Un des objectifs du texte est notamment de favoriser un retour plus rapide vers une structure scolaire pour éviter le retard qui s’accumulerait[17].

Conclusion

Nombreux parents désertent l’école pour des raisons pédagogiques, éducatives, par déception des valeurs transmises par l’école. Ils font le choix de défendre des valeurs différentes du système scolaire traditionnel, comme la solidarité, qui n’est pas toujours transmise par l’école, qui prône trop souvent la compétition. L’instruction en famille (IEF) ne veut pas toujours dire un enfant seul, il y a parfois des regroupements, ou alors les enfants sont dans des écoles mais « non reconnues ». En dehors des cas d’enfants malades, parents itinérants, s’il y a des hyperparents, d’autres font le choix de l’école à domicile parce que notre système scolaire ne permet plus la réussite, l’épanouissement et l’intégration future du jeune et c’est là qu’est tout l’enjeu.

Nous avons abordé le phénomène de l’enfant-roi, mais ce concept nécessite d’être nuancé ici, car en dehors de la surprotection de certains parents, il arrive que des enfants soient réellement atteints de phobie scolaire, de harcèlement, d’anxiété profonde, etc., et ne parviennent pas ou plus à mettre un pied dans l’école. L’école à domicile est donc, dans certains cas, une solution, en tout cas de manière provisoire.

David est convaincu que le système d’enseignement en Belgique ne permet pas de faire des gens autonomes. (…) Selon moi, le mal-être actuel de la société vient de là, de ce manque de connexion avec nos aspirations profondes. Les gens ne savent même pas ce qu’ils aiment[18].


L’école n’est pas parfaite, le nombre d’élèves par classe ne permet pas toujours que l’enseignant porte son attention sur chaque élève, la violence scolaire est une réalité dans les classes, dans la cour de récréation, aux abords des toilettes, etc.

Pour l’UFAPEC, l’école doit intégrer tous les enfants, s’adapter à toutes les situations, à toutes les familles, se remettre en question, dans une optique de solidarité et d’apprentissage du vivre ensemble. Nous restons convaincus que l’école doit rester une source d’émancipation pour le jeune. L’école doit se remettre en question.

Si notre système scolaire n’est pas parfait, n’est-ce pas au sein de l’école qu’il convient de réfléchir à des modifications ? Rappelons que les parents ont leur place dans l’école pour agir de manière constructive, via notamment l’association de parents et le conseil de participation, même si l’école a besoin de changements structurels majeurs, qui ne dépendent hélas pas que des parents.

Ces changements se retrouvent, en grande partie, dans les préoccupations de la réforme actuelle de notre système scolaire qu’est le Pacte pour un enseignement d’excellence[19]. Les parents qui organisent l’IEF se sentent parfois démunis face au système scolaire et n’ont donc pas d’autre choix à leurs yeux que l’école à domicile. Cela devrait être le signal que quelque chose ne va plus dans notre système scolaire et qu’au nom de l’émancipation de tous les enfants, il faut réformer l’école. Ces parents, même si bien sûr il y a des parents surprotecteurs ou individualistes, tirent un signal d’alarme important. Ils expriment un malaise, une perte de confiance et une désillusion par rapport aux objectifs de l’école qui ne sont plus rencontrés et ils posent la question de savoir si l’école est adaptée à leurs enfants. Et si, dans la mesure du possible, notre système scolaire s’inspirait des éléments favorables aux apprentissages dans l’instruction en famille ?

 

 

Bénédicte Loriers

 

[1] http://www.enseignement.be/index.php?page=24546.: L’obligation scolaire porte sur tous les mineurs en âge d’obligation scolaire, domiciliés ou résidant sur le territoire belge, et ce sans distinction de statut (cf. loi du 29 juin 1983 concernant l’obligation scolaire). Le mineur est soumis à l’obligation scolaire pendant une période de douze années commençant à l’année scolaire qui prend cours dans l’année où il atteint l’âge de six ans et se terminant à la fin de l’année scolaire, dans l’année au cours de laquelle il atteint l’âge de dix-huit ans.

[4] STERN A. … Et je ne suis jamais allé à l’école, Actes sud, 2011, p.21.

[5] Le carton de l’école à la maison, In La Libre.be du 25 novembre 2016.

[6] DEMOUSTIER R., Voilà pourquoi les parents font l’école à domicile, in la DH 21 décembre 2016.

[7] L’école à l’hôpital a déjà été abordée dans une précédente analyse : www.ufapec.be/ nos-analyses : 25.15 L’école à hôpital, un ballon d’oxygène pour les enfants malades ?

[8] DEMOUSTIER R. ibidem. Voir tableau en annexe.

[9] JOIE Catherine, in revue 24h01 n°08, L’école rebelle, été 2017, p.55.

[10] Qui a dit que l’école était obligatoire ? in L’écho, 27 août 2016.

[11] Ibidem.

[13] Les épreuves prévues diffèrent selon l’âge de l’enfant :

- à 8 ans et 10 ans, un contrôle du niveau des études est réalisé par le Service général de l’Inspection ;

- à 12 ans, il s’agit du C.E.B. (certificat d’études de base de fin de primaire)

 - à 14 ans, il s’agit du C.E.1.D. (certificat d’études du 1er degré, c’est-à-dire de fin de 2ème secondaire).

- à 16 ans, il s’agit du C.E.2.D. (certificat d’études du 2ème degré, c’est-à-dire de fin de 4ème secondaire). Un contrôle du niveau des études peut avoir lieu même si l’âge de l’enfant ne l’impose pas. (Enseignement.be/enseignement à domicile/fiche1).

[14] PERSOONS Fr., Le carton de l’école à la maison, + 100% en huit ans, in La Li bre.be, 25 novembre 2006.

[15] JEUNEJEAN Th., De plus en plus de parents font l’école à la maison, in le Ligueur, mis à jour 18 mai 2017.

[16] JEUNEJEAN Th., ibidem.

[17] DEMOUSTIER R., Voici pourquoi les parents font l’école à domicile, in DH.be, 21 décembre 2016.

[18] JOIE Catherine, in revue 24h01 n°08, L’école rebelle, été 2017, p.57.

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