Analyse UFAPEC 2011 par B. Hubien

17.11/ Entre école et famille : les enfants dans le rapport d’autorité

Introduction

École et famille : deux lieux parallèles où la plupart des enfants passent, en 15 ans, de la petite enfance au début de l’âge adulte. On peut donc se poser légitimement la question : le rapport d’autorité dans l’espace familial est-il de même nature que dans l’espace scolaire ? Comment la famille peut-elle soutenir l’effort de l’école dans sa mission de transmission ? Comment l’école peut-elle contribuer à la mission des familles et aider les jeunes à se construire un projet ?

C’est à ces questions que la présente analyse veut répondre en clarifiant tout d’abord comment peut se comprendre l’autorité, dans quels domaines elle s’exerce, pour ensuite aborder la nature du rapport d’autorité à l’école et dans les familles et, enfin, montrer quelles sont les modalités de relations entre familles et école pour que le projet éducatif atteigne son objectif de former des adultes libres, responsables et solidaires dans la société qu’ensemble nous construisons.

Autorité : potestas et auctoritas

Lorsque nous parlons de l’autorité, survient immédiatement une ambiguïté que le terme français contient. En effet, sous ce mot se cachent deux réalités bien différentes. D’une part, nous avons l’autorité comme potestas et, d’autre part, comme auctoritas. Cette distinction permet pourtant de mieux comprendre de quoi on parle quand on se met sur le terrain de l’autorité.

En effet, « la potestas est le pouvoir fondé sur la fonction, le grade ou le statut. C’est le pouvoir légal, reconnu et accordé par les instances supérieures de la société (militaires, judiciaires, scolaires…). La potestas est le pouvoir de prendre des décisions, de commander, d’exiger l’obéissance dans un domaine donné en recourant à la contrainte, le cas échéant. Le professeur est investi d’une potestas, c’est-à-dire d’un pouvoir légalement reconnu pour exercer sa fonction, il a notamment le droit, droit institutionnellement défini et encadré, de réprimander un élève si le besoin s’en fait sentir. »[1] Nous devrons revenir sur ce dernier aspect de la potestas des enseignants et personnels éducatifs.

L’auctoritas, quant à elle, « ne dépend d‘aucune instance. (…) L’auctoritas, c’est l’influence, l’ascendant, le crédit. (…)Elle est l’art d’obtenir l’obéissance sans recours à la menace ou à la contrainte. Elle produit les effets de la force tout en étant le contraire même de la force. »[2] Cette autorité-là est de l’ordre du surcroît. En effet, elle ne se stipule pas. Si elle produit des effets positifs dans le rapport d’autorité, elle n’est pas l’idéal à atteindre. Il serait en effet aberrant de fixer ou de se fixer comme objectif cette auctoritas.

Rapport d’autorité : régulation des rapports sociaux

Ceci étant clarifié, nous pouvons nous demander ce qu’est le rapport d’autorité. Disons-le d’emblée, le rapport d’autorité dont on parle ici se situe du côté de la potestas. L’autorité, dans cette perspective, vise, entre autres, à la régulation des rapports sociaux. Si l’auctoritas, la rejoint, cela peut être favorable. Mais ce n’est pas une nécessité pour que la régulation des rapports sociaux soit rendue possible et positive pour chacun.

Nous pouvons distinguer trois domaines dans lesquels l’autorité comme potestas s’exerce. Il y a tout d’abord le domaine moral. « Les règles perçues comme appartenant au domaine moral sont vécues comme des obligations incontournables régissant les relations sociales, indépendamment des lois et règlements propres à une institution, un groupe ou une culture. »[3]

Le meurtre, la discrimination, le vol, le harcèlement, etc., sont prohibés et commettre de tels actes exclut du corps social tout entier celui qui en est l’auteur. L’autorité, dans ce domaine, consiste à rappeler ces règles, à empêcher que de telles transgressions se passent et à poursuivre l’auteur des faits.

Ensuite, nous entrons dans le domaine conventionnel. C’est le domaine, entre autres, de la politesse et de la bienséance.

Le rapport d’autorité se base sur des règles (conventions) explicites ou non. Ces règles « sont établies à l’intérieur d’un système social qui détermine leur utilité et qui peut, dès lors, décider de les modifier. »[4] L’autorité distingue ce qui est acceptable de ce qui ne l’est pas. C’est le cas de l’école. Les règlements ne sont pas immuables et, en fonction des contextes particuliers, sont adaptés. Pour éviter le subjectivisme dans ce domaine, il est bon que l’autorité édicte clairement des règles qui s’imposent à tous dans l’espace social dont cette autorité a la charge.

Enfin, nous avons le domaine personnel, qui relève de la vie privée. Les personnes suivent des règles qu’elles se sont données. « Ces règles se fondent sur des choix personnels qui ne dépendent ni des prescriptions ou d’interdits moraux, ni de régulations sociales. » [5] Certes, ces règles ne permettent pas tout, puisqu’il y a une hiérarchie dans les trois domaines. Les règles qui relèvent du domaine personnel ne peuvent autoriser ce qui relève du domaine moral ou conventionnel. L’autorité dans ce domaine personnel est la personne elle-même et les règles peuvent changer sans préavis. Par exemple, avec de nombreux adolescents, nous pouvons constater cette labilité des règles relevant du domaine personnel.

Le rapport d’autorité à l’école

À l’école, nous nous situons clairement dans le domaine conventionnel. C’est le règlement d’ordre intérieur qui va distinguer ce qui est permis de ce qui est défendu. Outre les grands principes relevant du domaine moral, comme le respect d’autrui, de sa personne et de ses biens, les règles vont parfois toucher à ce qui pourrait être considéré par certains comme un détail. Les conventions, nous l’avons vu, ne portent pas de caractère universel et ce qui sera permis par certains règlements sera défendu par d’autres. Un exemple concret : dans une école, il y a de larges espaces verts dans lesquels les élèves ont le droit de se promener et de s’asseoir. Mais, pour éviter une abondance de déchets, il est interdit de boire ou manger dans ces espaces. Le règlement le stipule et les élèves sont invités à manger et boire au réfectoire. Les éducateurs doivent veiller au respect de cette règle, particulièrement les jours de grand soleil. Par contre, dans une autre école bénéficiant également de larges espaces verts, le pic-nic est autorisé.

Les conventions, les règlements, fondent donc le rapport d’autorité. À l’école, élèves et éducateurs sont placés, par leur état, dans ce rapport d’autorité. Sans oublier les parents, également acteurs de l’école. Pour que ce règlement puissent être accepté par tous les acteurs, il convient que les règles qu’il contient possèdent plusieurs caractéristiques : il faut que ces règles soient légitimes et adéquates, clairement énoncées, justes, connues de tous. Il faut aussi, qu’en cas de transgression, ces règles amènent une sanction proportionnée à l’acte, sanction elle-même clairement énoncée.[6]

Quand survient un problème dans le rapport d’autorité à l’école, c’est souvent parce que de part et d’autre, on ne se situe pas dans le même domaine. L’un parle à partir du domaine moral ou conventionnel, l’autre du domaine personnel. Comme nous l’avons vu, si les domaines sont hiérarchisés, il est permis dans le domaine personnel de poser des actes que le conventionnel ne permet pas.

L’exemple le plus flagrant de problème surgissant dans le rapport d’autorité à l’école se trouve dans la présence d’enfants-rois. « L’enfant-roi neutralise les acteurs de l’équipe éducative ; (…) l’enfant-roi conteste les fondements de l’école en tant qu’institution (les lois et les règles). Les enfants-rois contredisent quatre valeurs clés de l’école : le respect, la solidarité, le sens de l’effort et la soif de savoir. »[7] C’est que l’enfant-roi se situe entièrement dans son désir et ne veut se soumettre à aucune règle ou convention. Il ne sort pas du domaine personnel dans lequel il est l’autorité et souhaite imposer à tous les règles qu’il édicte. Comme le souligne Bernard Petre, l’enfant-roi est souvent l’enfant d’un parent-roi. Ce qui peut aggraver la difficulté d’un juste rapport d’autorité dans l’espace de l’école.

Le rapport d’autorité dans la famille

Dans la famille, il en va un peu autrement. En effet, si, au cours des ans, l’enfant va entendre de la bouche de ses parents l’énonciation de règles, il ne va pas recevoir un règlement qui objectiverait le rapport d’autorité intrafamilial. L’éducation que donnent les parents à leurs enfants, et qui passe par l’énonciation de règles, vise leur insertion progressive dans la société. Elle se fonde aussi, le plus souvent, sur l’amour qu’ils portent à leur enfant. « Amour et autorité, ça va de pair. L’autorité, ce n’est pas seulement la sanction, la punition. C’est aussi : faire autorité. Aimer nos enfants, c’est faire autorité, c’est-à-dire se faire respecter, constituer un repère. »[8] Et l’enfant, quoi qu’en disent certains, est en attente de cette éducation. « Pour les enfants, les liens biologiques ou juridiques de filiation ne suffisent pas. (…) La relation avec les parents est perçue comme élective par les enfants. Si on ne sent pas, en tant qu’enfant, qu’on est l’objet d’un choix actif, la relation avec les parents n’est pas pleine. L’enfant est extrêmement sensible à tout ce qui va manifester qu’il est un plaisir pour ses parents plutôt qu’une charge, à tout ce qui va manifester que son parent le choisit vraiment. »[9]

Le rapport d’autorité dans la famille se situe principalement dans le domaine personnel. En effet, on peut considérer la famille dans son ensemble et dès lors la voir comme instance unique de l’autorité qui s’y exerce.

Entre école et famille : un dialogue

« Les élèves et étudiants sont les acteurs de leur propre formation. Avec l'aide de leurs éducateurs, ils construisent et formulent peu à peu leur projet personnel. Les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants. L'école ne peut réussir toute sa tâche sans les parents, comme ils ne peuvent la réussir sans elle. »[10]

Ces affirmation fortes sur l’école aujourd’hui peuvent nous permettre de comprendre comment se vit, ou devrait se vivre, le rapport d’autorité entre école et famille. En effet, comme nous l’avons déjà dit, le rapport d’autorité à l’école se fonde sur des règlements qui appartiennent au domaine conventionnel. Nous l’avons vu, ces règlements ne sont pas immuables et peuvent faire l’objet d’évolutions et d’adaptions nécessaires.

Pour que le rapport d’autorité soit vécu positivement par l’enfant, quel que soit son âge, il faut que les échanges entre école et famille soient fondés sur le respect : respect par l’enfant et ses parents du règlement dont ils ont connaissance, respect par les éducateurs de ce que vit l’enfant au sein de sa famille.

Le respect du règlement, aussi succinct soit-il, doit permettre à l’enfant de repérer les limites dans lesquelles il peut évoluer librement dans son cadre scolaire. L’enfant n’aura aucune difficulté à percevoir les différences de régulation sociale existant entre l’école et la famille, puisqu’il est, dans son évolution, confronté à de multiples régulations : en famille, dans la famille élargie ou recomposée, à l’école, dans les mouvements de jeunesse ou les clubs sportifs, etc. Dès lors, il convient que les parents et les éducateurs aident l’enfant à intégrer les règles particulières qu’il est invité à respecter dans le cadre scolaire. Pour l’enfant, il ne faut pas qu’il y ait confusion des rôles, ce qui peut être facteur de troubles. Les parents et l’école sont partenaires, parce que complémentaires. Le parent ne doit pas vouloir prendre la place de l’enseignant et contredire systématiquement ce que l’école propose. De même, l’enseignant, l’éducateur, ne doit pas porter de jugement moral sur ce que l’enfant vit dans sa famille. L’enseignant ne doit pas se faire le parent de l’élève qui lui est confié.

En choisissant une école, avec son projet pédagogique et éducatif, les parents tentent de faire correspondre l’école aux valeurs qu’ils défendent et veulent transmettre à leurs enfants. La distance entre leur conception de la régulation des rapports sociaux et ce qui se vit à l’école n’est pas une distance à combler à tout prix. L’éducation et la formation de l’enfant passe par ces différences. Cette distance peut être favorable à l’enfant pour construire son projet personnel et entrer progressivement dans la vérité de sa vie propre. Faut-il encore que cette distance soit valorisée et non rejetée !

Les parents, par leur point de vue fondé sur l’expérience de leurs enfants, peuvent aider les partenaires éducatifs à enrichir leur manière de faire, notamment dans leur exercice de l’autorité. Il est bon, dès lors, qu’ils soient entendus et que les instances, dans lesquelles ils sont représentés, puissent accueillir ce qu’ils ont à faire valoir. Il convient que le Conseil de participation puisse exercer son rôle, notamment lorsqu’il s’agit d’adapter tous les trois ans le projet d’établissement. La question du rapport d’autorité au sein de l’école et du règlement d’ordre intérieur doit pouvoir être abordée en toute sérénité. C’est là que les visées éducatives peuvent être discutées et négociées.

Éduquer ensemble

Le rapport d’autorité dans l’école et les familles se vivra positivement si parents et école se considèrent réciproquement comme partenaires du même projet.

Pour cela il est souhaitable que l’école développe des activités qui rendent l'école plus familière aux parents grâce à des informations sur les objectifs des programmes d'études et sur les différentes filières. Il convient aussi que l’école fasse des propositions qui favorisent la disponibilité des enseignants aux contacts avec les parents et rendent possibles les entretiens préventifs quand surviennent des difficultés comportementales ou d'apprentissage. Il est bon également de favoriser le développement d’associations de parents qui soient les interlocuteurs privilégiés des personnels éducatifs. Il est tout aussi bon que les familles s’investissent dans ce dialogue et prennent leur place de partenaires.

Parents et personnels éducatifs, même s’ils exercent leur autorité dans des domaines différents, visent le même objectif : le bien de l’enfant, son épanouissement et la possibilité de donner le meilleur de lui-même dans la construction d’un monde dans lequel chacun est respecté fondamentalement dans ce qu’il est et dans lequel chacun est invité à découvrir qu’« il y a en lui du divin, qu’il peut nourrir et faire grandir. »[11]

 
 
 
 Bernard Hubien
 
 
 
 

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[1] Eirick Prairat, « Autorité et respect en éducation », Le Portique [En ligne], 11 | 2003, mis en ligne le 15 décembre 2005, Consulté le 11 août 2011. URL : http://leportique.revues.org/index562.html. §4.

[2] Ibid.

[3] Benoît Galand (coord.), Réinventer l’autorité à l’école, Éditions Couleur livres, 2008, p. 10.

[4] Idem, p. 11.

[5] Ibidem.

[6] Sur cette question de la sanction, le lecteur pourra se reporter à l’analyse d’Anne Floor et Pierre Bar, Sanction, punition, réparation : comment bien faire respecter les règles, UFAPEC, 2011, n° 4.11. (http://www.ufapec.be/nos-analyses/0411-punition-sanction/)

[7] Bernard Petre, « École et parents : une affaire de territoire » in Enfant-roi ? Écoles et parents partenaires ! À la recherche de nouveaux équilibres, Actes de la journée-débat organisée par le SeGEC le 31 mai 2007, p. 12.

[8] Jean Epstein, « Faut-il vraiment aimer ses enfants ? » in Philippe Béague (dir.), Aimer à perdre la raison – Aimer, éduquer… Est-ce compatible ?, Éditions Couleur livres, 2010, p. 16.

[9] Bernard Petre, « Aimer, éduquer ? Qu’en disent les enfants ? Qu’en dit la société ? » in Philippe Béague (dir.), op. cit., p. 22.

[10] In Mission de l’école chrétienne, 2e édition, Conseil général de l’enseignement catholique, Bruxelles, janvier 2007, p. 14.

[11] Idem, p.7. 

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