Analyse UFAPEC mai 2012 par A. Pierard

17.12/ La communication entre l’école et les parents qui ne parlent pas le français

Introduction

Parents et enseignants, tous deux acteurs responsables de l’éducation des enfants, sont amenés à se rencontrer. Si on ne leur demande pas de s’aimer,  ils ne peuvent s’éviter ou s’ignorer. Ils doivent  mettre en place, dans l’intérêt de l’enfant, une collaboration et un partenariat.

Dans notre société multiculturelle[1], il n’est pas rare de retrouver des élèves de différentes nationalités au sein d’un même établissement scolaire. Certaines familles sont en Belgique depuis plusieurs générations, d’autres sont présentes depuis moins longtemps et doivent encore franchir la barrière de la langue.

Cela pose des questions sur la relation et la communication possibles entre l’école et ces parents d’origine étrangère qui, pour certains, ne parlent pas ou peu le français.

  • Comment créer du lien entre l’école et les familles issues de l’immigration ?  
  • Comment toucher et sensibiliser des parents qui ne pratiquent pas la langue parlée au sein de l’école ?
  • Comment permettre à ces parents de prendre leurs responsabilités dans la scolarité de leurs enfants?
  • Comment faire de ces parents des co-éducateurs, partie prenante du projet de l’école ?

Immigration et scolarité

Il existe un écart entre cultures familiale et scolaire car ce sont deux mondes différents avec chacun ses manières d’agir et de penser. Par exemple, l’école fonctionne en se centrant sur le cognitif et le collectif alors que la famille, elle, est dans l’affectif et l’individuel. Ce sont deux mondes complémentaires dans l’éducation des enfants, fonctionnant de manières différentes.

Dans les familles d’origine étrangère, l’écart entre ces deux mondes éducatifs est plus important encore, car la culture du pays d’accueil et de l’école est différente de celle de la famille. Les langues parlées peuvent aussi être différentes.

Comme l’exposent Marie-Christine Pouder et Gabrielle Varro, « La communication école-parents migrantsest certes rendue difficile par le non partage d’une langue commune mais elle est surtout compliquée par le fait que, profondément, écoles et familles « ne parlent pas la même langue ». De leur côté, les parents ont du mal à saisir le fonctionnement d’un système éducatif différent du leur. Quant à l’école, elle a du mal à approfondir les spécificités qui provoquent les réticences des étrangers à son endroit. Elle n’est pas à même de tenir compte des stratégies familiales qui peuvent être fonction du projet migratoire des parents et / ou fonction de leur désir de préserver leur autorité face à l’enfant contre celle de l’institution.[2] »

Face à la multiculturalité présente dans notre société actuelle,« Il est important de développer des méthodologies d’enseignement et d’évaluation qui se différencient en fonction des enfants et qui valorisent par ce fait les élèves et leur famille. Le but est, bien entendu, d’arriver aux mêmes résultats, aux mêmes acquis de base pour tous. Par exemple, pour les enfants qui ne maîtrisent pas la langue d’enseignement, il s’agit de prévoir de véritables classes d’adaptation et d’accueil de façon à favoriser une insertion progressive dans la vie de l’école.[3] »

Vincent Locrel, directeur de l’Ecole Notre-Dame du Sacré-Cœur à Schaerbeek, explique que beaucoup de parents n'ont pas une culture de l'écrit. Pour cette raison, ils doivent sans cesse osciller entre un niveau de langage soutenu (celui de l'Institution) et un langage plus familier, développer une communication par voie d'affichage avec beaucoup d'images et peu de texte. Il ajoute que le mode de communication le plus efficace reste le contact direct. Il estime donc nécessaire de repérer parmi les parents ceux qui peuvent servir de relais auprès des autres.

Annick Bonnefond et Danielle Mouraux mettent le doigt sur « la difficile communication entre les parents et les écoles, d’autant plus lorsque la langue parlée à la maison n’est pas la même que la langue de l’enseignement ; la méconnaissance et l’incompréhension réciproques entraînent de multiples malentendus et maladresses de part et d’autre.[4] »

Comment rendre possible la communication entre acteurs éducateurs lorsqu’ils ne parlent pas la même langue ?

Une réalité complexe

« L’expérience de certains enseignants montre que des familles issues de l’immigration ont, face à l’école, une attitude plutôt réservée et teintée de crainte. Des facteurs, tels que le manque de maîtrise des langues du pays d’accueil, un bas niveau de qualification scolaire et des priorités d’investissement psychologique et économique axées vers des valeurs autres que l’enseignement, expliquent cette situation.[5] »

Comme tout parent, ces parents demandent d’être accueillis, reconnus comme acteurs éducatifs à part entière. Ils ont un rôle à jouer dans l’éducation de leurs enfants, en partenariat avec les professionnels de l’enseignement.

Au sujet de ce partenariat, Dominique Sénore explique que« Un réel climat de confiance doit s’instaurer entre les partenaires que sont les parents et les enseignants. Apprendre à se connaitre, respecter le rôle de chacun, se donner le temps de parler, de s’écouter, de se comprendre, tels sont les fondements de rapports parents-enseignants fructueux car la réussite des élèves dépend largement des bonnes relations entre les parents et les enseignants.[6] »

Rappelons ici que « dans leur grande majorité les parents immigréscomme tous les parents, même s’ils ne sont pas dotés des compétences, font confiance à l’école et soutiennent leur enfant dans leur scolarité. [7] »

En tant que représentant des parents, l’UFAPEC pense que « vivre ensemble dans une école multiculturelle ne pourra pas se faire sans un partenariat école-famille fort. Dans ce but, faire une place aux familles, les valoriser en tant que véritables partenaires de l’école avec, malgré leurs différences culturelles, toutes les richesses qu’elles peuvent offrir sera un gage de réussite. De nombreuses écoles se sont déjà lancées dans cette voie. L’UFAPEC soutient et promeut des initiatives comme les associations mais aussi les cafés des parents, les événements multiculturels autant d’occasions pour les familles belges comme  immigrées de jouer pleinement un rôle actif et citoyen dans l’école, de se rencontrer, de découvrir l’Autre et de construire un art de vivre ensemble.[8] »

Pistes d’actions et bonnes pratiques

Comme le disent Annick Bonnefond et Danielle Mouraux[9], il faudrait s’ouvrir à ces parents, à leurs différences et faciliter le dialogue en mettant en place des dispositifs pour une meilleure communication. Cela pourrait se traduire par la création d’espace destiné aux parents, l’organisation de la traduction ou encore la participation des parents dans la vie de l’école.

Une logopède travaillant dans une école accueillant des élèves de 27 nationalités différentes explique que la majorité des parents ne parlent pas, ou du moins pas bien, le français. Pour pallier à cela, des mamans jouent les interprètes pour d’autres dans leurs communications avec l’équipe éducative de l’école.

Dominique Sénore affirme que « C’est quand l’Ecole, les associations de parents d’élèves et les collectivités territoriales réfléchissent ensemble à des solutions, que l’espoir de voir ces parents dans l’Ecole renaitra. On peut imaginer par exemple des systèmes de traduction d’un certain nombre de textes pour ces parents ou même, dans certains cas, comme cela se fait déjà dans certaines villes, organiser des moments avec des interprètes afin de faciliter la compréhension et la connaissance de l’Ecole à des parents qui ne parlent pas et ne comprennent pas le Français.[10] »

Une étude d’Eurydice[11] va dans ce sens et expose que plusieurs états européens cherchent à mieux intégrer les parents d’origine étrangère dans la vie de l’école par des informations dans différentes langues, des présences d’interprètes lors des rencontres ou encore la mise à disposition de personnes ressources pour les contacts avec les familles.

Pour illustrer ces propos, nous pouvons prendre l’exemple de l’Institut Saint-Thomas d’Aquin à Bruxelles qui accueille des élèves de 25 nationalités différentes. A l’initiative de la direction et avec la présence d’une éducatrice parlant arabe, un café des parents est mis en place depuis maintenant trois ans. Ce lieu rassemble surtout des mamans et leur permet de parler de différents thèmes de la vie comme les devoirs, la santé, l’alimentation, l’adolescence. Cela permet une création de lien et un investissement de la part de ces parents dans l’école. Cela permet encore à l’école et aux familles de mieux se connaitre et se comprendre.

Un café des parents existe aussi à ’Ecole Notre-Dame du Sacré-Cœur à Schaerbeek depuis plusieurs années. Il était animé par l’éducateur et aborde diverses thématiques comme l’hygiène corporelle, l’alimentation, les règlements,...

La directrice de l’institut Sainte Marie Fraternité à Schaerbeek, qui accueille plus de 30 nationalités parmi ses élèves, est en train de mettre en place un système de parents-relais pour favoriser les relations entre les parents et l’école. Pour elle, les relations avec les parents sont très importantes.

Selon Manço Altay, « Il est temps, par exemple, de présenter de manière adéquate l’école et ses objectifs aux parents étrangers, d’écouter leurs doléances et de leur signifier clairement ce que l’on attend d’eux, ce que l’on est disposé à leur accorder. Cette « ouverture vers l’extérieur » sous-entend la mise en œuvre de collaborations et de négociations avec le monde associatif.[12] »

Pour ce qui est de la collaboration avec le monde associatif, prenons l’exemple du service d’Aide en Milieu Ouvert (AMO) Reliance de la Basse-Meuse. Christophe Parthoens expose le projet de parents-relais, en collaboration avec les écoles de Visé. Les objectifs de ce projet sont les suivants : « Elaborer et expérimenter un protocole d’accueil pour enfants nouveaux migrants dans lequel des représentants des parents (les parents-relais) seraient impliqués. Favoriser les interactions entre enseignants et parents anciens migrants par le biais de formations. (...) Former les parents anciens migrants à servir d’interface entre le milieu scolaire et les familles de nouveaux arrivants et assurer une meilleure communication entre ces deux mondes.[13] »

Christophe Parthoens explique la situation dans cette commune : « On assiste à Cheratte, dans notre région, depuis les années 60, à un constant renouvellement de la communauté turque par le biais de l’immigration matrimoniale/formation de famille. Le turc est souvent la langue principale parlée, que ce soit dans les familles de nouveaux arrivants ou dans les familles « mixtes » dans lesquelles l’un des parents vit depuis longtemps en Belgique et l’autre s’y est récemment installé[14] ».

Selon Christophe Parthoens, il est « essentiel de faire des parents des véritables partenaires du protocole afin qu’ils puissent à terme être de véritables multiplicateurs et servir d’interfaces entre le milieu scolaire et familial et assurer une meilleure communication entre ces deux mondes[15] ».

D’autres projets existent ou se mettent en place comme celui reliant l’école secondaire professionnelle Saint-Louis Amercoeur de Liège et l’ASBL EDIT, association favorisant l’insertion professionnelle. A l’origine de la collaboration, l’école a fait appel à l’ASBL EDIT pour aider et accompagner les élèves jeunes adultes. Aujourd’hui, avec l’association, la maison de quartier et les écoles de devoirs, l’école souhaite apporter de l’aide aux parents, un soutien aux projets et  créer une dynamique rassemblant les parents des élèves de l’école Saint-Louis Amercoeur.

Comme Fabian Cheret, le directeur de l’établissement, l’explique, l’école est connue pour accueillir des élèves d’origine étrangère. Sa population se compose surtout d’élèves d’origines marocaine, africaine, d’Europe de l’Est. Les moyens ont donc été mis en place pour dépasser les barrières de la langue grâce à un service d’interprètes mais aussi grâce à des membres de l’équipe éducative pratiquant d’autres langues que le français.

Dans cette école, la difficulté de la langue est maitrisée car un système est mis en place pour permettre la traduction. Par exemple, lorsque le directeur, Fabian Cheret, a voulu inviter les parents pour un conseil de participation, il a fait traduire l’invitation par les élèves de sixième et de septième en turc, en arabe, en espagnol, en allemand et en anglais.

En plus de dépasser la barrière de la langue par la traduction, Fabian Cheret veut toucher les parents d’origine étrangère et les rassembler autour de projets comme la fête de l’école.

Par ces exemples, on peut saisir qu’il est important  de pouvoir se comprendre pour une meilleure communication et donc une meilleure relation.

Conclusion

La multiculturalité, de plus en plus importante dans notre société, est à percevoir comme une ouverture à l’altérité et à la diversité du genre humain. C’est une opportunité à saisir pour aller à la rencontre de la différence et découvrir l’autre dans toute sa richesse.

Pour permettre l’intégration des élèves immigrés et de leurs familles dans nos établissements scolaires, aller vers l’autre, dans un esprit d’ouverture et de respect en mettant des choses en place pour faire tomber les barrières de la langue est indispensable.

Impliquer les parents dans le parcours scolaire de leur enfant a un effet sur son comportement et sa réussite scolaire. L’enfant a besoin de sentir un lien et une harmonie des idées, des valeurs, des pratiques qui se rencontrent à l’école.

 

 

Alice Pierard

 

 

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[1]L’UFAPEC s’est déjà préoccupée de la multiculturalité à l’école :

HOUSSONLOGE D., Comment vivre ensemble à l’école, dans une société multiculturelle ? , Analyse UFAPEC 2011 N°02.11

HOUSSONLOGE D., Va te faire intégrer ! 1e partie : l’apprentissage du français à l’école, clé pour l’intégration des élèves d’origine immigrée, Analyse UFAPEC 2011 N°07.11

HOUSSONLOGE D., Va te faire intégrer ! 1e partie : l’apprentissage de la langue et la culture d’origine à l’école, clé pour l’intégration des élèves immigrés, Analyse UFAPEC 2011 N°08.11

LONTIE M., Ma culture, ta culture, notre culture : choc ou rencontre ? Multiculturalisme, éducation et prévention, Analyse UFAPEC 2011 N°19.11

[2]POUDER M.C. et VARRO G., « La communication école-familles migrantes dans deux types de discours : une comparaison textes/terrain », Supplément au n°1 de la revue Plurilinguismes n°1 (1988), p42-55, 12 décembre 2006, http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/11/98/38/PDF/communicfamil.pdf, p 52-53

[3]ALTAY M., « Stigmatisation des jeunes issus de l’immigration à l’école », Diversités et citoyennetés, La Lettre de l’IRFAM, n°19, 2009, http://www.transfaires.org/irfam/e-journal-irfam-n-19.pdf, p11.

[4]BONNEFOND A. et MOURAUX D., A l’école des familles populaires, Collection L’école au quotidien, Editions Couleur livres asbl, Bruxelles, 2011, p26.

[5]ALTAY M., op cit., p7.

[6]SENORE D., Parents et profs d’école. De la défiance à l’alliance, Chronique sociale, Lyon, 2010, p100-101.

[7]HOUSSONLOGE D., Comment vivre ensemble à l’école, dans une société multiculturelle ? , Analyse UFAPEC 2011 N°02.11, p3.

[8]HOUSSONLOGE D., op cit., p5.

[9]BONNEFOND A. et MOURAUX D., op cit., p45.

[10]SENORE D., op cit., p96.

[11] MOREAU C., « Dossier 2. Partenaires dans l’éducation. », PROF, le magazine des professionnels de l’enseignement, décembre 2009, p35.  

[12]ALTAY M., op cit., p11.

[13]Interview de Christophe Parthoens., « Créer des liens entre les parents migrants et l’institution scolaire : le projet « Parents-Relais » à Visé », Diversités et citoyennetés, La Lettre de l’IRFAM, n°19, 2009, http://www.transfaires.org/irfam/e-journal-irfam-n-19.pdf, p15.

[14]Interview de Christophe Parthoens., op cit., p15.

[15]Interview de Christophe Parthoens., op cit., p16. 

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