Analyse UFAPEC septembre 2013 par A. Floor

17.13/ Orientation scolaire : mise en contexte

Introduction

Que l’on soit adolescent face à un choix d’études ou adulte en questionnement professionnel, s’orienter aujourd’hui est devenu particulièrement difficile. Les professions exercées sont de plus en plus mystérieuses, inaccessibles, de moins en moins visibles. Le monde professionnel est sans cesse mouvant, en constante évolution. La crise économique est là et fait peur, aussi bien aux jeunes qui sortent du secondaire et cherchent une orientation qu’à leurs parents qui ne savent plus que conseiller. Les jeunes vont dès lors avoir tendance à choisir des métiers connus, qui sont de notoriété publique. Certaines filières seront saturées alors que d’autres manquent de candidats. Comment choisir ? Sur base des centres d’intérêts du jeune ? Sur base de ses talents, de ses aptitudes ? Sur base des débouchés ? Aller au-delà du connu, oser interroger et investiguer demandent de l’audace, de la créativité et de la confiance en soi. Les écoles encouragent-elles leurs élèves dans cette voie d’exploration ? Le taux important d’échecs et d’abandons en 1è année supérieure est-il dû à une mauvaise orientation ? Quel est l’impact de la crise économique actuelle sur la trajectoire et les choix des jeunes qui achèvent actuellement leurs études secondaires ? Les conditions socioéconomiques ont aussi un impact sur les manières d’orienter, qu’est-ce qui a changé ?

Mise en contextes

Les mutations socio-économiques de notre société

Le concept du « métier pour la vie » a volé en éclats. Les itinéraires professionnels ne sont plus rectilignes : une formation, un métier. On observe de plus en plus dans une carrière professionnelle des changements de cap, des formations complémentaires, des périodes d’inactivité parfois, des réorientations... Une étude de l’OREFRA[1]en Rhône-Alpes est éloquente à ce sujet : les chercheurs ont observé dans la population active des moins de 35 ans, d’une part, ce que font les personnes qui ont tel ou tel diplôme et, d’autre part, quels sont les diplômes des personnes qui exercent telle ou telle activité professionnelle. Seulement 16% des titulaires du CAP ou BEP Mécanique auto exercent le métier de mécanicien auto, 9% sont au chômage. Par contre plus de 80 % exercent une activité où ils utilisent les compétences acquises en formation. Dans l’autre sens, parmi les mécaniciens auto, seulement 35% ont un CAP ou un BEP de mécanique auto.[2] Le jeune en choisissant telle étude ne va donc pas d’office accéder à tel métier. S’orienter dans le contexte actuel, ce n’est pas choisir un métier mais c’est construire petit à petit un chemin au fil des décisions prises, des personnes et des situations rencontrées.

Le paysage professionnel évolue aussi constamment ; certains métiers, certains emplois, certaines activités sont de moins en moins visibles. Pour preuve en est, cette action menée dans la région grenobloise où le comité d’entreprise a décidé de se mobiliser pour permettre à des jeunes de découvrir le milieu du travail. Ils ont effectué un repérage des « métiers » du site et ont découvert que certains d’entre eux n’avaient pas de titre : Ils ont constaté qu’un certain nombre d’activités professionnelles, momentanément stabilisées, n’avaient pas de nom. Dans ce contexte comment faire pour se repérer quand on ne prend pas la peine de nommer ce qui apparait, ce qui évolue, ce qui n’est plus comme hier ?[3]

Le parcours de formations ne se fait plus non plus en ligne droite comme auparavant. L’allongement des études et la diversification des filières et des options y sont pour quelque chose. Le jeune est donc confronté plus souvent à des choix et à des décisions à prendre. Si le monde économique est complexe et incertain, les mondes de la formation et de l’insertion sont eux aussi complexes et incertains[4].

La vie familiale est elle aussi davantage soumise à une plus grande incertitude et peut rencontrer diverses phases de décomposition/recomposition. Selon Francis Danvers[5], pour les jeunes d’aujourd’hui, l’avenir n’est plus vécu comme une trajectoire ascensionnelle, mais un chemin plus chaotique avec des expérimentations, des entrées et sorties, des bifurcations, des reconversions possibles. L’individu contemporain doit apprendre à gérer l’imprévisibilité dans sa vie personnelle et professionnelle, à s’orienter dans l’existence entre le risque et l’incertitude[6].

Cette insécurité sociale va impacter la manière d’envisager l’orientation scolaire et professionnelle. Une multitude de dispositifs de reconversion, de formation, d’orientation…vont voir le jour et à cela s’ajoute la multiplication des organismes et des professionnels chargés de faire des bilans de compétence, de produire du conseil, du soutien ou du coaching. L’approche théorique de l’orientation va prendre un tournant, elle aussi.

Les différentes conceptions de l’orientation

Historiquement, les services d’orientation n’existaient pas. La famille et le milieu d’origine jouaient ce rôle. L’orientation scolaire est apparue quand les familles ont aspiré à davantage de formations pour leurs enfants ; ce qui a augmenté le nombre de jeunes scolarisés en secondaire. Des procédures de plus en plus poussées ont vu le jour pour gérer les flux de jeunes qui allaient de plus en plus loin dans leurs études.  L’orientation scolaire a été créée en Belgique en 1936. En marge des institutions scolaires proprement dites, la loi organise des centres psycho-médico-sociaux (PMS) destinés à assurer une guidance des élèves. Chaque centre assure la guidance pour une série d’établissements scolaires totalisant ainsi au minimum cinq mille élèves (enseignement maternel, primaire, secondaire). Ce service est assuré gratuitement aux écoles[7] . Selon Raymonde Defrenne[8], être orienté par ses parents, l’école, un conseiller d’orientation, son responsable hiérarchique était dans l’ensemble assez bien accepté par la population dans la mesure où le pays connaissait une situation de plein emploi[9]. Dans une grande partie du XXè siècle, l’orientation consistait à mesurer les aptitudes de chacun afin de l’affecter rationnellement en fonction des métiers disponibles. Henri Piéron, fondateur de l’Institut national de l’orientation professionnelle en France (INOP) en 1928, arguait que chacun peut exceller dans un domaine particulier et qu’il revient au conseiller d’orientation professionnelle de déterminer ce domaine par l’analyse scientifique des aptitudes de chacun[10].

Dans le contexte économique actuel, les risques de l’orientation et de l’insertion professionnelle sont trop grands que pour que les individus acceptent encore d’être placés comme des pions. Aussi le discours a évolué et le jeune reçoit de plus en plus souvent le conseil de faire ce qui lui plait, de suivre ses passions et que sa motivation fera le reste. L’orientation se fonde désormais sur l’aide à la formulation de projets tenant compte des motivations plus que des aptitudes. A partir des années 1980, l’orientation a été conçue en termes de « projet » et d’ « éducation des choix »[11]. Cette approche revient à tout mettre dans les mains du jeune qui  est seul responsable de son orientation en suivant ses désirs et ses aspirations. Et face à cela, beaucoup de jeunes se trouvent désemparés parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils veulent faire.  Et c’est tout le paradoxe de l’orientation contemporaine ; les étudiants sont invités à faire un choix d’avenir autonome mais dans un univers peuplé d’incertitudes et sans avoir appris à choisir. Un lycéen de 18 ans n’a connu au cours de sa courte vie –dont quinze ans d’école- que des livres, cahiers, tableaux noirs, profs et écrans d’ordinateur. Et le voilà amené à faire un choix de métier ![12] . Comme en témoigne Daphné, étudiante en dernière année de psycho : En juin, j’étais dans le flou complet. Le rendez-vous au PMS n’avait rien donné, celui avec un conseiller en orientation non plus. Finalement, j’ai parcouru tous les guides du CEDIEP[13], en mettant des post-it à toutes les pages qui m’intéressaient. De cette façon, j’ai établi une liste de métiers auxquels je n’aurais sans doute jamais pensé, comme ergothérapeute, psychologue ou monteuse cinéma. Je me suis renseignée sur ces différentes pistes, et cela m’a conduite à m’inscrire en psycho à l’unif. Bien m’en a pris, j’adore ce que je fais[14].

Certains théoriciens de l’orientation[15] défendent  une nouvelle perspective d’orientation laquelle s’inscrit dans un projet de vie plus global, le « life designing ». L’orientation est placée dans un contexte plus large d’orientation tout au long de la vie. Globalement, s’orienter, ce n’est plus choisir une formation ou un métier, c’est s’orienter dans la vie. (…) L’école, le travail sont vécus par nos contemporains comme des parcours d’orientation, c’est-à-dire des parcours d’obstacles à répétition[16].

Les caractéristiques de ce nouveau modèle du self designing sont les suivantes :

  • Les possibilités d’orientation sont liées au contexte (plus seulement basé sur les motivations et les aptitudes) : le conseiller d’orientation va tenir compte de la dimension familiale, des projets personnels…
  • L’orientation est conçue comme un processus non linéaire aux perspectives multiples
  • Approche constructiviste qui s’inscrit dans une optique au long cours qui intègre les expériences du sujet, la mise en récit de sa vie.

Certains professionnels tout en reconnaissant  l’intérêt de cette approche en pointe une faiblesse majeure : qui va assurer dans les écoles cette approche globale ? Le conseiller d’orientation[17]  est-il à même de sortir du cadre des choix scolaires et professionnels pour envisager avec l’orienté le « contexte personnel » et donc souvent intime dans lequel s’effectuent ces choix ? Le conseiller d’orientation pourrait-il vraiment se muer en une sorte de conseiller de vie qui accompagnerait l’élève, l’étudiant au cours de ce long parcours semé d’épreuves et d’embûches qu’est la vie ?[18]

Et aujourd’hui en Fédération Wallonie-Bruxelles, qu’est-ce qui est proposé à nos jeunes en matière d’orientation ?

Actuellement, plusieurs pistes sont proposées aux élèves du secondaire : le supermarché de l’information (salons, journée sur les métiers, guides, publications…), le développement de l’auto évaluation informatisée (face à son écran, le jeune répond à des questionnaires pour cerner qui il est), la rencontre avec des professionnels de l’orientation et de l’insertion, les opérations des diverses associations qui travaillent dans le domaine de l’information et de l’orientation (SIEP[19], CEDIEP[20], Infor Jeunes, CIO[21]…),  l’avis des parents et des proches, les actions diverses menées par les écoles et très variables en fonction de chaque établissement scolaire…  Un des acteurs institutionnels de l’orientation scolaire est le centre

PMS qui est composé de personnel médical, psychologique et social. Une de ses missions se rapporte à l’orientation scolaire. En effet, le centre PMS communique en toute indépendance des avis d’orientation relatifs aux choix d’option, d’études, de formation ou d’établissement, après examen de l’élève ou entretien avec lui et sa famille. Les articles 21 à 23 du Décret « Missions » font une obligation à l’école et aux centres PMS de prendre en charge l’orientation des élèves. Par ailleurs, l’article 32 du même décret donne la possibilité aux écoles d’organiser pour leurs élèves du troisième degré (5è et 6è secondaires) des activités d’information et d’orientation durant l’équivalent de deux semaines (10 jours). Nous allons dans l’analyse suivante[22] voir ce qui se passe concrètement dans les écoles et ce qu’en pensent les différents acteurs (directions et agents des centres PMS, enseignants,  préfets, éducateurs, directeurs, sous-directeurs). Une responsable d’un centre PMS déclare qu’il faut susciter à l’école l’émergence d’une réflexion des jeunes sur leur projet personnel. Les activités d’information/orientation sont en effet peu productives si elles restent ponctuelles (comme c’est actuellement le cas dans une majorité d’établissements scolaires) et ne s’inscrivent pas dans un processus continu d’orientation positive tout au long du parcours scolaire secondaire[23]. Pour l’UFAPEC, la mise en place d’un réel travail de partenariat école-centre PMS est indispensable pour accompagner le jeune dans la maturation de son projet personnel. Les agents PMS déplorent cependant le manque de formation en orientation (ils se forment sur le tas, il n’existe pas de formation spécifique de conseiller d’orientation comme cela existe en France par exemple) et surtout le manque de moyens (trop d’élèves à encadrer pour un seul intervenant). Par ailleurs, la question de l’orientation doit être envisagée bien plus tôt que dans le troisième degré du secondaire[24] ; en effet, bon nombre d’élèves se retrouvent orientés en fin de deuxième année secondaire en technique ou en qualification sans avoir bénéficié d’une aide à l’orientation. Une attestation AOB leur a été délivrée sur base de leurs résultats scolaires et non en fonction de leurs objectifs personnels, de leurs centres d’intérêt.  Beaucoup d’élèves du professionnel n’atteignent pas le 3è degré ou le quittent sans avoir obtenu de certificat ni de qualification ni a fortiori de CESS, il serait bien plus utile de prévoir  ces 10 jours d’orientation dans le 2è degré du professionnel. Les élèves du général sortent bien souvent du secondaire sans aucune idée de quoi faire plus tard comme en témoigne Jonathan Cransfeld qui préside l’Union des Etudiants de la Communauté Française (Unecof) : J’assistais récemment à des salons du SIEP. C’est dingue, le nombre d’élèves qui font le secondaire général parce qu’ils ne savent pas quoi faire, parce qu’ils sont indécis. Moi, sur mes six années du secondaire, on ne m’a jamais orienté. Pas une fois ![25]

Regards de l’enseignement supérieur sur les étudiants fraîchement diplômés du secondaire

Des chiffres

Parmi les 55.398 étudiants inscrits en 1è année de bachelier en 2008-2009, 45,2 % se trouvent en 2è année en 2009-2010. Ce taux varie suivant le sexe (39,7 % pour les hommes et 49,9 % pour les femmes) et suivant l’âge de l’étudiant en 1è année. Dans l’enseignement supérieur hors universités, 26,0 % des étudiants de 1è année en 2008-2009 ne sont plus répertoriés dans la base de données en 2009-2010 (abandon), ils sont 26,9 % dans les universités. Dans l’enseignement supérieur hors universités, 28,1 % des étudiants recommencent une 1è année (redoublement : 17,1 % ou réorientation : 11,0 %), ils sont 29,3 % dans les universités (redoublement : 22,3 % ou réorientation : 7,0 %)[26]. Les chiffres de réorientation sont cependant à nuancer puisqu’un étudiant peut être considéré en abandon dans la base de données des universités alors qu’il se réoriente vers l’enseignement supérieur hors universités (SHU). L’inverse est plus rare mais peut cependant également exister.

Facteurs déterminants pour la réussite en 1è année du supérieur

Dans les critères influençant le taux de réussite dans l’enseignement supérieur, il y a l’âge, la forme d’enseignement secondaire suivie etle genre. Dans l’enseignement supérieur de type court, les étudiants entrant « à l’heure » (18 ans et moins) réussissent mieux que les étudiants entrant « en retard » (19 ans et plus), 52,7% pour les premiers et 32,1% pour les seconds. La proportion des étudiants qui viennent de l’enseignement secondaire général (50,7% de taux de réussite) est supérieure à celle des étudiants issus du secondaire technique de transition (44,6% de taux de réussite) pour 27% de taux de réussite pour les étudiants qui viennent du technique de qualification et 13,1% pour ceux qui sont issus du secondaire professionnel. Ces différences de taux vont aller en s’accentuant au fur et à mesure que l’on passe au supérieur de type long et puis à l’université. Le plus significatif étant la forme d’enseignement secondaire suivie pour l’enseignement supérieur de type long : 39,7% de taux de réussite pour le secondaire général, 18,1% pour le technique de transition et 13,3% pour le technique de qualification[27].

Regards croisés

Les causes de l’échec dans l’enseignement supérieur sont multiples, une mauvaise orientation en fait partie, mais dans quelle mesure ? Les élèves qui ont bénéficié d’un programme d’éducation au choix, d’un accompagnement à la construction d’un projet personnel, d’une information et d’une guidance ont-ils plus de chances de réussir leurs études supérieures ? Il est aussi important d’envisager l’orientation sur le long terme : un étudiant peut avoir brillamment réussi ses études supérieures et ne pas trouver sa place professionnellement en fin de compte. Le critère de réussite des études supérieures n’est donc pas de facto synonyme de bonne orientation.

Mécanismes de choix d’études supérieures et impacts sur la première année d’études supérieures

Marc Romainville[28] et une équipe de chercheurs ont  mené une étude[29]consacrée aux mécanismes de choix d’études supérieures, à l’impact de ces différents facteurs sur la motivation. Ils ont également analysé le rapport aux études que les étudiants développent tout au long de leur première année dans l’enseignement supérieur. L’idée de départ de cette étude a été d’infirmer ou de confirmer la conception classique selon laquelle on considère qu’un étudiant qui choisit sa filière d’études supérieures en fonction d’un projet personnel mûrement réfléchi maximise ses chances de réussite. Cette notion sous-tend un grand nombre d’actions développées dans les écoles secondaires, est-elle vraiment adéquate ? Les chercheurs ont mis en avant que le trajet projet personnel-réussite des études n’est pas aussi linéaire qu’on a pu le penser : Bref, la relation entre le projet et la réussite est plus complexe qu’il n’y paraît à première vue. Tout projet ne mène pas à la réussite. Et toute réussite ne suppose pas nécessairement un projet[30].

Les conclusions de l’étude sont étonnantes. Il ressort que certains étudiants ont parfois fait des choix sous la contrainte, ils sont nommés par les chercheurs les étudiants « forcés et contraints ». Ils se sont limités eux-mêmes au nom de ce qu’ils pensent qu’il leur est possible de réaliser compte tenu de leur passé scolaire[31]et non pas en fonction de leurs aspirations et désirs. Ce constat a aussi été fait par une équipe de chercheurs du Girsef : il apparait en effet que les élèves des écoles « faibles » ont tendance à se surestimer et que ceux des écoles « fortes » ont tendance à se sous-estimer. Ce décalage entre aspirations et sentiment de compétence est mis en relation avec les règles institutionnelles d’accès à l’enseignement supérieur qui prévalent actuellement en Belgique francophone et qui rendent difficile pour un élève d’évaluer son niveau scolaire autrement que par rapport à une norme locale, celle de la classe et de l’établissement scolaire fréquenté[32]. Dans-ce cas-là, le concept même de projet perd de son sens puisqu’il ne représente plus une « exploration d’opportunités dans un environnement ouvert »[33]. Interrogés en début de première année, un tiers d’entre eux se disent déjà moyennement déçus en octobre. A la fin de l’année, cinqétudiants « forcés et contraints » sur 9 échouent et se réorientent dans d’autres filières, pas toujours en lien avec les premiers choix. D’autres étudiants évoquent principalement, comme justifications de leur choix d’études, des projets professionnels. Ils sont guidés par des représentations, à moyen terme, de situations professionnelles futures qu’ils pensent pouvoir rendre réelles grâce à leurs études, considérées dès lors comme un moyen. Sept étudiants au projet professionnel sur 11 échouent et redoublent leur première année dans la même filière, sauf l’un d’entre eux qui change de niveau d’études, en abandonnant les études universitaires longues pour s’inscrire dans une filière courte hors université, mais toujours dans le même secteur. Le projet professionnel ne constitue donc pas toujours un moteur pour les études mais reste tenace puisqu’ils tentent quasiment tous leur chance l’année suivante. Le troisième profil est constitué d’étudiants « éclectiques et convergents ». Ceux-ci ont, pour arrêter leurs choix d’études, fait une combinaison d’éléments issus de divers domaines :leurs intérêts intellectuels, leurs compétences acquises, majoritairement confirmées par leur entourage, et l’utilité sociale, voire économique, du diplôme auquel mènent les études choisies[34]. Sept étudiants « éclectiques et convergents » sur neuf réussissent et poursuivent leurs études dans la filière choisie au départ.

Les « étudiants au projet professionnel » ne réussissent pas mieux que les autres.  Comment expliquer ce résultat qui met à mal la rhétorique du projet, surtout professionnel, dominante lors de la transition entre le secondaire et le supérieur ? Le fait de disposer d’un projet professionnel ne garantit manifestement pas une motivation et un investissement régulier dans le travail universitaire quotidien. Le projet ne garantit donc pas le travail et, inversement, des étudiants « sans projet », même « forcés et contraints », peuvent réussir parce qu’ils vont exercer efficacement leur métier d’étudiant pour d’autres raisons, parfois plus triviales : par routine tant ils ont intériorisé une sorte d’habitus scolaire, par souci de faire plaisir aux parents, …L’existence d’un projet professionnel n’est pas non plus synonyme d’attrait pour les contenus des cours eux-mêmes. Il semble donc de moins en moins fondé de prétendre qu’une réflexion sur le projet, en tout cas professionnel, de l’étudiant universitaire constituerait le gage d’une transition réussie vers ce niveau d’enseignement. Plus fondamentalement, il s’agirait de favoriser la construction, chez les étudiants, d’un rapport au savoir compatible avec celui qui sera privilégié dans les formations universitaires, ce qui impliquerait sans doute, outre des pratiques pédagogiques qui explicitent davantage le type de rapport au savoir attendu[35].

Profils d’étudiants qui décrochent

Un groupe interfacultaire constitué à l’initiative d’Interfaces[36]réfléchit depuis février 2007 au passage secondaire-supérieur, particulièrement à partir de cas d’étudiants qui « décrochent » après une semaine, un mois, après la première session d’examens…L’objectif de ce groupe de travail est de guider les enseignants du secondaire dans leurs pratiques d’orientation : A partir de ces partages d’expériences, le groupe a brossé quelques profils d’étudiants qui posent question. Il s’agit donc de témoignages de praticiens, et non des conclusions d’une étude systématique et statistique du décrochage scolaire. Cette proposition de typologie pourrait servir de base à une réflexion sur les pratiques pédagogiques et éducatives au sein des collèges[37].

Les profils d’étudiants qui posent question sont de 5 types. Il y a tout d’abord ceux qui semblent afficher une sorte d’excès de confiance : ils ont réussi leurs études secondaires sans trop travailler. Du coup, ils ne s’y mettent que fort tard voire pas du tout. Les enseignants du supérieur se demandent comment ils pourraient prendre conscience de leur situation réelle ? Devraient-ils recevoir d’autres informations sur les attentes de l’université ? Recevoir un choc salutaire ? La deuxième catégorie comprend ceux qui manquent de motivation : ils se sont inscrits dans une telle faculté, ne sont pas sûrs d’avoir fait le bon choix. Viennent ensuite ceux qui manquent d’autonomie ou de capacité d’initiative : ils sont au courant des remédiations mais ne s’y rendent pas, ils n’osent pas demander de l’aide… La quatrième catégorie concerne les étudiants qui disent se trouver très isolés, qui kottent loin de leur famille, ne connaissent personne dans leur orientation d’études…Les étudiants qui font partie de la cinquième catégorie sont ceux qui ont comme projet principal de vivre leur vie d’étudiant : (…) leur choix d’études ne signifie ni engagement ni responsabilités, que ce soit vis-à-vis de leurs parents ou vis-à-vis de la société, par exemple. Même si cette typologie semble un peu caricaturale, elle peut cependant éclairer à la fois enseignants et parents sur ce qui peut achopper en première année du supérieur. Présenter de manière brute ces écueils aux jeunes de secondaire en recherche d’orientation risque bien de provoquer plus de peur et de stress que de constituer un moteur.

Non à un choix d’études en fonction du marché du travail, selon la FEF

Dans son dernier communiqué de presse de juin dernier, la FEF[38]  aborde la question de savoir s’il faut choisir ses études en fonction des débouchés.  La Fédération juge important de rappeler que les filières dites plus porteuses sont mouvantes. Nul ne peut prévoir l’évolution du marché au cours de ses études. La FEF rappelle aussi que le taux de chômage des jeunes aujourd’hui n’est pas dû à leurs choix d’études mais bien à un problème économique plus large. Il faut voir l’enseignement comme vecteur de prospérité, comme un investissement dans l’avenir de notre société, comme une réponse à la crise que les jeunes traversent aujourd’hui, explique David Mendez Yepez, Président de la FEF. L’article conclut qu’il ne faut pas céder à la tentation d’assujettir l’enseignement aux besoins de court terme du marché pour espérer faire diminuer le taux de chômage. Et ce n’est pas aux entreprises de définir les objectifs de l’enseignement obligatoire ou supérieur. Au contraire, il faut permettre aux jeunes d’accéder à des formations solides de leur choix sans être victimes de la crise à la sortie de leurs études[39].

Le regard des managers RH, recruteurs et entrepreneurs sur les jeunes embauchés[40]

En 2006, une équipe de recherche d’ICHEC-PME[41] et de l’EHSAL[42] a sondé 442 professionnels (40,6% de managers RH et recruteurs et 59,4% d’entrepreneurs) sur la manière dont les jeunes sont préparés à leur carrière professionnelle. Quelles activités estiment-ils utiles pour les préparer à leur vie professionnelle à venir ? Quelles sont les compétences humaines qu’ils jugent indispensables pour exercer leur métier ?

72% des professionnels interrogés pensent que les jeunes ne sont pas bien préparés à la vie professionnelle. La connaissance de soi, de leurs aptitudes et compétences s’avère aussi un point faible. Pour seulement 12 % des répondants, les jeunes ont une image réaliste de leurs capacités. 88 % des répondants sont convaincus que plus d’informations sur les professions peut contribuer à éviter aux jeunes de faire de mauvais choix d’études. Les actions qu’ils jugent utiles sont les stages, les rencontres avec des professionnels, les jobs de vacances et la participation à des simulations d’entreprises.

Conclusion

Les contextes économiques, socio-économiques et relationnels sont mouvants et nos jeunes doivent faire des choix sans trop savoir de quoi demain sera fait. Plusieurs recherches démontrent que se concentrer essentiellement sur un projet professionnel peut parfois court-circuiter l’accès au savoir et au savoir universitaire en particulier. Il ressort également que ce travail sur le projet en fin de secondaire enferme certains élèves plutôt que de leur ouvrir des portes et d’envisager tous les possibles. Ils se dirigeront vers ce pour quoi ils se pensent capables et non pas vers ce qui les intéresse. Selon l’UFAPEC, apprendre au jeune à choisir librement sera la clé de voûte d’un cheminement vers un processus décisionnel. Une bonne orientation est le fruit d’une conjonction de plusieurs facteurs (aspirations personnelles,  intérêts intellectuels,  compétences acquises, utilité sociale, voire économique, du diplôme), d’où l’intérêt d’y consacrer du temps. Et ce n’est pas à 18 ans, à la fin (théorique) du secondaire que la réflexion doit s’amorcer. Elle doit s’enclencher bien avant et dans tous les lieux de vie de l’enfant (maison, école, …). Susciter la curiosité de l’enfant ou d’un adolescent vers le monde du travail, vers les activités humaines qui  font vivre notre société au quotidien est du ressort de chacun. Parler de son métier, participer à des journées « Découvertes entreprises », aux journées « place aux enfants » organisées par les communes, se rendre à des journées Portes Ouvertes dans des établissements scolaires techniques et professionnels sont autant d’activités qui favoriseront un libre choix du jeune et démystifieront peut-être l’image que nous renvoient trop souvent les médias : une société qui semble laisser si peu de place aux jeunes et à leur créativité. S’orienter se décline en  recherche d’informations sur les programmes d’études, en confrontation avec la réalité des personnes qui exercent le métier rêvé, en interactions avec la famille, les enseignants, des adultes qui font sens …

 

Anne Floor

 

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[1]Observatoire régional Emploi Formation Rhône-Alpes

[2]R. Defrenne, Orientation et éducation à l’orientation tout au long de la vie, in L’Indécis n°51, septembre 2003, p.3.

[3]Ibidem, p.1.

[4] R. Defrenne, op.cit, p.4.

[5]Francis Danvers est professeur en sciences de l’éducation à l’Université Lille-III. Auteur notamment de S’orienter dans la vie : une valeur suprême ? Essai d’anthropologie de la formation, Presses universitaires du Septentrion, 2009.

[6]F. Danvers, Comment s’orienter dans l’existence ?, Article de la rubrique « Les épreuves de la vie », Mensuel n°216, juin 2010, Magazine des Sciences Humaines.

[7]extrait du « dossier national » figurant dans Eurybase d’Eurydice – http://www.eurydice.org.

[8]Raymonde Defrenne est formatrice et Vice-présidente de l’Association Trouver/Créer. Elle est  conseillère d’orientation  et  s’est spécialisée dans la formation initiale et continue des acteurs de l’orientation.

[9]R. Defrenne, op.cit, p.6.

[10]F. Danvers, op.cit.

[11]F. Danvers, op.cit.

[12]J-F. Dortier, Qu’est-ce que tu veux faire plus tard ?, Article de la rubrique « Les épreuves de la vie », Mensuel n°216, juin 2010, Magazine des Sciences Humaines.

[13]Le CEDIEP est un centre de documentation et d’information sur les études et les professions.

[14]Interview recueillie dans un article de A.Fevre « Il ne sait pas quoi faire après sa rhéto » in Femmes d’Aujourd’hui, n°24 du 13 juin 2013, p.38.

[15]9 chercheurs de 7 pays d’Europe et des Etats-Unis ont signé un manifeste pour cette nouvelle conception de l’orientation, voir J.Guicard et E. Vignoli (dir.), « S’orienter, construire sa vie », L’Orientation scolaire et professionnelle, numéro spécial, vol. XXXIX, n°1, 2010.

[16]F. Danvers, op.cit.

[17]Le conseiller d'orientation-psychologue en France est un spécialiste du conseil individuel en orientation. Il aide l'élève et l'étudiant, également les adultes, à mieux se connaître, à mieux se situer, à repérer les informations utiles, à s'organiser dans son choix. Il intervient auprès des jeunes du collège, du lycée ou des universités et auprès d'un public plus large dans les centres d'information et d'orientation (C.I.O). Les conseillers d'orientation sont recrutés sur concours après au minimum une licence de psychologie et suivent une formation de deux ans dans un centre de formation afin d'obtenir le DECOP (Diplôme d'État de conseiller d'orientation-psychologue).

[18]J-F. Dortier, op.cit.

[19]Service d’Information sur les Etudes et les Professions

[20]Centre de Documentation et d’Information sur les Etudes et les Professions

[21]Centre d’Information et d’Orientation de l’Université catholique de Louvain-la-Neuve

[22]A. Floor,  Orientation scolaire : qu’est-ce qui se fait dans nos écoles ?, Analyse UFAPEC n°, août 2013.

[23]CEF - Deux semaines pour l’orientation au 3è degré secondaire – dossier d’instruction  - 25 avril 2008. http://www.cef.cfwb.be/fileadmin/sites/cef/upload/cef_super_editor/
cef_editor/Avis/CEF_Avis_101_DI.pdf
lien consulté le 16/07/2013.

[24]Pour rappel, le Décret Missions a défini les moyens accordés aux écoles pour l’orientation des élèves : Chaque établissement peut affecter l’équivalent de deux semaines réparties sur l’ensemble du troisième degré à des activités destinées à favoriser la maturation par les élèves de leurs choix professionnels et des choix d’études qui en résultent.

[25]P. Bouillon, L’école secondaire prépare-t-elle valablement à l’école supérieure ?,La question du mercredi in Le Soir du 23 avril 2012.http://blog.lesoir.be/salledesprofs/2012/04/23/la-question-du-mercredi-lecole-secondaire-prepare-t-elle-valablement-a-lecole-superieure/lien vérifié le 18/07/2013.

[26]Observatoire de l’Enseignement Supérieur, 3.3 Réussite, réorientation, redoublement et abandon en 1è année de bachelier http://www.oes.cfwb.be/index.php?id=33russite

[27]Observatoire de l’Enseignement Supérieur, op.cit.

[28]Docteur en sciences de l’éducation, Marc ROMAINVILLE est professeur à l’Université de Namur, en Belgique. Il y est responsable du Service de Pédagogie Universitaire et directeur du Département Éducation & Technologie. Ses domaines privilégiés de recherche concernent l’échec dans l’université de masse, les pratiques étudiantes et les mutations des pratiques enseignantes à l’université.

[29]Sandrine Biémar, Marie-Christelle Philippeet Marc Romainville, « L’injonction au projet : paradoxale et infondée ? », L'orientation scolaire et professionnelle [En ligne], 32/1 | 2003, mis en ligne le 01 mars 2006, consulté le 22 juillet 2013. URL : http://osp.revues.org/3167 ; DOI : 10.4000/osp.3167

http://osp.revues.org/3167 ; DOI : 10.4000/osp.3167

[30]Sandrine Biémar, Marie-Christelle Philippeet Marc Romainville, op.cit.

[32]H. Draelants et S. Braeckman, Aspirations et sentiment de compétence à suivre des études supérieures. L’établissement scolaire comme contexte de comparaison sociale – Les Cahiers de recherche du Girsef n°93-Mai 2013.

[33]Boutinet, J.-P.,  Anthropologie du projet, Paris, P.U.F., 1999.

[34]S. Biémar, M-C. Philippe et M. Romainville, op.cit.

[35]S. Biémar, M-C. Philippe et M. Romainville, op.cit.

[36]Au carrefour de la recherche fondamentale et des réalités du terrain, le centre Interfaces vise à "mettre en face à face" différents acteurs : le secondaire et l’université, la recherche fondamentale et la pratique de l’enseignement, les différents milieux sociaux. http://www.jesuites.be/Centre-Interfaces.htmllien vérifié le 22 juillet 2013.

[37]C. Cambier en collaboration avec D. Bertrand, Fr-X. Druet, M. van der Brempt et l’équipe pédagogique du Centre Interfaces, Du projet personnel de l’élève (P.P.E.) à l’école du choix, Cahiers pédagogiques, Centre Interfaces, octobre 2008, p. 22.

[38]La FEF est la Fédération des Etudiants Francophones. C’est une asbl qui a pour objet la représentation, l’information, la formation et la participation de ses membres, les conseils étudiants (CE/AGE).

[41]ICHEC-PME est le centre de formation spécialisé en gestion de PME et en entrepreneuriat de l'ICHEC, une école de gestion située à Bruxelles.

[42]De EHSAL Management School (EMS) est l’école de management van de Hogeschool-Universiteit Brussel.

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