Analyse UFAPEC juin 2012 par A. Pierard

18.12/ Intégration dans l’ordinaire, prémisse à l’insertion sociale des élèves à besoins spécifiques ?

Introduction

Avec le décret du 5 février 2009 apportant des modifications au décret du 3 mars 2004, nous avons un cadre légal et des moyens donnés à l’enseignement spécialisé pour organiser l’intégration des élèves à besoins spécifique dans l’enseignement ordinaire.

Auparavant, il existait déjà des projets d’intégration menés entre certains établissements scolaires mais le nouveau cadre légal a engendré l’essor de l’intégration des élèves à besoins spécifiques dans l’enseignement ordinaire, augmentant le nombre d’écoles collaborant et le nombre d’élèves intégrés.

Face à la volonté du cabinet de la ministre Marie-Dominique Simonet, en charge de l’enseignement, on constate effectivement que l’intégration prend de plus en plus d’ampleur dans le milieu scolaire. Il y a eu une réelle évolution de l’enseignement spécialisé et de l’enseignement ordinaire pour aller l’un vers l’autre, se tendre la main.

« Par l’intégration scolaire, il y a l’espoir de changer les représentations négatives et exclusives que l’on a de la personne handicapée pour qui bien des portes restent fermées. C’est pourquoi, l’intégration des élèves à besoins spécifiques représente un enjeu important de société qui va bien au-delà du domaine éducatif. En intégrant la personne handicapée dès le plus jeune âge, il y a l’espoir et la volonté que le handicap soit démythifié.[1] »

Mais qu’en est-il effectivement ? Ce nouveau cadre légal a-t-il changé les regards sur la personne handicapée ? L’intégration dans l’enseignement ordinaire des élèves à besoins spécifiques permet-elle une meilleure insertion sociale pour ces élèves ? Intégration oui mais à quelles conditions  pour l’élève, sa famille et l’école ?

L’intégration dans l’enseignement ordinaire

Rachel Sermier définit l’intégration scolaire comme « l’enseignement en commun d’enfants en situation de handicap et d’enfants dits normaux dans le cadre de classes ordinaires tout en leur apportant le soutien nécessaire (pédagogique et thérapeutique) pour faire face aux besoins spécifiques, dans leur environnement, sans avoir recours à la séparation scolaire. L’intégration est une mesure pédagogique qui est appliquée en garantissant une prise en charge adéquate et individualisée de tous les enfants. Elle a pour but une intégration optimale dans notre société.[2] »

L’intégration des élèves à besoins spécifiques dans l’enseignement ordinaire a pu bénéficier d’une évolution juridique positive. Dans un premier temps, le décret du 3 mars 2004 accorde des moyens à l’enseignement spécialisé pour accompagner l’intégration des élèves relevant des types 4 (pour les élèves atteints de déficiences physiques), 6 (pour les élèves atteints de déficiences visuelles) et 7 (pour les élèves atteints de déficiences auditives) dans l’enseignement ordinaire. Avec le décret du 5 février 2009, l’intégration dans l’enseignement ordinaire est pensée pour tous les élèves des huit types de l’enseignement spécialisé.  

L’intégration dans l’enseignement ordinaire pour les élèves ayant des besoins spécifiques peut prendre trois formes différentes:

  • L’intégration permanente totale
  • L’intégration permanente partielle
  • L’intégration temporaire partielle

L’élève en intégration permanente totale poursuit toute sa scolarité dans l’enseignement ordinaire. En fonction de ses besoins spécifiques, il peut bénéficier d’un accompagnement assuré par l’enseignement spécialisé et de la gratuité des transports scolaires vers l’école d’enseignement ordinaire.

L’élève en intégration permanente partielle suit certains cours dans l’enseignement ordinaire et les autres dans l’enseignement spécialisé pendant toute l’année scolaire concernée.

L’élève en intégration temporaire partielle suit une partie des cours dans l’enseignement ordinaire et les autres dans l’enseignement spécialisé pour une partie définie de l’année scolaire.

Dans les projets d’intégration partielle (permanente ou temporaire), un accompagnement de l’élève est aussi assuré par l’enseignement spécialisé.

L’élève en intégration partielle aura droit aux transports scolaires gratuits vers son école de l’enseignement spécialisé et non vers l’école d’enseignement ordinaire.

L’intégration est un travail de collaboration entre les directions et les équipes pédagogiques des deux écoles impliquées et motivées. Les centres PMS (psycho-médico-sociaux), celui rattaché à l’école spécialisée et celui travaillant avec celle de l’ordinaire, sont eux aussi associés à la procédure, au projet d’intégration défini par les partenaires.

Evidemment, les parents de l’élève sont eux aussi impliqués dans le projet, la démarche d’intégration scolaire.

Cette collaboration entre partenaires éducateurs permet de mettre en place un protocole d’intégration. Ce protocole reprendra et rassemblera le projet d’intégration, les modalités de concertation, l’accord des deux centres PMS, l’accord des deux directions et l’accord des parents ou de l’élève majeur.

Dans le cas d’une intégration permanente totale, le protocole contiendra aussi l’avis de la commission consultative des transports scolaires permettant celui-ci vers l’établissement d’enseignement ordinaire.

Comme nous l’avons annoncé dans notre étude de 2011 consacrée à l’enseignement spécialisé[3], le nombre d’élèves relevant de l’intégration dans l’enseignement ordinaire a connu une augmentation depuis 2004, surtout suite au décret de 2009 officialisant et soutenant l’intégration. Par rapport aux 188 élèves intégrés durant l’année scolaire 2004-2005, nous pouvons compter 1155 élèves en intégration pour l’année scolaire 2011-2012.

[4]

 

Alors que certains pensaient que de rendre possible l’intégration dans l’enseignement ordinaire pour tous les élèves ayant des besoins spécifiques annoncerait la fin de l’enseignement spécialisé ; l’avis de Jean-François Delsarte, conseiller enseignement spécialisé au cabinet Simonet, est tout autre : « désenclavé et positionné comme un partenaire possible et comme un centre de ressources pour l’enseignement ordinaire.[5] » L’enseignement spécialisé et l’enseignement ordinaire collaborent en utilisant l’expérience de l’enseignement spécialisé pour répondre aux besoins spécifiques de ces élèves.

Richesses de l’intégration

Comme l’expose Jean-Jacques Detraux[6], l’intégration scolaire profite non seulement à l’élève à besoins spécifiques et à sa famille, mais aussi aux élèves de l’enseignement ordinaire, aux enseignants de l’enseignement spécialisé comme de l’enseignement ordinaire, et à la société de manière générale.

Tout d’abord, l’intégration est profitable pour l’élève ayant des besoins spécifiques. Cela lui apporte une meilleure image et estime de soi. Il apprend aussi à développer son autonomie. Par la rencontre des élèves de l’enseignement ordinaire, il pourra construire et élargir son réseau social.

L’intégration est aussi vécue de manière positive par« sa famille, qui peut espérer dans le cadre de son projet de vie, une véritable intégration présente et à venir dans un environnement plus ou moins proche et éviter des effets négatifs pouvant être présents s’il relevait de l’enseignement spécialisé comme le stigmate, la ségrégation scolaire (…).Toutefois, il y a lieu de bien comprendre que le but de l’intégration n’est pas que tous les enfants atteignent les mêmes compétences à l’issue de leur scolarité mais bien qu’ils aient développé divers apprentissages au meilleur de leurs potentialités.[7] »

Concernant les élèves de l’enseignement ordinaire, il s’agit de rencontrer la différence, dans la tolérance et le respect. L’intégration scolaire permet de faire tomber les stéréotypes pour une meilleure acceptation de l’autre.

Un projet d’intégration est aussi très riche pour les enseignants. Ceux de l’enseignement ordinaire découvrent et développent d’autres méthodes, vivent une expérience professionnelle enrichissante. Pour ceux de l’enseignement spécialisé, leur expérience est valorisée.

Il s’agit donc d’une expérience enrichissante pour tous. L’intégration scolaire nous apprend à vivre ensemble dans la rencontre de la différence, la tolérance, le respect et la solidarité. L’intégration des élèves à besoins spécifiques dans l’enseignement ordinaire a donc un enjeu sociétal qui est de favoriser l’insertion sociale des personnes ayant un handicap.

Précisons ici qu’il ne faut pas penser l’intégration à tout prix. C’est un projet individuel à réfléchir et construire selon le profil et le parcours scolaire du jeune à besoins spécifiques.

Nous prenions déjà position dans l’étude en défendant que « l’intégration peut être une chance pour l’élève à besoins spécifiques mais pas n’importe comment ni à n’importe quel prix. Il ne suffit pas d’accueillir l’élève et encore moins de « gommer sa différence ». Avant le décret 2004, certains élèves faisaient l’objet d’intégration « sauvage » sans moyen, sans réflexion approfondie et concertée des besoins en termes d’apprentissage. Si ces jeunes étaient intégrés socialement, les résultats en termes d’apprentissages cognitifs n’étaient pas toujours à la hauteur des attentes. L’intégration c’est un projet personnalisé pour chaque élève. Elle ne peut pas être imposée. Elle nécessite la libre adhésion des différents partenaires : parents, école ordinaire, école spécialisée, CPMS.[8] »

Collaborations entre écoles

L’intégration d’élèves à besoins spécifiques dans l’enseignement ordinaire, c’est avant tout la collaboration entre deux établissements scolaires.

Une certaine motivation pousse les équipes éducatives à collaborer pour mettre en place et faire réussir un projet d’intégration, à la demande des parents ou d’une des deux écoles.

Les exemples[9] qui suivent permettront d’illustrer le partenariat possible entre l’enseignement ordinaire et l’enseignement spécialisé dans le cadre d’un projet d’intégration scolaire.

La Petite Source à Bossut-Gottechain, école d’enseignementprimaire spécialisé du type 8 (pour les élèves atteints de troubles instrumentaux),et l’école de Corroy-le-Grand : l’école de Corroy-le-Grand a accueilli 6 élèves inscrits administrativement à La Petite Source pour l’année scolaire 2007-2008. Chaque élève générant quatre périodes d’accompagnement, cela a permis d’engager un enseignant à temps plein pour accompagner ces élèves en intégration.

 

Le projet d’intégration à l’école fondamentale Mater Dei à Banneux est né d’un partage d’envies entre la maman d’une élève trisomique scolarisée à Mater Dei en maternelle et le directeur. La collaboration avec l’école spécialisée « Les Castors » de Liège a permis la création d’une classe transversale, d’âges différents, d’enfants à besoins spécifiques qui seraient intégrés dans l’école tant au niveau de l’infrastructure qu’au niveau humain. En septembre 2002, l’école Mater Dei a accueilli 6 enfants trisomiques au sein de sa population scolaire. Les élèves de cette classe de type 2 (pour les élèves atteints d’arriération mentale modérée ou sévère) disposent de leurs propres enseignants et de leur propre personnel d’encadrement (logopède, puéricultrice) appartenant à l’équipe des Castors. A côté de cette classe, l’école Mater Dei accueille 6 élèves en intégration individuelle relevant des types 1 (pour les élèves atteints d’arriération mentale légère), 3 (pour les élèves atteints de troubles du comportement et de la personnalité) et 8.  

L’ancien directeur, Monsieur Hazée, explique que ce qui permet ce bon fonctionnement, c’est l’implication, la motivation de tous et la transparence. Selon lui, « l’intégration d’enfants à besoins spécifiques dans l’ordinaire permet de changer le regard de chacun. On ne nie pas la différence, on l’accepte, on met des mots dessus, on réexplique et on informe. On découvre aussi que chacun peut être riche de la différence de l’autre. C’est une culture d’école depuis des décennies. »

Mr Hazée exprime bien l’individualité de l’intégration : « l’intégration de chaque enfant doit toujours être reconsidérée pour voir ce qui est le mieux pour lui, pour l’ensemble de la classe et pour l’équipe éducative. Il faut accepter dès le départ qu’une intégration permanente et totale ne sera peut-être pas possible. Il n’y a jamais une seule solution. Nous sommes toujours en questionnement et en recherche parce qu’il faut individualiser pour chaque élève et prendre en compte et son épanouissement et le développement de ses compétences. »

 

A la suite de l’expérience menée à l’école Mater-Dei de Banneux,  le Collège de la Providence à Herve et le Centre scolaire spécialisé Notre-Dame à Cerexhe-Heuseux ont été sollicités pour poursuivre l’intégration d’élèves à besoins spécifiques ayant bénéficié du projet mis place à Mater-Dei.

 

Collège Saint Guibert à Gembloux : « Lors de l’année scolaire 2007-2008, la directrice du premier degré, Madame Henry, a sollicité les services d’accompagnement de la FESeC afin qu’un conseiller pédagogique encadre les conseils de classe accueillant ces élèves « extraordinaires ». En effet, trois élèves à besoins spécifiques ont intégré, cette année-là, l’école : un jeune malentendant, une élève malvoyante et un jeune élève présentant le syndrome d’Asperger. De cet accompagnement a rapidement émergé la volonté, et de la direction et de l’équipe éducative partenaire, de sensibiliser l’ensemble des élèves du premier degré (soit plus de 400 jeunes) à la différence liée au(x) handicap(s).[10] »

 

L’école fondamentale d’application et l’école d’enseignement spécialisé « l’Arbre vert » situées à Monsont pensé un projet d’intégration en quatre phases : sensibilisation, réflexion, organisation durant l’année scolaire 1995-1996 d’une classe d’intégration comprenant 6 élèves relevant du type 2 et évaluation après 5 années de marche du projet. Ce projet d’intégration scolaire mettait l’accent sur la vie avec les autres en pensant des ateliers, les récréations, les repas et le cours d’éducation physique en commun.

 

A l’école Les Chardons, école primaire d’enseignement spécialisé des types 2, 3 et 5 (pour les élèves malades ou convalescents),  une institutrice est détachée dans l’enseignement ordinaire et gère une classe de 5 élèves à besoins spécifiques qui passent la matinée avec elle et l’après-midi dans d’autres classes de l’école de l’enseignement ordinaire.

Les institutrices rencontrées expliquent qu’il y a deux possibilités pour l’intégration scolaire. Soit l’enfant, bénéficiant de l’enseignement spécialisé, est intégré dans l’enseignement ordinaire et un instituteur de l’enseignement spécialisé le suit 4 heures par semaine. Soit, l’enfant ressort de l’enseignement ordinaire et peut demander à avoir un suivi de la part d’un instituteur de l’enseignement spécialisé 4 heures par semaine.

Selon elles, l’intégration est un maillon entre les enseignants, un soutien pour les enseignants de l’ordinaire accueillant des élèves à besoins spécifiques.

 

Pour les équipes de l’Athénée Royal et de l’école des types 1 et 2 de l’enseignement spécialisé à La Louvière, c’est un enrichissement mutuel.

La directrice de l’athénée, Madame Simon, trouve qu’« en organisant les mêmes moyens d’une autre façon, il est possible de permettre à des enfants en difficulté de vivre leur scolarité dans l’enseignement ordinaire et de s’enrichir mutuellement. ». Elle ajoute que « L’équipe constate que l’intégration ne peut se faire sur la seule base des acquis scolaires. L’intégration sociale doit être prise en compte. Les temps hors classe peuvent poser problème et fragiliser certains enfants. »

Elle verrait même« bien dans un projet à plus long terme, des classes de l’enseignement ordinaire dans les locaux de l’enseignement spécial et la rencontre quotidienne des enfants aux temps hors classe. Il existerait bien moins d’à-priori, de craintes et d’idées toutes faites et les mentalités pourraient enfin changer. »

 

Témoignages de parents[11]

Etant à l’origine de la demande d’intégration scolaire de leur enfant ou sollicités par l’école qui leur propose ce projet, les parents sont impliqués dans la démarche d’intégration de leur enfant dans l’enseignement ordinaire.

Premiers éducateurs de l’enfant, ils connaissent les besoins et le potentiel de leur enfant ayant des besoins spécifiques. Ils sont donc des partenaires essentiels de l’équipe éducative pour mener à bien le projet d’intégration scolaire.

Des parents ont témoigné pour faire part de leur vécu du projet d’intégration mis en place pour leur enfant.

La maman de Sarah explique que « Le fait d’avoir plusieurs enfants malentendants regroupés permettait d’avoir une codeuse en langue des signes 10 heures par semaine. Dans les faits, la codeuse n’était pas toujours présente et en dehors de cela, rien n’était mis en place dans l’école pour intégrer les élèves de type 7. Par exemple, l’enseignante parlait tout en tournant le dos aux élèves pour écrire au tableau. Donc Sarah ne pouvait pas lire sur les lèvres et comprendre ce qui était dit. On lui demandait aussi de faire de la compréhension à l’audition en anglais, une absurdité vu son handicap. A côté de cela, elle a poursuivi des séances de rééducation en soirée au Centre. »

Elle ajoute que « Face au manque d’encadrement adapté, j’ai changé Sarah d’école et l’ai inscrite dans une école plus proche en humanités sportives. Je suis allée personnellement rencontrer chaque enseignant pour lui expliquer le handicap de Sarah, son besoin de lire sur les lèvres, les manques de Sarah en termes de syntaxe, de vocabulaire. Cela n’a servi à rien. Les remarques au bulletin étaient toujours identiques « manque de travail ».  Sarah ne s’est pas sentie comprise, cela a généré pas mal de colère. Or, Sarah, et encore plus à l’adolescence, ne veut pas paraître différente. Elle a appris à faire semblant de comprendre, à rire quand on rit. »

Maintenant, Saraha changé d’école et est en 4ème professionnelle en option coiffure. Elle a la chance d’avoir une prof de cours pratiques qui lui montre avec des gestes pour lui expliquer. La maman de Sarah trouve que cela se passe bien, qu’elle est bien intégrée socialement et que cette option lui permet de développer ses compétences visuelles et sa créativité. Elle imagine bien sa fille s’épanouir professionnellement en tant que coiffeuse.

 

Le parcours de Stéphane nous montre que l’intégration peut être une véritable réussite. Sourd, il a fait ses maternelles dans l’enseignement spécialisé. En parallèle, pour compenser sa surdité, il a très vite eu des heures de logopédies. L’institutrice et la logopède ont conseillé à ses parents de l’inscrire en primaire dans l’enseignement ordinaire. Bernadette, la maman de Stéphane, a préféré le laisser dans le spécialisé pour la première primaire et l’apprentissage de la lecture, en se disant qu’elle verrait s’il était possible qu’il aille dans l’ordinaire par après.

Effectivement, l’année suivante, il recommençait une première primaire dans l’enseignement ordinaire, soutenu par l’équipe de l’enseignement spécialisé. A l’époque, il n’y avait aucune aide à l’intégration, cela dépendait de la bonne volonté de chacun. Suivant des cours de logopédie, très éveillé et attentif, Stéphane lit sur les lèvres et sait parler pour répondre. Il a trouvé son langage et compense sa surdité par le visuel.

Epanoui, il a suivi toute sa scolarité primaire dans l’enseignement ordinaire. Son intégration a pu continuer en secondaire, les équipes s’étant rassemblées pour faire part des spécificités de Stéphane et prolonger le projet grâce à la motivation de chacun.

Cela ne s’arrête pas là, Stéphane a ensuite suivi des études de kinésithérapie  à l’université. Il s’y est fait des amis qui lui donnaient leurs notes, le soutenaient et ont profité avec lui de la vie estudiantine.

Maintenant, marié et père de deux enfants, Stéphane travaille dans un hôpital et a sa propre clientèle. Il a aussi un réseau social fort étendu.

Selon Bernadette, « l’intégration doit être tout autant sociale que scolaire. L’insertion sociale de ces personnes est très importante. ». Contrairement à l’enseignement spécialisé qui confine les élèves à besoins spécifiques avec leurs pairs, l’intégration permet la rencontre.

 

Myriam, la maman de Pierre, a directement intégré son fils dans l’enseignement ordinaire dès la première maternelle. Celui-ci avait droit au programme d’intégration mis en place par l’école spécialisée. Myriam explique que l’école de ses enfants fait attention aux élèves en difficulté et prône le respect des autres.

Pierre ayant de gros problèmes de langage, de lecture et de psychomotricité, il peut bénéficier de l’aide de l’enseignement spécialisé en restant dans l’enseignement ordinaire. A l’école, il a effectivement droit à une rééducation logopédique. Une institutrice de l’enseignement spécialisé vient en classe et prend en charge les élèves qui comme Pierre ont des soucis au niveau scolaire. Myriam trouve que cela devrait être mis en place pour tous et appelle cela de la remédiation.

Au niveau de la communication et la collaboration entre partenaires éducateurs, l’école a beaucoup de contacts avec les parents. Trois fois par an, des conseils de classe réunissent l’équipe de l’enseignement ordinaire, celle de l’enseignement spécialisé et le centre PMS. Ce qui est dommage selon Myriam, c’est que la coordinatrice ne prenne pas contact avec la logopède qui suit Pierre en dehors de l’école.

Aujourd’hui, Pierre a 12 ans et il est en quatrième primaire. Ne voulant pas qu’il soit redirigé vers le différencié ou le spécialisé, Myriam veut se battre pour qu’il reste en primaire et passe son CEB. Elle veut donner la chance à ses enfants de réussir dans l’enseignement ordinaire pour leur donner toutes leurs chances pour la suite.

 

Sophie a été intégrée dès l’école maternelle. L’institutrice de sa grande sœur ayant déjà eu en classe des élèves à besoins spécifiques, a souhaité que Sophie entre dans l’école ordinaire dans laquelle étaient déjà son frère et ses sœurs. Bien intégrée parmi ses camarades de maternelle, le projet a été prolongé. La collaboration entre la maman de Sophie et le directeur de l’école a permis de créer une classe d’ « enfants différents » intégrée dans l’école primaire, rassemblant des élèves relevant du même type de l’enseignement spécialisé et bénéficiant d’un partenariat avec une école d’enseignement spécialisé. Il s’agit d’une intégration où, selon la maman de Sophie, « ils participent activement à la vie scolaire et sociale des autres élèves de l’école. L’objectif premier est d’ordre social. Ce que les parents recherchent avant tout c’est la stimulation, vivre avec. Il n’y a pas le monde des gens dits normaux et le monde des gens porteurs d’un handicap, il y a des échanges, des interactions. ». Cette expérience est un enrichissement pour tous. « Les enfants dits « normaux » retirent des avantages, ils ont appris à accepter la différence, à connaître l’autre et non à le rejeter. Ils ont appris la tolérance, un atout certain pour leur future vie sociale et professionnelle. »

Sophie a maintenant 19 ans et continue son projet d’intégration dans une école secondaire. Cela se passe bien mais le système mis en place est moins satisfaisant. L’intégration ne se fait que quatre jours par semaine, les activités mise en place avec les autres élèves de l’école sont moins fréquentes qu’en primaire et les distances sont plus longues, ce qui est une contrainte plus lourde pour les parents. Ce qui est important pour les parents de Sophie, c’est que le projet a pu continuer, que cela se passe bien et qu’elle est fière d’aller dans cette école.

 

Intégration scolaire et insertion sociale

Comme exposé dans le Vadémécum de l’intégration, celle-ci est pensée dans un esprit d’insertion sociale des élèves à besoins spécifiques dans le milieu scolaire ordinaire. « L’intégration exige un travail sur les mentalités et les attitudes prédominantes de la société ainsi que des milieux éducatifs, par rapport à la place que doit avoir tout élève ou toute personne à besoins spécifiques dans les établissements et dans la vie. L’intégration est une réponse recherchée, adaptée et soutenue qui permet à chaque enfant de préparer une intégration professionnelle et/ou sociale la plus harmonieuse possible.[12] »

Il faut penser l’intégration au cas par cas en tenant compte du potentiel social et scolaire de l’élève. La démarche doit être pour l’élève intégré source d’épanouissement, d’ouverture et d’insertion socioprofessionnelle.

L’aspect social est aussi important, si pas plus, que le point de vue des capacités scolaires et du niveau à atteindre, pour la réussite de l’intégration. « Différentes études ont montré que des enfants avec différents types de handicaps trouvaient difficile l’intégration en classe ordinaire : difficultés de se faire des amis, non intégration dans les jeux spontanés et participation seulement à des activités à orientation sportive ou autres activités récréatives.[13] »

Dans le cas de Sarah, selon sa maman, son insertion sociale est réussie : « Sarah est une jeune fille très sociable, elle sort avec son frère ou ses amis, va au mouvement de jeunesse et a toujours fait comme tout le monde. Je l’emmenais au cinéma, à des concerts, en club de vacances, etc. »

Mais l’insertion sociale des élèves à besoins spécifiques peut très bien être pensée et réussie sans passer par l’intégration scolaire. C’est par exemple le cas de Sylvie, une jeune fille de 29 ans ayant un handicap mental. Depuis la deuxième primaire, après l’annonce de son handicap, Sylvie a fait toute sa scolarité dans l’enseignement spécialisé. En dehors de l’école, elle a toujours eu des activités où elle s’est retrouvée avec des jeunes de son âge n’ayant aucun handicap : l’équitation, les mouvements de jeunesse, le catéchisme,… Sylvie a toujours très bien été intégrée aux groupes et accueillie par les amis de ses frères et sœurs. Elle a gardé des contacts avec les amies qu’elle s’est fait aux guides, dans le village,… Maintenant, Sylvie fait des journées de bénévolat dans un home pour personnes âgées et une crèche où elle est très bien reçue et intégrée.

Conclusion

L’intégration scolaire est un projet, une démarche construite ensemble, dans le respect de la différence, en fonction des besoins spécifiques et du potentiel du jeune.

« L’intégration d’élèves porteurs d’un handicap est le fruit d’un long processus où les parents mais aussi les acteurs de terrain et les responsables institutionnels ont été de formidables leviers. (...) l’intégration s’inscrit dans un véritable projet de vie pour l’enfant à besoins spécifiques et représente une richesse pour chacun.[14] »

Elle est un libre choix des parents dans l’intérêt de l’enfant, en tenant compte de ses capacités et de son projet de vie futur.

« L’intégration a une seule limite : celle posée par l’élève. Chaque élève à besoins spécifiques devrait avoir droit à la meilleure éducation possible et ce, dans un environnement scolaire répondant à ses besoins personnels.[15] »

Il faut bien garder en tête que l’intégration n’est pas possible pour tous, c’est UNE réponse possible pour les élèves ayant des besoins spécifiques. Cela peut très bien marcher pour certains alors que d’autres réussiront mieux leur parcours scolaire dans l’enseignement spécialisé.

L’intégration n’est effectivement pas toujours souhaitable. Les projets d’intégration ne sont pas toujours des réussites, il y a aussi des échecs. L’intégration n’est pas la solution idéale pour tous les élèves ayant des besoins spécifiques.

L’intégration ne peut pas être généralisée à tous et sur l’entièreté de leur scolarité. Certains projets d’intégration peuvent se limiter à une partie des cours ou une période définie de la scolarité. Cela montre une fois de plus que l’intégration est un projet individuel, façonné pour l’élève pour qui cette démarche est réalisable et bénéfique.

Comme le dit la maman de Sophie, « l’intégration scolaire n’est pas un chemin facile, mais l’intégration bien menée est le chemin le plus sûr vers la rencontre des différences. Elle est la continuité entre le monde de la petite enfance où chacun se côtoie sans grande difficulté et celui de l’âge adulte où la personne pourra se trouver un lieu de vie, un lieu de travail où elle sera reconnue pour ce qu’elle est et non pour ce qu’elle n’a pas. Le jeune handicapé devient un adversaire possible sur les terrains de sport, il peut aussi devenir le patient du médecin, un ouvrier communal, le réassortisseur. »

 

Alice Pierard

 

 

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[1]www.ligue-enfants.be, Manifeste pour l’intégration scolaire, 2007.

[2]Rachel Sermier, collaboratrice à l’Institut de Pédagogie Curative de l’Université de Fribourg

[3]HOUSSONLOGE D., LONTIE M. et PIERARD A., L’enseignement spécialisé : l’élève et son projet de vie, Etude UFAPEC 2011 N°32.11

[4]D’après les chiffres du magazine Prof de la Communauté française, Juin 2011 & Janine Gobiet du SEGEC.

[5]MOREAU C., « les défis de l’enseignement spécialisé », PROF n°10, juin 2011, p15.

[6]DETRAUX J.-J., « l’intégration scolaire d’enfants déficients en milieu non spécialisé : les enjeux », http://admin.segec.be/documents/5682.pdf

[7]HOUSSONLOGE D., LONTIE M. et PIERARD A.,op cit., p19.

[8]HOUSSONLOGE D., LONTIE M. et PIERARD A., op cit., p21.

[9]La plus grande partie des témoignages provient du Vadémécum de l’intégration et des documents qui y sont joints. L’UFAPEC a recueilli pour son étude de 2011 le témoignage de deux institutrices de l’école Les Chardons et de Monsieur Hazée, l’ancien directeur de l’école fondamentale Mater Dei à Banneux.

[10]Conseil supérieur de l’Enseignement spécialisé, Vadémécum de l’intégration, actualisé en date du 6 juillet 2011, p46.

[11]Pour respecter l’anonymat des personnes interrogées, leurs prénoms ont été modifiés par des prénoms d’emprunt.

[12]Conseil supérieur de l’Enseignement spécialisé, Vadémécum de l’intégration, p5.

[13]DOUMONT D. et ROSE B., Quelle Intégration de l’enfant en situation de handicap dans les milieux d’accueil ? Unité RESO, Education pour la Santé, Faculté de Médecine, Université catholique de Louvain, 2007, pp. 5-7.

[14]HOUSSONLOGE D., L’intégration des élèves porteurs d’un handicap dans l’enseignement ordinaire... enfin possible en 2009 ?, Analyse UFAPEC 2008 N°29.08, p7.

[15]Conseil supérieur de l’Enseignement spécialisé, Vadémécum de l’intégration, p7. 

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