Analyse UFAPEC novembre 2015 par JP. Schmidt

18.15/ Délégation de classe, vers une vraie participation citoyenne ?

Introduction

« Les structures participatives au sein d’une institution ne sont pas faciles à développer. La délégation d’élèves est souvent contestée, instable et tacite. Sa mise en œuvre implique une responsabilisation de tous les acteurs et l’appropriation de compétences sociales.  Pourtant, là où elle est opérante, la participation améliore considérablement les relations humaines dans le milieu socio-éducatif. » Ce passage provient de la  circulaire n°3038  du  24  février  2010, relative aux formations d’élèves à la médiation   scolaire   ou   à   la   délégation et adressée  à  l’ensemble  des  chefs d’établissements  de  tous  les  réseaux. La délégation de classe induit inévitablement que l’école et ses acteurs ont au préalable débattu de la question de la participation à l’Ecole. Mais celle-ci fait souvent face à deux défis majeurs : organiser la représentation et ouvrir le territoire de la participation.[1]  Comment la mettre en œuvre pour garantir des conditions d’un apprentissage serein dans un climat constructif fait d’échanges variés ? Les parents revendiquent clairement l’idée de permettre aux écoles de promouvoir des relations marquées par le respect[2]. Permettre au jeune dans son établissement d’être acteur, responsable peut nourrir son développement. Comment faire pour que les enfants et les adultes puissent être des citoyens à part entière dans les lieux où ils vivent et travaillent ? La délégation de classe peut-elle être cet outil pour une vraie participation citoyenne ? Le jeune doit pouvoir se positionner et maitriser les droits et les devoirs du délégué. Ce principe est nuancé par Célestin Freinet : « L’énoncé théorique des droits et des devoirs de l’individu dans la communauté ne suffit plus ; c’est la pratique sociale qu’il faut développer afin que l’homme sache plus tard se conduire librement dans les diverses occasions de sa vie.»[3] Quelles compétences développe le jeune pour lui, pour les siens, pour la société ? Quels sont les impacts positifs pour la famille ?

Une vie participative

La Fédération Wallonie-Bruxelles a posé deux principaux décrets traitant de la citoyenneté et de la participation. Tout d’abord, le décret Mission du 24 juillet 1997[4] définit les missions prioritaires de l’enseignement obligatoire dans le but, entre autres,depromouvoir la confiance en soi et le développement de la personne de chacun des élèves (article 6§1), de préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures (article 6§3) et d’éduquer au respect de la personnalité et des convictions de chacun, au devoir de proscrire la violence tant morale que physique, et met en place des pratiques démocratiques de citoyenneté responsable au sein de l’école (article 8§9).

Ensuite, le décret Citoyenneté du 12 janvier 2007[5] relatif au renforcement de l’éducation à la citoyenneté responsable et active au sein des établissements organisés ou subventionnés par la Fédération Wallonie-Bruxelles suggère :

  • la mise en place de structures participatives pour les élèves : au début de chaque année scolaire suivant les années d’enseignement, des délégués d’élèves sont élus par leurs pairs. (article 15) ;
     
  • l’ensemble des délégués de classe d’un même cycle ou degré forme le Conseil des délégués d’élèves. Le Conseil d’élèves est un espace de paroles destiné à analyser des problèmes relatifs à l’école ou à certaines classes. (article 17) ;
     
  • dans chaque cycle ou degré, deux membres de l'équipe éducative au moins sont

désignés accompagnateurs du projet «Conseil d'élèves». Ceux-ci participent, à titre d'expert, aux réunions du conseil d'élèves du cycle ou degré dans lequel ils exercent. (article 18)

Le projet spécifique d’école citoyenne et participative proposé par le Mouvement des Institutions et des Ecoles Citoyennes (MIEC)[6] se base sur deux grands principes : construire la loi ensemble avec tous les acteurs de l’école et impliquer les élèves le plus possible dans la gestion du respect et dans la vie de l’école. Cette notion d’école citoyenne impose un important questionnement des pratiques d’enseignement. Est-il possible pour l’enseignant de garder son rôle tout en ouvrant le dialogue avec les élèves ? Comment sortir de la hiérarchisation prof-élève ? Jusqu’où peut-on impliquer les élèves dans le fonctionnement de l’école ? 

Comme nous le voyons, la loi définit certaines modalités. Mais comment cela se passe-t-il sur le terrain ? Bien souvent cette participation des élèves est conditionnée[7] par la simple question de la capacité de l’élève à y faire face, des possibilités matérielles de lieu, de temps données par l’établissement, le simple droit de participer à la vie de l’établissement et enfin l’adhésion et la motivation de toute l’équipe éducative.  L’essentiel est de traiter les enfants avec le plus grand respect et comme s’ils étaient déjà de grandes personnes, de leur faire confiance et de les aimer, de leur faire goûter les joies de l’initiative et de la liberté.[8]

La délégation de classe, qu’est-ce que c’est ?

Stéphane Houbion, Secrétaire Général de l’Asbl Jeune Et Citoyen[9] ainsi que Fatima Amkouy, animatrice de l’Asbl ont pris le temps de nous partager leurs missions et travaux sur le renforcement de la participation du jeune dans son milieu de vie, ici, l’école. Pour l’Asbl JEC, le délégué de classe, thématique importante travaillée dans l’Asbl, est un élève élu démocratiquement par ses pairs pour les représenter et faire entendre leur voix auprès des autres acteurs impliqués dans la vie de l'école.

Pour l'Asbl JEC, tout élève, quel que soit son parcours scolaire, peut prétendre au rôle de délégué. En effet, au sein de l'école, être délégué représente avant tout une source d'apprentissages spécifiques, sachant que chaque élève a (et aura) une manière personnelle d'exercer ce rôle. Pour garantir un choix démocratique des délégués, l'Asbl JEC soutient qu'il appartient à l'école de définir une procédure d'élection qui implique au minimum le libre choix pour l'élève de poser sa candidature, un temps d'information et d'échanges au sein de la classe et un droit de vote pour tous, à bulletin secret. Il revient aussi à chaque école de préciser le mandat de cette représentation et, par conséquent, d'y associer les moyens nécessaires. Le délégué exerce notamment ses fonctions dans des lieux organisés de manière formelle par l'école. Le rôle de délégué comprend par essence les fonctions de porte-parole et de représentation des élèves auprès des autres acteurs de l'école. Représenter et porter la parole de ses pairs s'inscrit dans le souci de la recherche de l'intérêt collectif. L’Asbl JEC s’avance : « Le bon délégué n’existe pas mais on doit attendre quelques qualités de sa part. Ne pas avoir un égo sur dimensionné… Ne pas arriver avec son ambition personnelle, mais bien partir de la base, de sa classe, de ses condisciples. Mais aussi être prêt à apprendre, à développer ses compétences ! On est dans un exercice, il faut de la motivation mais aussi une personne capable de s’effacer. Honnêteté. Tout jeune peut être délégué en se disant « je me fais fort de faire les efforts nécessaires pour que, à terme, je puisse porter, par exemple, vos avis ». Navigation entre le savoir-être et le savoir-faire du jeune. Le délégué doit pouvoir aussi répondre au cahier des charges de l’école.»

Agir consciemment

Malgré les prescrits légaux, il n’est pas facile pour une école de faire le pas. Trop d’obstacles à la participation et à la mise en œuvre du principe de délégué de classe, par exemple, nuisent à son efficience. Une étude européenne[10]montre que :

  • Les jeunes n’ont pas l’habitude d’être consultés et ne tirent pas profit de ce droit.
     
  • De nombreux élèves considèrent la consultation et les délibérations démocratiques comme des activités purement symboliques.
     
  • De nombreux adultes sont aussi mal à l’aise par rapport au changement que supposent les processus participatifs.
     
  • Les pratiques participatives sont exercées souvent après les heures de cours, et ne font pas partie intégrante du cursus.
  • Le fait de désigner comme représentants de la communauté scolaire ceux qui sont les plus sûrs d’eux-mêmes et qui savent le mieux se faire entendre, s’exprimer en public, peut involontairement conduire à diminuer la motivation et les possibilités de ceux qui s’expriment moins facilement, en particulier ceux qui auraient le plus besoin de faire entendre leur voix.

Pour répondre à ce point, la nécessité de pouvoir organiser des élections chaque année pour permettre à chacun d’exercer la délégation est un enjeu crucial.

Au-delà de ces difficultés énumérées dans l’étude européenne, l’Asbl JEC constate que c’est d’abord dans la culture de l’école liée à la personnalité de la direction qu’une vraie participation peut se vivre via la délégation de classe. La direction donne alors l’impulsion via des moyens, du temps, de l’espace pour que le projet se construise avec les enseignants. L’Asbl JEC insiste pour dire que : « la délégation d’élèves est un processus éducatif et d’apprentissages donc il faut la présence de l’adulte en tant que référent éducatif, majeur, expérimenté. Le guide avant le cadre… car le cadre peut s’auto-construire ou se construire avec les adultes et les jeunes. Simplement permettre aux jeunes de faire des essais, des erreurs, des tentatives pour apprendre grâce à la présence bienveillante de l’adulte! »

La question d’une équipe d’adultes-ressources a son importance. S’il n’y a pas une équipe solide, porteuse et capable de penser à sa succession, il y a de fortes chances que le projet meure ! Une fois cette culture « prise dans le moule », les jeunes peuvent porter davantage leur structure participative. La dynamique s’installe parfois dès avant la rentrée scolaire, les jeunes construisent leurs projets. Les jeunes s’investissent naturellement puisque cet investissement est « attendu ». La culture de la participation doit aussi être portée par les jeunes. Cela fait partie d’une culture d’école. L’Asbl JEC ajoute : « Il faut au minimum une génération d’élèves c’est-à-dire six ans pour que tout cela devienne naturel. Au bout de la sixième année, cela semble évident pour les jeunes, par contamination, que la délégation de classe, on ne peut pas faire sans. » Pour l’UFAPEC, faire des parents de véritables partenaires dans le parcours scolaire de leur enfant est l’une des clés essentielles de la réussite de l’école dans ses missions.[11] De plus, l’UFAPEC est preneur de ce genre d’initiative d’apprentissage démocratique[12], il suggère aussi aux parents de mobiliser le Conseil de Participation à cet enjeu crucial et sociétal de la question de la participation des jeunes pour l’institutionnaliser, pour créer et pérenniser cette culture d’école.

Conclusion

La culture de la participation n’est pas un effet d’aubaine ou bien une réaction à l’actualité. Pour qu’elle s’installe, c’est d’abord qu’une personne ait pris conscience du fait qu’il fallait y travailler via l’obligation des prescrits légaux et que cette personne ait contaminé les autres adultes de l’école et les élèves pour se dire ensemble : « allons-y ». C’est un travail collectif, il est difficile de faire participer les gens contre leur gré. Malgré la mobilité normale des acteurs d’une école, cette culture de la participation prédomine dans l’établissement scolaire. Tout le monde sort gagnant dans l’aventure tant le cercle scolaire que le cercle familial. Les témoignages de jeunes, que l’Asbl JEC a rencontrés, montrent que ce passage renforce le jeune dans son développement personnel global. L’exercice de la délégation de classe le permet. Hors du champ scolaire, l’impact est visible. On constate que les délégués impliqués, motivés ont bien souvent de multiples engagements (culture, sport, mouvement de jeunesse…). Ils sont sollicités ! Ce sont des personnalités qui ont le souci d’être acteurs de leur environnement ! Ces personnalités ne sont pas renfermées dans le cadre familial. C’est même ce cadre familial ouvert et fait d’échanges qui permet de s’affranchir de cet investissement. Les deux institutions école, famille profitent des compétences que les jeunes ont pu développer. A la maison, c’est confortable ! L’écoute active, la prise de parole mesurée, le fait de porter des projets communs... ce sont des façons de faire qui peuvent être utiles. Cela dépend du degré d’ouverture de la famille, c’est comme à l’école, finalement. Si on ne donne pas la place au jeune ou à ses enfants…, il n’y a pas de raison que le jeune ou l’enfant puissent la prendre. Il faut tenir compte du contexte cadre et de la structure hiérarchique qui fera que cela marche ou pas. Soyons-y attentifs. L’échange est source de richesse. Le jeune motivé, est-il capable d’impulser cela à la maison ? Quel est le lien réel entre famille et école à ce niveau ? Cela peut faire l’objet d’une future analyse.

L’UFAPEC insiste d’ailleurs dans son mémorandum 2014 : « Si la famille est le premier lieu où se vit l’éducation de chaque enfant, l’école est aussi un lieu privilégié où peuvent se construire des relations éducatives qui dépassent le champ des disciplines. Une série de compétences sont en effet transversales à tous les apprentissages et l’école ne doit pas oublier cet aspect de ses missions. L’école est pourtant un lieu où le vivre-ensemble et la formation à une citoyenneté responsable, active créative et solidaire peuvent prendre corps autrement que dans le cercle familial. En effet, les enfants passent une bonne partie de leur journée dans un contexte social où ils rencontrent d’autres personnes, jeunes et adultes, venant d’autres horizons, ayant d’autres références sociales ou culturelles. »

Cela montre aussi, et ce pour tous les enfants issus de tous les milieux, que l’exercice de la citoyenneté nécessite un apprentissage à différents niveaux (savoir s’exprimer, donner son opinion, parler devant un groupe, respecter les décisions…). On peut rêver alors par le biais de la délégation, par exemple, à une vraie participation citoyenne. Nous pensons que la citoyenneté active se développe par l’exercice, l’expérience, voire l’expérimentation. Elle ne s’apprend pas (seulement) dans les livres ou les notes de cours.[13] Tout jeune se prépare alors à être un CRACS (Citoyen, Responsable, Actifs, Critiques et Solidaires).

Notre société a tout à gagner à l’élaboration de cette culture de la participation tant pour l’école que pour la famille. La diversité des écoles, que l’ASBL Jeune Et Citoyen touche, montre une volonté de faire vivre cette citoyenneté à de nombreux jeunes différents.

 

Jean-Philippe Schmidt



[1]RASSON, N., Pratiques Démocratiques à l’école, Changements pour l’Égalité, Éd. Couleur livres, 2008, 94 pp

[2]Mémorandum 2014 UFAPEC  p.22

[3]FREINET Célestin, Vers une école du prolétariat : la discipline nouvelle. Quelques réalisations, Clarté, 15 décembre 1923.

[4]Décret du 24 juillet 1997, définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et

secondaire, et organisant les structures propres à les atteindre, M.B. 23 septembre 1997 (décret « Missions ») 
http://www.ejustice.just.fgov.be/cgi/article_body.pl?language=fr&caller=summary&pub_date=97-09-23&numac=1997029337

[5]Décret du 12 janvier 2007 relatif au renforcement de l’éducation à la citoyenneté responsable et active au sein des établissements organisés ou subventionnés par la Communauté française, M.B. 20 mars 2007 : Décret « Renforcement citoyenneté ».
http://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/31723_000.pdf

[6]http://www.miec.be/

[7]Bénédicte Loriers « La participation des jeunes à l’école secondaire en communauté française de Belgique » Analyse UFAPEC 2008

[8]PROFIT Barthélémy, La Coopération à l’école primaire, Paris, Delagrave, 1922

[9] http://www.jeuneetcitoyen.be/

[10]« Education à la citoyenneté démocratique 2001-2004. L’école : une communauté d’apprentissage de la démocratie. Etude Paneuropéenne sur la participation des élèves. » par Dr Karlheinz Dürr.

[11]Mémorandum UFAPEC 2014

[12]Michaël Lontie « L’apprentissage du sentiment démocratique » Analyse UFAPEC 2014

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