Analyse Ufapec juin 2012 par Anne Floor

19.12/ Ecole sous haute surveillance : contrats de comportement, de discipline

Introduction

En été 2011, la presse a relayé des cas de dérives et d’exclusions scolaires accélérées suite à la signature de contrats de comportement. On le sait, certains élèves nécessitent de par leur attitude la mise en place d’un encadrement plus particulier et les contrats de discipline en font partie. Ces contrats de discipline appelés aussi contratsde comportement doivent aider l’élève à se mobiliser en vue d’améliorer son comportement. Ils concernent l’individu et non les groupes-classes. Ils s’emploient pour des difficultés en lien avec le comportement[1]. Cependant il semble que le jeune qui signe un tel contrat de discipline et qui récidive risque fort de ne pas être réinscrit l’année suivante ou d’être tout de suite renvoyé. Le Délégué général aux droits de l’enfant relève aussi dans son rapport 2010-2011 les dérapages liés à la signature de ces contrats qui semblent faciliter l’exclusion plutôt que de soutenir l’élève dans son processus de réintégration. Pourquoi les écoles recourent-elles à ces contrats de discipline ? Quel en est le fondement ? Comment faire en sorte qu’il reste un outil de régulation des conduites inappropriées ? Avant de répondre à toutes ces questions, il nous a semblé intéressant d’approcher le contrat d’un point de vue juridique et sociologique. On observe en effet une contractualisation massive dans les domaines sociaux et éducatifs (contrat de quartier, de recherche active d’emploi, de projet de vie …). Qu’est-ce que ce phénomène nous dit de notre société ? Pourquoi une telle évolution ?

Qu’est-ce qu’un contrat ?

Approche juridique

L’article 1101 du code civil stipule que le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose.

Un mineur peut-il signer un contrat ?

De manière générale, un jeune mineur est incapable juridiquement. Il y a cependant des exceptions, comme par exemple la conclusion d’un contrat de travail et la perception d’une rémunération (sauf opposition parentale), l’ouverture d’un livret d’épargne (sauf opposition parentale), l’introduction d’un recours en matière d’aide à la jeunesse, être entendu en justice dès l’âge de discernement, poser des actes de la vie courante…[2] On peut cependant nuancer en fonction de l’âge de discernement ; si le mineur n’a pas encore atteint un discernement suffisant (généralement avant l’âge de 12 ans), il ne peut accomplir aucun acte juridique. Il est en incapacité juridique totale. Entre l’âge de discernement et la majorité, c’est plus nuancé. Il pourra accomplir des actes juridiques pour autant qu’ils ne nuisent pas à son intérêt[3]. Selon la directrice du Service juridique du SeGEC, Bénédicte Beauduin, les parents d’un élève mineur doivent être informés de la procédure et donc de l’existence de pareil contrat[4].

Approche sociétale

La signature de contrats est une pratique qui se généralise dans notre société, surtout dans les domaines de l’action sociale et éducative. Selon Abraham Franssen, sociologue et professeur aux Facultés universitaires Saint-Louis, on observe en effet une transformation de la manière d’intervenir de l’Etat qui, de « providentiel » devient « social actif ». Les chômeurs, délinquants, élèves en décrochage scolaire,… sont pris en charge dans des programmes d’insertion qui comportent un projet individualisé concrétisé dans un contrat dont l’objectif est d’autonomiser et de responsabiliser les personnes. Dans les différents champs du travail social, éducatif, et même au sein des dispositifs sécuritaires, on observe semblable mutation des principes de légitimité : c’est désormais au nom de sa propre autonomie, à conquérir par l’individu considéré comme déficient, que la relation assistantielle est motivée. Celle-ci d’ailleurs réfute les qualifications d’« assistance », de « prise en charge», de « protection » pour s’énoncer comme accompagnement, soutien, guidance dans le cheminement de l’individu vers la conquête de son autonomie, dans son développement vocationnel, personnel et professionnel[5].

Le contrat s’appuie sur le principe d’individualisation

Dans la mesure où le contrat engage deux parties,nous sommes bien en présence d’un individu qui s’engagevis-à-vis d’un tiers (ONEM, CPAS, école,…) en échange d’une aide. Cela implique que l’individu qui signe est placé dans une posture d’acteur de son changement. On passe ainsi d’une logique de traitement uniformisé des individus, considérés sous l’angle de leur appartenance à une catégorie prédéterminée, à une logique de traitement personnalisé d’individus, davantage appréhendés dans leur singularité et dans leur globalité - du moins telle est l’intention explicite. Cette individualisation se veut chaque fois plus fine, poussant vers une « adéquation » de l’offre institutionnelle à la demande et aux besoins supposés du bénéficiaire[6].

Le contrat repose sur la philosophie du projet

Se mettre en projet fait partie inhérente du contrat que cela soit pour le chômeur sommé de définir son projet professionnel, pour les habitants qui sont invités à participer au projet de quartier, … Ce projet constitue le point de départ et d’arrivée de l’intervention sociale et éducative : Il constitue la condition même de toute intervention à visée psychosociale qui, dans la mesure où elle est orientée vers une adaptation de l’individu, implique que celui-ci s’implique dans la résolution de « son problème ». De condition au fondement de la relation assistantielle, la « mise en projet » (à « faire émerger », à « susciter », à « accompagner »...) en vient à être considérée comme une fin en soi. Une fois le « projet » acquis, « le plus dur » est fait...

Paradoxes du contrat:

Le contrat se signe souvent sous la contrainte ou la semi-contrainte. Le chômeur s’engage à rechercher activement un emploi et à en fournir les preuves, il signe un contrat dans ce sens. La poursuite de la perception de ses allocations est conditionnée par la signature du contrat. Son autonomie est dans pareil contexte assez relative. Par la suite, une mobilisation insuffisante du sujet autour du projet (exemple : recherche d’emploi) peut entrainer une exclusion ou des sanctions. On dit donc à la fois à l’individu qu’il est acteur de son changement, on prône son autonomie et sa créativité et d’un autre côté, on le sanctionne si les objectifs ne sont pas atteints. Que l’on se situe dans un schéma incitatif où la participation permet l’accès à des bénéfices secondaires ou que l’on soit plus directement dans un schéma sanctionnel, où une insuffisante participation entraine l’exclusion ou des mesures punitives, le travail des intervenants consiste précisément à surmonter la difficulté de favoriser l’émergence du projet sous contrainte. Nous ne sommes plus dans une société où l’autorité s’exerce de manière disciplinaire, est imposée. On passe à une procéduralisation et juridictionnalisation des rapports entre usagers et professionnels. Et le monde scolaire n’y échappe pas. Preuve en est la parution toute récente d’une circulaire visant à aider les chefs d’établissement à établir ou modifier un règlement d’ordre intérieur (ROI) qui ne puisse être remis en cause juridiquement. La « juridisation » des relations entre le monde de l’école et celui des familles, comme c’est le cas pour d’autres services au public, entraine des formes diverses de litiges, voire parfois d’actions en justice. Il importe donc que la règle de l’école, dès lors qu’elle concourt au bon fonctionnement de cette institution spécifique et permet d’en atteindre les objectifs, ne puisse être contestée en raison d’un vice de forme dans son contenu, son énonciation, sa motivation ou son application[7]. Cette transformation du mode d’exercice de l’autorité se traduit aussi à travers la mise en œuvre de nouveaux dispositifs de médiation (ombudsman dans des domaines très divers) ainsi qu’à travers une socialisation plus horizontale où les usagers définissent leurs objectifs et s’autoévaluent. Pour Abraham Franssen, il y a pourtant bien derrière tout cela un contrôle social : Si la sanction a cédé, en partie, la place à la médiation, et la culpabilisation à la psychologisation, il s’agit toujours bien de l’exercice d’un contrôle social, d’autant plus efficace et prégnant qu’il s’exerce désormais au nom de l’autonomie de l’individu.

Le danger de cette posture d’individualisation et d’autonomie par le contrat est de renvoyer l’individu à ses problèmes et de le rendre seul responsable de ses échecs. Le risque est que le système lui-même ne soit pas interrogé, remis en question et que l’on se limite à constater que c’est l’individu qui n’est pas arrivé à respecter les objectifs de son contrat. De fait, il est plus facile de répondre aux défis que pose le chômage en encadrant les chômeurs plutôt que les acteurs dominants du marché ; il est plus facile de répondre au sentiment d’insécurité en s’en prenant aux « jeunes allochtones » - au moins, ils sont faciles à identifier et en plus ils sont souvent dans la rue et concentrés dans les mêmes quartiers - qu’en s’attaquant aux formes plus structurelles et institutionnelles de violence qui produisent une « insécurité d’existence »[8].

Contrat de discipline à l’école : quels objectifs ? Quels écueils ?

Après cette analyse plus globale de l’avènement de la procédure du contrat dans notre société, nous allons voir à travers divers témoignages d’acteurs du monde scolaire comment celui-ci s’en tire avec les contradictions du contrat : autonomie vs contrainte, responsabilisation vs exclusion…

Pourquoi certaines écoles mettent-elles en place ces contrats de discipline ?

Lors d’un reportage télévisé sur la Une, l’Echevine de l’Instruction publique à Ixelles, Marinette De Cloedt, parle très positivement de cette mesure qui est mise en place dans les écoles secondaires de la commune depuis quelques années. « Un contrat de discipline, c’est un contrat qui permet à l’élève de s’impliquer dans le choix qu’il fait de rentrer dans une école. C’est un facteur positif pour lui car cela le responsabilise. Avec le système des feux orange, on met moins d’élèves à la porte et on leur donne peut-être une chance de reprendre leur vie en main. Cette année, 4 élèves seulement ont été expulsés contre 30 pour les années précédentes.»[9]

Une éducatrice d'une école secondaire (Brabant Wallon) pense que les contrats disciplinaires sont plus fréquents au premier degré. Elle explique que le contrat disciplinaire est utilisé pour exprimer des limites. Il signifie à l'élève et à ses parents que son attitude, son comportement n'est pas et plus acceptable, qu'un changement est attendu pour poursuivre sa scolarité au sein de l'institution pour la réussite de l'élève, celle des autres élèves dans le respect des personnes (élèves, professeurs et autres) et des modalités de fonctionnement. Les différents intervenants éducatifs (professeurs, éducateur(s), direction) se réunissent en conseil de classe ou de discipline autour de la situation de l'élève. C'est pour eux l'occasion de s'informer de l'attitude de l'élève aux autres cours et de rassembler leurs regards en une action commune. Ils établissent un état des lieux de l'attitude actuelle de l'élève, expriment les difficultés rencontrées, rassemblent les pistes d'action. Un document est rédigé par la direction à l'issue du conseil de classe ou de discipline. Il liste tout ce qui a déjà été mis en place pour l'élève, énonce les dysfonctionnements, précise les limites à ne plus franchir en termes d'objectifs à atteindre. Si le conseil de discipline sert à soutenir l'élève dans son projet scolaire, il peut être vu comme une sonnette d'alarme et peut également servir (en cas de non amélioration) à refuser une réinscription ou à exclure l'élève de l'établissement.

Anne-Françoise Evrard, co-titulaire d’une classe de 6ème professionnelle, explique la mise en place des contrats de discipline dans son école. Il existe deux types de contrats : les contrats de travail (respect des délais pour la remise des travaux, tenue des notes de cours, ...) et les contrats de discipline et parfois les élèves reçoivent les deux. Elle n’a jamais elle-même donné de contrats de discipline mais accueille des élèves qui montent en sixième année avec leur contrat de discipline de cinquième année. Le contrat est rédigé par l’éducatrice suite à un conseil de classe. Le contrat est donc le fruit de discussions en conseil de classe (réunissant donc tous les enseignants) et il précise très clairement les points à améliorer ; cela peut par exemple être de faire attention à la manière de répondre à l’enseignant, de ne pas dormir sur son banc, d’arriver à l’heure au cours…Il est signé par l’élève, ses parents, l’éducatrice, la titulaire et la direction. Selon Anne-Françoise Evard, en général, les élèves évoluent grâce à ce contrat car il vient mettre un cadre à l’élève pour le structurer et l’aider par des objectifs précis sur un temps déterminé à retrouver une place plus harmonieuse à l’école. Avant chaque bulletin, le contrat est réévalué avec l’éducatrice, la titulaire et l’élève, l'éducatrice ayant préalablement pris contact avec tous les enseignants de l’élève concerné afin d’avoir leur point de vue quant à l’évolution de son comportement. Ensuite, on fait le point et on évalue, en conseil de classe, si on garde le contrat ou si on le lève. Les élèves n’aiment pas recevoir un contrat de discipline car ils se sentent stigmatisés du fait que les enseignants leur rappellent régulièrement son existence devant toute la classe. Ils trouvent aussi que lors des évaluations, les enseignants ne reconnaissent pas toujours les efforts fournis. L’enseignante que nous avons interrogée n’a jamais eu à sanctionner un élève par non-respect d’un contrat. A la question de savoir si ce serait possible d’impliquer davantage les élèves en les faisant participer à la rédaction du contrat voire même de proposer eux-mêmes un contrat, la réponse de l’enseignante est mitigée. Selon elle, cela pourrait être possible pour certains élèves mais sûrement pas pour tous car le contrat de discipline est une sanction. Les adultes tirent la sonnette d’alarme et mettent un cadre contraignant. Dans ce contexte-là, il semble difficile d’envisager que les élèves s’auto-sanctionnent.

En quoi la signature d’un contrat pourrait-elle nuire à l’élève ?

Le contrat pourrait nuire à l’élève si la signature entraine une application plus sévère et plus rapide des sanctions. Si le non-respect du contrat enclenche une accélération de la procédure d’exclusion d’un élève, cela met à mal le principe du droit puisque le jeune en signant renoncerait à des droits qui le protègent. Rappelons qu’un élève régulièrement inscrit ne peut être exclu définitivement que si les faits dont il s’est rendu coupable portent atteinte à l’intégrité physique, psychologique ou morale d’un membre du personnel ou d’un élève, compromettant l’organisation ou la bonne marche de l’établissement ou lui font subir un préjudice matériel ou moral grave[10]. Préalablement à toute exclusion définitive, l’élève et ses parents (l’élève seul s’il est majeur) est invité par lettre recommandée (avec accusé de réception) par le chef d’établissement qui leur expose les faits et les entend. La lettre de convocation spécifie qu’une procédure pouvant mener à l’exclusion définitive est en cours ainsi que la nature des faits reprochés à l’élève. L’audition donne lieu à un procès-verbal qui sera signé par l’élève majeur ou par les parents de l’élève mineur et par le chef d’établissement.

Or il s’avère que, dans la pratique, des renvois semblent se faire de manière quasi automatique sur la base d’un contrat en sautant la case « audition » ; en évitant la rencontre entre la direction et les parents, en n’informant pas les parents de la procédure ni des possibilités de recours. Les parents d’un enfant qui auraient signé un contrat de discipline pourraient donc dans le pire des cas voir leur enfant renvoyer sans d’autres formes de procès et sans même être informés des recours possibles[11]. Lors de l’interpellation au Parlement, la Ministre de l’Enseignement Obligatoire a été extrêmement claire sur la valeur juridique de ces contrats de comportement. Ils n’en ont pas, ils sont tout simplement des outils auxquels certaines écoles ont recours pour rappeler à l’élève la loi et le guider vers un comportement plus adéquat. Ils ne peuvent devenir des moyens de contourner la loi, d’expulser plus facilement et plus rapidement les élèves dont on ne veut plus. Marie-Dominique Simonet déclare : « De tels contrats n’ont aucune valeur juridique face à la procédure d’exclusion fixée par le décret du 24 juillet 1997. Seule cette procédure est applicable, qu’il y ait contrat ou pas. »

Bénédicte Beauduin précise qu’un contrat de comportement ne dispense pas du respect de la procédure en matière d’exclusion fixée par le décret Missions, aussi bien dans le fondamental que dans le secondaire. Un tel contrat doit prévoir que l’école pourra envisager l’exclusion, mais seulement après le respect des procédures en la matière. Si ce n’est pas le cas, et que cette exclusion intervient d’office à la deuxième incartade, c’est contestable. Le contrat disciplinaire doit servir d’avertissement[12]. Rappelons également que l’exclusion définitive est la sanction la plus lourde qui puisse être infligée à un élève et il en subira les conséquences sur le long terme. Les faits reprochés doivent dès lors être proportionnels à la gravité de la sanction. Avoir à exclure un élève d’une école doit rester une exception et révèle les échecs de notre système scolaire. Le Délégué Général rappelle que l’exclusion n’est ni une question d’élèves ni une question d’enseignants, c’est une question systémique. Elle révèle les ratés de la réussite scolaire, dont les élèves sont les victimes, manifestement, en même temps qu’ils en sont les acteurs[13].

Eric Bruggeman, juriste à Infor Jeunes-Laeken, parle de rapport de force en défaveur du jeune et des familles avec l’instauration de ces contrats de comportement. En effet, ces contrats sont toujours assortis d’une menace d’expulsion. La direction laisse entendre ou écrit qu’en cas d’écart, l’enfant pourrait valser directement dehors. On utilise cette pression psychologique pour cadrer le comportement. Ces contrats de comportement n’ont pas de valeur juridique mais l’élève et la famille se sentent obligés de signer. Ces contrats renforcent encore une relation asymétrique puisque tout est à charge de l’élève comme si l’institution n’avait aucune obligation par rapport à cela. Selon Eric Bruggeman, il est du devoir des écoles de trouver d’autres ressources pédagogiques que ce contrat avec lequel l’école prend des libertés avec la loi pour contraindre l’élève. Se joue-là une forme d’abus de pouvoir qui s’exerce à travers un détournement de la législation. Il préconise comme alternative d’impliquer l’élève dans son processus d’intégration ou de réintégration. L’élève propose lui-même une forme de réparation en prestant une activité au profit du collectif, de la communauté scolaire. Cette réparation doit l’amener à prendre en considération le lien social. L’élève n’est plus ainsi stigmatisé individuellement comme étant la source de tous les problèmes comme dans le contrat[14].

Selon Abraham Franssen, la contractualisation de la relation éducative peut aussi bien être source d’émancipation et de respect que constituer un moyen un peu sournois et pernicieux de contrôle et d’exclusion. Si le contrat ouvre la porte à un dialogue et que l’école en profite pour réfléchir aux causes des comportements constatés chez les jeunes, le contrat peut alors s’avérer positif, remobiliser et aider à redéfinir la place de chacun. Par contre, il arrive que ce contrat n’ouvre pas ce champ de possibles-là mais soit vécu comme un marquage qui signale à tous que tel élève est borderline et qu’à la moindre incartade, il sera légitime de l‘exclure. Abraham Franssen envisage même que ce contrat puisse être utilisé par certains établissements pour se débarrasser d’un public inhabituel : Il peut arriver que des établissements se sentent menacés ou envahis par un public qui ne correspond pas à leur image de référence. Et les effets perçus des décrets « inscription » peuvent parfois renforcer ce sentiment. Dans ce cas-là, la pratique du contrat devient un moyen d’éviction. C’est une des limites des tentatives de régulation des inscriptions et des publics scolaires : le vrai problème n’est pas tant d’entrer dans l’établissement que d’y rester, de s’y sentir valorisé et accueilli[15].

Bernard De Vos, Délégué général aux droits de l’enfant, relève également le caractère excessif de certains contrats : Ces contrats, qui placent souvent des objectifs irréalistes compte tenu de ce que les élèves ont pu démontrer jusqu’à leur signature, ne reprennent que les engagements des élèves, sans dialogue et sans engagements réciproques de l’école pour soutenir l’élève. De la sorte, la responsabilité de l’école et du système scolaire n’est pas remise en cause alors que celle de l’élève est amplifiée, ce qui permet, parfois, d’accélérer et de justifier des procédures d’exclusion d’élèves devenus indésirables [16].La signature du contrat est par ailleurs bien souvent présentée comme étant obligatoire ; en effet, si les parents et l’élève se refusent à signer, l’école menace d’exclure l’élève. Est-ce encore productif de faire signer un tel contrat ? Il s’apparente plus alors à une menace, ce qui crée un climat d’insécurité et de méfiance peu propice aux apprentissages. Un reportage télévisé[17] de la Une du 6 novembre dernier expose le cas de Jérôme dont les parents refusent de signer le contrat de comportement. « En cas de nouveau problème, il est stipulé que la signature du contrat va entrainer une application plus sévère et plus rapide des sanctions pouvant aller jusqu’à l’exclusion définitive », explique le papa de Jérôme. C’est tout à fait illégal et d’un point de vue éducatif très choquant ; en effet, on demande à un enfant de renoncer à des droits qui le protègent, il perd la possibilité d’être sanctionné selon la norme, selon les règles normales de progression des sanctions. La famille de Jérôme refuse donc de signer le contrat car il juge la mesure disproportionnée. La directrice de l’école de Jérôme déclare n’avoir jamais connu pareil cas de refus de signature et envisage des mesures pouvant mener à l’exclusion : Si l’élève ne signe pas, nous serions amenés à prendre différentes mesures qui l’amèneraient éventuellement à quitter l’école, déclare Christine Straus, directrice de l’école concernée.

C’est quoi finalement un bon contrat de discipline?

Nous allons à présent cerner plus précisément les fondements d’un contrat de discipline respectueux de chacune des deux parties et qui poursuit son objectif de remobiliser l’élève et de l’encadrer. Le contrat de comportement vise à permettre à l’élève de marquer un temps d’arrêt, de prendre du recul et de prendre conscience de l’inadéquation de son comportement. Il peut aussi servir à avertir les parents de la situation. L’objectif poursuivi est bien de lui permettre de poursuivre ses apprentissages en lui évitant d’être exclu de l’école. Avec un tel contrat, on navigue entre la mesure éducative (visant à responsabiliser le jeune et ses parents) et la mesure disciplinaire dont l’objectif est de veiller à préserver un environnement propice aux apprentissages tant pour les autres élèves que pour l’enseignant.

Le caractère unilatéral du contrat qui fixe des obligations uniquement à charge des élèves est à éviter à tout prix car il stigmatise l’élève et lui fait porter toute la responsabilité de son comportement inadéquat. Ne faudrait-il pas plutôt envisager un contrat mutuel, qui engage les deux parties ? Ce contrat est l’occasion de construire ensemble et d’ouvrir un espace de dialogue entre l’école et l’élève en difficulté avec un réel accompagnement par l’équipe éducative, le chef d’établissement et l’éducateur référent. Après cet espace de parole et d’écoute indispensable, l’élève peut lui aussi faire des propositions de points à améliorer, d’objectifs à atteindre précis et ciblés dans le temps. Le contrat devrait idéalement se rédiger à quatre mains, école et élève. Il est rédigé en termes positifs sur un comportement attendu plutôt que proscrit.

Le contrat ne doit viser qu’un seul objectif et être défini dans le temps. Il doit donner lieu à des évaluations régulières sur base de critères précis. Il faut tenir compte que pour réussir le contrat, l’élève a besoin de temps (au moins 3 semaines).[18]

La mise en place dans le contrat de sanctions réparatrices plutôt que de sanctions d’exclusion donne une deuxième chance à l’élève. Il a ainsi l’occasion de réintégrer le groupe, le collectif en ayant réparé et donc restauré son image de lui-même : la réparation restaure le lien social. En effet, l’enfant qui ne respecte pas une règle se met en dehors de l’espace social, s’exclut du groupe familial ou scolaire. La réparation va lui permettre de se reconstruire une bonne image de lui et de réintégrer le groupe. Dans le cas de faits de violence vis-à-vis d’un autre enfant, le principe de réparation est encore plus nécessaire, car il reconnaît la souffrance de la victime et permet à l’agresseur de s’amender, de faire suivre des actes négatifs par une action positive. Cela ne s’improvise évidemment pas entre les deux protagonistes, il est nécessaire qu’un médiateur, un tiers soit présent pour les guider tous les deux[19].

Conclusion

A la lecture des lignes précédentes, on voit que la véritable question qui se pose n’est pas la signature de tels contrats mais bien de détourner ces contrats de leur objectif premier qui est de donner une deuxième chance à l’élève et de les utiliser pour justifier des exclusions trop peu fondées. Pour l’UFAPEC, la sanction doit rester proportionnelle à la gravité de l’acte. Et le contrat ne peut permettre de détourner la loi, que du contraire il ouvre précisément la voie à une relecture réfléchie du règlement d’ordre intérieur. L’école doit rester une « institution de droit » qui enseigne aux élèves les fondements de la loi et du respect de la norme. A l’école, l’élève se confronte à la norme mais il en découvre aussi le rôle protecteur. Selon l’UFAPEC, l’exercice de l’autorité à travers des contrats de discipline peut être juste, bienveillant, structurant et rassurant pour l’élève.

 

Anne Floor

 

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[1]Direction de l’Enseignement Catholique du Finistère - Service d’animation et de psychologie, Pour une gestion des comportements difficiles à l’école, Enseignement catholique du Finistère, septembre 2006, p.1.

http://sylviecastaing.chez.com/cptspratiques.pdf.

[4]B. Gérard, Un contrat pour exclure ?, Entrées libres n°62, octobre 2011, p.10.

[5]Abraham Franssen, Le sujet au cœur de la nouvelle question sociale, La Revue Nouvelle 2003, n°12. http://www.revuenouvelle.be/rvn_abstract.php3?id_article=538

[6]A. Franssen, ibidem.

[7]Circulaire 3974 du 25/04/2012 sur le Règlement d’Ordre Intérieur (R.O.I.)

[8]Abraham Franssen, Le sujet au cœur de la nouvelle question sociale, La Revue Nouvelle 2003, n°12. http://www.revuenouvelle.be/rvn_abstract.php3?id_article=538.

[10]http://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/21557_008.pdf. Article 89 du décret du 24 juillet 1997 définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre.

[11]Question parlementaire de M. Bea Diallo à Mme Marie-Dominique Simonet du 4 octobre 2011 relative aux contrats de comportement.

http://archive.pcf.be/1000000010860e5

[12]B. Gérard, Un contrat pour exclure ?, Entrées libres n°62, octobre 2011, p.10.

[13]Rapport annuel du Délégué Général aux droits de l’enfant, p 22.

[14]Interview téléphonique réalisée le 15 mai 2012.

[15]B. Gérard, ibidem.

[16]Rapport annuel du Délégué Général aux droits de l’enfant, p. 22.

[18]Direction de l’Enseignement Catholique du Finistère - Service d’animation et de psychologie, Pour une gestion des comportements difficiles à l’école, Enseignement catholique du Finistère, septembre 2006, p.1.

http://sylviecastaing.chez.com/cptspratiques.pdf.

[19]A. Floor, Punition, sanction, réparation : comment bien faire respecter les règles ?, Analyse UFAPEC 2011 n°04.11.

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