Analyse UFAPEC mars 2015 par B. Loriers

02.15/ Stress et CEB, l’école envahit-elle les familles ?

Introduction

Depuis 2009, le certificat d’étude de base, CEB, évalue le niveau en français, math et éveil, et est organisé dans toutes les écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour les élèves de 6e primaire. C’est lui qui donne accès ou non à l’enseignement secondaire.

Le monde semble s’arrêter de tourner, les médias s’en servent comme fonds de commerce. Est-on obligé de s’affoler ? L’essentiel n’est-il pas ce qui se fait chaque jour en classe ? Et si cette pression scolaire, familiale, médiatique provoquait un stress inutile et destructeur chez nos enfants ? Les enfants ont-ils encore le droit de vivre en dehors de leur « métier » d’élèves ?

En prenant un peu de hauteur, notre société d’hyper scolarisation et de course aux diplômes serait-elle à freiner ? Cette hyper scolarisation ne risque-t-elle pas de provoquer un fossé entre les familles qui connaissent les codes scolaires et ceux qui ne les connaissent pas ?

Quel rôle devraient jouer les parents lors de ces évaluations externes de fin de primaire ?

 

La névrose scolaire des parents

Le CEB occasionne souvent un stress pour les parents, qui font porter à l’élève leur propre peur de l’avenir. Survenant plus ou moins à l’âge de 12 ans, cette évaluation s’apparente à un rituel de passage, souvent lourd au niveau de l’histoire de la famille : certains parents veulent que leur enfant réussisse aussi bien qu’eux, d’autres veulent offrir une réussite à leur enfant, réussite qu’ils n’ont pas atteinte, ou qu’un autre de leurs enfants n’a pas obtenue...

Le stress que connaissent de nombreux parents à l’occasion du CEB peut provenir aussi de leur perte de confiance vis-à-vis de l’institution scolaire. Certains parents ne semblent plus convaincus que l’école prépare bien leur enfant au CEB. « Force est de constater qu’au quotidien, il y a des tensions, des malentendus, voire des conflits, entre les enseignants et les parents. Des familles n’hésitent plus à changer leur enfant d’école et certaines, parfois, à intenter une action en justice. Des représentations négatives circulent également sur les différents acteurs de l’école d’aujourd’hui, allant du parent démissionnaire ou intrusif à celles de l’enseignant laxiste ou trop autoritaire »[1].

Cependant une certaine pression, stimulante et positive, de l’enseignant et des parents permet-elle à certains élèves d’avancer, de réussir, pour obtenir plus tard des diplômes, devenus indispensables, et d’accéder à un métier épanouissant ? Certains parents le pensent, et accordent beaucoup d’importance aux évaluations externes.

 

Le rôle des parents au moment des évaluations du CEB

Mais les parents doivent-ils pour autant se transformer en coaches ou profs particuliers, est-ce leur rôle de refaire les cours, réexpliquer la matière et faire étudier leur enfant pendant des périodes parfois bien longues ? Pour le docteur Christine Reynaert, chef du service psychosomatique à l’UCL Mont-Godinne, les parents peuvent aider l’enfant à anticiper ce qui va se passer lors de ses évaluations: «le jour de l’examen, tu vas te réveiller à telle heure. C’est papa qui va te conduire, tu vas être dans une autre classe, surveillé par un autre professeur… Tu me raconteras ?”»[2]. Ces échanges préalables sont l’occasion de rassurer l’enfant, et de lui donner des trucs et ficelles, comme celui de ne pas s’attarder sur une question qu’il ne comprend pas, pour y revenir par la suite.

Les parents peuvent, par ailleurs, mettre un cadre, et aider leurs enfants à acquérir une bonne hygiène de vie : manger équilibré, se promener, veiller à avoir suffisamment d’heures de sommeil... Dans une réunion d’information aux parents, un directeur avait rassuré les parents en disant que le CEB n’était qu’une évaluation comme une autre, de matières qui étaient connues par les élèves. Et qu’en période de CEB, le conseil unique qu’il donnait, c’était d’être bien reposé et, de ne pas travailler les après-midis de CEB : juste se détendre !

 

L’école envahit la sphère familiale

Dans le cadre de l’évaluation externe du CEB, nous nous demandons si les élèves ne connaissent pas une pression excessive, surtout s’ils ne sont évalués qu’au regard de leurs réussites. Se construisent-ils en tant qu’êtres humains ou seulement comme sujets d’apprentissage ?

Le risque pour les élèves que les enseignants misent les apprentissages uniquement sur les évaluations est qu’ils ne trouvent plus suffisamment de sens dans ces apprentissages. Ce manque de sens pourrait aboutir au décrochage scolaire. Comme l’explique Philippe Perrenoud : « notre société a placé la maîtrise des savoirs au centre de son système de valeurs, mais elle ne parvient plus guère à lui donner un sens autre que stratégique, comme atout dans la course à la réussite sociale »[3].

L’école envahit la sphère de la famille qui doit s’adapter : gestion du temps, aménagement de l’espace, tâches et méthodes éducatives pour «produire» un enfant capable d’être élève. Mais dans quelle mesure les parents peuvent-ils réagir par rapport à l’école qui s’installe chez eux, à cette course à l’armement scolaire, dont les sessions payantes de rattrapages en dehors de l’école ?

La famille devient une annexe de l’école, mais n’est-il pas dommage de dénaturer les fonctionnements familiaux? « En gros, huit jeunes sur dix s’expriment dans la famille tandis qu’à l’école, sept sur dix disent se taire ! Evidemment, la nature de ces deux milieux éducatifs joue ici pleinement. Chacun des membres de la famille y est considéré pour ce qu’il est, à savoir une personne dont les droits, notamment d’expression, lui sont aujourd’hui d’emblée reconnus et accordés. Alors que l’école est une institution qui valorise le cognitif, le collectif, l’universel et l’évaluatif, la famille est une communauté fonctionnant sur l’affectif, l’individuel, le particulier, où l’enfant peut se construire et développer l’estime de soi »[4].

Si l’enfant n’est plus qu’un élève, l’institution familiale ne court-elle pas le risque de ne plus avoir d’identité propre, le risque que les parents deviennent des «employés subalternes» de l’école qui dicterait ses règles, qui distillerait les codes de conduite ?

 

Risques d’une hyper scolarisation : fossé entre les familles qui connaissent les codes scolaires et celles qui ne les connaissent pas

Est-on proche d’une école de la réussite pour tous, quand on observe que les élèves qui réussissent sont ceux qui, pour la plupart, peuvent être suivis par les parents qui maitrisent les codes et les matières scolaires, et/ou qui ont les moyens financiers d’offrir à leur enfant des cours supplémentaires, extérieurs à l’école ?

Les parents qui connaissent les codes scolaires sont sans doute ceux qui transmettent à leurs enfants la nécessité d’apprendre et de comprendre. Pour les enfants issus de milieux qui n’ont pas intégré ces codes, la responsabilité en revient aux enseignants. « On pense évidemment aux familles issues de pays lointains qui ne connaissent pas l’école comme chez nous. Mais il y a aussi le cas de ces personnes qui sont allées à l’école chez nous, mais qui l’ont mal vécue parce qu’elles n’ont pas compris ce que l’on attendait d’elles. Par conséquent, elles ne sont pas capables de transmettre à leurs enfants ce qu’elles-mêmes n’ont jadis pas compris »[5].

Pour Claire Grand, psychologue scolaire : « plus les parents émanent de catégories socio-professionnelles élevées, plus ils s’inquiètent pour l’avenir de leurs enfants, et plus ils ont envie de les pousser. Ceux qui vivent dans des quartiers très défavorisés, en revanche, croient au déterminisme social. « Moi, petit, je n’y arrivais pas, c’est donc normal que mon enfant n’y arrive pas non plus ». Ceux-là passent rarement la porte de l’école, pour par exemple, rencontrer les professeurs, car c’est pour eux le souvenir d’un lieu de souffrance et ils ne s’y sentent pas compétents »[6].

Un des exemples de ces codes scolaires est le travail, l’étude, l’apprentissage pour le plaisir, pour le goût d’apprendre. Dans certaines familles, cette notion est inconnue : on travaille par obligation, un point c’est tout. L’enseignant devrait pouvoir respecter chaque élève dans sa propre relation qu’il a avec le travail, dans sa culture familiale, dans son mode de fonctionnement, afin d’éviter tout conflit de loyauté entre la sphère scolaire et la sphère familiale.

Notre mouvement parental défend une école de la réussite pour tous les élèves. « Le défi étant, pour l’enseignement fondamental, de relever le niveau de connaissance des élèves les plus faibles. Sinon toute tentative de mixité sociale en secondaire sera vouée à l’échec, en raison de trop grandes disparités des connaissances des jeunes. Il s’agit par ailleurs de permettre une liberté pédagogique aux enseignants pour adapter ses exigences à son groupe-classe. Il ne faudrait pas que l’on démotive certains élèves en limitant les évaluations aux exigences externes »[7].

 

Pistes de réflexion

Parents, enseignants et journalistes ne devraient-ils pas être acteurs de changements en prenant de la hauteur par rapport à une certaine hystérie collective du CEB, pour des enfants qui n’ont encore que 12 ans ?

D’autre part, l’évaluation externe du CEB n’est-elle pas aussi un stress d’enseignants de 6e primaire, qui souhaitent qu’une majorité de leurs élèves réussissent ce CEB, gage qu’ils sont des profs compétents ? Un travail de préparation régulier en classe tout au long de l’année est préférable à un sprint angoissant les derniers jours qui précèdent l’évaluation ; et sans dénaturer son importance, remettons à sa juste place le CEB, qui fait partie d’un continuum pédagogique, se terminant avec l’épreuve du CE1D (épreuves externes de la 2ème secondaire).

Quoi qu’il en soit, les évaluations externes comme le CEB ont leur importance, car elles permettent d’évaluer si les acquis sont suffisants pour réussir le cycle suivant : un CEB réussi avec 55 % est-il suffisant pour réussir l’enseignement secondaire ?

Les éditeurs scolaires l’ont d’ailleurs bien compris et en font leurs choux gras en publiant des préparations au CEB. Dans le même contexte, on trouve facilement des profs particuliers qui proposent leurs services. D’autres quotidiens et revues, ainsi que le net, diffusent des versions antérieures du CEB, pour que les parents puissent les travailler avec leur enfant à la maison.

Mais nous ne pouvons pas étudier à la place de nos enfants, ni nous transformer en prof particulier ; ce n’est certainement pas l’objectif du CEB ! Nous pouvons tout au plus installer un cadre qui permette aux élèves de se concentrer, sans que nos graines d’ados soient mises en « blocus[8] » comme à l’université. Nous pouvons mettre nos enfants en condition optimale pour réviser, et éviter de leur mettre une pression qui risque de les bloquer, en continuant à être des parents attentionnés et bienveillants, en veillant au rythme des enfants et à leurs détentes.

Parents et enseignants devraient davantage en profiter pour travailler surtout l’aspect stress et nouveauté. En effet, les enfants sont déstabilisés par la formulation des questions qui est différente des questions de leur propre enseignant. Ne pourrait-on pas en profiter pour apprendre aux enfants à décoder, à lire convenablement, à réfléchir à ce qui est demandé ? La bonne compréhension de la consigne est la première et indispensable étape. Les entrainer à ne pas perdre pied face à la nouveauté, à gérer leur stress seront des outils très utiles pour la jungle du secondaire.

Enfin, les enfants se réduisent-ils à leurs seules performances scolaires ? Leur entourage a-t-il la capacité de les apprécier autrement que pour leur réussite à l’école ? La famille, constitutive de tout individu, ne devrait-elle pas tenter de conserver davantage ses spécificités, son identité propre d’affection individuelle ? Car l’enjeu sociétal majeur, c’est cet envahissement de l’école dans les familles, et le CEB n’en est qu’une expression. La famille peut protéger l’enfant d’une pression qu’il n’a pas à vivre si jeune.

 



[1]HOUSSONLOGE Dominique et THOLLEMBECK Julie,  Le partenariat comme moyen de régulation entre l’école et la famille, entre idéal et mise en pratique, étude UFAPEC décembre 2014 : http://www.ufapec.be/files/files/analyses/2014/3514-et2-partenariat-ecole-famille.pdf

 

[2]SANDRONT Anne, CEB, encore 20 jours de stress avant d’y passer, in L’avenir, mardi 29 mai 2012.

[3]PERRENOUD Philippe, cité par HOUSSONLOGE Dominique, Diplômes à tout prix, ou stratégies des familles dans la réussite socio-professionnelle, analyse UFAPEC 2008 : http://www.ufapec.be/nos-analyses/diplomes-a-tout-prix-ou-strategies-des-familles-dans-la-reussite-socio-professionnelle/

[4]HOUSSONLOGE Dominique, Diplômes à tout prix, ou stratégies des familles dans la réussite socio-professionnelle, analyse UFAPEC 2008 : http://www.ufapec.be/nos-analyses/diplomes-a-tout-prix-ou-strategies-des-familles-dans-la-reussite-socio-professionnelle/

[5]DIVE Alice, Aider l’enfant à entrer dans le savoir, in lalibre.bedu 14 octobre 2013, interview de Sandrine Grosjean, de Changement pour l’égalité .

[6]GRAND Claire, Toi qu’on dit « surdoué » et Toi qu’on dit « autiste », éditions L’Harmattan, 2012.

[8]L’UFAPEC dénonce cet abus de langage utilisé par une certaine presse.

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