Analyse UFAPEC 2008 par B. Loriers

22.08/ La démocratie à l’école en danger ?

Constat

L’UFAPEC se préoccupe depuis sa création en 1956 des inégalités au sein des familles, dans leur relation avec le savoir, avec l’Ecole. En abordant la démocratie par l’école(1) , nous abordons l’Ecole en tant qu’institution inscrite dans la société. En tant qu’institution sociale, l’Ecole joue un rôle de formateur de nos futurs citoyens.
Le décret « Missions » du 24 juillet 1997 parle de garantir la qualité et l’équivalence de l’enseignement dispensé dans les établissements. C’est l’accès à des savoirs de qualité pour tous les élèves, quelle que soit leur origine sociale ou culturelle, qui devrait garantir la démocratie par l’Ecole, c’est-à-dire le fait que l’Ecole forme de futurs citoyens actifs et responsables Est citoyen celui qui sait, et qui grâce à ses apprentissages peut comprendre la complexité du monde actuel, y apporter un regard critique, prendre sa place dans la société, y jouer un rôle.
Pour Saliou Sarr, être citoyen, c'est être partenaire de plusieurs responsabilités communes auxquelles on participe en s'informant, en informant, en travaillant, en consommant, en produisant. En conséquence la citoyenneté, c'est la capacité de reconnaître les valeurs éthiques requises pour la vie en commun, d'effectuer et d'agir avec la conscience d'appartenir à un corps social organisé. L'éducation à la citoyenneté est un ensemble de connaissances, d'aptitudes, d'attitudes qui permettent à l'enfant de reconnaître les valeurs requises pour la vie commune et d'effectuer des choix et d'agir dans ce respect.(2)
Notre hypothèse est qu’en sortant de l’école, trop peu de jeunes n’ont pas acquis les outils pour l’exercice de la démocratie qui s’acquiert notamment par l’acquisition de savoirs de base

Problématique

En 3ème et 4ème professionnelle, les enseignants disposent de trois heures pour un cours de français et de formation humaine, qui devrait poursuivre tous les objectifs du français, mais aussi ceux des sciences humaines. Dans le même temps, les élèves du même âge dans le général ont le triple d’heures attribués à ces cours(3) .
Les élèves qui fréquentent l’enseignement professionnel, massivement issus des milieux populaires, sont-ils jugés indignes ou incapables de cette exigence intellectuelle ? On ne peut cependant imaginer une démocratie sans citoyens compétents, formés et conscients.
En renonçant à « l’excellence » pour tous les élèves par une sélection précoce, on pratique la connaissance et la culture au rabais pour certains élèves, ce qui les déclassent à l’école et plus tard, dans la société.

Savoirs de base et légitimes

Jacques Cornet(4) apporte une nuance de taille par rapport à la relation des êtres aux savoirs de base. Ces apprentissages « ne peuvent prendre sens que dans ce pourquoi ils existent, à savoir l’entrée en culture riches et plurielles, et l’exercice d’une citoyenneté élargie. Il ne s’agit pas de se centrer sur les apprentissages de base, mais sur la vie, le réel, le social, les cultures dans lesquels les apprentissages de base prennent sens et pour lesquels ils sont indispensables et en entrant tout de suite dans la complexité. Les enfants apprendront mieux le français en faisant moins de français et plus d’éveil, de communication, de sociopolitique ! ».
Rudy Wattiez ajoute que c’est au travers de TOUS les savoirs que la citoyenneté se construit . La question des savoirs renvoie inévitablement à ce qu’il faut travailler dans chaque cours pour que les enfants deviennent des citoyens.(5)
Pour Jacques Cornet(6) , l’école de nos grands-parents fonctionnait avec un rapport au savoir dominant, imposé arbitrairement comme seul légitime. Seuls réussissaient les héritiers qui possédaient déjà avant d’y entrer le rapport au savoir culturellement légitime et les quelques autres très méritants qui se soumettaient à cette domination culturelle et acceptaient cette inculcation. Aujourd’hui la reproduction des inégalités par l’école est plus complexe encore, l’école ne fonctionnant plus avec un seul rapport au savoir légitime.
L’école connaît aujourd’hui des conflits de légitimité entre des rapports aux savoirs relativement incompatibles.

Deux types de rapports à la connaissance entrent en contradiction:

  • savoir pour répondre (autrefois seul légitime)
  • savoir pour questionner (imposé par le discours pédagogique dominant et se mettant difficilement en œuvre).

Seuls aujourd’hui réussissent les élèves déjà armés pour (se)jouer des contradictions complexes du système dans le sens de leur réussite, les autres en jouant pour se défiler et échouer, et d’autres encore pour affirmer leur opposition stérile.

Conditions de possibilité pour une citoyenneté active

L’exercice d’une citoyenneté active est rendu possible au sein d’un établissement scolaire si les personnes sont capables de:

  • s’informer
  • se forger une opinion
  • défendre un point de vue
  • évaluer sa place et ses chances futures dans la société
  • croiser des modes de pensées différentes

et ces apprentissages des savoirs et des compétences nécessaires à l’exercice d’une citoyenneté active varieront souvent d’un milieu social à un autre.

Obstacles à la démocratie à l’école

Jacques Liesenborghs(7) relève une série de résistances qui freinent l’appétit démocratique des acteurs de l’école.

  • La barbarie consommatrice : la publicité et l’esprit de compétition court-circuitent la réflexion. Dès lors, comment offrir aux plus faibles une partie du pouvoir ? Notre société de marché réduit les savoirs aux « savoir-faire de l’argent ».
  • L’évolution des moyens de communication de masse : on nous propose du spectacle, bien plus qu’une réflexion critique de notre société.
  • Le marché scolaire et le clientélisme : les employeurs veulent engager des jeunes formés « clés sur porte », au détriment de la formation générale, au développement de l’esprit critique, à la gestion du vivre ensemble, à la coopération. Certains parents-clients exigent de plus en plus les langues vivantes dès l’école maternelle, plus de sciences dures, au détriment de l’histoire et de la philosophie par exemple.

Inégalités par manque de tronc commun

Pour Rudy Wattiez, notre système scolaire renforce les inégalités sociales pour plusieurs raisons :

  • la sélection précoce via l’absence d’un tronc commun dans le premier degré de notre enseignement secondaire. Cette absence de tronc commun favorise les filières de relégation
  • un redoublement pratiqué de manière intensive et la présence d’un marché scolaire

Comme le démontrent particulièrement les résultats successifs des enquêtes PISA,(8) les victimes en sont surtout les élèves issus des milieux socialement et culturellement moins favorisés. De quelle citoyenneté peut-on parler à l’école, dans un système belge fortement clivé, dans une Ecole qui exclut sur base de l’origine sociale plus qu’elle n’inclut ? L’organisation de notre système scolaire n’est-elle pas porteuse en germe d’une citoyenneté à deux vitesses

Pour Vincent Dupriez(9) , face à l’hétérogénéité des élèves, les variables d’ajustement sont le redoublement et les filières. Alors que dans les systèmes à tronc commun(10) , l’ajustement se fait par un travail intensif de remédiation et de différentiation pédagogique.

Comment diminuer cette dualisation de notre enseignement ?

Pour Rudy Wattiez, notre système éducatif est tout à fait capable de former les élèves à la citoyenneté, quelque soit leur niveau de qualification. Pour cela, l’école est essentielle s’il s’agit d’une école qui éduque à la citoyenneté est une école pour TOUS, une école qui lutte avant tout contre les ségrégations scolaires.
Et pour cela, il faut prévoir :

  • l’allongement d’un tronc commun pluri-disciplinaire
  • une formation des enseignants intégrant davantage la dimension sociopolitique
  • la capacité à travailler avec un public hétérogène

Pour la plate-forme de lutte contre l’échec scolaire(11) , il semble évident qu’on ne peut obliger des jeunes à faire des choix déjà déterminants pour leur carrière professionnelle dès 12 ou 13 ans. Par ailleurs, il est clair que l’existence de filières aux objectifs très différents ne peut que creuser les inégalités. Autrement dit, plus le tronc commun est long, plus le pays lutte avec efficacité contre les inégalités. Là encore, nous avons constaté que le gouvernement partageait cette analyse. La réforme qui se met en route dans le 1er degré du secondaire montre néanmoins qu’on est loin d’un vrai tronc commun, même jusqu’à 14 ans. Ceci parce que les élèves qui sortent de primaire ont des niveaux très différents. Certains n’ont pas le CEB et nécessitent donc une prise en charge particulière. Mais il nous paraît intolérable que, dans un pays industrialisé disposant des moyens financiers qui sont les nôtres, de nombreux élèves n’obtiennent pas le CEB ! Et ceci nous ramène à la question de la mixité sociale. Car au niveau du fondamental aussi, il faut prendre des mesures pour éviter la dualisation entre établissements. On le voit, tronc commun et mixité sociale sont en réalité indissociables. On ne peut viser l’un sans l’autre. C’est pourquoi l’UFAPEC s’associe à cette plate-forme de lutte contre l’échec scolaire et attend de la part du gouvernement qu’il initie des mesures plus volontaristes afin de s’attaquer à ces problèmes.

Pour Rudy Wattiez(12) , il y a un manque de formation politique à l’interculturalité des futurs enseignants : « La Belgique est l’un des pays où la formation des enseignants est la plus courte. En allongeant la formation, on peut, de surcroît, introduire des cours de sociologie dont on a signalé la carence plus haut. Il faut allonger, mais ‘plus’ n’est pas synonyme de ‘mieux’. Quels enseignants voulons-nous pour nos enfants ? D’une manière générale, il faut repenser l’entrée dans la carrière (accompagnement des plus jeunes, allégement de la charge pour permettre des concertations, ...), la diversification dans la fonction est également un enjeu.(13)
 

Scolarisation des familles, une autre solution ?

L’arrivée des savoirs scolaires sur le terrain culturel et social de la famille, poserait moins de problème si le voyage était le même pour tous les enfants. Mais les familles sont toutes différentes par la diversité de leurs conditions de vie et du capital culturel qu’elles produisent.(14) Différentes par leur taille, leur composition, leur histoire, leur solidité, leurs ressources, leurs appartenances (ethnique, religieuse, professionnelle ou sociale), les familles se différencient aussi par leurs rapports au savoir et à l’Ecole. Certaines familles se débrouillent sans l’Ecole ni les savoirs, restent à distance, et pensent que l’Ecole n’est pas faite pour elles.
D’autres familles croient que seule l’Ecole permet une trajectoire sociale ascendante par l’acquisition d’un diplôme. Ces familles se transforment parfois en succursales scolaires(15) , dans l’espace de la maison, le rôle des parents, l’ambiance, et dans les activités … pédagogiques !
Et cela marche ! La proximité culturelle et organisationnelle des familles avec l’école est indubitablement un gage de réussite scolaire. A l’inverse, la distance est un facteur d’échec. La conversion de l’enfant en élève sera nettement plus facile, plus agréable et surtout plus rentable si sa famille ressemble déjà à l’école.
Ne suffirait-il pas dès lors de scolariser les familles, c’est-à-dire exiger que les parents assurent quotidiennement un soutien scolaire? Non, car en exigeant un soutien scolaire de tous les parents, l’Ecole exacerbe les inégalités entre les familles et enferme nombre d’entre elles dans une relation d’incompétence et d’impuissance qui les mène souvent au désengagement et à l’abandon scolaire.
Danièle Mouraux plaide pour que l’Ecole renvoie ses élèves à leur domicile non pas pour ne rien faire, mais « avec mission de chercher la signification, l’importance que prennent les savoirs scolaires dans la vie sociale, économique, culturelle, politique ».(16)

La démocratie au sein de l’établissement scolaire ?

La démocratie peut aussi se jouer dans l’école, entre les différents partenaires: familles, élèves, profs, direction, PO.
Encore une fois, les relations entre ces différentes classes institutionnelles dans une école dépendent fortement de l’appartenance sociale des familles. « Le développement d’une culture démocratique ne se fera pas de la même manière avec des élèves qui, via leurs familles, occupent depuis toujours une place dominante dans la société, ou avec des élèves qui vivent l’exclusion et ont assimilé leur position de dominés depuis l’enfance. Les enjeux d’une plus grande démocratie sont radicalement différents de part et d’autre de l’échelle sociale.(17) »

Parmi les conflits d’intérêts propres à notre société, des choix doivent être faits si on veut éviter que l’écart ne se creuse toujours plus entre classes dominantes et dominées. Et l’école peut occuper une place privilégiée pour tendre vers une société plus égalitaire, si chaque partenaire en fait le choix, chacun à son niveau.
 

Bénédicte Loriers

(1)RASSON Nathalie, Pratiques démocratiques à l’école, Couleur livres, 2008, p.91.
(2)SARR S. , L'éducation à la citoyenneté : le rôle de l'école, in www.eip-cifedhop.org/eipafrique/senegal/cit.html.
(3)SCHMETZ Philippe, Des vœux pieux du décret Missions à la réalité, Traces de changement, n°180.
(4)CORNET Jacques, Changements pour l’égalité et la qualité, in La revue Nouvelles, n°8 du 10 août 2005.
(5)WATTIEZ Rudy, Peut-on éduquer à la citoyenneté à l’Ecole en Communauté Française de Belgique ?, in Pratiques démocratiques à l’école, éditions Couleur Livres, 2008.
(6)CORNET Jacques, id.
(7)LIESENBORGHS Jacques, Démocratie à l’école, résistance, obstacles et ouvertures dans la société, iPratiques démocratiques à l’école, Couleur Livres, 2008.
(8)VAN KEMPEN J-L “PISA ….”
(9)DUPRIEZ Vincent, dossier : Contrat pour l’école, Alter Educ, juin 2005.
(10)En Finlande par ex. voir VAN KEMPEN J-L « le système scolaire finlandais : un exemple à suivre ? » analyse UFAPEC 2008
(11)Plate-forme de lutte contre l’échec scolaire , bilan de l’action gouvernementale, dossier de presse, 14 septembre 2008.
(12)WATTIEZ Rudy, Journée d’étude de l’Aped, le 3 mars 2007 à Bruxelles. Compte rendu et documents du colloque sur l’école commune.
(13)Rudy Wattiez renvoie à un texte produit par l’équipe politique de CGé ‘Enseignant, un métier à refaire’ sur le site [http://www.changement-egalite.be]
(14)MOURAUX Danielle, L’école et les familles, rencontre possible de spécialistes de l’éducation, in Pratiques démocratiques à l’école, Couleur Livres, 2008.
(15)HOUSSONLOGE D. « diplômes à tout prix », analyse UFAPEC 2008
(16)MOURAUX Danièle, id.
(17)RASSON Nathalie, in Pratiques démocratiques à l’école, Couleur Livres, 2008.
 

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