Analyse UFAPEC 2010 par A. Floor

22.10/ Et on apprend en rythme…. celui des enseignants ? des parents ? du lobby touristique ? ou des enfants ?

Introduction : Le temps, une denrée rare pour les enfants aussi

Et pourtant les enfants d’aujourd’hui usent nettement moins leurs pantalons sur les bancs de l’école qu’autrefois (1338 heures annuelles de classe pour un écolier en 1894 contre 888 heures aujourd’hui), ce constat est tiré d’une analyse de Roger Sue et Yves Rondel[1]. Sur un an, en effet, le temps libre recouvre environ 80 % du temps de veille d’un écolier et 70 % de celui d’un collégien. Il importe cependant de nuancer car même si l’enfant est physiquement moins présent à l’école, celle-ci a pris une ampleur considérable dans les esprits de par ses verdicts qui engagent davantage l’avenir professionnel des enfants, de par la densité du travail scolaire et la tension qui en résulte. Même si leur temps est loin d’être dévoré par l’école, elle reste cependant très présente et pesante dans leur quotidien même quand ils en sont sortis et à distance. De plus, les enfants sont soumis à une double pression de performance : la famille les pousse très fortement à réussir scolairement, d’une part, et, d’autre part, à s’épanouir et développer leur autonomie en sus de l’école. Les moyens d’arriver à cet épanouissement varieront en fonction du milieu social. Certains enfants enchaîneront devoirs, leçons, logopédie, solfège, musique, anglais, dessin,… pour arriver à un horaire de ministre. D’autres seront pris en charge par des associations d’éducation permanente (écoles de devoirs, …).
Qu’est-ce-qui se cache derrière cette suractivité ? Pourquoi ne pas laisser à l’enfant des plages libres où son propre désir peut émerger même s’il a dû passer par une phase d’ennui ?
 
On constate en tout cas que la gestion du temps des enfants est de plus en plus dans les mains des adultes qui semblent parfois considérer leur inoccupation comme périlleuse, dans la mesure où l’enfant n’a pas encore intégré des normes de comportement et d’autocontrôle[2]. Les parents qui travaillent auront tendance à préférer des activités encadrées pour leurs enfants pour éviter l’emprise de la télévision ou de l’ordinateur.
Il y a de manière générale une réticence à envisager un temps pour ne rien faire. Cette réticence pourrait bien reposer sur l’idée que ne rien faire c’est perdre son temps, un temps bien précieux qui serait beaucoup mieux utilisé à d’autres choses! [3]. Il est demandé à l’enfant d’être performant à l’école et dans ses temps libres. Et quand peut-il souffler ? Laisser libre cours à sa créativité ? A son désir ?
 
A l’école aussi, le temps est géré par les adultes et parfois au détriment des capacités de concentration, de mobilisation de l’attention des enfants. Combien d’enfants n’arrivent pas exténués à la fin de chaque trimestre pour clôturer l’année par des journées d’évaluation qui exigent justement une énergie, une concentration et une disponibilité intellectuelle très importante… ? Cela va bien évidemment à l’encontre d’une école de la réussite.
Par contre, tenir compte de la rythmicité particulière des enfants et des ados et aménager les apprentissages en respectant les temps forts et les temps faibles dans une journée donnent la chance à tous les enfants de développer au mieux leurs capacités propres.

C’est quoi, le rythme scolaire ?

Le rythme scolaire est l’alternance école/repos décidée par les adultes et qui correspond au calendrier scolaire. N’y a-t-il pas moyen de concilier la rythmicité physiologique et psychologique particulière à l’enfant et à l’adolescent avec le rythme de l’école ?

Importance du sommeil

Le rythme veille/sommeil est central si l’on veut respecter l’enfant. De ce sommeil découle la réussite des apprentissages. Dans les écoles, on se heurte au problème de l’aménagement de l’espace. Si un enfant souhaite dormir, il devrait pouvoir le faire sans être gêné par celui qui ne le souhaite pas et vice-versa. Dans un rapport récent de l’Académie nationale de Médecine[4] (France) publiée début 2010, les experts soulignent l’importance de ne pas limiter la sieste aux plus jeunes et suggèrent de la proposer à tous les enfants de moins de 6 ans qui en expriment le besoin. Idéalement la sieste doit débuter le plus tôt possible après le déjeuner et ne pas dépasser une durée de deux heures.
 
Il faut tenir compte des besoins de chacun pour viser à l’épanouissement de tous. Un enfant fatigué est grognon et peu enclin aux interactions avec son environnement.

Les variations journalières de la vigilance et de l’activité intellectuelle

Les chercheurs[5] s’accordent tous sur deux moments physiologiques difficiles, de tonus très bas pour les enfants, moments qui correspondent à l’entrée en classe le matin (8h40) et le midi (13 h 40). Par contre, l’activation est maximale à 11 h 20 et 16 h 20. Après l’entrée en classe, il faut plus de 30 minutes à la plupart des enfants ordinaires pour redevenir vigilants, attentifs, réceptifs et disponibles et de 30 à 60 minutes pour ceux qui ont des déficits de sommeil et/ ou qui sont insécures au quotidien ou en échec scolaire.
 
Il faudrait que cette première heure soit un temps de « mise en route » de la vigilance et de mobilisation des ressources intellectuelles et aussi de restauration d’un sentiment de sécurité affective. C’est à cette seule condition que l’enfant peut se réaliser dans ses dimensions d’élève et accepter de s’engager dans les apprentissages scolaires.
 
On observe également une dépression de la vigilance corticale au début de l’après-midi, entre 13 h et 14 h. Ce n’est donc pas le moment idéal pour faire du rattrapage ou du soutien scolaire aux enfants en difficulté. Ils ont d’ailleurs plus besoin que les autres de moments de relâchement intellectuel et attentionnel.
L’après-midi, l’évolution de la vigilance et des capacités d’attention entre 13 h 30 et 16 h 30 varie avec l’âge et les particularités des enfants. En deuxième et troisième années primaire, le pourcentage des enfants qui baillent entre 14 h 30 et 15 h est de 68 %. Ce phénomène n’est plus observé ou fort réduit chez les enfants de quatrième et cinquième années. S’agissant d’enfants en difficulté ou en échec scolaire, le pourcentage d’enfants qui baillent est de 80 % entre 14 h et 16 h 30.
 
Entre 16 h et 19 h, c’est le moment approprié pour des activités physiques et sportives. La température corporelle est maximale, le métabolisme est élevé, la force musculaire et les coordinations semi-motrices sont optimales.
Il faut donc soigneusement poser la question de la répartition des heures d’activités intellectuelles, physiques, manuelles, artistiques sur les moments favorables. Une heure n’est jamais égale à une autre heure. Etablir un bon équilibre sur la semaine met l’enfant dans les meilleures conditions pour apprendre. Ce n’est pas la quantité de temps passé à l’école qui est synonyme d’apprentissage efficace mais plutôt la qualité comme en témoigne le modèle finlandais.[6] L’enjeu est d’autant plus important pour les enfants qui vivent des difficultés scolaires, toutes les recherches menées actuellement en chronobiologie et chronopsychologie s’accordent pour dire que ce sont principalement les élèves confrontés aux difficultés scolaires, ne maîtrisant pas la tâche, qui présentent les fluctuations (de rythme) les plus marquées[7].
 
Dans son mémorandum de 1999, l’UFAPEC demandait que soient respectées les conclusions de la Commission des rythmes scolaires :
  • Prévoir au moins une heure de détente sur le temps de midi et dans l’enseignement secondaire aussi ;
  • Répartir les cours intellectuels et plus pratiques en tenant compte des variations journalières de la vigilance ;
  • Organiser, surtout dans le fondamental, des activités d’accueil le matin afin de mettre les enfants dans les meilleures conditions d’apprentissage.

Les capacités de travail intellectuel et le rythme de la semaine et de l’année scolaire.

Les capacités de travail intellectuel varient selon l’âge de l’enfant. Entre 6 et 8 ans, le temps de travail intellectuel demandé aux enfants ne devrait pas excéder deux heures par jour. Et cette capacité journalière augmente avec l’âge à raison d’environ une heure supplémentaire tous les deux ans, pour atteindre 5 heures par jour vers 12 ans.
 
Dans son rapport « Aménagement du temps scolaire et santé de l’enfant », l’Académie Nationale de Médecine (France) préconise 4 à 6 heures de cours par jour en fonction de l’âge et 4 jours et demi à 5 jours de classe par semaine en fonction des saisons. À l’intérieur de la semaine, il est même recommandé de limiter le morcellement, les changements de rythmes dans les heures de lever et de coucher. Tout parent a fait l’expérience de son enfant qui s’éveille à la même heure le week-end qu’en semaine même s’il est allé se coucher plus tard la veille. Et toutes ces désynchronisations ont un impact négatif sur les apprentissages et la disponibilité de l’enfant pour des découvertes intellectuelles.
 
Une année scolaire doit idéalement comporter de 180 à 200 jours (la Belgique est dans le bon avec son année scolaire de 181 jours) et alterner 7-8 semaines de classe et 2 semaines de vacances. Physiologiquement, un enfant a besoin de deux semaines pour bien récupérer. Pour que l’enfant se sente vraiment en vacances et en profite pleinement, il faut environ une semaine. C’est seulement après cette période de transition qu’il oublie le réveil provoqué, l’école, les soucis quotidiens, le stress environnemental et qu’il se réveille plus tard, dort mieux, se repose et se détend. Or le premier trimestre du système scolaire belge pose toujours problème dans la mesure où il n’y a qu’une seule semaine de vacances à la Toussaint. Et en 2010, notre premier trimestre comportera 17 semaines (les vacances de Noël démarrant après le 24 décembre), avec une semaine de pause au milieu avec les vacances de Toussaint.
 
Un remaniement du calendrier annuel, où les périodes de classe de 6 à 8 semaines alternent avec deux semaines de vacances, entraîne que le premier et le troisième trimestre scolaire soient rééquilibrés, quitte à réduire les grandes vacances (9 semaines à 7). Ceci impliquerait un profond changement des mentalités et du monde socio-économique. En effet, lorsqu’il a été question il y a 15 ans de rééquilibrer les périodes de cours et de détente notamment en avançant le congé de Carnaval d’une semaine (les villes de Carnaval ont dit non), en reculant celui de Pâques de deux (les lobbies côtiers ont obtenu que ce soit non), et en faisant rouvrir les classes le lundi de la semaine où tombe le 1er septembre (là, ce sont les syndicats enseignants qui ont dit non)[8].

Et en famille ?

Il est vivement recommandé de limiter le temps passé devant un écran à moins de deux heures par jour, d’éviter la télévision avant le coucher et de supprimer la télé et les consoles de jeu dans les chambres. Si l’enfant n’a pas ses heures de sommeil, il éprouvera plus de difficultés à monopoliser son attention pour des activités intellectuelles. Hubert Montagner[9] nous le confirme en parlant du temps de sommeil qui est variable d'un individu à l'autre, évolutif en fonction de l'âge et tributaire des influences de l'environnement (notamment familial).Le temps du sommeil est marqué par des phénomènes physiologiques et psychologiques qui ne peuvent pas ne pas avoir d'incidence sur les comportements, compétences, performances et activités des "enfants-élèves" au cours de la journée[10].
 
Pour les plus de 12 ans, les chercheurs français proposent de retarder l’heure de début des cours à 9 heures en raison de la modification de la structure du sommeil que connaît l’adolescent avec un retard de phase qui se traduit par des levers et des couchers plus tardifs. Et il faut autant que faire se peut éviter les levers et couchers tardifs en week-end pour éviter de désynchroniser l’adolescent.
 
L’UFAPEC invite les parents à proposer à leurs enfants des plages de liberté où ils pourront s’occuper seuls, dans le sens de ne rien faire qui soit organisé par les adultes (ce qui ne signifie pas que l’adulte soit passif ou se déresponsabilise de son rôle d’éducateur). Le parent est alors présent pour assurer le cadre, la sécurité mais sans intervenir pour autant dans le rêve, le jeu ou l’interaction. Le rêve permet de prendre le temps d’élaborer son désir et de symboliser. L’ennui-même permet de découvrir peu à peu son désir personnel, et pas seulement le désir des adultes sur lui (…). Le fait de jouer en se réappropriant les règles, en les transformant, en en inventant de nouvelles, participe à l’apprentissage social de l’enfant, comme le temps passé à papoter, rire ensemble de tout et de rien contribue à son développement psychomoteur et relationnel.
 
Apprendre à souffler, se détendre, ne rien faire, se ressourcer dans des activités que chaque membre de la famille choisit donne des clés à chacun pour devenir responsable et respectueux de soi-même. Et les enfants sont très attentifs à notre propre manière de vivre et de gérer notre temps. Les parents sont aussi des modèles en la matière.

Conclusion

L’UFAPEC prône un aménagement du temps scolaire comme un des moyens de lutte contre l’échec scolaire : en respectant les rythmes journaliers et hebdomadaires de l’enfant, en enseignant les matières difficiles aux moments d’efficience scolaire reconnus (à savoir en milieu de matinée et en milieu d’après-midi), en privilégiant des journées de 4 à 6 heures en fonction de l’âge, en évitant de proposer la remédiation sur le temps de midi ou après les heures scolaires mais en privilégiant le soutien de l’enfant en difficulté pendant les heures scolaires, en respectant le rythme de chacun et surtout des enfants en échec qui ont plus besoin que les autres de moments de décompression et que l’on a tendance à surcharger de travail après l’école puisqu’ils n’ont pas fini parce qu’ils étaient dissipés et trop fatigués et le cercle vicieux s’enclenche…Les parents ont eux aussi un rôle extrêmement important à jouer en préservant leur enfant de stimulations excessives qui à terme risquent de l’épuiser et de le mettre dans des conditions peu propices à un apprentissage scolaire.
 
Il y a un vrai débat à avoir pour ajuster au mieux le temps de l’école, le temps de la famille, le temps du parascolaire, dans la perspective de trouver la formule qui convienne le mieux aux enfants et qui tienne compte de la réalité professionnelle des parents.
 
Pour que cela soit tout à fait possible, il serait intéressant de considérer chaque école comme un écosystème avec les enfants au centre de ses préoccupations et de son fonctionnement, c’est-à-dire comme un lieu de vie que l’on organise pour que chaque enfant-élève puisse révéler et structurer l’ensemble de ses facettes et compétences, et les rendre fonctionnelles, tout en acquérant de nouvelles facettes et de nouvelles compétences. C’est à partir des interactions entre les différentes composantes de l’écosystème (enfants, parents, familles, enseignants, autres acteurs de l’école) que l’organisation et le fonctionnement de l’école peuvent être élaborés pour tous les enfants et toutes les familles ... sans laisser une seule personne sur le bord de la route du succès, que les rivalités et conflits peuvent être dépassés et que les évolutions peuvent être anticipées. Aucune composante vitale ne peut être exclue d’un écosystème. Sinon, il meurt ... en l’occurrence l’école, nous expose, dans ses conclusions, Hubert Montagner. [11]
 
 
 
Anne Floor
 
 
 
 
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[1] Sue, R. et Rondel, Y., Rythmes de vie et éducation, Education et Modes de vie, Les Cahiers millénaires, n° 24, juillet 2001.
[2] Glasman, D., Une enfance sans temps mort, Article de la rubrique « L’enfant du 21ème siècle », Grands dossiers N°8, Magazine des Sciences Humaines, Septembre-octobre-novembre 2007. http://www.scienceshumaines.com/une-enfance-sans-temps-mort_fr_21209.html
[3] Ibidem.
[4] Académie Nationale de Médecine, Aménagement du temps scolaire et santé de l’enfant. Des chercheurs ont consulté différents acteurs du monde de l’enseignement ainsi que des spécialistes des rythmes biologiques et psychophysiologiques de l’enfant.
[5] P. Koch, H. Montagner et R. Soussignan, Variations of behavioral and physiological variables in children attending kindergarten and primary schools chronobiology International, 525-535, 1987.
[6] Le système finlandais est considéré comme l’un des plus performants en Europe, alors que leurs enfants détiennent le record du minimum d’heures de cours. Les journées se terminent généralement à 13 h ou 14 h, parfois à 15 h, avec une pause déjeuner courte (environ 30 minutes).
[7] Testu, F., Dans le futur débat sur l’école, le problème des rythmes scolaires, CRAP, Paris, octobre 2003. http://www.cahiers-pedagogiques.com/spip.php?article90.
[8] Voogt, F., S’ajuster au rythme de l’enfant, Le Soir, 10 juillet 2010.
http://archives.lesoir.be/enseignement-la-ministre-simonet-veut-repenser-la_t-20100710-00ZHZ8.html?queryand=ajuster+rythme+enfant&firstHit=0&by=10&when=-1&begYear=1989&begMonth=01&begDay=01&endYear=2010&endMonth=09&endDay=20&sort=datedesc&rub=TOUT&pos=0&all=9&nav=1
[9] Hubert Montagner est Docteur ès-Sciences (Psychophysiologie), Professeur des Universités, ancien Directeur de Recherche à l’INSERM.
[10] H. Montagner, Temps des 24 heures. http://www.inrp.fr/primaire/dossier_doc/dossier_doc4.htm
[11] H. Montagner, Les temps, les rythmes et la sécurité affective de l’enfant, fondements obligés de l’aménagement du temps scolaire, CRAP, Paris, septembre 2008. http://www.cahiers-pedagogiques.com/article.php3?id_article=3869

 

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