Analyse UFAPEC 2009 par J. Thollembeck

23.09/ Le partenariat comme vecteur de régulation des relations familles-école

Constat 

Actuellement, les responsables politiques prônent plus que jamais le dialogue voire le partenariat école-familles. La dixième priorité du Contrat pour l’école, élaboré par Marie Arena, «  renforcer le dialogue écoles-familles » ainsi que le nouveau décret rendant les associations de parents obligatoires dans les écoles témoignent bien de cette impulsion politique[1]. Celle-ci découle d’une prise de conscience des malentendus et tensions qui traversent les relations entre parents et enseignants et d’une attention portée à l’impact de ces divergences sur l’épanouissement de l’enfant. De précédentes analyses ont mis au jour la nécessité actuelle de réguler les relations entre les familles et l’école en se centrant pour la première, sur le problème de confusion des rôles engendrés par un changement du rapport à la norme et pour la seconde, sur le vécu de l’enfant à la fois « embarqué » et acteur dans ces relations. Elles ont soulevé diverses questions : pourquoi les parents et enseignants doivent-ils se mobiliser eux-mêmes pour coordonner leur action ? Comment gérer au mieux les contacts quotidiens entre les acteurs éducatifs ? Comment établir de la cohérence pour l’enfant ?
 
Après avoir développé la question de l’origine des malentendus et de la confusion des rôles entre parents et enseignants, il parait donc pertinent d’approfondir la thématique de la régulation des relations entre les familles et l’école. A cette fin, nous procèderons comme suit : un premier point sera consacré à l’origine de l’émergence des « nouveaux dispositifs de régulation des relations écoles-familles en opérant un bref survol sur les changements du rapport à la norme[2]. Ensuite, un détour par le concept de partenariat ne sera pas anodin car il constitue le fil rouge de la grande majorité des divers modes de régulations. Nous terminerons en dressant un éventail des canaux conventionnels de participation-régulation et en présentant les initiatives avant-gardistes d’une école en matière de gestion des contacts entre parents et enseignants.

L’évolution de la régulation des rapports familles-école au regard du changement du rapport à la norme

Ce point étant abordé dans une perspective historique, il sera divisé en deux temps : un « avant » et « un après » la fin des années 60. Il s’agit d’une date charnière au carrefour de multiples changements. En effet, c’est à cette période que la massification de l’accès à l’enseignement ainsi que les progressives mutations du rapport à la norme ont eu lieu. Ces phénomènes ont marqué de leurs empreintes le système scolaire mais aussi les relations entre parents et enseignants, objet de notre attention ici. Il est important de spécifier que cette division en deux temps servant surtout à faciliter la compréhension, ne signifie pas qu’il s’agit d’une rupture, au contraire, les divers changements ont été progressifs.
 
« Avant » la fin des années 60 :
 
Autrefois les contacts quotidiens entre parents et enseignants étaient peu fréquents voire inexistants. La question de leur régulation se posait donc très peu. L’école était considérée comme un « sanctuaire », lieu de transmission des savoirs formels. Ce lieu était réservé au corps enseignants et à l’enfant ayant le statut exclusif d’ « élève ». Cette séparation spatiale s’accompagnait également d’une séparation claire des rôles entre parents et enseignants et donc d’une délimitation claire entre les deux zones d’intervention : l’éducation et l’instruction.
« L’école était justifiée par un principe unique, l’égalité des chances[3], et ce principe suffisait partout à assurer la cohérence du système.»[4]
 
De plus, les missions de l’école étaient claires :« former des citoyens à travers des apprentissages élémentaires »[5]. L’école républicaine[6] reposant sur un fort principe de sélection sociale[7], le public au sein de chaque école était homogène. Ainsi, l’école s’est longtemps protégée des débordements de la jeunesse et des problèmes sociaux.
 
Les souhaits du public de l’école tendaient à converger avec le projet de l’établissement. « Pendant des dizaines d’années, parents et enseignants ont ramé à peu près ensemble pour la réussite d’une institution qui faisait leur fierté commune ».[8] Les parents faisaient confiance à l’école et à l’enseignant et l’autorité de celui-ci n’était pas remise en question. En effet, cette période est également marquée par des normes surplombant les individus. Elles étaient respectées car elles étaient acceptées d’emblée étant donné qu’elles étaient incontestables. 
 
Ce système cumulé à ce rapport à la norme spécifique a donc engendré une forte régulation des relations scolaires. En effet, les attentes réciproques étaient établies en amont de l’école. On peut dire qu’il y avait un « pacte implicite » entre les familles et l’école.
 
Cependant depuis la fin des années 60, ce modèle est en crise. « Les vieilles régulations se sont défaites, les vieux accords sont devenus plus incertains.  À l’ordre stable des institutions s’est substitué le jeu des relations entre parents, les élèves et leurs enseignants, engendrent souvent des incertitudes, des espoirs excessifs, des déceptions et des rancœurs ».[9]
 
« Après » la fin des années 60 :
 
A partir des années 70, les anciennes régulations (sanctions, autorité sacrée,…) ne vont plus de soi car elles ne « collent » plus au système scolaire, mué par les diverses mutations par lesquelles il est traversé. De plus, la régulation des contacts quotidiens entre parents et enseignants se pose davantage étant donné que leurs contacts s’intensifient peu à peu.
 
Le rapport à la norme, d’application avant les années 70, assurait la régulation du système scolaire et des relations entre l’école et la famille. En effet, comme nous l’avons dit, les normes étaient extérieures et s’imposaient aux individus. Tout semblait donc en équilibre.
Cependant à partir des années 70, le rapport des individus à la norme change. Cela s’explique, entre autres, par le phénomène de « pluralisation des référents normatifs »[10], typique dans les sociétés modernes. Dans le champ scolaire, ce phénomène se marque par une pluralisation des principes pouvant régir l’école. Selon J-L Derouet, professeur des universités, il y a eu « émergence ou réémergence de principes nombreux, qui peuvent tout légitimement prétendre organiser l’école ». En effet, selon lui le débat critique portant sur le système scolaire traditionnel, initié par Bourdieu et Passeron[11], a mis finau monopole du principe de l’égalité des chances. D’autres principes pouvant régir l’école entrent alors en concurrence avec ce principe jusque là unique telle que « la chaleur communautaire, la recherche du rendement, le respect de l’enfant, la libre concurrence entre les établissements »[12].
 
Cette pluralisation des principes normatifs engendre de l’incertitude car le caractère permanent de la norme a disparu. Les individus ont également à choisir entre une série de références normatives. Ce phénomène pose la question de la coordination de l’action de multiples individus. Il faut alors appréhender la norme comme un processus, comme le résultat de compromis intersubjectifs[13]. Le récent dispositif de médiation scolaire, analysé par Marie Verhoeven, professeur de sociologie à l’UCL, est une réponse à la nécessité d’établir de nouveaux modes de résolution des conflits davantage basé sur la négociation et le dialogue[14]. J-L Derouet rejoint les propos de M. Verhoeven en affirmant que « l’école étant irrémédiablement entrée dans un univers où les principes sont multiples, elle doit trouver un mode de régulation qui tienne compte de cette pluralité car il faut en permanence gérer les incertitudes et arbitrer entre des références contradictoires ».
 
Notons que le dialogue constructif entre les individus permettant de trouver un accord devient donc un mode de régulation en soi. En effet, le dialogue, la négociation n’a plus uniquement pour objet ce qu’il faut réguler, (par exemple la fréquence des réunions de parents dans une école) mais porte désormais également sur la manière, le moyen de réguler ce qu’il faut réguler. Avant de monter une association de parent, les futurs membres vont se mettre d’accord sur la manière dont ils vont établir cette association de parent, sur ses objectifs, son rôle,… Ce dispositif est donc le résultat des négociations entre acteurs concernés et est propre à chaque école. Ces dernières lignes peuvent être mises en parallèle avec les considérations de J-L Derouet sur la question de la régulation. Aujourd’hui, l’école doit à la fois être la même pour tous et respecter les particularismes des différentes communautés. Elle doit développer la créativité des enfants tout en étant performante. Selon J-L Derouet, « il n’est pas possible d’établir entre ces principes contradictoires un compromis national valable partout et en toute généralité. Il faut donc décentraliser le travail d’accord, faire fonctionner le système à partir de compromis locaux ». Il ajoute que l’émergence du local, l’idée de projet d’établissement puis l’extension des pratiques de contrat répondent à la nécessité de trouver des techniques de « réaccord », dans un contexte d’incertitude sur la légitimité et les buts de l’éducation.

Un arrêt sur la définition de la notion de régulation

Dans le point précédent, nous avons parlé à maintes reprises de régulation, régulation du système scolaire, régulation des relations parents-enseignants, régulation au niveau local,… Mais au fond de quoi parle-t-on précisément quand on utilise le terme « régulation » ? Il n’est pas inutile de s’arrêter sur sa définition, d’autant plus qu’il s’agit d’un terme polysémique. « En effet, la régulation est une notion ancienne dont l’utilisation est de plus en plus fréquente aujourd’hui dans l’analyse de l’action publique en général et des politiques d’éducation en particulier. (…) La régulation n’est définitivement plus synonyme de réglementation. »[15] Comme nous pouvons nous en douter, conformément aux développements explicités ci-dessus, elle l’était par exemple avant les années 70.
 
Aujourd’hui, ce concept permet de penser et de nommer de nouvelles formes d’intervention et de rôles de l’Etat dans un contexte de « gouvernance ». La régulation doit aujourd’hui être considérée comme un enjeu et comme la résultante d’une multitude d’action dans un champ d’action donné[16]. Dans cette veine, la théorie de la régulation sociale de J. D. Reynaud est éclairante. « Il propose de partir des acteurs et des dynamiques de construction permanente des « règles du jeu », à tous les niveaux d’action sociale : local, intermédiaire,…. Il insiste sur « la pluralité des sources de régulation et sur la dialectique entre régulation de contrôle (par l’autorité) et régulation autonome (par des acteurs « au bas » d’un système organisé). »[17]
 
Pour Reynaud, « la régulation est donc un processus dynamique, incomplet, porteur autant d’ordre que de nouvelles tensions. Il faut donc comprendre la régulation comme un processus complexe et conflictuel de production de règles du jeu, comme un entrelacs d’actions et de dispositifs de coordination, par nature situés et en continuelle interaction ».[18]

Les canaux de participation-régulation des relations entre les acteurs éducatifs

Un arrêt sur le partenariat :
 
Le thème du partenariat a déjà été abordé dans de précédentes analyses. Certaines ont explicité le lien entre partenariat école-famille et la réussite scolaire de l’enfant mais ont également présenté les conditions nécessaires au succès du partenariat.
Mais quel est le lien entre le partenariat et la thématique de la régulation, objet de notre réflexion ? Le partenariat école-famille est en quelque sorte une forme de régulation sur plusieurs niveaux. Un niveau plutôt macro qui renvoie au fonctionnement de l’école et un niveau micro qui correspond aux relations quotidiennes entre parents et enseignants et plus largement entre familles et école.
 
Une proposition de définition :
Le partenariat sous-tend une conception spécifique des relations entre parents et enseignants, axées sur le dialogue constructif et mettant en scène des acteurs agissant de concert à l’élaboration d’un projet défini par eux. Le partenariat requiert également certaines conditions pour être mené à bien. Elles ne sont pas développées ici car leur présentation nous éloignerait de l’objet de notre réflexion. L’OCDE (1997) associe le partenariat à « un processus puisqu’il s’agit d’apprendre à travailler ensemble et de mettre en valeur ce que chaque partenaire peut apporter de positif dans la relation»[19].
La collaboration quant à elle, renvoie à la participation à la réalisation d’une tâche ou d’une responsabilité. Le partenariat nécessite donc des relations collaboratives entre deux parties. La participation parentale représente un moyen afin d’établir cette relation collaborative, voire partenariale[20].
 
Concernant la participation, C. Montandon, sociologue des relations familles-école, distingue « tout ce qui touche directement la scolarité des enfants » (contacts entre parents et enseignants, implication dans le travail scolaire par exemple) et « ce qui concerne les élèves indirectement, à travers les décisions des adultes » (entre autres la gestion des écoles et le choix de l’école par les parents).[21] Cette différenciation peut être mise en parallèle avec les deux niveaux de régulation macro et micro mentionnés précédemment.
 
La participation et le partenariat école-famille peuvent en effet s’exercer dans de multiples domaines[22]relevant aussi bien du niveau macro que du niveau micro. « Est-ce par exemple pour construire les programmes scolaires ou encore pour fixer les horaires ? Est-ce pour discuter de contenus ou plutôt pour donner la possibilité à tous les parents de s’exprimer sur ces points ? Est-ce pour rendre le fonctionnement de l’école plus efficace ? »[23] Il est important de définir le champ d’action dans lequel peuvent intervenir les parents pour savoir clairement où l’on va et ainsi, éviter les malentendus.
 
Au final, « si on parle beaucoup de participation et de partenariat aujourd’hui, c’est aussi pour résoudre les problèmes de la définition des tâches respectives de familles et de l’école, de l’opposition privé-public »[24]. Comme nous l’avons déjà vu, les relations actuelles entre l’école et la famille sont traversées par de nombreux malentendus voire des conflits notamment parce que les parents et les enseignants ne savent plus vraiment quel rôle jouer. Ce phénomène peut entre autres s’expliquer par l’apparition de la zone commune qu’est l’éducation ainsi que par la ligne de démarcation devenue incertaine entre ce qui relève de la pédagogie et ce qui relève de l’éducation. .[25] Dès lors, des espaces de dialogue et de rencontre ont été peu à peu établis depuis les années 70 entre autres pour tenter de réguler ces relations souvent houleuses.
 
Un inventaire non exhaustif des dispositifs de régulation formalisés :
 
1.      Les associations de parents :
 
Les premières associations de parents ont vu le jour avant la période charnière des années 60. Cependant, elles se sont répandues davantage à partir de cette date. Elles permettent aux parents de devenir un groupe actif au sein de l’école. Comme nous l’avons dit précédemment, la structure d’une association de parents ne se base sur un mode d’emploi général, au contraire, sa morphologie et ses objectifs sont le résultat de la négociation entre les individus qui la composent. Cependant quelques repères et conseils peuvent être proposés par des organismes extérieurs comme l’UFAPEC ou la FAPEO[26] afin d’en faciliter sa mise en place ou sa bonne conduite. En voici quelques uns :
  • L’AP est un espace de dialogue prévu pour les parents mais ceux-ci peuvent de temps à autre y convier le corps enseignant.
  • Les parents se réunissent avant tout pour s’intéresser à la vie des enfants à l’école, ils sont là avant tout comme partenaires de l’éducation, aux côtés des enseignants.
  • Un règlement d’ordre intérieur de l’AP est nécessaire afin de clarifier les responsabilités, les compétences, l’attribution des charges et ainsi éviter les malentendus ou incompréhensions.
  • Les parents prennent part à l’AP dans un esprit collectif et non individuel, c’est-à-dire en mettant de coté leur intérêt particulier renvoyant à leur(s) seul(s) enfants(s).
  • L’AP ne doit pas être un bureau de réclamation accusant les professeurs de tous les maux. Ceci est possible en instaurant un dialogue constructif et ouvert entre les acteurs de l’école.
On peut dire que l’association de parents est un dispositif de régulation des relations familles écoles. Il s’agit d’un espace offrant la possibilité de mettre sur la table les éventuels problèmes ou conflits existant entre parents ou entre parents et enseignants. Cette transparence est évidemment beaucoup plus productive que les radios-trottoirs très fréquents dans les écoles et ne faisant qu’alimenter les malentendus et tensions entre les différents acteurs.
 
2.      Le conseil de participation :
 
Le conseil de participation a été instauré par le décret « Missions » de 1997. « Il est le seul organe qui réunit, autour d’une même table, tous les partenaires de l’école ».[27] En effet, il comprend les représentants du pouvoir organisateur, le chef d’établissement, des enseignants, des parents, du personnel administratif et des élèves. C’est un espace de démocratie et de débat. Il offre la possibilité à ses membres de faire des propositions concrètes.
 
Sa première mission est de débattre, compléter, adapter, évaluer la mise en œuvre du projet d’établissement :« texte qui décrit concrètement ce que l’école fait et compte faire pour atteindre ses objectifs éducatifs et pédagogiques. Ce projet est proposé au Conseil de participation par le Pouvoir Organisateur qui en présente les idées générales et le fil conducteur. »
 
Le projet d’établissement est un élément de régulation crucial car c’est lui qui « va délimiter le territoire de participation dans l’école, en déterminer le contenu ». Par exemple si le projet d’établissement « ne contient que des questions qui traitent d’enseignement et de didactique, cela réduit fortement le champ d’action des parents. Par contre, si on y parle d’éducation, les parents auront un rôle important à jouer. »[28] Le projet d’établissement est donc très important dans la régulation des malentendus pouvant traverser la communication entre la famille et l’école. Il en permet même la prévention. En effet, les parents, en établissant avec le personnel enseignant un consensus sur leur participation lors de la discussion du projet d’établissement, permettent d’éviter des malentendus dus à des incompréhensions de rôle et surtout au chevauchement des champs d’actions respectifs des parents et des enseignants. La représentativité des parents au conseil de participation est donc importante.
 
3.      Parents « délégués de classe » :
 
Ce dispositif de régulation relativement récent permet de faire le lien entre les parents de sa classe, l’enseignant, le comité de parent de l’AP et la direction. Le parent délégué représente les parents de sa classe et tout comme l’AP, doit éviter d’être un bureau de réclamation. Il favorise les contacts personnels entre les parents et l’enseignant.
Cet extrait permet de se faire une idée de la fonction de délégué de classe.
 
« J’ai organisé un souper parents avec l’instituteur de la classe de Hugo fin octobre : chacun a apporté un plat, et nous avons fait connaissance avec l’enseignant et presque tous les parents. Je représente aussi les parents de la classe lors des réunions de l’association de parents. J’informe l’AP des préoccupations des parents des parents de la classe. Mais j’évite d’être un bureau de réclamation individuel »[29]. Laurence, Maman déléguée de classe en 6ème primaire.
 
4.      La médiation scolaire :
 
Nous l’avons vu précédemment, l’émergence du dispositif de médiation scolaire est symptomatique du nouveau rapport à la norme que connaissent les sociétés modernes et contemporaines. Il y a quelques années, la Communauté Française a instauré ce dispositif afin de prévenir le décrochage scolaire et la violence en milieu scolaire, révélateurs du changement normatif et des mutations dans le champ scolaire (phénomène de massification de l’enseignement).
 
La médiation de manière générale, est une nouvelle forme de régulation sociale, elle permet la gestion non violente des conflits. Catherine Delcroix et Gabrielle Varro donne une définition générale et complète de la médiation : « La médiation est un processus triadique, nécessitant l’intervention d’une tierce personne qui favorise de manière peu directive, à la différence de l’arbitrage ou du jugement, le rapprochement des prétentions divergentes des parties en présence. Le médiateur ne fait qu’établir les conditions d’un nouveau rapport entre les parties, mais l’accord reste toujours celui des protagonistes. La médiation privilégie la recherche active de la solution par les personnes concernées. De plus la médiation ne peut fonctionner que dans un rapport de relative égalité entre acteurs. De même la « bonne volonté » et l’acceptation d’un compromis sont indispensables. »[30] Notons que la médiation s’applique dans plusieurs champ : familial, pénal, politique, culturel et scolaire qui nous intéresse particulièrement ici.
 
Selon Marie Verhoeven, la médiation scolaire met en œuvre la nouvelle construction du rapport à la norme car elle met « en présence des acteurs (parents, école,…) aux références différentes, pour tenter de construire un nouveau cadre normatif et décisionnel, toujours provisoire face à l’inefficacité des règles formelles »[31]. Les individus n’acceptent plus les normes d’emblée. Elles sont acceptées et respectées seulement si elles ont été construites et négociées par les acteurs.
 
Les documents officiels de la Communauté Française définissant la fonction de médiateur scolaire partent de l’idée d’une différence radicale a priori entre la famille et l’école. Il s’agit pour le médiateur de construire un « code commun » (mais toujours provisoire) aux deux parties, à travers la communication. La médiation doit être « un lieu, un moment où quelqu’un peut écouter, traduire, comprendre » un moyen « d’élargir la zone de communication et de favoriser la création de réseaux autour de ces familles ». [32] Les rapports officiels mettent l’accent sur le fait que « le médiateur a pour tâche d’établir une bonne communication entre toutes les personnes exerçant une influence sur l’acte éducatif en milieu scolaire, à savoir essentiellement l’élève, ses parents, les enseignant, le chef d’école, et ceci dans l’intérêt des études et du développement de l’élève ».
 
Le médiateur est donc un intermédiaire neutre permettant de construire le lien entre parents et enseignants.
 
 « Il faut respecter la politique d’une école, si un directeur a décidé d’être un peu plus autoritaire qu’un autre ça on doit le respecter, on peut pas changer le projet de l’établissement et la philosophie d’une école, mais rester le plus neutre possible. » (…)   « on est là pour essayer de réunir les acteurs, les faire parler faciliter la communication mais on est pas là pour donner des recettes miracles » ( extrait tiré d’une interview réalisée avec un médiateur scolaire travaillant pour la communauté française)

Un cas d’école : un exemple de mode de régulation et de participation dans une école comptant une population précarisée

Après avoir présenté les dispositifs de régulation des relations entre familles et école et plus étroitement entre parents et enseignants, une attention particulière est portée aux initiatives innovantes entreprises par l’Institut de la visitation à Gilly. Les informations se basent sur des données de terrain et plus précisément sur une interview réalisée avec l’Assistante sociale de l’école, Nancy. Elle est arrivée il y a neuf ans dans l’école à l’initiative de la direction. En effet, la direction constatait depuis longtemps que la fracture école-famille était en train de naître et de s’agrandir et, à terme, ne mènerait personne à bon port. Ils avaient compris que le mode de fonctionnement mis en place jusque là rendait les enfants « fous » parce qu’on leur demandait d’être une autre personne à l’école, de balayer ce qu’ils sont en famille parce qu’ils devaient être l’élève devant « coller » à une norme. Ils ont donc pensé qu’il était nécessaire d’engager quelqu’un issu du travail social ayant pour fonction de permettre à chacun de comprendre l’autre. Donc à l’école, il s’agit de comprendre le bien fondé des demandes des parents et aux parents de comprendre pourquoi on leur demande telle ou telle chose à l’école et en quoi ça va aider leur enfant. Selon la direction, « On l’a engagée pour « installer une culture d’école tournée vers la communication avec les familles. »
 
Ses débuts n’ont pas été faciles il a fallu gagner la confiance des enseignants et celle des parents. Mais aujourd’hui, l’école fonctionne en équipe. « On est tout le temps en communication. On a créé des procédures, des lieux pour que ça roule. »
 
Ce dernier extrait fait part du travail de régulation réalisé au fil des années par l’assistante sociale parachutée dans une école ou régnait bon nombre de tensions entre parents et enseignants ainsi que de la violence entre les élèves. En effet, dans cette école située dans un quartier précarisé, les relations entre parents et enseignants sont marquées par des références différentes cumulées à des différences culturelles et ethniques. Cela complique davantage les contacts quotidiens.
 
« Concernant les relations parents-école, il y avait auparavant une barrière « physique », les enseignants d’un coté, les parents de l’autre. Maintenant ce n’est plus le cas, les parents rentrent, viennent voir les enseignants au quotidien et ça lève tout de suite les malentendus, les inquiétudes, etc. Quand un parent a un souci, il va directement voir l’enseignant parce que les enseignants ont aussi changés : ils ont une attitude d’accueil, d’écoute, comprennent que les familles ont un certain fonctionnement. Il y a une confiance qui s’est acquise.»[33] 

Conclusion

Ces quelques pages se sont attachées à développer une réflexion sur la thématique des régulations des interactions entre l’école et la famille. Dans un premier temps nous avons retracé l’évolution des régulations dans le champ des relations familles-école en distinguant deux périodes : « avant » et « après » la fin des années 90. Ce point a mis l’accent sur le fait que les régulations autrefois évidentes n’allaient aujourd’hui plus de soi suite au changement du rapport à la norme et à d’autres phénomènes touchant le système scolaire. Malgré l’impulsion des décideurs politiques visant à instaurer de nouvelles régulations (notamment via les nouveaux décrets), les individus ont désormais un rôle à jouer dans la régulation des situations auxquelles ils sont confrontés. L’exemple des associations de parents témoigne bien de ce changement. Dans un deuxième temps, la notion de partenariat a été définie et appréhendée en tant que moyen de régulation des tensions familles-école par le dialogue intensif et ouvert qu’elle prône entre les acteurs. Quelques dispositifs formalisés ont été ensuite décrits afin de montrer leur rôle régulateur dans ces relations pour terminer ensuite avec un apport du terrain montrant un type de régulation novateur et efficace.
Pour conclure en paraphrasant Meirieu : « Parent et enseignants sont dans le même bateau, mais ils ne semblent pas s’entendre sur le cap à tenir. Et le capitaine est passé par-dessus bord ! »[34]
 
Meirieu illustre avec cette métaphore, l’importance pour les acteurs en présence et plus spécifiquement pour les parents et enseignants de dialoguer à l’heure actuelle afin de construire ensemble des normes permettant de réguler leur relation.
 
 
 
Julie Thollembeck

 


[1] Le Contrat pour l’Ecole de 2005 élaboré par Marie Aréna fixe dix priorités, chiffrées et programmées. Les engagements pris seront tenus grâce à la mobilisation de tous.
[2] La thématique du changement du rapport à la norme a été développée dans une précédente analyse UFAPEC 2009 dont le titre est « Les malentendus école-familles : la question des origines », Thollembeck Julie
[3] Le modèle d’égalité des chances émerge peu à peu à partir du début du 20ème siècle entre autres suite à une demande de la part de classes moyennes cherchant une promotion sociale pour leurs enfants. Selon ce principe, l’école doit être un lieu séparé dans tous les sens du terme ; sur le plan politique, culturel, de sorte que grâce à cette séparation, l’école créé son univers propre où toutes les autres différences sont neutralisées. Ceci permet l’application du principe méritocratique selon lequel  l’individu est jugé sur base de son seul mérite et non plus sur base de son origine sociale. ( réf : R. Llored, Sociologie, Théorie et analyse, ellipses, France, 2007)
[4] Derouet Jean-Louis, Ecole et Justice : De l’égalité des chances au compromis locaux ?, Editions Métailié, Paris, 1992
[5] Hardy P., Franssen A., Eduquer face à la violence. L’école du « coup de boule » au projet, EVO a.s.b.l, Bruxelles-charleroi, 2000, p.44
[6] Dans le modèle de l’école républicaine d’application jusque dans les années 1950, seul l’enseignement primaire était ouvert à tous les enfants. Alors qu’on le considérait comme un modèle de méritocratie, l’école républicaine est caractérisée par un système d’enseignement dual. Ce système comportait deux filières, les lycées et les collèges, très nettement différenciées s’adressant, pour l’essentiel, l’une aux classes populaires, l’autre à la bourgeoisie. «Ce mode de fonctionnement reposait sur une forte sélection sociale puisque le petit lycée accueillait les enfants de la bourgeoisie et que le prix des études secondaires a longtemps été dissuasif pour les élèves issus des familles pauvres.» La sélection des élèves s’opérait donc en amont du cursus. ( réf : Dubet. F.,  Les nouveaux publics scolaires , Cahiers Français, n° 285, mars-avril 1998 ; R. Llored, Sociologie, Théorie et analyse, ellipses, France, 2007)
[7] idem
[8] Meirieu P., La grande explication
[9] idem
[10] De Munck J. Verhoeven M., Les mutations du rapport à la norme; un changement dans la modernité ?, ouverture sociologique, De Boek, Bruxelles, 1997
[11] Sociologues dénonçant l’école en tant que fonction de reproduction des inégalités sociales.
[12] Derouet Jean-Louis, Ecole et Justice : De l’égalité des chances au compromis locaux ?, Editions Métailié, Paris, 1992
[13] De Munck J. Verhoeven M., Les mutations du rapport à la norme; un changement dans la modernité ?, ouverture sociologique, De Boek, Bruxelles, 1997.
[14] idem
[15] Sous la direction d’Agnès Van Zanten, Dictionnaire de l’éducation, PUF, Paris, 2008, p ; 575
[16] idem
[17] ibidem
[18] Sous la direction d’Agnès Van Zanten, Dictionnaire de l’éducation, PUF, Paris, 2008, p ; 575
[19] Deslandes Rolande, Une visée partenariale dans les relations entre l’école et les familles : complémentarité de trois cadres conceptuels
[20] Idem, p.3
[21] Montandon C., Les relations des parents avec l’école in Lien social et politiques- RIAC, n°35, 1995.
[22] Montandon C., Quelques interrogations sur le partenariat, notamment sur la place de l’enfant, Congrès AIFREF, Padova, 1999, p. 5
[23] Montandon C., Quelques interrogations sur le partenariat, notamment sur la place de l’enfant, Congrès AIFREF, Padova, 1999, p. 5
[24] idem
[25] Dubet F., Allalouche, Ecoles, familles le malentendu  collection : c’est la vie, éditeur : textuel, Paris, 1997
[26] La FAPEOest la Fédération des associations de parents de l’enseignement officiel
[27]Guide des associations de parents, réalisé par l’UFAPEC, http://www.ufapec.be/association-de-parents/guide-des-ap/
[28] idem
[29]Extrait tiré du guide des associations de parents réalisé par l’UFAPEC, http://www.ufapec.be/association-de-parents/guide-des-ap/
[30] Delcroix C. et Varro G., «  Etudier la méditation sociale » in La lettre du printemps (Sociologie : Professions, Institutions, Temporalités), Octobre 2000, p.1
[31] De Munck J. Verhoeven M., Les mutations du rapport à la norme; un changement dans la modernité ?, ouverture sociologique, De Boek, Bruxelles, 1997
[32] Document officiel de la communauté française, op. cit., p. 16 dans les mutations du rapport à la normes, p. 251.
[33] Propos tirés de l’interview réalisée avec Nancy, assistante sociale à l’Institut de la visitation à Gilly
[34] Meirieu P., L’école et les parents ; la grande explication.

 

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