Analyse UFAPEC 2010 par A. Floor

23.10/ La remédiation, oui mais pas n’importe comment !

Introduction

Un récent sondage de la Ligue des Familles[1] a montré que 58 % des enseignants et 65 % des parents pensent que le redoublement est une solution efficace face aux difficultés d’apprentissage. Le redoublement reste donc pour beaucoup la solution pédagogique destinée à remédier aux difficultés rencontrées par les élèves au cours de leur scolarité. Or, toutes les études sur l’efficacité du redoublement démontrent que celui-ci est inefficace et ce pour de multiples raisons (détérioration de l’image de soi et perte d’estime de soi ; phénomène de stigmatisation qui entraîne une démotivation alarmante). Tous les acteurs de l’enseignement partagent cet objectif d’offrir une école émancipatrice qui amène chacun à la réussite, une école qui amène l’enfant au maximum de ses potentialités[2].
La remédiation scolaire fait intrinsèquement partie du rôle de l’école ; les décrets « Ecole de la réussite » (1995) et « Missions » (1997) tendent à amener chaque enfant à la réussite. En effet, un des objectifs généraux de l’enseignement fondamental et secondaire est d’ « amener tous les élèves à s’approprier des savoirs et à acquérir des compétences qui les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place active dans la vie économique, sociale et culturelle »[3].
Face aux difficultés d’apprentissage des élèves, différentes pistes sont donc explorées intramuros et extramuros. Il se développe de plus en plus de réponses externes à l’école tant au niveau institutionnel avec la reconnaissance du rôle de soutien scolaire des écoles de devoirs[4] qu’au niveau privé avec l’explosion des coachings payants, des cours particuliers, des ventes de cahiers de vacances, de cd-roms éducatifs… Dans ce cadre-là se pose évidemment la question de l’égalité des familles ; certaines pourront investir financièrement tandis que d’autres en seront incapables.
Au sein des écoles, les réponses sont multiples : remédiation individuelle, pédagogie différenciée, aménagement des rythmes scolaires, tutorat, évaluation formative…. Or il s’avère que parfois la remédiation n’engendre pas les résultats escomptés et nuit même dans certains cas à la progression scolaire de l’enfant.

Des études aux résultats surprenants

Deux recherches de grande envergure, menées l’une en France[5] et l’autre en Angleterre[6], arrivent au constat suivant : Plus un élève est aidé, moins il progresse. Les chercheurs britanniques ont été tellement surpris des résultats de leur étude qu’ils ont sollicité une année supplémentaire pour identifier les raisons de cet échec.
Ils ont relevé plusieurs raisons pour expliquer cette contre-performance. Les modalités de l’encadrement jouent un rôle énorme dans l’efficience ou non d’une remédiation.
En effet, dans le contexte britannique, les enfants en difficulté sont soustraits de leur classe pour bénéficier d’activités de soutien. Mais pendant qu’ils rattrapent lentement leur retard, la classe « soulagée » des élèves en difficulté avance plus vite et dans un climat plus serein.
Une relation plus individuelle, plus affective se construit avec l’assistant chargé de la remédiation tandis que, de retour en classe, l’élève se retrouve, de par le grand nombre, dans une atmosphère plus froide, plus académique. Il se sent dès lors moins impliqué.
Les enseignants se déresponsabilisent petit à petit dans le sens où ils ne se sentent plus responsables de faire réussir tous les élèves de leur classe.
Une étude française qui évalue l’impact d’un accompagnement psychopédagogique sur des élèves en difficulté confirme les résultats de l’analyse britannique, à savoir une contre-performance du système. Les chercheurs soulignent l’effet pervers de l’étiquetage « mauvais élève ». Finalement les acteurs de la remédiation (enfant, parent, enseignant, psychopédagogue) finissent par se convaincre que l’enfant est un mauvais élève puisqu’il a besoin de soutien. Il se crée dès lors un consensus négatif autour de l’élève qui peut même conduire dans des cas extrêmes à sa régression.

Comment  avec l’étiquette de « mauvais élève », il est deux fois plus difficile de réussir

Il est très interpellant de constater que plus les adultes qui entourent l’enfant en difficulté sont d’accord sur la nécessité d’une prise en charge, plus les effets de la rééducation sont négatifs (trajectoire scolaire de l’élève, taux de redoublement, niveaux dans les matières fondamentales, …). Au total, les effets sont d’autant plus négatifs 1° que le consensus est élevé, 2° que la prise en charge a été individuelle et 3° qu’elle a été longue[7]. Dans les faits, plus un élève est étiqueté « élève à problèmes » ou « en difficulté », plus il lui est difficile d’aller contre l’avis majoritaire malgré des progrès réels. C’est pourquoi certains psychologues scolaires conseillent aux parents de sortir tout simplement l’élève de ce contexte, de le mettre dans un autre, parce qu’il y aurait dans certains cas de telles attentes négatives à son sujet que l’évaluateur, l’enseignant etc., n’enregistrent plus les éventuels progrès de l’élève[8].
Denis Castra[9] observe les mêmes effets pervers de stigmatisation des chômeurs de longue durée. Ce chercheur a participé dans les années 2000 à la formation de 6 000 agents de l’ANPE qui allaient suivre individuellement des chômeurs de longue durée. Au début de leur travail, ils se voyaient comme des intermédiaires entre les chômeurs et les entreprises et au bout de 6 mois de formation, ils percevaient leur fonction en termes d’aide et de soutien à la personne. Ils se voyaient presque comme des thérapeutes et plus comme des spécialistes de l’entreprise et du recrutement : Ce qui est frappant, c’est que quand ils sont entrés dans cette grande institution, ils voyaient les choses en termes d’intermédiation entre les chômeurs et les entreprises et au bout de six mois de formation ils percevaient les choses beaucoup plus sur un mode quasiment clinique d’aide et de soutien à la personne, explique Denis Castra[10].

Travailler avec autrui et non sur autrui

Le chercheur a tenté de comprendre les raisons de ce glissement. Il a interrogé un grand nombre de professionnels de l’insertion pendant une quinzaine d’années et leur a notamment demandé de dresser le portrait d’un bénéficiaire du RMI qu’ils connaissent bien. Les similitudes de réponses sont frappantes, vous trouvez au centre de la représentation : passif, dépendant, manque de repère, sentiment d’échec, absence de projet, image négative de soi et, bien sûr, besoin d’aide et de suivi[11]. Avec une telle représentationde la personne en recherche d’emploi, finalement la priorité est mise sur le travail psychique personnel ; l’agent conçoit son rôle sur un mode quasi-thérapeutique, une posture thérapeutique et/ou rééducative[12]. Au lieu d’insérer l’individu dans le monde du travail en le confrontant à celui-ci, en lui proposant des pistes pour explorer activement l’environnement économique, on le cantonne dans un rôle d’assisté qui a besoin d’une aide psychologique puisqu’il est soit celui qui est un peu infantile, c’est le jeune immature (…) soit un autre qui est plutôt malade[13]. Denis Castra conclut son étude en disant que les représentations, les conceptions que l’on se fait des gens, les stéréotypes sont très difficiles à changer, par contre les pratiques peuvent être modifiées. Les professionnels de l’insertion doivent se limiter à la sphère professionnelle, accompagner autrui dans la reconnaissance de ses compétences, de ses savoir-faire et travailler sur l’adéquation entre ses atouts et les opportunités professionnelles.
De même, lors des entretiens d’embauche de jeunes qui venaient de la protection judiciaire de la jeunesse, les entretiens portaient majoritairement sur le candidat (traits de caractère, personnalité, goûts, loisirs, histoire familiale, apparence vestimentaire,…) plutôt que sur ses compétences professionnelles. La personne n’est plus évaluée sur ses capacités, ses compétences, mais plutôt sur ce qui est présumé ne pas aller chez elle.
A l’école comme dans l’entreprise, on retrouve cette difficulté commune à sortir des stéréotypes. Il ressort clairement qu’il convient de partir des atouts scolaires ou professionnels pour faire de la remédiation scolaire efficace ou de l’insertion professionnelle. Ce n’est pas la nécessité de porter une attention particulière aux enfants en difficulté scolaire, ni la qualité du travail des accompagnants extérieurs qui sont à remettre en cause, mais plutôt les modalités qui sont à questionner.

Remédier sans déresponsabiliser l’élève ni l’enseignant

« Je ne m’en fais pas maintenant, j’irai à la remédiation et tout ira mieux ».

L’enseignant-titulaire reste bien responsable de la réussite de tous ses élèves. Pour éviter un désinvestissement progressif du titulaire de classe qui voit ses élèves en difficulté extraits de la classe, il vaut mieux privilégier une aide en classe d’un deuxième enseignant qui est plus proche des élèves en difficulté pendant que le premier gère l’activité avec l’ensemble du groupe. Cette approche demande de travailler en étroit partenariat et offre à l’enfant un regard neuf sur ses apprentissages, sur lui-même.
Privilégions la remédiation collective, en classe, plutôt que la remédiation individuelle : La remédiation scolaire est un moyen d’aider certains élèves à surmonter leurs difficultés d’apprentissage en privilégiant des activités collectives en classe plutôt qu’une aide individuelle externe. Rappelons quelques pratiques collectives intéressantes comme le tutorat entre pairs au sein de la classe ou entre classes de différents niveaux et également la mise en place de groupes de besoin qui, tout en conservant l’accrochage des élèves à une classe d’âge, hétérogène quant aux niveaux de compétence, offrent à ceux qui sont en difficulté l’opportunité de rejoindre un groupe homogène pour certains apprentissages et cela sous certaines conditions[14]. En Communauté flamande, la voie de la remédiation a été abandonnée pour privilégier celle de la prévention. On ne peut corriger en 2 h ce qu’on n’a pas réussi en 26 h. Les méthodes d’apprentissage collaboratives sont encouragées dès la maternelle. Ce choix pédagogique implique le recours à une pédagogie différenciée : une alternance de courtes périodes d’instruction communes et de propositions d’exercices différenciés que certains peuvent réaliser en toute autonomie, permettant à l’enseignant de travailler de manière plus privilégiée avec les plus faibles, expliquent Gerda Bruneel et Greet Vanhove du WKBaO[15] Dans les écoles fondamentales flamandes, le « zorgcoordinator » aide les enseignants à la mise en place de meilleures méthodes d’apprentissage, notamment pour les élèves faibles. Leur rôle n’est donc pas d’aider les enfants en difficulté, mais d’aider les enseignants à aider les enfants en difficulté.
Par ailleurs, les objectifs de la remédiation doivent être clairement définis et entre autre veiller à ce que ceux qui en bénéficient restent acteurs de leurs apprentissages et ne s’enferment pas dans un rôle d’assistés.

Position de la famille et des parents face aux devoirs et à l’apprentissage

On peut dans ce contexte-là se poser la question de la place des parents dans l’accompagnement scolaire. Jean-Pierre Degives parle de subtil dosage entre l’aide et l’assistanat : Les parents peuvent difficilement assurer de la remédiation dans la mesure où ils ne connaissent généralement pas suffisamment les matières enseignées à l’école. Il faut être très prudent au niveau du contenu (les dénominations changent, …). Il est préférable d’accompagner l’enfant au sens d’être à côté, de valoriser le travail scolaire. Veiller à rendre l’enfant autonome et à développer un véritable partenariat entre famille et école afin que l’enfant ne se sente pas en conflit de loyauté[16].
Pour la majorité des parents, l’école est un système de plus en plus opaque dont ils ne maîtrisent plus les codes. D’où l’importance d’informer les parents sur ses modes de fonctionnement. L’école d’aujourd’hui, dans ses méthodes, ses programmes, son fonctionnement n’est plus l’école d’hier. Elle est souvent incompréhensible pour des parents qui la regardent en fonction de celles qu’ils ont connues et non de celle que connaissent leurs enfants. Il y a donc urgence à donner des clefs de compréhension aux parents, pour qu’ils puissent saisir le sens de sa mission. La transparence du système scolaire est un enjeu décisif. Il faut en finir avec une école confisquée par quelques catégories sociales et quelques-uns de ses personnels. On sent un frémissement de la part des enseignants du secondaire dans la nécessité d’expliquer l’école aux parents afin que ces derniers puissent accompagner leurs enfants le mieux possible, commente Jean-Louis Auduc, directeur-adjoint de l’IUFM de Créteil[17] (Institut Universitaire de formation des maîtres). Une expérience-pilote française met en lumière la nécessité de communiquer efficacement avec les parents.L’expérience de la « Mallette des parents » dans 37 collèges français situés majoritairement en ZEP poursuit l’objectif d’aider les parents à mieux comprendre le fonctionnement du collège et à mieux soutenir leur enfant à un moment clef de sa scolarité que représente la sixième (qui est l’équivalent de notre première année secondaire). Il s’agit d’un dispositif relativement léger consistant en trois réunions-débats réunissant des parents d’élèves de sixième et des acteurs du collège. Elles sont axées sur l’aide que les parents peuvent apporter aux enfants, les relations avec le collège et la compréhension de son fonctionnement. Des formations complémentaires axées sur les mêmes thèmes ont ensuite été proposées aux parents.
Parmi les effets positifs de cette expérimentation, relevons un surcroît d’implication des parents, auprès de l’institution scolaire et une plus forte implication auprès de leurs enfants à la maison. Par exemple, les parents des classes bénéficiaires du programme ont davantage rencontré les enseignants, davantage participé aux activités des associations de parents ou estiment avoir une bonne connaissance des options proposées.
Une amélioration très sensible du comportement des enfants a également été observée : moins d’absentéisme, moins d’exclusions temporaires, moins d’avertissements en conseils de classe et une plus grande fréquence des distinctions lors du conseil de classe (félicitations, encouragements,…)[18]. On voit vraiment que l’implication des parents dans l’école de leurs enfants a des effets très nets sur les comportements de ceux-ci en termes de motivation et d’investissement dans leur scolarité.

Conclusions

L’UFAPEC insiste sur la nécessité de venir en aide aux enfants en difficulté dans leurs apprentissages au sein de l’école, dans ses propres murs. L’explosion des coachings payants, des cours particuliers pose véritablement la question de la qualité et de l’égalité de l’enseignement. Nous avons également souligné que le bénéfice est bien supérieur si on laisse l’élève en difficulté dans le groupe de ses pairs, en différenciant au sein de la classe les rythmes, les supports, les objectifs …
L’UFAPEC rappelle aussi l’importance à accorder à la formation des enseignants afin qu’ils décèlent au plus vite les difficultés des élèves, appliquent une pédagogie différenciée et reçoivent le soutien d’un deuxième enseignant.
L’UFAPEC prône la multiplication des lieux d’échanges école-famille. Les Associations de Parents ont bien évidemment un rôle clé à jouer à cet égard ; parents et enseignants sont des éducateurs qui agissent chacun dans un lieu et leur donner la possibilité de réfléchir ensemble à comment assumer ce rôle d’éducation dans une société en perpétuelle mutation ne peut qu’être bénéfique et lever certains préjugés et stéréotypes. La création de lieux d’échanges sur des sujets éducatifs qui concernent tout le monde (parents et enseignants) est une piste à exploiter comme nous le dit Régine Florin en parlant des « Rencontres Parents-Ecole », qui consistent à faire se rencontrer des parents et des enseignants, voire tous les personnels, sur des sujets qui concernent tout le monde mais non spécifiques à l’établissement (l’orientation, les médias, l’évaluation, la motivation, …) : Il ne s’agit pas d’une simple soirée-débat, mais de vraies rencontres entre adultes. Et ce, à l’initiative des parents. Les barrières tombent. Chacun est restauré dans sa place d’éducateur. On sort de la fusion, du règlement de comptes pour entrer dans une relation ternaire dans un cadre bien délimité[19].
 
Anne Floor
  

Désireux d’en savoir plus ?
Animation, conférence, table ronde... n’hésitez pas à nous contacter, nous sommes à votre service pour organiser des activités sur cette thématique.



[1] http://www.citoyenparent.be/Public/mouvement/Menu.php?ID=32224
[2] M.-D. Simonet., Réponse à la question de M. Mohamed Daïf relative aux redoublements, CRIc N°24-Educ.4 du 17 novembre 2009, p.21.
[3] Décret définissant les missions prioritaires de l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre du 24/07/1997, art 6.
[4] Voir l’analyse UFAPEC 2010 : Les écoles de devoirs : un soutien scolaire pour les enfants de milieux défavorisés de Jessica Vieslet.
[5] Référence de l’étude française :Alain Mingat, Marc Richard, Evaluation des activités de rééducation GAPP à l’école primaire, Cahiers de l’IREDU, Presses de l’université de Bourgogne, 1991.
[6] Référence de l’étude britannique : Peter Baltchford, Paul Bassett, Penelope Brown, Clare Martin, Anthony Russell, Rob Webster, Deployment and impact of support staff project, Institute of Education, University of London, août 2009.
[7] Alain Mingat, Marc Richard, Evaluation des activités de rééducation GAPP à l’école primaire, Cahiers de l’IREDU, Presses de l’université de Bourgogne, 1991, p. 49.
[8] D. Castra, L’exclusion professionnelle repose-t-elle sur un consensus ?, Actes du Colloque du CERISIS du 18 octobre 2005.
[9] Op.cit., p. 2.
[10] Op.cit., p.6.
[11] D. Castra, L’exclusion professionnelle repose-t-elle sur un consensus ?, Actes du Colloque du CERISIS du 18 octobre 2005,  p.10.
[12] Op.cit., p.11.
[13] Op.cit., p.11.
[14] Sous la direction de G. Chapelle et M. Crahay, Réussir à apprendre, PUF, 2009, p.16.
[15] Vlaams Verbond van het Katholiek Basisonderwijs
[16] J-P Degives.(Conseiller au Service d’Etude du SEGEC), intervention lors de la soirée de réflexion politique UFAPEC du 20 mai 2010.
[17] J-L Auduc, Parents-enseignants s’en mêler sans s’emmêler, Enseignement catholique actualités n°336, avril-mai 2010, p. 32.
[18] J-L. Auduc, Parents-enseignants s’en mêler sans s’emmêler, Enseignement catholique actualités n°336, avril-mai 2010, p. 32.
[19] Op.cit., p. 32.

Vous désirez recevoir nos lettres d'information ?

Inscrivez-vous !
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de Cookies pour vous proposer des publicités adaptées à vos centres d'intérêts, pour réaliser des statistiques de navigation, et pour faciliter le partage d'information sur les réseaux sociaux. Pour en savoir plus et paramétrer les cookies,
OK