Analyse UFAPEC octobre 2013 par F. Baie

23.13/ La chicha : phénomène à la mode. Banane, fraise, banale ou braise d’un possible danger ?

Introduction

Une fumée épaisse plane au-dessus des têtes, un objet insolite mais très décoratif est posé sur une table, on dirait une bouteille d’eau… Un cercle d’adolescents entoure cet objet. Chaque membre du cercle se fait passer à tour de rôle une sorte de calumet de la paix dans une ambiance plutôt cool. La chicha plus communément appelé narguilé est un ancien moyen de fumer qui fait l’objet, aujourd’hui, d’un certain engouement.

Superficiellement connue, la chicha mérite que l’on s’intéresse à elle. Cette analyse va tenter de cerner si l’engouement que semblent lui adresser les jeunes est réel. Pourquoi les adolescents sont-ils attirés par ce nouveau moyen de fumer du tabac ? Qu’est-ce que la chicha et qu’y-t-il exactement dedans ? Quelle est son origine ? Est-ce un objet social  à la mode ou un objet débordant de prouesses techniques ? Où fume-t-on la chicha ? La chicha est-elle la porte d’entrée vers le tabagisme ? Est-elle seulement conviviale ou nocive pour la santé ? Quels sont les principaux risques et les principales motivations liées à son utilisation ? Les industriels sont-ils responsables de certains traquenards ? Ces derniers ont-ils, comme avec les « alcopops »[1] (boissons alcoolisées et fruitées), trouvé le moyen de séduire les adolescents avec des goûts encore une fois sucrés ? La chicha, avec son goût de bonbon, est-elle moins dangereuse que les autres drogues?

En étant mieux informés, nous pourrons parler de cet objet avec nos enfants avec plus de facilité. Traversons ensemble les fumées obscures et fruitées de la chicha pour plus d’éclaircissements !

La chicha, c’est quoi ?

Appelé aussi Narguilé, houka ou chilam, la chicha est une sorte de grande pipe à eau qui se compose de plusieurs parties : un réservoir à eau, une cheminée, un plateau servant de cendrier, un bol supérieur, un tuyau flexible et une pipe immergée.Un petit bol se pose au sommet de la cheminée et contient le « tabamel » (un mélange de tabac, de mélasse et de pulpes de fruits).Le tabamel a l'apparence d'une pâte humide, composé d'environ 30 % de tabac, qui est fermenté avec environ 70 % de mélasse, de miel et de la pulpe de différents fruits, qui sont destinés à donner à la fumée une saveur et un arôme de fruits. On trouve des tabamels à tous les goûts: de la pommeà la cerise, de la menthe aux multifruits, et même le capuccino ou le cola.  Le tabamel est chauffé dans le fourneau à la température d'environ 450 °C.[2]

Le fumeur place le tabamel dans le petit bol supérieur et le recouvre d’une feuille d’aluminium qu’il perce de quelques trous. Il place ensuite le charbon au-dessus de la feuille. Le tabac brûle et la fumée descend dans le réservoir à eau via la pipe immergée. Dans l’eau, la fumée y est filtrée et refroidie. Puis, la fumée remonte dans la partie supérieure du réservoir pour atteindre, grâce au tuyau flexible, la bouche du fumeur.

Généralement, le réservoir de la chicha est rempli d'eau à moitié de sa hauteur. Certains adolescents ajoutent à cette eau parfois de l’eau de rose, parfois de l’alcool, du lait, ou d'autres additifs ou produits destinés à donner du goût ou à fournir certains effets. 

Origine de la chicha

Le mot « narguilé » a des origines très incertaines, mais l’on distingue cependant des origines perses et arabes. « Narguilé » a la même racine que le mot persan « nãrgil » du sanscrit « nãrikera » qui veut dire noix de coco, en référence à la forme générale du récipient recevant l’eau qui étaient souvent de simples fruits. Le synonyme « shisha » a également des origines perses. Il vient du mot « shishe » qui signifie bouteille.

On lui attribue de multiples provenances et il est probable qu’il se soit en réalité développé indépendamment à divers endroits du globe. Ainsi on dénombre des sources en Europe, Amérique, Inde, Perse et Afrique. Plusieurs hypothèses sont plausibles, soit l’origine est européenne et le narguilé serait en fait le descendant de la pipe à tabac soit le narguilé aurait été utilisé en Asie et au Moyen-Orient pour la consommation de drogues comme la marijuana ou l’opium (notamment en Chine)… La forme actuelle que nous lui connaissons vient du Maghreb (Afrique du Nord) qui a largement participé au développement de son image et de l’Inde pour certains modèles[3].

La chicha, objet social

La chicha est un objet très décoratif, à la mode, et qui peut être vue comme le symbole de la convivialité et de l’apaisementC’est aussi le symbole de la « zen attitude » dans un monde où tout le monde court et est mis sous pression. Le temps semble suspendu, on se lâche, et on se livre à un véritable « lâcher prise ». La pratique peut-être solitaire, accompagnée de musique et d’un livre ou encore dans une méditation rêveuse. Mais dans la plupart des cas, il se fume en collectivité, faisant abstraction de différences sociales pour ne privilégier que la communication. Les narguilés possèdent généralement un seul tuyau qui tourne d’un fumeur à l’autre, favorisant ainsi l’échange. L’atmosphère brumeuse due à la fumée et le relent des bulles ne font que participer à cette ambiance amicale qui favorise la conversation[4].

Tel un calumet de la paix, la chicha circule de main en main. Dans une ambiance fraternelle, l’utilisation simultanée du même appareil par plusieurs fumeurs permet cet échange.Elle symbolise les moments de temps libre, de détente, de dialogue, de fraternité et de fête[5].

Ainsi, cet instrument peut être au cœur d’une pratique sociale commune.  «  C’est génial ! En fumant la chicha, on est tous réunis, on se fait passer la pipe et on discute. Nous, ce qui nous amuse surtout, c’est de jouer avec la fumée. On rajoute du lait dans l’eau et cela fait encore plus de fumées. On peut faire des ronds, des drôles de formes… », explique Lila, une jeune fille de 16 ans que nous avons interrogée. La chicha serait-elle aussi une activité ludique ?

Bars à chicha à la mode de chez nous

La chicha s’est popularisée ces dernières années en Occident. Les bars à chicha voient de plus en plus le jour notamment dans les villes étudiantes.La chicha rencontre depuis une décennie un engouement mondial… On en arrive à un objet de consommation quelconque qui comme tout objet de consommation est livré à une commercialisation de masse en dépit de toute culture… Un véritable commerce s’instaure petit à petit et s’accompagne du dénigrement des traditions[6]De nombreux cafés, même non-orientaux, proposent de fumer la chicha.Concrètement, cela s’est illustré par l’ouverture de nombreux bars et restaurants à chicha, partout en Europe. Cette popularisation est préoccupante, et ce d’autant plus que les jeunes qui l’utilisent sont souvent mal informés, notamment par rapport aux risques sanitaires[7]Maisla chicha circule aussi dans les festivals de musique  et dans la sphère privée. La chicha se fume à la maison avec des amis et même parfois en famille. « Je préfère voir la chicha à la maison et savoir que mes enfants fument avec des copains, plutôt que les savoir dans la rue à fumer n’importe quoi ! », affirme une maman que nous avons interrogée. La chicha se fait également inviter dans les fêtes et les soirées privées. Là où il y a du monde, la chicha peut être là !

La chicha, porte d’entrée vers le tabagisme ?

Beaucoup de jeunes voient dans la chicha un objet original et folklorique qui permet de se réunir. Le goût suave et l’odeur sucrée, fruitée du tabamel annihile dans leurs esprits les dangers subtils du tabac pourtant bien présents. On le sait,le tabac, cette plante venue des Amériques au XVIe siècle et considérée d’abord comme un remède contre les maux de tête ou les nausées, est aujourd’hui l’ennemi numéro 1 des services de santé des pays développés et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).[8]

En ciblant une population jeune et prometteuse en matière d’achats, les ténors du tabac aux activités mercantiles ont encore gagné des points. Les jeunes sont les cibles préférées de l’industrie du tabac, qui font tout leur possible pour attirer de nouveaux consommateurs, parmi eux, avec l’intention d’en faire des fumeurs dépendants pendant le restant de leur vie tout en veillant à leur faire oublier combien ces comportements sont nocifs pour la santé[9]. Moins on informe à ce sujet, mieux l’industrie du tabac se porte. Cette  désinformation fait le jeu des industriels du tabac, qui peuvent cibler une population jeune, source potentielle de revenus dans le futur, ce qui rejoint ainsi l’idée de l’Organisation Mondiale de la Santé, qui annonce : « le narghilé est, non seulement, un risque sanitaire mais constitue aussi une porte d’entrée dans le tabagisme pour un certain nombre de jeunes »[10].

La chicha perçue comme moins dangereuse ?

La chicha est souvent perçue par les adolescents comme un moindre mal. Moins grave que certaines drogues, moins addictive que la cigarette… les ados se trompent souvent au sujet de la chicha. La sensibilisation des dangers de la cigarette a produit chez certains jeunes une fuite vers d’autres expériences. Le Fares, Fonds des Affections Respiratoires, en est convaincu : « l’augmentation de l’utilisation du narghilé chez les adolescents pourrait être liée, entre autres, à un phénomène de mode et aux représentations nocives de la cigarette. Ainsi, ces représentations négatives de la cigarette font les affaires de la chicha, d’autant plus que l’information, la prévention et la sensibilisation, concernant cette façon de consommer du tabac restent limitées »[11].

Une enquête belge sur les différentes façons de fumer (enquête organisée en avril 2009 par la Coalition Nationale contre le Tabac et menée en Communauté germanophone auprès de 1049 élèves néerlandophones, francophones et germanophones âgés de 17 à 18 ans) montre que 54% des élèves interrogés ont déjà fumé la chicha et que 23% des jeunes répondent que la chicha est la moins dangereuse des consommations. Parmi les justifications fournies par ces élèves au sujet de la chicha, on retrouve les explications suivantes : « la chicha est quelque chose de naturel », « il n’y a pas de risque de dépendance, puisqu’il n’y a pas de nicotine », « ça contient des extraits de fruits », « la fumée de chicha est filtrée par l’eau, donc on n’inhale que des vapeurs d’eau », ou encore « il n’y a pas de tabac »[12].

Les risques liés à la chicha

« Le narguilé (ou chicha) est une pipe à eau qui jouit, auprès de certains jeunes fumeurs, d’une réputation d’innocuité. Totalement fausse : malgré son goût plus suave, la fumée du narguilé contient les mêmes poisons que celle d’une pipe courante, et même un peu plus, en raison de la faible température de combustion du tabac. Aucun bénéficesanitaire ne peut en être attendu, hormis peut-être, du fait de la complexité de l’appareil, l’espacement des prises »[13].Dans la chicha le tabac est bien présent (30%) et les risques du tabac nous les connaissons : irritation, toux, infection des bronches, problèmes cardiovasculaires… et cancers.

D’après plusieurs organisations sanitaires belges, les différents ingrédients (charbon, tabac, nicotine, mélasse) utilisés dans le fonctionnement de la chicha sont dangereux pour la santé. En effet, tout commence dans l’allumage de la chicha et plus précisément du tabamel. Pour débuter la « cérémonie », les jeunes utilisent du charbon. Il peut s’agir soit du charbon naturel (difficilement allumable) soit du charbon à allumage rapide. Ce dernier, souvent utilisé, produit plus de substances toxiques, car il est recouvert d’une couche externe facilitant la combustion. Ce charbon produit du goudron. La production de goudrons lors d’une séance de chicha est très élevée parce que les fumeurs introduisent beaucoup plus de tabac que dans une cigarette. Et parce que le charbon produit également des goudrons. Un peu plus de la moitié des goudrons ne sont pas retenus dans l’eau et de ce fait sont inhalés par le fumeur[14]Les spécialistes ont également constaté que la fumée du tabac à chicha contenait des hydrocarbures et des métaux lourds (arsenic, béryllium, nickel, cobalt, chrome, plomb…) qui sont des particules fortement toxiques.

La combustion plus douce et moins complète des goudrons du tabac (450° pour la chicha, 850° pour la cigarette) génère plus de monoxyde de carbone que la cigarette. Le monoxyde de carbone (CO), ce gaz est très toxique. Le CO, en se fixant sur l’hémoglobine, prend la place d’une partie de l’oxygène, ce qui peut également provoquer des maux de tête et des vertiges.De tous les modes de consommation du tabac (cigarette, cigare, pipe, y compris le cannabis), le narguilé est un des modes où le taux de CO est le plus élevé[15]Des mesures révèlent que l'augmentation du monoxyde de carbone expiré à la fin d'une chicha équivaut à celle observée lors de la consommation de 2 paquets de cigarettes[16]

Nous l’avons vu, la chicha est un instrument convivial, le même embout est utilisé par les pairs, ce qui peut occasionner aussi quelques maladies. Fumer le narguilé expose à des risques de transmission microbienne, comme la tuberculose, car les fumeurs utilisent le même embout[17].

Comme la chicha produit beaucoup de fumée, on peut aussi déplorer un tabagisme passif. Dans les lieux clos, la pollution est ressentie de manière très désagréable pour les non-fumeurs.

Les fumeurs les plus convaincus vous diront qu’il existe maintenant des chichas sans tabac. Venu tout droit des Etats Unis, la mélasse est mélangée avec des herbes aromatiques venues des plus beaux sites du monde, mais les spécialistes de la santé sont convaincus que la combustion de cette mélasse et du charbon reste néfaste pour les poumons.

Conclusion

Nous l’avons vu, la chicha dépasse son rôle esthétique. Elle est symbole de convivialité auprès des jeunes. Véritable objet social, la chicha permet de suspendre le temps et de s’arrêter « sous l’arbre à palabres ». Moments rares et précieux dans cette vie souvent trop individualiste. Son côté ludique est également apprécié auprès des plus jeunes. Faire des ronds de fumées, se passer le calumet de la paix semble plaire. La chicha rencontre depuis une décennie un engouement mondial. Un véritable commerce s’instaure petit à petit. Les nombreux bars à chicha en sont la preuve. Avec la chicha aromatisée aux goûts sucrés, les industriels du tabac ont trouvé le moyen de toucher un public jeune afin de les accoutumer en douceur au tabagisme. La chicha est un des modes de consommation de tabac où le taux de monoxyde de carbone est le plus élevé. La fumée du tabac à chicha contient des hydrocarbures et des métaux lourds. Charbon artificiel, tabac, nicotine, mélasse et même embout utilisé ne sont pas sans dangers. Pourtant, selon une enquête belge, les jeunes seraient complètement leurrés et pensent que la chicha est la moins dangereuse des consommations. 

L’UFAPEC, soutient le point de vue du FARES (Fonds des Affection Respiratoires) au sujet de la chicha. L’UFAPEC promeut la prévention auprès des jeunes en ne dramatisant pas cette consommation. La répression et l’interdiction n’a jamais été un bon moyen de convaincre les jeunes d’arrêter de fumer. Comme le FARES, l’UFAPEC désire qu’un dialogue s’installe au sujet de la chicha en famille. Sans accuser ou reprocher, les parents, piliers de l’éducation, peuvent communiquer et poser les questions adéquates (voir cahier du Fares[18] ).

Un autre style de communication s’avère cependant plus efficace. Il consiste à donner la parole à cet adolescent fumant la chicha, à susciter son expression, puis écouter ses motivations, ce qu’il retire de son emploi, les questions qu’il se pose, les difficultés qu’il met en avant, etc. Cette attitude d’écoute contribue à la création d’un lien de confiance, permettant d’ouvrir le dialogue à partir des inquiétudes et des intérêts de l’adolescent. Cette approche est aussi bien constructive individuellement qu’en groupe. En effet, les sujets se sentent écoutés et entendus. Cette approche permet de les considérer comme des individus, dont on reconnait la complexité et la subjectivité[19].

La consommation de la chicha semble être un bon sujet également à développer en association de parents (en organisant une conférence ou un débat par exemple) afin d’informer et de « désembrumer » les esprits !

 

France Baie

 

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[1]Baie F., Notre société impulse-t-elle un changement de comportement des adolescents par rapport à l’alcool ? 2ème partie: que boivent les ados? Les Alcopops, un conformisme social et/ou un attrait pour la nouveauté ? Analyse UFAPEC n°03.10, 2010, http://ufapec.be

[2]http://fr.wikipedia.org/wiki/Narguilé

[3]http://www.narguile.info/historique.php

[4]http://www.narguile.info/historique.php

[5]http://www.fares.be/documents/FARES_chichaweb.pdf

[6]http://www.narguile.info/historique.php

[7]http://www.fares.be/documents/FARES_chichaweb.pdf

[8]Journet N., Le tabac : comment s’en débarrasser ? in Magazine Sciences Humaines- « Tous accros ? » addictions et dépendances. Mensuel n°231- Novembre 2011

[9] Communiqué de presse – Coalition contre le Tabac – Bruxelles, le 25 mai 2009 - www.fares.be/documents/CDP25mai2009.pdf

[10]World Health Organisation report on the global tobacco epidemic, 2008. The power package..who.int/tobacco/mpower

[11]http://www.fares.be/documents/FARES_chichaweb.pdf

[12]http://www.fares.be/documents/FARES_chichaweb.pdf

[13]Journet, N, Le salut par la vapeur ? in Magazine Sciences Humaines- « Tous accros ? » addictions et dépendances. Mensuel n°231- Novembre 2011

[14]Le dépliant de prévention du FARES- Service Prévention Tabac- « La chicha, mieux s’informer… » - décembre 2010

[16]http://sante-medecine.commentcamarche.net/faq/254-chicha-danger

[17]http://sante-medecine.commentcamarche.net/contents/480-chicha-narguile

[19]http://www.fares.be/documents/FARES_chichaweb.pdf

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