Analyse UFAPEC novembre 2015 par A. Pierard

23.15/ Accueillir le handicap des parents dans l’école, est-ce possible ?

Introduction

Parmi les parents d’élèves, il y a des personnes atteintes d’un handicap. Il peut être d’ordre physique, mental ou sensoriel. Selon la visibilité du handicap et le vécu du parent, l’école ne sait pas toujours qu’elle a affaire à des parents ayant un profil particulier.

Les représentations négatives de soi-même ou le regard des autres sur le handicap peuvent être source de difficultés, de freins à la relation école-famille. Le partenariat à mettre en place entre l’équipe éducative et les parents ainsi que les adaptations nécessaires pour faciliter la communication seront différents selon le type et la force du handicap du parent. La collaboration est à penser au cas par cas.

Une intégration des parents handicapés au cas par cas, est-ce possible ?

Quelles ressources développer et utiliser pour s’adapter et être dans un réel partenariat école-famille avec ces parents ? L’école, les autres parents en ont-ils l’envie, les moyens ?

Quelle réflexion sur l’intégration du handicap dans l’école aujourd’hui (élèves[1] et parents) ?

Quel accueil, quelle ouverture de l’école envers ces parents ?

Etre parent en ayant un handicap


Extrait du témoignage de Martine[2]

Mon fils est en 6è primaire. Il est au 2e étage. La prof descend pour la remise des bulletins. Pour avoir accès aux infos de la réunion de parents, elle m’a donné un rendez-vous. Mais donc, super mais quand même… C’est discriminatoire. Et aux yeux de mon fils aussi… Quand il était en maternelle (garderie le soir), je devais sonner sur le GSM d’une des deux surveillantes car l’entrée après école possède des marches. Or, le directeur dit ne pas avoir d’argent pour faire une rampe… Ce n’est pas gai d’attendre, parfois sous la pluie car la gardienne n’a pas entendu son portable ou était malade….


Vivre avec un handicap et assumer son rôle de parent, deux grands défis pour ces personnes. Selon le handicap et la situation familiale, ce sont toutes des situations singulières. Il s’agit avant tout de parents qui doivent apprendre ce rôle comme tout parent. Comme l’explique Régine Scelles, psychologue, enseignante à l'université de Tours et auteur de plusieurs livres sur les personnes handicapées,« être parent s’apprend au fil des jours, que l’on soit un parent valide ou un parent handicapé. Dès lors, face aux difficultés qu’ils rencontrent les parents handicapés ou malades vont faire preuve d’une grande imagination afin de pallier leur handicap ou maladie à condition qu’on ne les disqualifie pas à priori. Rien n’est simple autour du handicap comme pour tout ce qui échappe à la norme. La singularité est complexe.[3] »

L’organisation de la vie quotidienne avec un enfant quand on est parent et porteur d’un handicap n’est pas toujours facile. Certains sont soutenus par leurs proches, d’autres peuvent demander un accompagnement à la parentalité auprès des services d’accompagnement de l’Agence Wallonne pour l’Intégration des personnes Handicapées (en région Wallonne) ou de Phare (en région Bruxelloise). « Ces parents ont potentiellement besoin d’un accompagnement, et ce, dans une triple perspective : pour les soutenir dans leur rôle parental, pour assurer la réalisation d’un rôle valorisé par la société et, enfin, pour garantir le développement optimal des enfants sous leur responsabilité.[4] »

Selon le parcours personnel, un sentiment d’incompétence ou d’illégitimité, une non confiance envers l’école et les services publics peuvent se développer. « Ce qui reste difficile à gérer au quotidien, c’est le regard de l’autre, qui parfois est lourd de préjugés. Ce regard, les enfants devront malheureusement également l’affronter tout au long de l’existence. Afin d’éviter que l’enfant construise l’image de ses parents en se basant sur le regard de l’autre, il est très important que le parent handicapé communique, soit à l’écoute de ses enfants. Même si cette étape est douloureuse pour lui, il va devoir laisser son enfant lui poser des questions mais surtout il va devoir lui répondre. Vais-je pouvoir assumer mon rôle de parent malgré mon handicap ? Comment expliquer à mon enfant mon handicap ou ma maladie ? Faut-il nommer le handicap ou la maladie, aborder les conséquences au quotidien ?[5] »

Effectivement, pour l’enfant, avoir un parent atteint d’un handicap n’est pas toujours facile à vivre : questionnement personnel mais aussi de la part des autres, développement d’un état de protection, d’aide envers son parent. « À l'adolescence, il peut aussi ne pas oser s'octroyer le droit de partir et de laisser son parent, le droit d'être insouciant, ou de bousculer un peu ses parents, comme tous les ados. "Mais une partie importante des difficultés que rencontrent les parents handicapés et leurs enfants, insiste Régine Scelles, vient du regard qu'on porte sur eux.[6] »

Comme l’explique Régine Scelles,« un enfant peut grandir et être heureux avec un parent handicapé à condition qu'on ne lui complique pas la tâche. Il va même développer des qualités différentes. Une hypersensibilité à l'autre, par exemple, car il aura appris à veiller à ce que son parent ne se retrouve pas dans une situation difficile ou humiliante. Et rien ne permet d'affirmer que ce sera pour lui un... handicap. C'est une des figures de l'humanité qui, comme tout ce qui est humain, peut aussi lui apporter beaucoup.[7] » Une famille dans laquelle un des parents (ou les deux) est atteint d’un handicap est une famille singulière, comme une autre qui peut donc être source d’épanouissement, de valeurs, de bonheur…

Comme déjà expliqué, la relation à autrui n’est pas toujours facile car le parent ayant un handicap a tendance à développer la crainte de ne pas être à la hauteur, de se ressentir comme incompétent en tant que parent, de ne pas pouvoir aider scolairement leur enfant. Le handicap, mais aussi les représentations sociales, les stéréotypes et l’incompréhension peuvent être source de pudeur, de honte, de représentation négative de soi-même. C’est pourquoi les parents ayant un handicap ont tendance à ne pas le clamer, à s’isoler, à culpabiliser, à développer un sentiment de disqualification.

Comme tous les parents, les parents ayant un handicap peuvent développer une diversité d’attitudes parentales par rapport à l’école : confiance aveugle, attentivité et valorisation des travaux de l’enfant, investissement à la hauteur de leurs moyens, aide lors d’activités, craintes envers le monde scolaire, absence ou démission, difficultés de communication (qui peuvent être amplifiées par le handicap), sentiment de jugement, désaccord, décalage…

L’école face au(x) handicap(s)

Depuis la modification décrétale de 2009 permettant l’intégration des élèves à besoins spécifiques dans l’enseignement ordinaire[8], il y a une réelle évolution en termes d’accueil des élèves ayant un handicap : aménagements raisonnables, intégration, ouverture, collaboration entre enseignements ordinaire et spécialisé…

Concernant le handicap des parents, c’est autre chose car les réalités vécues par ces parents sont inconnues, incomprises par l’institution scolaire. L’école ne se rend pas compte du vécu de ces parents et ne sait pas toujours comment y faire face.

Etre reconnu et accueilli dans l’école

Dans un esprit d’ouverture et d’accueil de la différence dans notre société aujourd’hui et dans une logique d’accueil de tous les parents à l’école, celle-ci devrait mettre des choses en place pour faire face au handicap de parents dans les relations école-famille. « C’est un droit pour chaque parent de s’impliquer dans l’école et dans le développement scolaire de son enfant »[9] Dans les faits, ceci est loin de se passer...


Extrait du témoignage de Jacques[10]

J’ai demandé à la direction depuis plus de trois ans l’installation d’une rampe à droite de l'escalier, l'option rampe centrale étant écarté par l'inspection des pompiers… Plutôt que d’accepter ma demande et de faire des adaptations, on m’a fait comprendre qu’il vaudrait mieux changer mes enfants d’école si je ne n'étais pas content. On ne vient même pas à mon niveau, à l’entrée de l’école, là où je suis présent pour discuter avec moi. Ils me parlent du haut de leur perchoir.


Nous pensons à l’UFAPEC que le changement à opérer au sein des écoles est le même que celui qui doit se faire au sein de la société toute entière : une remise en question et un autre regard sur les personnes ayant un handicap. Mais comment y arriver ? Que mettre en place à l’école pour accueillir ces parents comme il se doit ? Les points essentiels sont, selon le handicap, l’accessibilité des lieux, une traduction en langue des signes, des documents en braille, l’utilisation d’un langage simple pour s’expliquer, une ouverture et disponibilité de l’école…

La volonté d’intégrer les parents ayant un handicap ne suffit pas. Il faut penser la question des moyens humains, financiers et des contraintes organisationnelles. Dans ce sens, l’école peut-elle bénéficier d’une aide ? Quand on se pose la question, il est important d’en parler au Conseil de Participation ou avec l’Association de Parents mais il peut aussi être intéressant de voir avec l’Agence Wallonne pour l’Intégration des Personnes Handicapées (AWIPH), des associations spécifiques du monde du handicap ou le Centre pour l’égalité des chances si une collaboration, une intervention de leur part est possible.

Il faut tenir compte de l’aspect réaliste des aménagements possibles pour répondre aux attentes des parents. Effectivement, certaines adaptations sont plus faciles à mettre en place et sont des aménagements raisonnables pour permettre à tous les parents d’exercer leurs droits : organiser les réunions de parents au rez-de-chaussée, aider un parent pour monter des escaliers, proposer des supports visuels clairs, parler en articulant bien face à un parent sourd qui sait lire sur les lèvres… D’autres adaptations sont plus conséquentes et demandent des moyens : installation d’un ascenseur, travaux dans l’école pour la rendre plus accessible, présence d’une traductrice en langue des signes…

Voici plusieurs pistes qui peuvent être développées, selon le handicap, pour favoriser le partenariat école-famille avec ces parents, leur permettre d’accompagner la scolarité de leur enfant, amener ces parents à s’investir dans le système éducatif et dans la vie de l’établissement, leur permettre de se sentir responsable et partenaire, leur donner l’occasion de contribuer à la vie de l’école.

Permettre une relation de dialogue

  • Mettre en confiance
  • Préciser le cadre et la place de chacun
  • Aider les parents qui n’ont pas les compétences mentales pour comprendre le système scolaire ou les documents transmis
  • Aider ces parents dans leurs contacts avec l’école
    « Ne pas confondre aide et assistance. Une question clé c’est comment aider quelqu’un sans l’assister ? Il faut responsabiliser les parents, les valoriser et développer leur sentiment de compétence parentale (tout l’inverse de « vous êtes un mauvais parent »), les reconnaitre comme compétents : « Vous êtes les premiers responsables de votre enfant et pour toute votre vie », « Personne n’a la bonne solution pour votre enfant. La décision que vous prendrez sera la bonne ».[11] »

Ne pas discriminer

  • Éviter la catégorisation, les étiquetages
  • Dépasser la peur du handicap
  • Respecter les différences
  • Être accueillant et intégrant quel que soit le handicap
  • Reconnaitre chacun avec ses compétences

Être disponible et à l’écoute

  • Adopter une attitude d’ouverture, de tolérance et d’écoute
  • Personnaliser la communication en tenant compte du handicap
  • Créer un climat de confiance pour tous les parents
  • Instaurer une relation de confiance, un dialogue possible

Développer les compétences relationnelles liées aux exigences de la profession

« Pour bien communiquer avec les familles, il faut bien être conscient que le jeune doit toujours être au cœur de la rencontre, et qu’il faut toujours au préalable préciser les règles de l’échange en termes de temps, de contenus et d’objectifs.[12] »

Obtenir l’aide d’intermédiaires, de tiers pour la communication

« Faire de l’élève un traducteur ne semble pas une solution envisageable, car cette pratique a deux inconvénients majeurs : elle ne place pas les parents de l’élève dans une situation d’adultes rencontrant un autre adulte et les met d’emblée dans une position délicate ; d’autre part, il n’y a aucune garantie que le jeune traduise correctement d’éventuelles critiques  qui lui seraient faites. Il est donc indispensable de trouver un traducteur qui sera présent pendant l’entretien. Ce peut-être un enseignant de l’école ou d’une école voisine, un AVS, un personnel de service, un  animateur du quartier, un responsable associatif...[13] »

Cette réflexion serait-elle à inscrire dans le projet d’établissement de toute école afin de faire face à la situation quand elle se présente ? L’école a-t-elle les moyens, le temps pour mettre cela en œuvre ? L’association de parents peut être partie prenante dans le processus et soutenir l’école dans la mise en place d’adaptations, d’aménagements raisonnables pour permettre à tous les parents de participer à la vie de l’école en jouant leur rôle de parent.

Les pistes présentées peuvent être généralisables à l’accueil et l’intégration de tous parents en respectant les individualités, les compétences et les difficultés de chacun.

Conclusion

Les parents ayant un handicap, comme tous parents, peuvent développer la fierté d’être parent et de pouvoir prendre leur place de parent avec soutien et sans jugement auprès de leur enfant, dans sa scolarité.

Dans ce sens, comme cela a été exposé, il est important pour eux d’être reconnus et soutenus dans leur rôle de parent par la société, plus précisément concernant la scolarité, par l’équipe éducative de l’école de leur enfant. Chaque situation est particulière, il faut développer des solutions personnalisées et adaptées. Comme proposées dans ce texte, il y a des pistes et bonnes pratiques à partager et diffuser.

On ne rappellera jamais assez l’importance pour l’enseignant de connaitre (quand c’est possible) le milieu familial de chaque élève, les difficultés que chaque enfant peut connaître à la maison.

Il y a effectivement des ponts à faire entre l’école et les familles. Pour cela il faut communiquer par tous les moyens, rendre les parents acteurs et épingler leurs compétences, se rencontrer autour des apprentissages de l’enfant, vivre ensemble à l’école !

 

 

Alice Pierard

 



[1] Pour plus d’informations sur ce point, lire PIERARD Alice, L’intégration scolaire des élèves à besoins spécifiques : six ans après le décret, où en est-on ?, Analyse UFAPEC 2015 n°8.15.

[2] Voir témoignage complet en annexe.

[3] « Être parent et en situation de handicap », HANDImarseille - Le portail du handicap à Marseille, http://www.handimarseille.fr/le-magazine/vie-privee/article/etre-parent-et-en-situation-de

[4] « Être parent et en situation de handicap », op cit.

[5] Idem.

[6] « Grandir avec un parent handicapé », paru dans La Croix du 21 mai 2003, diffusé sur le site internet de Croire – Questions de vie, questions de foi, http://www.croire.com/Definitions/Vie-chretienne/Handicap/Grandir-avec-un-parent-handicape

[7] Idem.

[8] Décret du 3 mars 2004 organisant l’enseignement spécialisé modifié par le décret du 5 février 2009 relatif à l’enseignement intégré : http://www.gallilex.cfwb.be/fr/leg_res_01.php?ncda=28737&referant=l01

[9] HOUSSONLOGE Dominique, Les relations école-famille quand les parents ne lisent pas et n’écrivent pas. Le point de vue des parents, Etude UFAPEC N°36.12, décembre 2012, p 22.

[10] Voir témoignage complet en annexe.

[11] HOUSSONLOGE Dominique, L’impact des relations école-famille dans la réussite scolaire quand les parents ne lisent pas et n’écrivent pas. Le point de vue des enseignants, Etude UFAPEC N°34.13, décembre 2013, p 25.

[12] AUDUC Jean-Louis, « Dix conseils pour bien gérer les relations parents-enseignants », diffusé sur Le café pédagogique.net, le 8 novembre 2012, http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2012/11/08112012Article634879
558935759373.aspx

[13] Idem. 

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