Analyse UFAPEC novembre 2018 par JP. Schmidt

23.18/ Assurer la garderie : un métier à part ?

 L’enfant nous demande de l’aider à agir tout seul.
Maria Montessori

Introduction

« Oh, t’es déjà là ? », « Dépêche-toi, on n’a pas le temps ! », « Ok, je te laisse encore jouer... mais cinq minutes, pas plus... ». Toutes ces petites phrases entendues, énoncées en fin de journée, bien souvent dans la cour de récréation, montrent ce que peut être le rythme, parfois infernal, d’une vie de famille. Le temps d’accueil, de garderie après le temps scolaire (ou celui du matin et du temps de midi) semble devenu depuis le Décret de 2003[1] un temps éducatif à part entière. Qui s’occupe de l’encadrement ? De quelles formations dispose le personnel ? Le métier a-t-il évolué au fil des années suivant les contraintes imposées soit par le décret, soit par l’école, soit par les parents afin de « prouver » leur « efficacité » éducative ? Comment s’assurer d’un accueil de qualité accessible à tous les enfants et adapté aux rythmes des familles par du personnel formé, compétent et stable ? Nous aborderons la question institutionnelle et le cadre légal dans lequel peut s’inscrire ce personnel. Nous interrogerons une personne qui pratique ce métier depuis plus de vingt ans. Enfin, nous nous attarderons sur ce qui peut être proposé aux enfants et comment les parents peuvent se mobiliser autour de ce temps et de cet espace. Dans cette analyse, nous nous limiterons à l’accueil extra-scolaire au cours d’une journée d’école et non sur le temps des congés scolaires.

Contexte institutionnel et cadre légal

L'accueil extra-scolaire se limite aux enfants âgés de trois à douze ans. Entré en vigueur le premier janvier 2004, l'arrêté du gouvernement de la Communauté française fixant le code de qualité et de l'accueil[2] stipule qu'il faut entendre par milieu d'accueil toute personne, service ou institution qui, étranger(ère) au milieu familial de vie de l'enfant, organise de manière régulière l'accueil des enfants de moins de 12 ans et par accueillant(e), toute personne qui accueille les enfants. L'école peut donc de facto être organisatrice ; mais rappelons que la prise en charge de l'extra-scolaire par l'établissement reste un service que l'école propose. L'arrêté fixe des objectifs clairs tant sur les principes psychopédagogiques, que sur l'organisation des activités et de la santé, que de l'accessibilité et l'encadrement, mais aussi sur la qualité des relations du milieu d'accueil. Le décret de 2003 surnommé "décret ATL[3]" touche l'accueil du matin, du soir, du mercredi après-midi et pendant les congés scolaires. Ce décret précise dans son article 3 que l’accueil des enfants durant le temps libre poursuit les objectifs suivants :

  • contribuer à un épanouissement global des enfants en organisant des activités de développement multi dimensionnel adaptées à leurs capacités et à leurs rythmes ;
  • contribuer à la cohésion sociale en favorisant l’hétérogénéité des publics dans un même lieu ;
  • faciliter et consolider la vie familiale, notamment en conciliant vie familiale et professionnelle, en permettant aux personnes qui confient les enfants de les faire accueillir pour des temps déterminés dans une structure d’accueil de qualité.

A la condition qu'une commune réunisse une commission communale de l'accueil (CCA) et qu'elle signe une convention adéquate, l'Office de la naissance et de l'enfance (ONE) peut octroyer une subvention de coordination aux communes. Outre la constitution de la CCA, il est prévu d'établir un ou plusieurs programmes de coordination locale pour l'enfance (programme CLE). L'ONE peut également octroyer une subvention forfaitaire de fonctionnement calculée sur base de nombres d'enfants fréquentant l'accueil. Le but de ce décret est bien évidemment de soutenir les communes dans l'accompagnement et la mise en œuvre d'un accueil de qualité. Ce décret s'adresse à toutes structures d'accueil privées ou publiques ainsi qu'aux écoles de tous réseaux confondus. Pour rappel, et dans le cas qui nous occupe, le temps de midi est exclu du champ d'application du décret ATL. A noter également que les écoles établissent un dossier "surveillance de midi"[4] par année scolaire. La dotation perçue dans ce cadre doit être utilisée afin d'intervenir dans la rémunération des personnes auxquelles les surveillances de midi sont confiées.

Par ailleurs, le décret relatif aux avantages sociaux[5], à bien dissocier du décret ATL, apporte un élément important dans le principe égalitaire octroyé par une commune à tout enfant, peu importe le réseau. Ce principe n’est malheureusement pas appliqué dans toutes les communes de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il faut se montrer vigilant dans les moyens qu’un collège communal octroierait à ses écoles et ce, dans le maintien du principe d’égalité contenu dans l’article 24[6] de la constitution. Ce qui nous occupe ici, suivant le décret sur les avantages sociaux dans son article 2 § 3, c’est que ces avantages sociaux servent les élèves, entre autres, dans « l'organisation de l'accueil des élèves, quelle qu'en soit la forme, une heure avant le début et une heure après la fin des cours. » Cela revient à dire que ce coût de temps d’accueil est pris en charge par la commune quel que soit le réseau une heure avant les cours et une heure après les cours… Passé ce temps, l’école est en droit de demander une participation financière aux parents. Ce montant est laissé au libre choix de l’établissement suivant l’accueil proposé.

Au regard de ce qui vient d'être apporté, nous constatons que le législateur a mis des éléments en place. On peut regretter que la prise en charge du temps de midi ne soit pas inscrite dans le décret ATL ou même contenue dans le temps éducatif et scolaire de l'école. Mais concrètement dans les écoles, comment cela se passe-t-il ? Le nerf de la guerre reste l'argent ou le subventionnement. Bien souvent dans les écoles, les opérateurs sont les "garderies scolaires". Pour elles, rentrer dans ce processus reste contraignant, d'autant plus si la commune n'a pas suivi l'idée d'une désignation d'un coordinateur ATL. C'est donc la règle de la débrouille. Comment donc apprivoiser ce temps libre en tant qu'activité éducative encadrée par du personnel, en principe, compétent et formé ?

A la rencontre de l’accueil et de son personnel

Nous sommes partis à la rencontre de Joëlle[7]. Joëlle s’occupe de la garderie depuis plus de vingt ans dans son école. « Je viens d’avoir soixante-quatre ans. Il y a vingt ans, après un boulot de secrétaire, je me suis retrouvée au chômage et le Forem m’a obligé de m’inscrire à l’Agence Locale pour l’Emploi (ALE). C’est par ce biais que je me suis retrouvée dans l’école. Cela tombait bien, je souhaitais travailler dans un établissement scolaire. Le statut des ALE travaillant en école est différent des autres. Comme l’école est fermée trois mois par an, nous avons le droit de prester septante heures par mois tout en gardant le chômage. » D’après Caroline Devillers, coordinatrice accueil de l’ONE[8], les opérateurs cherchent des solutions les moins chères. Le recours à l’ALE est une option, mais elle n’est pas très viable parce que les travailleurs ALE restent rarement longtemps. Ce n’est pas idéal pour la qualité du projet, car les équipes manquent alors de stabilité et de pérennité pour assurer leur formation continue et réfléchir à la construction d’un projet à long terme, en relation avec l’école, les enfants, les parents, et les accueillants.

Joëlle nous le confirme : « Au début, j'ai travaillé soit avec des instituteurs, soit avec du personnel ALE. Ce qui est dur, c’est le changement de personnel. Les relations avec les collègues de garderie diffèrent parce que ceux-ci sont plus nombreux qu’autrefois et qu’ils changent régulièrement, et parfois n'apprécient pas ce travail d'accompagnement des enfants... Ces personnes sont là pour l'argent, pour répondre à l'ONEM, mais elles sont de passage, heureusement pour les enfants et les parents... Ça aussi c'est la réalité des écoles... ». Malheureusement, Joëlle n’a pas pu bénéficier de formations ou très peu (approche du bricolage, par exemple). Elle préférait au début de sa carrière travailler avec les instituteurs qui s’occupaient avec elle de la garderie. Joëlle : « C’était enrichissant car cela m'a permis d'apprendre le métier, de me former avec des professionnels de l'enfance. Pour voir comment ils se positionnaient par rapport aux enfants, pour garder la même optique et la même vision pour avoir le même discours face aux enfants. Je posais beaucoup de questions et je voyais ce qui se passait et je m'adaptais afin que nous parlions tous d'une même voix. »

Joëlle nous dévoile ce qu’elle vivait : « Pendant tout un temps, je m’occupais du temps de midi et de l’après quatre heures. Ce temps coupé est rude et très contraignant. Finir à 13h45, être oisif pendant un temps dans la ville, car je n’ai pas le temps de rentrer chez moi ou que l’école ne dispose pas forcément d’un local pour m’accueillir. Il faut déjà être présente à 15h30 pour la garderie du soir. Ce qu’il faut retenir c’est qu’il y a énormément d’enfants. Le nombre a triplé en vingt ans. Les locaux sont peu adaptés pour tous ces mouvements. Le bruit est un élément lourd. Je dois m’occuper de groupes d’enfants dans deux locaux distincts où parfois il manque de chaises pour le goûter. Outre le fait d’encadrer, de proposer des jeux, de faire respecter les règles, d’écouter, de consoler, de soigner, d’être disponible en même temps pour les enfants et les parents qui arrivent au compte-goutte.... Oui, ce métier est un métier à part. De plus, j’accomplis une tâche administrative très importante : prendre les présences des enfants à 16h30, 17h00 et 17h30. En fin de journée, avec quelques plus « grands », je range et nettoie un peu le local. » Cet exemple parmi des centaines ne montre-t-il pas le manque de moyens et de considération pour ce secteur en particulier ? Sans blâmer les choix des écoles de pratiquer ou d’essayer d’envisager un encadrement de qualité, l’accueil extra-scolaire n’est-il pas en droit d’attendre une attention toute particulière des politiques éducatives ?

Un espace-temps à revisiter après l’école ?

Pour l’enfant, il existe le temps de la maison, le temps scolaire et ce temps extra-scolaire. Les parents, à juste titre, ne veulent plus de ce temps de garderie « parking » dans un lieu, bien souvent, la cour de récréation et ce, quelles que soient les saisons. On constate donc deux réalités bien distinctes : « D’une part, l’accueil et l’éducation s’interpénètrent dans nos écoles. D’autre part, ces missions sont gérées par des personnes dont les qualifications et formations sont fort variées. »[9] Dans un article de la Libre Belgique[10] est posé le constat suivant : « Le problème se pose quand l’animation dans le cadre extrascolaire est envisagée comme un moyen pour cadrer ou remédier plutôt que pour offrir des possibilités. » Dans l’école où travaille Joëlle, le nombre des enfants inscrits à la garderie a triplé en vingt ans. La demande pour l’extrascolaire a donc augmenté. Il faut pouvoir satisfaire les parents surbookés et soucieux d’offrir du temps libre de qualité à leurs enfants[11]. Les parents ne « se satisfont plus » de l’encadrement de Joëlle. Ils souhaitent donner à leurs enfants des activités dites « éducatives » du style cours de langue, de musique, sport, lecture-écriture, etc., pour se donner peut-être « bonne conscience », parce que chaque parent souhaite le meilleur pour son enfant. Mais aussi parce que la réalité de la vie des familles a changé. Les parents doivent composer entre vie privée et vie professionnelle. On a encore observé la difficile articulation entre vie professionnelle et vie familiale amenant beaucoup plus de femmes à occuper des temps partiels ou à demander des aménagements de carrière de façon à assurer une grande part des soins aux enfants, aux proches et au ménage au détriment de leur temps de loisirs et de leur bien-être.[12]  Ces propositions d’activités « éducatives » ont un coût. Celui-ci devrait être pris en charge par les pouvoirs publics pour permettre à tous les enfants d’en bénéficier. Si cela n’arrive pas, l’accès doit être à prix « démocratique » afin qu’aucun enfant n’en soit exclu.

Mais ne passe-t-on pas à côté de quelque chose d’essentiel pour les enfants ? « On assigne les loisirs des enfants à des apprentissages formels et l’on peut légitimement se demander quand les enfants ont encore le droit de souffler, se reposer, créer, rêver... ou ne rien faire. »[13] L’enfant peut-il grandir et se construire à son propre rythme sans contrainte d’évaluation ou de sollicitation scolaire ? Joëlle : « Bien souvent, quand je laisse les enfants en jeux libres, ils sont contents. Ils jouent avec leurs amis. Ils s’amusent. Et puis arrive papa ou maman... « Déjà ? répond leur progéniture ». Et là, la tête du parent peut changer. Il s’est dépêché pour venir chercher son enfant parce que le parent bien souvent culpabilise. Les horaires d’ouverture et de fermeture des écoles peuvent être une source de stress supplémentaire pour les familles, je les comprends. Mon rôle, alors, c’est de rassurer le parent. En général, la relation que j’ai avec les parents et les enfants est bonne. J’ai de la chance parce que ce n’est pas partout comme ça, je me sens globalement reconnue en tant que personne et ça c’est important ! ».

Il faut donc pouvoir trouver cet équilibre entre un service dit de « garderie » et un service dit « éducatif et performant ». Le temps de garderie n’est pas le temps scolaire. « L’erreur serait de vouloir lui donner plus de valeur en lui attribuant des intérêts pédagogiques ciblés, amenant une confusion entre des finalités attendues et les effets d’un temps libre de qualité. »[14] Un personnel de garderie formé, avec des objectifs uniquement orientés vers l’enfant dans ce qu’il est, ne semblerait-il pas plus cohérent ?

Conclusion

La question de l’extrascolaire a été peu évoquée dans l’avis n°3 du Pacte pour un enseignement d’excellence puisque hors scolaire. Dans l’axe 5 sur le bien-être de l’enfant, le Pacte insiste sur la nécessité d’une infrastructure d’accueil de qualité pour chaque enfant. Et c’est tout. N’est-il pas urgent de montrer aussi un intérêt sur ce personnel difficile à trouver et de lui donner des moyens matériels en suffisance, ainsi que la possibilité de se former de manière continue à ce métier en constante évolution ? Pouvoir reconnaitre le métier, le valoriser, lui donner un statut à part entière est important. Ce métier semble à bien des égards unique, indispensable à notre société actuelle, car il permet d’établir des ponts entre la famille, l’école et les enfants. Enfin, Joëlle nous signifiait : « Je serais reconnue dans ma fonction si j’avais pu bénéficier d’un contrat de travail, de conditions de travail correctes, de formations pertinentes basées sur l’enfant, du matériel adéquat suivant l’âge des enfants et de pouvoir être intégrée au même titre que les enseignants, la direction, le PO dans la vision globale de l’école via toutes sortes de réunions et, plus particulièrement, du conseil de participation. » L’UFAPEC y est attentive, car au nom du bien-être de l’enfant, il importe de valoriser un meilleur partenariat entre le scolaire et l’extrascolaire (tant sur les horaires proposées, le coût demandé, le personnel formé...). Un tel partenariat sera par ailleurs bénéfique également pour les parents, l’école et le personnel extrascolaire.

 

Jean-Philippe Schmidt

 

 


[3] Décret Accueil Temps Libre

[7] Rencontre réalisée le 20 septembre 2018.

[8] Rigon L., Accueil extra-scolaire, dossier n°116, Editions Feuilles Familiales asbl, p. 11.

[9] Moreau, C. et Delmée, P., Dossier : 0-12 ans : éduquer, c’est aussi accueillir, revue Prof n°18, 2015.

[10] Zicot, M.-F., Geerkens, O. et Demoulin, S., Opinion : Pour une vraie bulle après l’école, LLB du 3/10/18 pp. 40-41.

[11] Ibidem.

[12] Houssonloge D., Cinquante ans après Mai 68, l’égalité hommes-femmes en tension, Etude UFAPEC n°15.18-ET2.

[13] Zicot, M.-F., Geerkens, O. et Demoulin, S., op. cit.

[14] Ibidem

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