Analyse UFAPEC décembre 2014 par B. Loriers

25.14/ Parler de la mort avec les ados en milieu scolaire

Introduction

Pourquoi prendre du temps pour parler de la mort, surtout avec des jeunes qui ont la vie devant eux ?

Le fait d’aborder le thème de la mort avec les adolescents peut-il être considéré comme une démarche citoyenne ?

Comment aborder le sujet de la mort avec nos jeunes, quand elle survient dans le cadre scolaire, comment la communauté scolaire va-t-elle retrouver son équilibre quand la mort fait irruption en son sein ?

Et enfin, les rituels aident-ils nos jeunes à adoucir un tant soit peu les moments difficiles qu’ils vivent, lorsqu’ils rencontrent la mort de près ou de loin ?

Réfléchir sur la mort avec les ados, et en discuter ensemble en classe, voilà une ouverture au constat que nous sommes tous sur terre pour une durée déterminée et que personne n’y échappe.

Le sentiment de toute puissance et cette volonté de défier les limites chez les jeunes peut être atténué par la rencontre avec des personnes malades ou en fin de vie. Les ados se disent alors que cela pourrait bien leur arriver[1]. Ne pas mettre sur le côté les personnes fragilisées, voilà un enjeu majeur pour la santé de notre jeunesse, là où notre société semble occulter la mort de toutes ses forces. Parler de la mort avec les jeunes ne les aiderait-il pas aussi à prendre conscience du sens de la vie et du projet de vie qu’ils leur restent à choisir, à construire ?

Faut-il parler de la mort de manière préventive ou uniquement en période de crise ?

Un jour ou l’autre, les jeunes sont confrontés à la mort d’un parent, d’un ami, d’une connaissance.

Les enseignants peuvent profiter de l’actualité des médias pour aborder le sujet de la mort, de la fin de vie, du deuil, et ce en dehors de tout moment de crise direct. L’actualité ou des moments choisis sont propices à ces débats autour de la fin de vie : la Toussaint, un événement médiatisé, une commémoration d’anniversaire… Accoutumer les ados au thème de la mort peut leur apporter des compétences qui les aideront à faire face aux deuils qu’ils connaîtront inévitablement au cours de leur existence.

Par ailleurs, aborder la mort à travers différentes religions et philosophies dans le temps et l’espace permet d’apporter un autre éclairage sur l’évolution de nos représentations de la mort, d’apporter d’autres réponses aux questions existentielles que l’homme s’est posé de tout temps.

Quand la mort survient sur le lieu de l’établissement scolaire (maladie, suicide d’un élève ou d’un membre de l’équipe éducative), il est nécessaire d’effectuer un certain nombre d’actions collectives, communautaires pour prendre en compte l’ébranlement, le bouleversement intense des jeunes, avec le soutien du centre psycho-médicosocial (CPMS) et d’intervenants extérieurs.

Dépasser la fragilisation du groupe social par des rituels

Nous constatons que nos sociétés occidentales utilisent de moins en moins les rites, notamment les rituels de passage de la vie à la mort. Par exemple, de plus en plus, nos défunts sont envoyés immédiatement au funérarium, on ne les garde plus à la maison. La période de deuil n’existe (quasiment) plus, en tout cas au niveau vestimentaire. Notre société occidentale moderne a-t-elle peur de la mort ? Est-ce une façon de la mettre à distance ? La mort est-elle devenue un sujet tabou ? En conséquence, nos jeunes seraient-ils plongés dans une perte de repères, et leurs conduites à risques propres aux adolescents constitueraient-elles une alternative à des rites perdus ? Certains le pensent, comme le sociologue David Le Breton : « Les conduites à risque sont des mises à l’épreuve de soi pour des jeunes mal dans leur peau, dans des sociétés où le passage à l’âge d’homme ou de femme n’est plus balisé »[2].

Pour y voir plus clair, redéfinissons brièvement le concept de rite. « Un rite est un ensemble de règles, de codes, de formes fixées, organisées et répétitives - formes dites rituelles. Une cérémonie rituelle constitue dès lors un ensemble de gestes, de mouvements, de paroles qui révèlent et expriment une symbolique chargée de sens que chacun s’approprie et fait résonner en soi suivant son propre vécu. Les rites et rituels sont le plus souvent utilisés, en dehors de fonctions cultuelles spécifiques, pour marquer les grands moments de la vie, individuelle ou sociétale, en sacralisant ces moments si particuliers. Depuis bien longtemps les hommes commémorent les grands moments charnières de la vie comme la naissance, la puberté ou la mort par des rites que les ethnologues ont appelé rites de passage (passage d’un état à un autre)[3] ».

Pourquoi ces rites autour de la mort ? Quelle est leur utilité lorsque les jeunes rencontrent la mort dans le cadre scolaire ?

Selon différents auteurs, les rites ont souvent un effet apaisant, ils soulagent. De plus, vécus en groupe, ils créeraient une forme de soutien collectif entre les individus d’une même classe, d’une même école. « Les rites mettent en actes une symbolique capable de donner un sens aux limites de la condition humaine en simplifiant la pensée par des gestes universels et, en connectant chacun, par le biais des échanges, avec une humanité commune, en solennisant les temps forts de la vie tout en canalisant et pacifiant des émotions puissantes[4] ».De plus, les rites funéraires visent l’homme vivant, et ont pour fonction principale de « composer avec la peur de la mort »[5].

Une célébration en classe ou au niveau de tout l’établissement scolaire peut aider les élèves confrontés de près ou de loin à la mort : célébration, moment de prière ou de discussion, moment de silence ou de musique, de recueillement en groupe.

Françoise, professeur de religion en secondaire[6] : « C’est fondamental de prendre le temps de s’arrêter avec la classe en cas de décès, quelle que soit la manière : participer à l’enterrement, à une veillée, écrire un texte seul ou à plusieurs, rassembler des photos du défunt, lancer une discussion en classe sur le passage de la vie à la mort, prévoir un temps de silence… ».

Discuter de la mort : une démarche citoyenne

Discuter de la mort avec les élèves de l’enseignement secondaire, en dehors de toute crise, permettrait de travailler le concept de « citoyenneté », dans le sens où les élèves font partie d’un groupe, d’une classe, de l’institution scolaire, et sont reconnus comme tels, avec chacun leurs craintes et leurs espoirs par rapport à la mort. Les compétences qui se rapportent à une démarche citoyenne sont relevées par la fédération Wallonie-Bruxelles[7]. Elles ont pour but d’engager l’école et les élèves dans une société plus juste, plus solidaire, plus pacifique en travaillant les compétences liées à la citoyenneté démocratique. Exemples de compétences citées par ce décret, que l’on retrouve aisément lorsqu’on approche le thème de la mort avec les élèves du secondaire :

  • Développer une attitude critique d’interrogation et de recherche (poser, se poser des questions) ;
  • Se situer dans la société et la comprendre ;
  • Prendre conscience de critères éthiques et de leur caractère relatif ;
  • Apprendre le sens de la nuance, se méfier des attitudes manichéistes ;
  • Dans une situation problématique, envisager et croiser différents points de vue ;
  • Traiter les informations avec un esprit critique ;
  • Poser un jugement argumenté :
  • Entrer en relation avec les autres, et construire une relation interpersonnelle efficace et harmonieuse ;
  • Se décentrer pour comprendre et accepter l’autre dans sa différence.
  • Reconnaître l’importance de l’apport de chacun au sein du groupe.

Rejoindre l’autre là où il est : repères pédagogiques

Il existe différents supports pour l’enseignant, afin d’amorcer le sujet de la mort avec les ados : littérature, poésie, chansons, extraits de films, jeux de rôle, photos-langage, dessins, musique … Au prof de choisir le support avec lequel il est le plus à l’aise, le but étant de susciter une réaction ou une participation des élèves. Peut-être vaut-il mieux que l’enseignant multiplie les possibilités d’expression, pour que l’élève soit plus à l’aise pour exprimer ses sentiments en lien avec la mort. Ce qui compte, c’est que l’enseignant fasse en sorte qu’il y ait un lieu de réaction, exprimée ou pas, pour éviter le tabou, et ce lieu de réaction peut aussi se réaliser par des moyens d’expressions alternatifs, comme l’écriture libre, les arts plastiques ou le théâtre.

De manière plus formelle, le dossier pédagogique « La vie c’est trop mortel »[8]propose des repères pédagogiques qui peuvent aider l’enseignant à aborder au mieux le sujet de la mort en classe.

Pour les élèves :

  • On écoute l’autre avec respect et sans jugement. On parle en « je ». Ce que je vis est vrai pour moi, mais pas forcément pour l’autre. On accepte l’autre dans ses différences et ses ressemblances.

Pour le professeur :

  • Reformuler pour permettre une meilleure compréhension au groupe, en s’assurant que la reformulation convienne à l’interlocuteur ;
  • Poser des questions pour clarifier la situation vécuepar la personne que j’écoute et lui montrer l’intérêt que je porte à ses paroles ;
  • Poser des questions sur la signification de certains motsest important car la représentation que je me fais n’est pas forcément celle de l’autre ;
  • Utiliser le reflet, le miroirc’est-à-dire répéter ce que l’élève dit afin de l’aider à réfléchir sur ses propres mots ;
  • Synthétiser pour y voir plus clair (pour les 2 interlocuteurs ou pour le groupe) et vérifier si sa synthèse convient à l’autre ;
  • Donner une place aux périodes de silence car elles permettent à l’autre de s’écouter lui-même, de réfléchir, d’ajuster son discours ;
  • Permettre au groupe de réagir en étant attentif à ce que chacun s’exprime en « je » et que le jugement ne soit pas de la partie.

Conclusion

Lorsque le jeune est confronté de près ou de loin à la mort, il prend conscience de sa propre vulnérabilité. « L’adolescent, avant de connaître la douleur d’une perte spécifique, est presque par définition, en deuil. En deuil de lui-même, de l’enfant qu’il était[9] », de la fusion avec ses parents.

Parler de la mort, c’est d’abord parler de la vie. L’adolescent est en continuelle recherche, parfois déguisée, à propos des grandes questions existentielles qui construisent la condition humaine, dont la mort.

Mais la mort semble être devenue un sujet tabou en occident, on l’évite, on a peur d’en parler, tout doit bien aller, la mort fait rarement partie de nos vies. Pourtant, apprendre à parler de la mort n’aide-t-il pas certains jeunes à accepter les deuils qu’ils vivent ou qu’ils vont vivre ?

Les adultes (prof, parent, animateur…) qui se trouvent dans l’entourage des jeunes sont des relais de premier plan pour aider ces jeunes à prendre de la hauteur par rapport à leur histoire, en parlant de la mort avec eux, pour les aider à mieux vivre. Mais ne faut-il pas aussi respecter le fait qu’un adolescent n’a pas envie de parler de la mort, en tout cas face à l’enseignant, face au groupe ? Le moment de l’adolescence, c’est aussi celui de la pudeur exacerbée, et il faut en tenir compte.

Les autres élèves constituent aussi des référents pour le jeune confronté à la mort. Certains ados dialogueront plus facilement avec des personnes de leur génération, en partageant notamment certaines pratiques rituelles vues sur les réseaux sociaux, comme par exemple un diaporama qui retrace en quelques photos la vie du défunt.

Notre société laisse-t-elle une place aux discussions, rencontres et célébrations pour les jeunes, autour du thème de la mort ? Etre en contact, pourquoi pas via l’école, avec des personnes malades ou en fin de vie devrait permettre aux adolescents de prendre conscience du chemin qu’ils doivent parcourir, et des limites au fait qu’ils se croient tout-puissants.

Quelles personnes sont les plus adéquates pour aborder ce sujet avec les adolescents ? L’école est-elle le lieu propice pour aborder le thème de la mort ? L’éducateur, l’enseignant est-il outillé pour aborder ce sujet délicat, et pourtant brûlant pour les ados qui se posent mille et une questions sur notre condition humaine ?

Parler de la mort, c’est accepter tous les questionnements sur la vie, c’est aussi accepter de ne pas avoir de réponses adéquates à toutes les questions qui nous sont posées. Mais n’est-ce pas aussi pour les enseignants abandonner un peu leur rôle de transmetteur de savoirs, pour laisser place aux questionnements des élèves ?

Et finalement, les parents d’ados, pétris du tabou occidental, voient-ils d’un bon œil que l’on aborde la problématique de la mort à l’école ? Un bref sondage nous apprend que pour certains parents, ce sera une bonne idée d’aborder le thème de la mort en classe, si l’écoute et l’accompagnement se font dans de bonnes conditions. D’autres parents pensent que ce sujet est trop intime, relevant de la vie privée, pour être abordé en classe, que cette approche pourrait se révéler périlleuse si l’accompagnement sur ce thème est maladroit. Les parents seraient-ils rassurés, la démarche serait-elle plus acceptable si les enseignants étaient outillés pour parler de la mort lors de leur formation initiale et continuée ?

 

Bénédicte Loriers

 

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[1] D’autre part, Michaël Lontie écrit que c’est plus le fait d’être responsable de la mort d’un autre ou de provoquer la tristesse chez les gens que l’on aime qui amène les jeunes à la prudence. Pour aller plus loin sur la notion de risque chez les ados, lire :LONTIE, M., La notion de risque chez les adolescents, Analyse UFAPEC n°33.12, Décembre 2012 : http://www.ufapec.be/nos‐analyses/3312‐ados‐risques/

[2] LE BRETON David, Adolescence et conduites à risque, éditions Fabert, octobre 2014, p.50 (Yapaka.be).

[3]HEROUET Robert, Rites et rituels funéraires : fonctions, objectifs, bénéfices : http://www.geneasens.com/dictionnaire/rites_et_rituels_funéraires.html

[4]Bussières, L. (2009). Evolution des rites funéraires et du rapport à la mort dans la

perspective des sciences sociales. Ecole des études supérieures Université Laurentienne, Sudbury, Ontario : http://www.uhearst.ca/_pdf/these_luc.pdf

[5]« La vie, c’est trop mortel »,dossier pédagogique pour le 3ème degré du secondaire, plates-formes de soins palliatifs wallonnes, octobre 2014, p.16.

[6] Témoignage anonyme d’une enseignante, recueilli par l’auteure de cette analyse, le 27 novembre 2014.

[7] Décret 2003 et 2007, Fédération Wallonie-Bruxelles.

[8]« La vie, c’est trop mortel »,dossier pédagogique pour le 3ème degré du secondaire, plates-formes de soins palliatifs wallonnes, octobre 2014.

[9]La mort, parlons-en vivons-la !, n°3, P.15, Conseil de la jeunesse catholique, 2002. 

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