Analyse UFAPEC novembre 2018 par M. Claes

26.18/ Réaménager les classes pour favoriser l'apprentissage et le bien-être des élèves ?

Introduction

Quand on regarde une photo d’un téléphone d’il y a cent ans et celle d’un téléphone aujourd’hui, l’évolution saute aux yeux. Il en va de même pour la voiture. La société évolue, et avec elle, les inventions, les institutions, l’accès aux savoirs, etc. Mais l’école témoigne-t-elle de cette évolution ? Quand on se penche sur une photo d’une classe d’école il y a cent ans et une classe d’aujourd’hui, l’évolution est-elle si frappante ?

On entend parler de plus en plus de l’importance de l’environnement dans lequel on évolue, comme l’environnement de travail par exemple. Un classement sur « les entreprises où il fait bon travailler » sort chaque année et couronne les entreprises qui déploient la qualité de vie au travail, l’environnement et le bien-être. Ainsi, dans le monde des entreprises, l’idée selon laquelle la qualité du travail des personnes engagées dépend en partie d’un environnement de travail agréable semble faire son chemin.

Au même titre, la question peut interpeller dans le milieu scolaire : des élèves se sentant bien dans un environnement classe créé et pensé pour leur bien-être et qui sont encouragés à travailler dans une position et un état d’esprit qui leur conviennent ne seraient-ils pas enclins à mieux apprendre ? La qualité de l’environnement et le bien-être n’induiraient-ils pas une plus grande motivation de l’élève et, dès lors, une meilleure réussite ? Est-il dès lors souhaitable de penser à réaménager les classes ?

L’importance de l’environnement

Les salles de classe ont été pensées et construites pour favoriser la surveillance de la classe et attirer l’attention sur l’instituteur, alors vu comme détenteur-transmetteur du savoir et de la connaissance. Historiquement, les salles de classes sont organisées de manière frontale, les bureaux des élèves disposés en lignes et colonnes en face du professeur placé sur une estrade et du tableau. Pourtant, la société a changé ces dernières décennies, ainsi que les élèves et les enseignants ! La classe, quant à elle, a peu évolué, même si l’on voit néanmoins émerger ces questionnements au sein d’écoles.

Les élèves passent pourtant un temps considérable à l’école. Il semble alors important de rendre ce lieu agréable et accueillant, que ce soit dans les cours de récréation, les espaces de cantines, les sanitaires ou encore les classes. De la même manière que dans les maisons, qui sont souvent aménagées pour que l’on s’y sente bien, l’infrastructure et l’environnement de l’école devraient pouvoir donner l’envie d’y aller et d’y apprendre !

Si ces aspects sont de plus en plus émergeants, l’idée d’un environnement adapté n’est pas nouvelle. Maria Montessori, pédagogue italienne, a, durant la première moitié du XXe siècle, élaboré une pédagogie inédite pour son époque. Un des piliers principaux de sa pédagogie repose sur l’importance d’un environnement préparé. Si cette question de l’environnement est très poussée dans la conception de Maria Montessori, nous pouvons relever ici que cette pédagogue insistait déjà, il y a une centaine d’années, sur les bienfaits qu’il peut jouer sur les enfants ; l’environnement matériel et social joue un grand rôle, essentiel dans l’acquisition des apprentissages autonomes et dans l’épanouissement général de la personne[1]. L’environnement tel qu’il est vu par Maria Montessori évolue en fonction de l’âge des enfants, mais répond toujours à certains critères tels que l’ordre, la simplicité, l’esthétisme, la sécurité, le mouvement et l’autonomie. Il est par ailleurs important de veiller à l’accessibilité des objets, des étagères et du matériel pour les enfants. Maria Montessori explique également que l’atmosphère est primordiale, et permet le déploiement d’échanges, d’entraide et de communication entre les élèves. Cet environnement favorise le sentiment de cohésion sociale au sein de la classe.

Récemment, une étude de l'Université de Salford au Royaume-Uni[2] a établi une corrélation entre le niveau d'apprentissage des étudiants et l'agencement des salles de classe. Réalisée auprès de 3.766 écoliers venant de 27 écoles primaires, de 153 salles de classe et de milieux socioéconomiques différents, l’étude relève que l'impact de la salle de classe représente un gain de 16 % des progrès de l'élève. Les paramètres qui jouent sur la progression de l’apprentissage des élèves et leur impact positif en pourcentage sur la réussite scolaire des élèves sont les suivants :

  • Paramètres naturels : la température ambiante (12 %), la lumière (21 %) et la qualité de l’air (16 %)
  • Paramètres relatifs à l’individualisation : la flexibilité des lieux (17 %) et le sentiment de propriété (11 %)
  • Paramètres relatifs à la stimulation : la couleur (11 %) et la complexité (12 %)

De plus, Pascale Catinus, conseillère pédagogique, rappelle dans un fascicule sur les classes flexibles[3] (voir infra) que plusieurs études mettent en évidence le fait que le cerveau apprend mieux lorsqu’il est stimulé par des activités physiques[4].

Dès lors, ne serait-il pas judicieux de repenser l’intérieur des classes ? Si le modèle traditionnel de la classe se fait moins présent dans le fondamental, tout le monde n’est pas forcément conscient pour autant des bienfaits d’un environnement et d’un aménagement réfléchis, conçus pour favoriser le bien-être des élèves et professeur et, finalement, améliorer l’apprentissage.

Le cas émergent des classes flexibles

Plus concrètement, se répand très progressivement le cas des classes flexibles. La classe flexible (flexible seating en anglais) est une classe dans laquelle un agencement particulier permet aux élèves de choisir le poste et la position de travail qui leur convient, les amènent à bien vivre leurs apprentissages et à être réceptifs. Cet aménagement vise à augmenter à la fois leur bien-être, leur motivation, leur attention et leur concentration. En fonction de l’aménagement donné par l’enseignant, cette classe va permettre aux enfants de travailler assis sur des chaises (classiques, hautes, basses), des fauteuils, des ballons, des coussins, des tabourets tournants, à même le sol, couché ou encore debout. Et cela, dans le but de répondre au mieux aux besoins et fonctionnements différents des élèves. Ce système peut être particulièrement favorable aux élèves à besoins spécifiques, qui pourraient souffrir, comme de nombreux élèves, de l’immobilisme et du cadre de classe parfois trop rigide pour se sentir à l’aise et être en bonne condition d’apprentissage.

La flexibilité se retrouve donc dans le mobilier, mais également dans son agencement, car, à tout moment, il peut être bougé pour organiser des espaces différents. Pour Marc de Spiegelaere[5], instituteur primaire depuis quarante ans à l’école Sainte-Marie de Bousval, c'est la flexibilité dans la tête aussi ! Avoir une classe flexible nécessite de faire des réadaptations et des aménagements en fonction de ce qui correspond au groupe, aux enfants.

Depuis deux mois en classe flexible, Marc de Spiegelaere déclare déjà qu’il ne retournera plus en schéma traditionnel : je sens déjà en deux mois un énorme changement chez les enfants, et chez moi aussi d'ailleurs. Je le remarque à travers la grande autonomie qu’ils ont acquise. Il y a aussi beaucoup plus de possibilités de collaborer. Les élèves semblent donc très satisfaits de ce nouvel agencement, ils se sentent plus libres et pour eux, c’est un peu comme à la maison. C’est le jour et la nuit.

Un autre besoin de plus en plus mis en avant est l’individualisation et, pour Marc de Spiegelaere, cela est possible grâce à la classe flexible, car les enfants ne travaillent plus tous sur la même matière au même moment. Ils développent leur autonomie. De plus, ils travaillent énormément en groupe et peuvent s’entraider. Mais cela nécessite une gestion en classe, car une classe flexible qui n’est pas organisée est une catastrophe.

Ensuite, Marc de Spiegelaere souligne que parler uniquement du matériel quand on évoque la classe flexible serait réducteur. A ses yeux, un changement de pédagogie et de manière de donner cours est inévitable avec ce genre d’aménagement : l'idée de faire travailler tout le monde au même moment sur la même chose, ce n'est plus possible. Les élèves ont changé, ils sont tout le temps en mouvement et l’instituteur doit également se mettre en mouvement : si tu n'es pas en mouvement avec eux, ça ne sert à rien. Ainsi, l’instituteur devient un accompagnateur, un facilitateur dans la recherche et la découverte des connaissances plutôt qu'un détenteur-transmetteur du savoir. Ce changement s’est opéré pour lui dans la continuité de ses valeurs et de celles qu’il souhaite transmettre à ses élèves. Cette démarche s’inscrit alors dans l’enjeu de sensibiliser et former les élèves aux changements sociétaux à venir, dont l’école est aussi porteuse.

Le seul frein que voit Marc de Spiegelaere à la mise en place d’une classe flexible est le manque de motivation de la part d’un instituteur. Il importe qu’il le fasse uniquement parce qu’il en est convaincu lui-même. On peut également poser la question du travail collaboratif au sein de l’équipe pédagogique. Ne faut-il pas penser ce genre d’aménagement avec l’ensemble de l’équipe de l’école, afin assurer une continuité au profit de tous les élèves ?

Enfin, pour les enseignants qui se lancent dans le système de classes flexibles, des outils de partage en ligne existent et semblent être précieux pour eux. Par exemple, des sites internet et des pages Facebook[6] permettent aux enseignants d’échanger entre eux leurs avancées, des astuces sur le matériel utilisé ainsi que les difficultés rencontrées. Il apparait sur une page Facebook par exemple, à la suite de discussions, qu’un manque de structures et d’explications rigoureuses des règles en classe a eu comme résultat des élèves très dissipés et difficiles à garder concentrés.

Vers de nouveaux espaces d’apprentissage ?

Très peu d’instituteurs se sont lancés dans cette aventure de classe flexible en Belgique à l’heure actuelle ! Et elles ne représentent d’ailleurs pas l’ensemble des aménagements de classe qu’il est possible de réaliser. Dans d’autres pays, comme les pays nordiques, on retrouve des écoles sans classes et sans murs, permettant aux élèves d’habiter l’ensemble du bâtiment. Des nouveaux locaux de classe émergent un peu partout dans le monde, dans l’idée d’améliorer l’apprentissage des élèves. L’outil numérique est également introduit dans de nombreuses écoles, à petite ou grande dose ! Nous n’allons pas rentrer ici dans le détail de toutes ces innovations, qui mériteraient une analyse plus poussée pour en comprendre les avantages et inconvénients. Notons seulement qu’elles existent et sont en voie de développement.

L’idée n’est pas non plus de dire que les enseignants qui ne se tournent pas vers des réaménagements de leur classe sont des mauvais enseignants. Il est tout à fait possible de s’investir dans un cours dynamique, pensé pour favoriser le bien-être et l’apprentissage des élèves, sans vouloir changer l’aménagement de sa classe. Les classes flexibles sont juste des pistes que certains membres du corps enseignant ont décidé de suivre pour tenter d’évoluer avec les élèves ! La question de la culture de l’école se pose également. La réflexion se doit d’être pensée en équipe. Dès lors, comment tenter de susciter un changement ?

Conclusion

La société évolue à toute vitesse. Jusqu’où l’école doit-elle emboîter le pas ? Y a-t-il un lieu précis pour apprendre ou des lieux pour stimuler l’apprentissage ? Les classes d’aujourd’hui ne sont plus toujours pensées en adéquation avec l’évolution de la société, des mentalités, des élèves, des enseignants, des méthodes de travail, des accès au savoir, etc. Un environnement de qualité visant le bien-être des élèves semble également jouer sur leur motivation et, dès lors, sur leur réussite. Faut-il alors réaménager les classes ?

Dans l’axe stratégique 5 de l’avis n°3, le pacte pour un enseignement d’excellence insiste sur l’importance d’une école plus accessible, plus ouverte sur son environnement et mieux adaptée aux conditions du bien-être de l’enfant, dans une perspective de réussite scolaire. Cela passe notamment par le développement de la qualité de vie à l’école.

Dans ce cadre, l’UFAPEC, désireuse que chaque enfant se sente bien à l’école, ait l’envie de s’y rendre et soit pris d’un réel plaisir d’apprendre, encourage les écoles avec les associations de parents à lancer toute réflexion sur ce sujet. Si l’aménagement des classes est loin d’être le seul élément intervenant dans le sentiment de bien-être et dans les apprentissages, une remise en question à ce sujet peut être intéressante quand elle est pensée pour les enfants (et pour les enseignants !) et qu’elle est souhaitée par ceux-ci. Ce point pourrait faire l’objet d’un passionnant débat au conseil de participation.

 

 

Manon Claes

 

 


[1] Charlotte Poussin, La pédagogie Montessori, Que sais-je ?, Paris, 2017, p. 88.

[2] Professor Peter Barrett et al., Clever Classrooms, février 2015, Université de Salford https://www.salford.ac.uk/cleverclassrooms/1503-Salford-Uni-Report-DIGITAL.pdf

[3] Pascale Catinus, Transformer ma classe en classe flexible, oui, mais pas n’importe comment. Partie  1:  les  balises, Wallonie-Bruxelles Enseignement, https://www.dropbox.com/s/3zvb8de5wke87ga/Classes%20flexibles.%20partie%201%20Filigrane.pdf?dl=0&fbclid=IwAR2Uh19md7YxjG1NdnzvVuggDtW963mIiKEswcYNwSH9d6pxhS_-NOe_tpo

[4] Jean-Philippe Schmidt, Bouger pour être mieux disposé à apprendre ? Analyse UFAPEC 12.16, http://www.ufapec.be/nos-analyses/1216-bouger-pour-apprendre.html

[5] Entretien réalisé 7/11/2018 à l’école Sainte-Marie de Bousval.

[6] Comme La Classe Flexible de Madame Stéphanie, par exemple, dont vient l’illustration de cette analyse.

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