Analyse UFAPEC décembre 2015 par B. Loriers

27.15/ Les « sas d’écoute », qu’en penser ? Une alternative au mal-être des élèves dans les écoles secondaires?

Introduction

Aujourd’hui, le mal-être des enfants à l’école est devenu un enjeu social : apprend-on mieux si on est bien dans sa tête ? Le climat scolaire de la classe et de l’école a-t-il un réel impact sur la réussite de tous ?

Le mal-être est un état dans lequel on se sent en mauvaise disposition, où l’on ressent une souffrance sourde, à cause de laquelle on n’est pas heureux. Ressentir un mal-être, c’est ressentir une sensation pessimiste de ne pas être suffisamment armé pour affronter les difficultés de la vie.

Dans un colloque namurois sur le bien-être à l’école, il a été reprécisé[1] que le bien-être est un des mandats de l’école. Le décret Mission de 1997 précise que l’école doit promouvoir la confiance en soi et le développement de la personne de chacun des élèves. Le bien-être fait partie intégrante de ce qu’on attend de l’école. Si les parents acceptent de déléguer leur autorité parentale à l’école, c’est parce qu’en contrepartie, l’école va prendre soin de leurs enfants. C’est un contrat implicite (…) Le bien-être facilite l’apprentissage. Les apprentissages scolaires peuvent contribuer au bien-être. Il y a une relation réciproque entre bien-être et apprentissage. On ne peut donc pas enseigner aux élèves sans se soucier de leur bien-être.

Faire participer les élèves aux règles de vie de l’école, les rendre citoyens, peut les rendre acteurs de leur vie scolaire, et cela peut diminuer leur mal-être[2].

Une autre piste essentielle pour améliorer le bien-être des élèves est de privilégier le dialogue, qui peut diminuer les troubles d’anxiété. Les élèves doivent avoir des lieux pour raconter leurs angoisses, pour dédramatiser. Créés dans la mouvance des écoles citoyennes, la mise en place d’un sas d’écoute[3] au sein de certaines écoles permet-elle d’atténuer les violences réelles ou latentes ?

Quelles sont les origines du mal-être des élèves, quelles sont les sources des tensions vécues dans le cadre scolaire ?

Comment fonctionnent ces sas d’écoute, quels en sont leurs objectifs ?

Quels genres de problèmes y sont « déposés »?

Quels sont les atouts de de dispositif, mais aussi les limites ?

D’où provient le mal-être de nombreux élèves ?

Les causes du mal-être de certains élèves sont variées : course à la performance, compétition, évaluations en nombre, manque d’intégration dans la classe, provocations d’un groupe d’élèves, prof trop autoritaire, ...  L’anxiété scolaire peut dans certains cas aboutir à la phobie scolaire, une angoisse incontrôlable et paralysante[4].

Pour Carine Meuwis, enseignante à Saint-Luc Tournai[5],les élèves arrivent à l’école avec un avenir incertain, avec des relations familiales complexes qui deviennent de plus en plus extrêmes. On ne peut pas aborder le système scolaire sans l’envisager comme un système, c'est-à-dire un système complexe en interne mais un système intégré dans une société elle-même complexe.

Etre le meilleur

Notre société de la performance a un impact important sur notre système scolaire, qui vise trop souvent à former des élèves compétitifs, pour accéder au monde des entreprises rentables, d’où une pression parfois démesurée sur les élèves. L’école obligatoire est-elle le lieu pour former uniquement des élites, et cela parfois au détriment de la construction de citoyens, d’êtres Humains ?

Le marché de l’emploi actuel fait la part belle aux diplômes, … une pression de plus.

Familles anxiogènes ?

L’institution familiale se révèle être, dans certains cas, anxiogène. Il y a quelques dizaines d’années, les familles avaient confiance dans notre système scolaire. Elles étaient en adéquation avec les valeurs défendues à l’école. Aujourd’hui, l’enseignant est de moins en moins placé sur un piédestal. Certains parents remettent en question les modalités d’apprentissage, les consignes données en classe, etc. ; ce qui place l’élève dans un conflit de loyauté …pression supplémentaire ! Autre élément de stress pour les élèves : certains parents veulent que leur enfant réussisse aussi bien qu’eux, d’autres veulent offrir une réussite à leur enfant, réussite qu’ils n’ont pas atteinte, ou qu’un autre de leurs enfants n’a pas obtenue.

D’autres élèves vivent la violence au quotidien dans leur famille, leur quartier. Qu’elle soit verbale, physique ou psychologique, cette violence est amenée à l’école.

« Petites » violences

Certains élèves font l’objet de remarques humiliantes, harcelantes, de jugements dévalorisants, en classe ou dans la cour de récréation, de manque de considération, de brimades qui peuvent participer à un mal-être, et à un mauvais climat scolaire.

Pour Jean-Luc Tilmant[6], la violence institutionnelle sournoise est en augmentation, et l’école doit faire face aux injures, insultes, moqueries, cris, bousculades dans les couloirs, refus de l’autorité, petits larcins, dégradation des locaux, etc.

Il faut ajouter à cela toutes les persécutions qui se déroulent lors du trajet domicile-école, à pied ou en transport en commun, et puis une fois à la maison, sur les réseaux sociaux. On parle ici de cyber-harcèlement.

Obligation scolaire

L’obligation d’aller à l’école jusque 18 ans peut aussi être une source de mal-être pour les élèves qui «n’en n’ont plus rien à faire ». Ce stress et cette démotivation, ce ras-le-bol peuvent contaminer d’autres adolescents, à un âge où le mal-être fait souvent partie de leur personne. Rendre du sens à l’école, valoriser les diverses filières d’enseignement est plus que jamais essentielle.

Que font les écoles secondaires contre le mal-être ambiant ?

Les sas d’écoute, une alternative ?

Un sas est un lieu qui permet de passer d’un dispositif à un autre, d’un environnement à un autre. Le sas d'écoute est un lieu et une structure humaine installée dans certaines écoles. Cette structure accueille individuellement les élèves afin de créer avec eux une communication positive.

Le but de ce dispositif est essentiellement de prévenir les détresses et les violences, et de créer un climat participatif. Pour Jean-Luc Tilmant, il est temps de créer des écoles citoyennes dans lesquelles on se parle, où tout se négocie sauf la LOI construite par tout le collectif. En bref, ce qui peut faire changer les choses, c’est la parole.

Quels problèmes  rencontrés?

Le sas d’écoute de l’Institut Saint-Luc à Tournai est l’un des plus anciens sas en place, datant de 2003. Nous avons contacté Laurence Delannay[7], coordinatrice de ce sas d’écoute. Enseignante en mathématiques et licenciée agrégée en Sciences de l’Education, elle nous explique : les problèmes que nous rencontrons sont d’ordres divers : violence, harcèlement, souci à l’internat, alcoolisme, drogue, dépression, deuil, problème relationnel en classe, dans l’école ou au sein de la famille, santé, identification sexuelle, orientation, automutilation… Le problème le plus rencontré ? Le relationnel au sens large, au sein de l’école, de la classe, ou de la famille.

Fonctionnement

Quelques enseignants volontaires ont été formés à l’écoute active, à l’entretien d’aide par Jean-Luc Tilmant.[8] Les élèves viennent dans le local « sas » sans s’inscrire, sachant qu’il y a souvent un écoutant qui est présent. A Saint-Luc Tournai, sur la porte du sas, les élèves trouvent une grille-horaire hebdomadaire, qui reste identique toute l’année, avec le nomdes écoutants et leurs heures de présence, en fonction de leur disponibilité.

Laurence Delannay : la règle de base du fonctionnement du sas d’écoute est la confidentialité. Même entre écoutants, nous ne dévoilons pas le nom des élèves qui viennent nous trouver. Nous avons un cahier dans le sas où nous notons l’année d’étude, si c’est une fille ou un garçon, et la section, ainsi que le type de problème rencontré.

Ces statistiques permettent de marquer l’ancrage et l’utilité du sas dans l’institution, et les types de problèmes rencontrés, pour affiner l’analyse des besoins.

D’autres règles pour le fonctionnement de ce sas d’écoute sont : un seul élève en présence d’un seul « écoutant », sans autre cas de figure, et le respect de l’intégrité physique, mentale et psychologique de l’élève et de l’écoutant.

Le sas ne s’adresse qu’aux élèves du secondaire. A Saint -Luc Tournai, nous sommes dans une école artistique, technique et professionnelle. Mais les 7 ou 8 sas qui fonctionnent en Fédération Wallonie-Bruxelles se retrouvent dans tous types de milieux scolaires : enseignement spécialisé, technique, professionnel et général.

Atouts

Ces sas n’entrent-ils pas en concurrence avec les centres PMS ? Non pour Laurence Delannay, car c’est une aide de première ligne. Les écoutants agissent dans l’immédiateté, ils prennent la balle au bond. C’est une aide concrète et rapide. L’élève dépose son mal-être de suite, sans attendre, il peut ainsi prendre du recul pour rapport à la situation.

Ces sas préviennent la violence, permettent de la diminuer si elle est déjà présente. Ils favorisent le respect et l’intégrité de chaque élève, de la 1e à la 7e secondaire. L’écoutant peut renvoyer à la direction de l’école, au centre PMS ou à Jean-Luc Tilmant si le problème dépasse le cadre du sas, s’il y a un danger pour l’élève. Nous (les écoutants) recevons des réponses rapides à nos questions et, en cas de besoin, les élèves obtiennent un rendez-vous dans les plus brefs délais et éventuellement un suivi.

Le principe de l’assistance à une personne en danger prime sur la confidentialité.

L’élève choisit lui-même l’écoutant qu’il souhaite rencontrer ainsi que l’horaire, et s’il désire un suivi à son premier entretien.

Un local

Le sas est avant tout un local au sein de l’école, central, accessible, et qui doit être repérable, par des flèches ou un panneau. C’est un local intime, aux couleurs apaisantes.

Chaque sas peut mettre en place des règles de déontologie, dont la confidentialité et le devoir de discrétion sont garantis par une certaine insonorisation.

Limites du dispositif

La plus grande fragilité du système est qu’il repose exclusivement sur le bon vouloir bénévole de quelques enseignants, et qu’il demande un investissement énorme de la part des écoutants.

D’autre part, ils ne sont que 7 ou 8 sas d’écoute à fonctionner pour la Fédération Wallonie-Bruxelles, et uniquement dans le secondaire. Ce dispositif ne serait-il pas utile et efficace pour les élèves de l’enseignement fondamental ?

En y regardant de plus près, on se rend compte que les écoles manquent de moyens humains et financiers pour mettre l’accent sur ce bien-être des élèves ; et les initiatives locales restent beaucoup trop anecdotiques. Peut-être faudrait-il généraliser ces structures d’écoute, obtenir une reconnaissance institutionnelle ? Laurence Delannay ajoute que le sas a un rôle extrêmement important en ce qui concerne la qualité de l’insertion du jeune dans l’école et il est vrai que nos dirigeants pourraient en prendre conscience.

Pour Laurence Delannay, le bémol est le trop petit nombre d’enseignants qui s’inscrivent dans la grille horaire des permanences du SAS. En effet, cette année, nous sommes 13 enseignants pour 34 périodes... Nous sommes plus de 13 enseignants à avoir suivi les formations à l’écoute active (de base et de perfectionnement), mais tous les enseignants ne s’inscrivent pas dans le planning du sas d’écoute.

Carine Meuwis souligne d’autres failles du système.[9] Il faut que toutes les catégories des acteurs de l’institution soient d’accord avec la philosophie du sas d’écoute, de la direction au personnel d’entretien, en passant par les élèves. Elle ajoute quela résistance au changement représente le problème le plus délicat. Il faut pouvoir expliquer aux collègues qu’il est parfois plus intéressant que l’élève puisse quitter le cours, voire manquer l’entièreté de l’heure de cours plutôt que de rester en classe et que l’enseignant doive gérer la situation.

D’autre part, il est important de bien communiquer avec le CPMS et préciser que le sas d’écoute ne se substitue pas à ses missions. Au contraire, la collaboration est très importante. L’écoutant n’est ni assistant social, ni psychologue, le centre PMS sera donc le relais vers lequel l’écoutant va orienter l’élève en situation de difficulté.

Enfin, la confidentialité pose souci. Certains enseignants veulent vérifier la pertinence pour le jeune de se rendre au sas d’écoute, alors qu’il y a une évaluation du cours. Il faut alors réexpliquer aux collègues que la confidentialité est le socle de base du sas, et que rien ne peut en sortir.

Conclusion

Peut-on épargner à nos enfants  toute situation de mal-être, tout stress ? Mission impossible pour tous les adultes qui les entourent et ce n’est d’ailleurs pas souhaitable. L’enjeu de ces sas est que le jeune comprenne combien la parole peut être apaisante et combien la parole aide à contrôler les montées de violence. Tout au plus nous, adultes pouvons-nous collaborer à diminuer leur anxiété par des dispositifs, qui notamment donnent l’occasion aux enfants et aux jeunes de s’exprimer. Les sas d’écoute en sont un fameux exemple.

Ces sas d’écoute s’adressent parfois à des enfants qui n’ont pas les moyens financiers de se rendre chez un psychologue (ou autre) pour les aider, qui cumulent des difficultés. Dans ce sens, ce dispositif touche à l’égalité de chances entre les élèves.

De plus, en offrant aux élèves la possibilité de s’exprimer, le sas d’écoute demeure une porte d’entrée pour outiller les élèves dans leur vie de citoyen responsable, actif, critique et solidaire. A l’école et au sein de la famille, les adultes doivent offrir l’occasion aux enfants et aux jeunes d’entrer dans un comportement responsable et citoyen, en donnant du sens aux savoirs, en cultivant la prise de parole, le débat d’idées, le sens des responsabilités, la capacité à résoudre des conflits, l’engagement à servir, l’ouverture au monde[10].

Par ailleurs, bien que l’institution scolaire ait fortement évolué ces dernières années en se préoccupant de plus en plus de l’épanouissement des élèves, est-ce uniquement le rôle de l’école de veiller au bien-être de l’enfant ? L’institution familiale est aussi un lieu où l’écoute active de qualité peut être privilégiée, afin de détecter les situations de stress des enfants et des jeunes, et ainsi dénouer les situations difficiles quand cela est possible.

Et quand les familles sont explosées, décomposées, dans la tourmente, le centre PMS de l’école peut aussi accompagner, soutenir, voire orienter les familles vers des services plus spécifiques.

L’UFAPEC insiste pour que tous les partenaires de l’école collaborent afin d’améliorer sans cesse le climat scolaire, en veillant au bien-être des élèves et de l’équipe éducative. Les associations de parents et le conseil de participation peuvent aussi, à leur niveau, réfléchir à l’amélioration du climat scolaire.

Notre organisation représentative des parents et associations de parents attend que des moyens soient dégagés pour développer le bien-être des élèves. Il conviendrait en outre que soit redéployé le dispositif des cellules bien-être[11], c’est-à-dire un groupe de coordination local réunissant différents intervenants internes ou externes à une même école (chefs d’établissements, enseignants, éducateurs, membres des équipes des CPMS et des Services PSE, élèves…) qui se concertent régulièrement afin d’aider le chef d’établissement à définir les lignes de force de son école en matière de bien-être. Une Cellule bien-être a, entre autres rôles, celui de « dynamiser » la promotion du bien-être dans le temps et l’espace scolaires, d’identifier les ressources internes, de déterminer les services « extérieurs » auxquels faire appel afin de répondre au mieux aux problématiques spécifiques vécues dans chaque établissement en termes de santé et de bien-être.

La réussite des élèves dépend entre autres de leur bien-être et des bonnes relations qu’ils entretiennent entre eux et avec les enseignants. L’enjeu du bien-être des élèves est fondamental puisqu’il touche directement aux apprentissages et à la réussite scolaire générale : il ne doit donc pas être dépendant du bon vouloir de quelques bénévoles.

 

 

Bénédicte Loriers

 

 


[1] Actes de la journée d’échanges « Le bien-être à l’école », état des lieux sur l’arrondissement de Namur, 26 avril 2013.

[2]Pour en savoir plus, consulter le site du « Mouvement des institutions et écoles citoyennes : http://www.miec.be/

[3] Les sas d’écoute n’ont rien à voir avec les SAS, services d’accrochage scolaire.

[4] LORIERS Bénédicte, Phobie scolaire, de quoi parle-t-on ?, analyse UFAPEC 2014 : http://www.ufapec.be/files/files/analyses/2014/1414-phobie-scolaire.pdf

[5] Actes de la journée d’échanges « Le bien-être à l’école », état des lieux sur l’arrondissement de Namur, 26 avril 2013, p.19.

[6] CUVELIER Christine, entretien avec Jean-Luc Tilmant: Des écoles citoyennes pour prévenir la violence, universitedepaix.org, 21 août 2013.

[7] Interview réalisée le jeudi 1er octobre 2015 par Bénédicte Loriers.

[8] Jean-Luc Tilmant est enseignant, psychopédagogue spécialisé en problèmes de violences à l’école. Il a écrit notamment : Treize stratégies pour prévenir les violences à l’école(2004), Aider l’école à prévenir les violences : 12 stratégies (2006) et Le syndrome d’Harpocrate ou l’école démocratique ? (2008).

[9] MEUWIS Carine, Actes de la journée d’échanges « Le bien-être à l’école », état des lieux sur l’arrondissement de Namur, 26 avril 2013, p.21.

[10] LORIERS Bénédicte, Construire une école citoyenne pour diminuer les violences : http://www.ufapec.be/files/files/analyses/2013/2713-ecole-citoyenne.pdf

[11] Le dispositif pilote en fédération Wallonie-Bruxelles s’étalait sur deux années scolaires (2011-2012 et 2012-2013) et a concerné 80 établissements de tous niveaux, tous réseaux d’enseignement et tous types (maternel et primaire, secondaire général et qualifiant, ordinaire et spécialisé). La liberté était laissée à chaque école de développer son propre projet en fonction de ses propres priorités et contraintes.

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