Analyse UFAPEC décembre 2017 par D. Houssonloge

28.17/ Presque 50 ans après Mai 68, les jeunes sont-ils libres et épanouis dans leur sexualité ?

Introduction

De tout temps, la sexualité a suscité au sein des sociétés questions, revendications, inquiétudes tout comme tentatives de normalisation, tabous et interdits. C'est que la sexualité représente des enjeux sociétaux importants qui touchent entre autres au respect de la personne, à l’égalité des genres, aux droits sexuels et reproductifs, au respect des minorités sexuelles ainsi qu’à des questions de santé publique (SIDA et autres Maladies Sexuellement Transmissibles).

Ici, nous aborderons plus spécifiquement la sexualité des jeunes. Qu'en est-il de la sexualité des adolescents et jeunes adultes, un demi-siècle après mai '68, ? Nos jeunes ont-ils gagné une liberté jusque-là interdite à leurs parents et grand-parents ? En sont-ils plus épanouis, mieux préparés à la vie de couple ?

Le débat est ouvert : pour certains, la révolution sexuelle de mai '68, a été bénéfique en termes de bien-être et d'émancipation de la personne tout spécialement pour les femmes. Pour d'autres, cette liberté sexuelle a été poussée à l'extrême et répond aujourd'hui à de nouveaux prescrits sociaux.

Qu’en est-il vraiment ? Comment se construire en tant qu'homme ou femme dans une société où la sexualité n'est plus taboue, mais omniprésente ?[1]

Définitions

  • Sexualité

D’après le dictionnaire en ligne Ortolang : « [Chez l'être humain] Ensemble des tendances et des activités qui, à travers le rapprochement des corps, l'union des sexes (généralement accompagnés d'un échange psycho-affectif), recherchent le plaisir charnel, l'accomplissement global de la personnalité. »[2]

  • Santé sexuelle  

La définition de la santé sexuelle par l’OMS[3] permet également d’appréhender les différentes dimensions d’une sexualité libre et respectueuse de chacun : « La santé sexuelle est un état de bien-être physique, mental et social dans le domaine de la sexualité. Elle requiert une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, ainsi que la possibilité d’avoir des expériences sexuelles qui soient sources de plaisir et sans risque, libres de toute coercition, discrimination ou violence. »[4]

Mai ‘68 et la libération sexuelle

Mai ‘68 marque un tournant capital dans l’évolution des mœurs et dans l’histoire de la sexualité en Occident. Parmi les grandes avancées qui en découleront, le droit à la contraception et à l’avortement pour les femmes, le droit à la sexualité pour les jeunes et une reconnaissance des minorités sexuelles.[5]

« Mai ‘68 : ce moment où une partie de la jeunesse française veut quitter le « carcan bourgeois » et, lisant La Lutte sexuelle des jeunes (1931) du psychanalyste Wilhelm Reich, vise l’épanouissement dans « l’orgasme vécu sans tabou ». Sur les murs de la capitale ou de l’université de Nanterre (où les garçons occupent le dortoir des filles), on peut lire : « Je jouis dans les pavés » ou « Notre corps nous appartient ». On commence à parler de révolution sexuelle. Il s’agit d’une transformation culturelle mondiale : sur la côte californienne et au festival de Woodstock, les hippies se dénudent, scandent « Make love, not war ! » et défendent un idéal d’épanouissement personnel à travers « l’amour libre ». »[6]

Quelques faits et chiffres

D’après une enquête du SIPES[7], « En 2014, parmi les jeunes âgés de 16-20 ans dans l’enseignement secondaire supérieur, un adolescent sur deux (49,3 %) rapporte avoir eu au moins un rapport sexuel, la plupart d’entre eux (44, 6 %°) déclarant en avoir eu plusieurs. »[8]

L’Observatoire de la Santé en province de Hainaut a également mené une enquête sur la question en 2010 auprès de jeunes de 10 à 17 ans. En voici les données marquantes pour notre sujet :

  • Environ la moitié des jeunes de 16 ans déclarent ne pas avoir eu de rapports sexuels et 35 % déclarent avoir déjà eu des rapports. La proportion de filles est similaire à celle des garçons. Le reste n’a pas répondu.[9]
  • Les jeunes et les filles en tête restent romantiques puisque le principal motif invoqué pour avoir une première relation sexuelle est « l’amour » (90 %).[10]
  • Parmi les plus grandes craintes des jeunes, c’est la peur du sida ou d’autres maladies puis le manque de confiance en soi qui sont d’abord cités.[11]
  • L’enquête montre également un risque de conformisme ou de pression sociale sur les jeunes lorsqu’ils évoquent les raisons pour lesquelles ils accepteraient une relation sexuelle « sans en avoir envie ». C’est les filles qui ressentent le plus cette pression mais pas seulement. Parmi les raisons évoquées, l’âge d’avoir une relation, éviter d’être critiqué, pour faire comme tout le monde, pour éviter d’être abandonné, pour essayer, pour faire plaisir.[12]

Ce conformisme, voire cette pression sociale, sont à mettre en rapport avec l’évolution de notre société où le sexe est devenu omniprésent (médias, marché du sexe…) au point de parler d’hypersexualisation.[13]

Cela voudrait-il dire qu’après la libération sexuelle de mai ‘68, de nouvelles normes, de nouveaux diktats sont apparus ? Cela voudrait-il dire que les hommes et les femmes et tout spécialement les jeunes ne sont toujours pas libres ni épanouis dans leur sexualité ?

Débat

  • 1. Une sexualité juvénile reconnue, libre et moins sexiste

Beaucoup soutiennent l'idée que la sexualité aujourd'hui est plus libre, notamment dans le fait de pouvoir en parler. L'étude récente de Couples et Familles asbl résume : « Depuis les années '60, la société occidentale a connu un éclatement des normes et des codes rigides qui entouraient la sexualité. […] Avant d'être une modification des pratiques, la libération sexuelle se marque surtout aujourd'hui par la libération de la parole. La sexualité n'est plus un sujet tabou. Que du contraire serait-on tenté de dire.  »[14]

Des auteurs comme l'anthropologue Régis Meyran[15] et la sociologue Véronique le Goaziou[16] rappellent encore les progrès faits depuis mai '68 :  

  • la sexualité sans procréation grâce à la contraception ;
  • la légalisation de l'avortement (permettant aux femmes d'échapper à la prison ou à des risques de complications désastreuses pour leur santé) ;
  • un droit à une sexualité libre et épanouie pour les hommes, mais aussi pour les femmes, réduisant ainsi les inégalités entre les sexes ;
  • un droit pour les minorités sexuelles (homosexualité bisexualité) ;
  • un droit à la sexualité pour les jeunes, nié jusque-là et réduite à la clandestinité, et une dédramatisation de la sexualité grâce à une initiation progressive à partir de 13-14 ans[17] ;
  • une diminution du modèle dominant homme-femme dans la sexualité. Tendance plus perceptible chez les jeunes (18-24 ans)[18].
     
  • 2. Une sexualité soumise à de nouvelles normes : la sexualité sans limite et le culte du corps érotisé

Certains, dont une part de ceux qui soutiennent que mai ‘68 a apporté une libération sexuelle, y voient aussi des effets pervers : à force de revendiquer le droit au plaisir comme je veux et quand je veux, on aurait basculé dans l’extrême inverse et créé de nouvelles normes et pressions. Ces nouveaux diktats étant d’autant plus pesants et néfastes pour les jeunes fragilisés par la construction de leur identité et l’acceptation de leur nouveau corps.

La sexologue québécoise Francine Duquet s'interroge également sur l'impact que peut avoir une société de banalisation et de surenchère sexuelle sur les représentations des adolescents en matière de relation à l'autre et de sexualité. Selon cette sexologue, il y a des pressions sociales importantes tout spécialement sur les jeunes filles. Elle évoque la dictature du corps érotisé et des relations, pratiques non désirées.[19] 

La philosophe Michela Marzano estime également que la libération sexuelle est loin d’avoir tenu ses promesses et qu’au contraire cette liberté tant attendue est aujourd’hui codifiée par le marché du sexe et les médias de masse (dont les images érotiques et pornographiques auxquelles nous consacrerons une autre analyse). Dans son chapitre intitulé « Je baise donc je suis », elle s’interroge : être libre sexuellement est-ce faire tout ce que l’on veut au nom du consentement des deux partenaires ? N’y a-t-il pas aujourd’hui plus de prescrits en termes de vision de l’homme et la femme liés à la sexualité ? Et surtout est-on encore libre de ne pas se livrer à cette recherche de plaisir infini ? [20]

En réaction à cette hypersexualisation de la société, des courants réactionnaires, voire moralisateurs, reviennent en force et, chose nouvelle, des mouvements dits asexuels revendiquant le droit à une non-sexualité font leur apparition.[21]

  • 3. Eclairage de la recherche

Comme le résume l’étude de Couple et Familles, « la sexualité fait désormais partie des impératifs du bien-être de base : elle est considérée comme un élément d’épanouissement personnel, de bien-être, de santé.[22]»

Quant à la sexualité des jeunes, Véronique le Goaziou se veut assez rassurante. Nous sommes arrivés à une sorte de dédramatisation de la sexualité pour une majorité de jeunes qui déclarent avoir une vie affective et sexuelle épanouie avec un droit à une sexualité préconjugale. Par ailleurs, malgré cette nouvelle liberté, les jeunes restent plutôt sages, modérés et enclins à l’amour et à l’engagement.[23]

Cependant, les jeunes risquent aussi de payer le prix d’une libération sexuelle sans limite. Comme le fait justement remarquer Véronique le Goaziou, alors qu’autrefois les normes sexuelles étaient seulement établies par les grandes institutions comme la famille, l’Église ou l’État, aujourd’hui elles sont démultipliées par une foule de sources (droit, médecine, psychologie, sexologie, littérature, cinéma, école, médias, réseaux sociaux, forums, politiques publiques, mouvements, etc.) délivrant des messages divers et parfois contradictoires. Et, la chercheuse d’ajouter : « C’est notamment cette profusion souvent incontrôlable qui inquiète les tenants d’une éducation à la sexualité, surtout lorsque les informations reçues par les jeunes sont considérées comme erronées, sexistes ou anti-égalitaires. »[24]

Véronique Le Goaziou montre enfin le paradoxe dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui en matière de sexualité : « en parler autant et, parfois, savoir si peu la dire ou si mal la vivre. »[25] Aujourd’hui, les jeunes sont bien informés sur la sexualité, mais encore tellement malhabiles à comprendre les émotions et le ressenti de l’autre : « L’ordre du désir sans doute parce qu’il renvoie à l’altérité en soi, est tout sauf transparent, et demeure peut-être aussi opaque que par le passé. Ce trouble, s’il est brutalement dévoilé chez des jeunes agresseurs, habite en chacun de nous, chacun de nos adolescents, et de nos enfants. »[26] Elle attire encore notre attention sur la nécessité de pouvoir éduquer à la sexualité au-delà d’une approche médicale.

A ce sujet, rappelons ici la position de l’UFAPEC : « L’Education à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle (EVRAS) est, pour l’UFAPEC, une dimension essentielle de la formation humaine et citoyenne de nos enfants tout au long de leur scolarité et dans tous les types d’enseignement. L’école, à côté de l’éducation nécessairement multiple proposée aux enfants dans chaque famille, a donc un rôle déterminant à jouer. Ceci afin de s’assurer que chaque enfant, chaque adolescent, développe une réflexion, des attitudes et un comportement, conscients des enjeux de société, de groupe, de partenaires ou d’identité en matière de vie relationnelle, affective ou sexuelle. Il s’agit en outre qu’il obtienne des pistes de réponses en fonction de ses besoins propres, à la fois individuels et relationnels. »[27]

Conclusion et pistes

Les jeunes d’aujourd’hui, et tout spécialement les filles, ont gagné le droit à une sexualité juvénile et préconjugale. Ils ont aussi un droit à être respectés dans leur orientation sexuelle Ce sont là des avancées majeures en termes de respect et d’émancipation de la personne. Majoritairement, les jeunes semblent épanouis dans leurs relations et informés des risques et des protections à prendre.

Pour autant, les jeunes n’en sont pas moins exposés aux pièges d’une société qui, en cinquante ans, a imposé la sexualité comme un impératif de vie, avec de nouvelles normes et des pressions d’autant plus fortes à l’âge de l’adolescence et de l’entrée dans l’âge adulte : « Etre canon » ou « sexy », c’est-à-dire correspondre aux nouveaux standards érotisés, à nouveau tout spécialement pour les filles, être en couple et avoir des rapports à partir d’un certain âge faute de paraître anormal, « assurer au lit », avoir une vie sexuelle au top… semblent être les nouveaux diktats du XXIe siècle.

A ce titre, notre société n’aurait-elle par raté une étape dans sa libération sexuelle ? Récupérée par le marché du sexe et par les médias de masse qui lui ont emboité le pas, elle semble avoir confondu « sexe » et « sexualité » et occulté l’aspect relationnel et affectif. Certes, une majorité d’hommes et de femmes sont devenus plus expérimentés en matière de sexe, mais on ne peut pas en dire autant en amour et en capacité d’ouverture à l’altérité.

Et pourtant, les jeunes restent romantiques et misent d’abord sur l’engagement dans le couple ! N’est-ce pas là un signal suffisant pour les éducateurs, parents et professionnels pour donner à l’EVRAS toute la place qu’elle mérite dès l’enfance dans toutes ses dimensions[28] ? Il en va de l’épanouissement des jeunes dans leur individualité comme dans leurs capacités à être en relation dans le respect de soi et de l’autre.

 

Dominique Houssonloge

 

 


[1] L’influence des images érotiques et pornographiques des écrans sur les jeunes est un sujet qui fait débat également et qui est traité dans une autre analyse.

[2] Ortolang (Outils et Ressources pour un Traitement Optimisé de la LANGue), http://www.cnrtl.fr/definition/sexualit%C3%A9

[3] Organisation Mondiale de la Santé

[5] Régis Meyran, La révolution sexuelle a-t-elle eu lieu ? in Sciences humaines, n° 284, août-septembre 2016, pp. 34-35.

[7] Service d’information Promotion Education Santé

[8] SIPES, Comportements, bien-être et santé des élèves. Enquête HBSC 2014 en 5e - 6e primaire et dans le secondaire en Fédération Wallonie-Bruxelles. 2017, p. 118.

[9] Observatoire de la Santé en province de Hainaut, Regards sur la santé des jeunes. La sexualité des jeunes en Hainaut in Santé en Hainaut, n° 9, 2014, p. 10.

[10]Idem, p. 16.

[11] Idem, p. 15.

[12] Observatoire de la Santé en province de Hainaut, op. cit., p. 25.

[13] Voir notamment Francine Duquet, L’hypersexualisation sociale et les jeunes in Cerveau & Psycho, août 2013, p. 40 - https://hypersexualisation.uqam.ca/wp-content/uploads/sites/61/Hypersexualisation-sociale-et-les-jeunes.F.Duquet.pdf

[14] Couples et Familles, Sexualité surexposée, Dossier n° 83, Malonne, 1er trimestre 2008, p. 9.

[15] Régis Meyran, op. cit., pp. 34-35.

[16] Véronique le Goaziou, Les jeunes, la sexualité et la violence. Collection Yapaka par la FWB, Bruxelles, septembre 2017, p. 11.

[17] Idem, p. 18.

[18] Vincent Auzée, Hommes et femmes ont-ils des fantasmes différents ? in Sciences humaines, n° 284, août-septembre 2016, p. 39.

[19] Francine Duquet, op. cit., pp. 42-44.

[21] Cité dans Couples et familles, op. cit., .p. 11 et dossier sciences hum p. 56 - Voir notamment l’opinion de Véronique Hargot, formatrice à l’école Vie-Amour  pour qui les femmes sont devenues par la contraception « dépendantes du désir de leur compagnon ou mari, et dépendantes du corps médical » in La Libre Belgique du 20 avril 2017, Les jeunes sont-ils mal éduqués à la sexualité ?

[22] Couples et familles, op. cit., p. 10.

[23] Véronique Le Goaziou, op. cit., pp. 17-19.

[24] Idem, pp. 19-20.

[25] Idem, p. 52.

[26] Idem.

[27] Michaël Lontie, L’Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (EVRAS) : quels enjeux et perspectives ? ÉTUDE UFAPEC, août 2017 | 13.17/ET 1 : http://www.ufapec.be/nos-analyses/1317-evras-et1.html, p. 34.

[28] Pour approfondir la question, voir Michaël Lontie, op. cit.

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