Analyse Ufapec décembre 2018 par JPh. Schmidt

28.18/ Les méthodes de lecture suffisent-elles pour apprendre à lire ?

Chacune de nos lectures, laisse une graine qui germe. 

Jules Renard

Introduction

Gestuelle, syllabique, globale, idéo visuelle, mixte, tous ces substantifs sont généralement associés à diverses méthodes d’apprentissage de la lecture. Qui se souvient de la sienne ? Comment nos enfants apprennent-ils à lire ? Est-ce si important de le savoir ? Si oui, pourquoi ? Quels sont les enjeux de ces méthodes ? Chacune d’elles possède ses particularités. Qu’en est-il réellement, pourquoi cette querelle entre initiés envahit-elle depuis des années la sphère de l’école, de la famille, et parfois même du politique, et questionne autant les parents ? Au-delà des méthodes, l’acte de lire est-il rencontré ? Parce que derrière cela, il y a les enjeux de la réussite scolaire et de l’intégration future du jeune dans sa vie, qu’elle soit sociale ou professionnelle. Dans un premier temps, nous ferons un état des lieux de la lecture en Fédération Wallonie-Bruxelles, nous aborderons ensuite l’utilisation des méthodes de lecture, enfin nous examinerons les enjeux que peut susciter le débat.

La lecture en Fédération Wallonie-Bruxelles

Depuis 2015, un plan lecture en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) est mis en place et propose trente mesures[1] transversales distinctes afin de viser prioritairement les 0 à 18 ans. L’objectif de ce plan[2] : Remettre la lecture au centre des apprentissages et des pratiques éducatives et culturelles, en considérant que la lecture est un savoir essentiel au développement et à l’épanouissement des individus et d’une société démocratique.

Quels sont les constats pointés par la FWB ? :

  • D’après une étude de l’ONE, 50 % des enfants âgés de 30 mois présentent déjà un retard ou des troubles du langage.
  • 25 % seulement des élèves de 4e primaire ont une bonne maîtrise de la lecture, documentaire ou littéraire.
  • À 15 ans, les performances en lecture de nos élèves sont à peine égales à la moyenne des pays de l’OCDE.
  • La lecture, comme pratique culturelle, est en recul : les Belges sont 68 % à avoir lu un livre au cours des douze derniers mois et 37 % à avoir fréquenté une bibliothèque publique.
  • 15 % des jeunes quittent l’école secondaire sans diplôme et sans l’usage fonctionnel de la lecture.

Par ailleurs, dans sa note de synthèse[3] de l’enquête PIRLS 2016[4], Dominique Lafontaine[5] analyse le niveau de compétence en lecture des élèves de quatrième année primaire. Cela concerne 4.623 élèves. Le score est plus que moyen par rapport aux pays de référence. Il est même inférieur au score de 2006, alors que la Fédération Wallonie-Bruxelles se trouvait déjà en queue de peloton...

Où trouver l’origine de ces difficultés criantes ? Les méthodes de lecture sont-elles réellement en cause ? D’autres facteurs ne pourraient-ils pas entrer en ligne de compte ? Osons la question : l’enseignement de la lecture est-il rencontré ?

Différentes méthodes de lecture, au-delà des querelles

Voici brièvement la définition des différentes méthodes de lecture principales :

La méthode globale : on propose à l’enfant des textes, des phrases... L’enfant aborde le mot dans sa globalité, il le photographie et l’associe à une signification imagée et il le mémorise. Les enfants découvrent, par après, les lettres et les sons par hypothèse. On joue sur le sens et l’hypothèse.

La méthode idéo visuelle : on propose à l’enfant d’explorer globalement un texte (affiche de cinéma, recette de cuisine, catalogue...). L’enfant émet des hypothèses qu’il devra vérifier. Cette méthode repose sur une mémoire auditive et visuelle. L’enfant devra reconnaitre des mots et des phrases. Ensuite, il travaillera les syllabes et les lettres.

La méthode syllabique : c’est le fait de décortiquer le mot. On part donc des lettres et des sons. En associant certaines lettres, cela fait des sons. Les enfants rechercheront ces sons et ces lettres dans différents mots. On joue essentiellement sur le code.

La méthode mixte : c’est une sorte de mélange des deux méthodes précédentes, on propose à l’enfant de chercher le sens et le code.

Les spécialistes s’accordent pour dire que se limiter à une seule méthode d’apprentissage de la lecture ne peut déterminer plus tard le bon lecteur. Cela semble peu suffisant. Lire, ce n’est pas que déchiffrer, c’est mettre du sens. C’est comprendre ce qu’on lit.

Des pistes à explorer à côté des méthodes

Au-delà des méthodes, n’y a-t-il pas d’autres moyens d’éveiller le jeune enfant à la lecture ? Il est symptomatique, au regard des recherches entreprises pour cette analyse, de constater une telle différence de croyance ou de récupération de l’apprentissage de la lecture. Il apparait utile, au-delà des méthodes, de placer l’élève dans les bonnes conditions d’appréhender l’écrit afin d’éviter toute forme d’inégalité, et ce dès le plus jeune âge. Françoise Boulanger[6] remarque que le jeune enfant commence son apprentissage de la lecture dès qu’on lui lit des histoires. Cela lui fait très plaisir, cela renforce sa complicité avec l’adulte, et aussi parce que c’est ainsi qu’il apprendra sans effort des centaines de mots nouveaux, des tournures de phrases (syntaxe) qui lui permettront de comprendre des histoires de plus en plus complexes. Lorsque viendra le moment de lire lui-même, l’enfant ayant déjà un bon vocabulaire perceptif (c.à.d. celui que l’enfant comprend, le vocabulaire productif étant celui qu’il utilise) et une oreille habituée aux textes lus, apprendra à lire avec plus de facilité. En effet, le niveau de lecture est toujours dépendant de la compréhension du langage écrit.[7]

Déjà en 2000, le Conseil de l’Education et de la Formation (CEF) émettait l’avis suivant : Avant même que ne lui soit proposé un apprentissage systématique et ordonné de la lecture et de l’écriture, le jeune enfant se construit un premier ensemble de représentations et d'hypothèses sur l'écrit dont il s'agit de tenir compte au début de l'apprentissage. Il importe que les enseignants soient particulièrement attentifs à ces représentations précoces qui varient en fonction de l'histoire personnelle de l'enfant et de son milieu socio-familial.[8] Et si d’aventure, l’enfant n’a pas eu la chance de vivre cette première relation à l’écrit, c’est peut-être à l’école maternelle d’y être attentive et de lui donner des réponses adéquates, en faisant manipuler des livres dès la 1e année, en baignant l’enfant de divers genres d’écrits, afin qu’il acquière une bonne connaissance orale de la langue écrite.

Dominique Lafontaine, dans sa note de synthèse, donne une explication au faible résultat des enfants de quatrième primaire : l’entrée dans l’écrit serait insuffisamment accompagnée. Elle questionne la place occupée en FWB par les pratiques d’enseignement ou apprentissage qui permettent aux élèves de maternelle, sans pour autant entamer avant l’heure l’enseignement formel de la lecture, de développer des représentations correctes des liens entre langage oral et langage écrit.[9]

Qu’est-ce qui bloque ? A-t-on une explication aux mauvais résultats en lecture ? Déchiffrer à voix haute, ne suffit pas pour que les enfants comprennent ce qu’ils lisent. Ne faut-il pas aider ces enfants à comprendre ? D. Lafontaine décrypte qu’en FWB, la tendance est plus à exercer la compréhension plutôt qu’à l’enseigner. N’y a-t-il pas une insuffisance de la connaissance et de la pratique orale de la langue écrite ? Pour certains élèves, une certaine émotivité excessive peut inhiber ou faire barrière à un apprentissage trop rapide ou trop strict qui pourrait provoquer des blocages. D’où l’importance capitale de l’accompagnement et de la bienveillance. D. Lafontaine voit encore d’autres éléments d’analyse au mauvais résultat de l’enquête :

  • le fait que l’enseignement de stratégies de compréhension soit loin d’être une pratique ancrée dans le quotidien des classes ;
  • le caractère peu répandu des pratiques axées sur le développement d’un dialogue oral ou écrit avec les textes ;
  • l’occurrence peu régulière de lecture de livres longs, largement devancée par la lecture d’histoires et de documents informatifs courts ;
  • le fait que les apprentissages centrés sur le code ne soient plus à l’ordre du jour de la 4e année dans le chef de nombreux enseignants, et vraisemblablement dès le cap de la 2e année franchi ;
  • le fait que les compétences jugées prioritaires au premier degré primaire se focalisent sur des processus de bas niveau tandis que l’enseignement des compétences plus complexes soit différé au second et au troisième degré ;
  • l’écart affiché entre la proportion d’élèves qui auraient besoin de séances de remédiation en lecture et celle qui en bénéfice : moins de la moitié des élèves qui selon les enseignants nécessiteraient une remédiation (19,5 % des élèves) reçoivent effectivement une aide au sein de l’école (9 %).

Les enjeux

Une société illettrée est une société qui serait en mal de démocratie. En effet, il y a une grande importance sociale, dans les cultures lettrées comme la nôtre, à pouvoir lire, écrire et s’exprimer. Pourtant, le constat est là, les résultats en lecture ne sont pas bons. Il y a certains enfants qui échouent dans cet apprentissage de manière inattendue (les dyslexiques par exemple) et certains adultes qui perdent l’usage de la lecture ou de l'écriture (alexie/agraphie). Ces personnes en difficultés de lecture et d’écriture peuvent trouver du soutien dans des organismes d’alphabétisation, comme, par exemple, l’asbl Lire et Ecrire[10].          

Entrer dans la lecture est une étape essentielle du développement de la personne dans tout ce qu’elle peut être et faire... Le nombre de mots de vocabulaire maitrisés détermine notre pensée. Plus on connait de mots, plus on peut affiner sa pensée, plus on peut argumenter et donc être critique. Si on fait le chemin à l’envers, pas de mots, pas de pensées, pas d’argumentations, pas de critique... L’envisage-t-on un instant ?

Dominique Lafontaine souligne : Pierre angulaire de la réussite scolaire et sociale, le savoir-lire représente plus que jamais une compétence incontournable en elle-même et en tant que voie d’accès à d’autres savoirs. L’illettrisme constitue ainsi l’un des symptômes et l’un des facteurs du décrochage scolaire et de l’exclusion sociale.

Conclusion

La question n’est donc pas uniquement d’apprendre à lire selon la bonne méthode.  Apprendre reste un enjeu de société majeur, car tous les enfants ne partent pas avec les mêmes chances. Certains enfants ont des parents qui lisent des histoires, éveillent à l’écrit, à la lecture et qui leur demandent systématiquement ce qu’ils ont compris. D’autres, non. Si l’école ne le fait pas et ne se contente que d’une seule méthode, sans faire baigner les élèves depuis la maternelle dans l’écrit, elle risque de laisser sur le chemin des enfants en rupture avec la lecture. Favoriser et susciter un climat propice au désir de lire chez l’enfant joue donc un rôle important. L’implication de l’enseignant s’avère dès lors déterminante. Notre expérience de formateurs et de chercheurs nous a permis de rencontrer de nombreux enseignants qui obtenaient des résultats remarquables en usant de méthodes différentes : ils attachaient une attention particulière aux élèves de milieux populaires, cherchant à leur apprendre à l’école ce que les autres avaient appris en famille ; ils mettaient en œuvre une pratique cohérente et réfléchie ; ils désiraient voir tous leurs élèves réussir...[11]

L’avis n°3 du Pacte pour un enseignement d’excellence[12] insiste sur l’identification des domaines d’apprentissage qui doit s’accompagner d’une réflexion sur les attentes implicites des enseignants comme la structuration de la langue et la conscience phonologique ainsi qu’à la compréhension à la lecture via l’oralisation et ce, dès l’école maternelle. La maitrise de la lecture est un des points essentiels du Pacte soutenu par des stratégies spécifiques. L’UFAPEC soutient cette exigence, tout en restant attentive et vigilante au risque d’une éventuelle primarisation de l’école maternelle qui serait préjudiciable à l’enfant.

Par ailleurs, à l’approche de la réforme de la formation initiale des enseignants, l’UFAPEC accueille favorablement l’idée d’une formation en « tuilage » des futures institutrices maternelles (formées à enseigner également en première et deuxième primaire) et des futurs instituteurs primaires qui pourront enseigner en maternelle dans l’espoir, entres autres, de mieux encadrer l’enseignement de la lecture.

La lecture reste une compétence de base élémentaire pour la réussite scolaire comme pour l’intégration future dans la vie professionnelle et sociale. C’est le socle de tout apprentissage et d’autonomie. L’intérêt de la lecture n’étant pas pareil pour tous les enfants, l’UFAPEC considère qu’il importe  de développer ce goût de la lecture dès le plus jeune âge. Au-delà des méthodes d’apprentissage de la lecture, il nous semble fondamental de mettre en place les meilleures conditions et de susciter la motivation et le plaisir de lire pour chaque enfant.

 

 

Jean-Philippe Schmidt

 

 

 


[3] Lafontaine, D., Pirls 2016, Note de synthèse, Service d’analyse des Systèmes et des Pratiques d’enseignement (aSPe), Université de Liège.

[4] Progress in International Reading Literacy Study (Programme international d’évaluation des compétences en lecture).

[5] Docteure en sciences de l’éducation, professeure à l’Université de Liège.

[6] Pédagogue et experte internationale du processus d'acquisition du langage écrit chez l'enfant.

[7] http://lebonheurdelire.org/

[8] CEF, « On n’a jamais fini d’apprendre à lire/écrire : des pistes pour agir », avis n° 73, sept. 2000, p. 7.

[9] Ibidem Lafontaine, D. p. 19.

[11] Goigoux R. et Cèbe S., Apprendre à lire à l’école : tout ce qu’il faut savoir pour accompagner l’enfant, Retz, 2006, p. 47

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