Analyse UFAPEC 2010 par A. Floor

30.10/ L’estime de soi en milieu scolaire

Introduction

L’estime de soi est un des fondements de notre personnalité, de ce que nous sommes. Elle est devenue aujourd’hui une aspiration légitime aux yeux de tous, considérée comme une nécessité pour survivre dans une société de plus en plus compétitive[1]. L’Etat de Californie a même déclaré qu’il s’agissait d’une priorité éducative et sociale de premier ordre[2] soulignant que le manque d’estime de soi joue un rôle central dans les difficultés individuelles et sociales qui affectent notre Etat et notre nation. Même si cela peut sembler excessif d’inscrire l’estime de soi des individus d’un état américain dans un programme politique, il ressort tout de même que le fait de bénéficier d’une bonne estime de soi facilite l’engagement dans l’action ; ils prennent plus rapidement la décision d’agir et persévèrent davantage face aux obstacles. [3] Le sujet à haute estime de soi entretiendra également un rapport à l’erreur très constructif ; en effet, en étant moins préoccupé par le risque d’échec, il va multiplier les actions qui vont peu à peu nourrir et consolider sa confiance en lui-même et le pousser à renouveler ses initiatives. A l’inverse, pour le sujet à faible estime de soi, le moindre échec est vécu comme une catastrophe personnelle et sociale majeure, ruminé longuement et ensuite utilisé comme frein à de nouvelles entreprises. Il y a donc bel et bien un enjeu de société dans cette question de l’estime de soi puisqu’elle se révèle un outil précieux pour s’adapter à son environnement, à des expériences de vie parfois difficiles (échec scolaire, perte d’emploi, divorce, …). Favoriser une bonne estime de soi de chaque individu induit d’en faire des acteurs autonomes et responsables, désireux de progresser et d’innover malgré les difficultés, aptes à rebondir dans une société en pleine mutation.

Comment se construit l’estime de soi ?

Aux yeux de tous, l’estime de soi est bien constitutive de la personnalité, mais comment la définirait-on ? Quels sont les facteurs favorables ou défavorables à une bonne estime de soi ? Christophe André et François Lelord[4] voient dans les mots d’un adolescent la meilleure définition qu’ils aient pu trouver : L’estime de soi ? Eh bien, c’est comment on se voit, et si ce qu’on voit on l’aime ou pas.[5] Ce regard que l’on porte sur soi est vital puisque s’il est positif, il nous permettra d’agir efficacement et de faire face aux difficultés de la vie. A contrario, s’il est négatif, les obstacles de la vie seront plus complexes à franchir. L’estime de soi n’est pas figée, acquise une fois pour toutes, elle a besoin d’être alimentée tout au long de l’existence, elle est toujours susceptible de changements en relation avec nos expériences de vie.
Il y a trois composantes dans l’estime de soi qui interagissent continuellement : l’amour de soi (se respecter quoi qu’il advienne, écouter ses besoins et ses aspirations) facilite incontestablement une vision positive de soi (croire en ses capacités, se projeter dans l’avenir) qui, à son tour, influence favorablement la confiance en soi (agir sans crainte excessive de l’échec et du jugement d’autrui).[6]
Pour un enfant, il existe quatre principales sources d’estime de soi : ses parents, ses enseignants, ses pairs (enfants de sa classe et plus largement de son école), ses amis proches. Or plus l’individu est jeune plus sa confiance en lui dépend du regard, du jugement des autres ; le regard des parents et des enseignants est donc véritablement fondateur de l’estime de soi de chacun. On se souvient tous d’un regard encourageant, d’une parole qui a donné des ailes pour avancer dans la vie ou à contrario comment un regard méprisant, une remarque cinglante a pu fermer des portes.L’enfant grandissant accordera de plus en plus d’importance à l’opinion de ses pairs avant d’avoir acquis suffisamment de confiance en lui pour affermir sa propre image.

L’estime de soi en milieu scolaire

En milieu scolaire, les élèves sont sensibles à la perception de leurs compétences qu’ont parents, pairs et enseignants et leur confiance en eux reflète en partie ces perceptions. Les messages de leur entourage (soutiens, encouragements, critiques, conseils, attentes) ont une influence et font donc évoluer aussi leur confiance en leurs capacités d’apprendre. Or la confiance invite à la performance. Sous des appellations variées, la plupart des conceptions actuelles de la motivation partagent l’idée selon laquelle la confiance en nos capacités à agir efficacement joue un rôle crucial dans notre engagement et nos performances.[7]
Tous les enseignants s’accordent sur l’importance de la soif d’apprendre ou motivation à apprendre chez leurs élèves, la démotivation étant  L’obstacle de toute entreprise d’enseignement. [8] Or, un enfant démotivé est un enfant qui a perdu confiance en ses capacités, qui, face à des échecs trop fréquents, ne peut plus protéger son estime de soi et va aller peut-être jusqu’au désengagement vis-à-vis de l’école. Lorsque l’enfant est à l’aise parmi ses copains d’école et face aux exigences du travail scolaire, l’école devient alors le lieu privilégié de la satisfaction de son besoin d’estime.
A. Le concept de soi influe sur les performances cognitives
Ce concept de soi est une connaissance caricaturée de soi-même, qui s’exerce de façon automatique et involontaire. Notre cerveau humain fonctionne en catégorisant, en étiquetant pour gagner du temps. C’est un phénomène naturel et spontané mais qui peut enfermer l’enfant en difficulté scolaire dans des stéréotypes dont il aura beaucoup de mal à sortir. Si quelqu’un me regarde en trouvant que je suis brillant, je deviens plus brillant ; s’il me voit nul, je deviens davantage nul[9].  C’est l’effet pygmalion qui se joue dans la relation prof-élève mais aussi entre élèves. Les enfants se comparant savent très bien à quel niveau ils se situent par rapport aux autres et appliquent eux aussi des stéréotypes aux autres et à eux-mêmes.
 
Lors de son intervention à l’atelier sur « L’estime de soi et réussite scolaire : un cercle vertueux » à l’Université d’été du SEgec en août 2010, Gaëtane Chapelle[10] a démontré à quel point le fait de se considérer bon ou mauvais élève a un impact sur la réussite des tâches scolaires. Benoît Galand [11] le confirme et le précise en disant que cette confiance peut varier d’un domaine à l’autre ainsi que d’une matière scolaire à l’autre[12].
 
Une expérience très célèbre, dite du dessin ou de la géométrie, montre que si l’on demande à des élèves qui se considèrent comme « mauvais en maths » de mémoriser une forme géométrique complexe en leur disant qu’il s’agit d’une tâche de géométrie, leurs performances seront beaucoup moins élevées que si on leur dit que c’est une activité de dessin. Et par contre si on leur dit que c’est du dessin, leurs performances sont aussi élevées que celles des élèves qui se considèrent « bons en maths ». Tout envahi par la crainte de mal faire parce qu’il se « croit » mauvais dans une tâche, l’enfant réalisera de fait une mauvaise performance confirmant l’image de lui qu’il voulait éviter. Selon Gaëtane Chapelle, les enfants se sentant « mauvais en maths » se trouvent confrontés à deux tâches : la peur de correspondre au stéréotype et la mémorisation de la figure géométrique. Il ne peut pas gérer les deux tâches en même temps sans que l’une des deux en souffre. Ainsi si son estime de soi est trop mise en danger par une tâche, il choisira de la préserver aux dépens de l’autre tâche. Il va donc mal performer dans la tâche car il estime trop faibles ses chances de succès et va donc s’investir de moins en moins.
Si l’enfant vit des échecs de manière ponctuelle, il pourra protéger son image de lui-même en les attribuant à des éléments extérieurs à lui (par exemple comportement discriminatoire de l’enseignant,…). Si les échecs sont trop réguliers, il ne pourra plus protéger son estime de lui et risque de se désengager de plus en plus de ses apprentissages afin de ne plus se mettre en danger. Ainsi, les élèves se désintéressant des activités dans lesquelles ils se sentent peu efficaces feront des choix d’orientation scolaire en conséquence. L’école, je m’en fous. Je ne fous rien car cela ne m’intéresse pas. Alors, les échecs, ça ne me touche pas, disent certains adolescents. Selon Thérèse Bouffard,  Bon nombre d’élèves redoublants conçoivent un sentiment d’incapacité plus ou moins généralisé qui les confine très souvent dans une attitude de résignation[13].
 
Ainsi, les bons élèves tendent d’année en année à augmenter leur vitesse de croisière tandis que les autres se retrouvent de plus en plus enfermés dans un faisceau de représentations qu’ils finissent par intérioriser au point de renoncer à l’idée de surprendre qui que ce soit et surtout eux-mêmes.
B. La manière d’interpréter les succès et les échecs joue un rôle-clé dans la construction de l’estime de soi
Il faut que le résultat à atteindre dépende au moins en partie de l’action de l’élève[14].
Si les résultats sont distribués à la tête du client ou sur une base discriminatoire, si l’élève est certain d’obtenir un bon résultat en ne faisant quasiment rien, s’il juge la tâche sans intérêt, inutile ou absurde, sa confiance en ses compétences n’en sera pas augmentée. Pour toute personne, croire que le résultat de ses actions dépend de facteurs hors de son contrôle n’est pas très favorable au développement de perceptions de compétences positives[15]
 
On voit donc que les évaluations et la manière dont les résultats sont communiqués auront une incidence sur les implications qu’en tirent les élèves sur leurs capacités à apprendre. Un feed-back sous forme de commentaires sur les points forts et faibles, sur les améliorations possibles est bien plus porteur que des notes ou appréciations générales. De même, évaluer l’élève par rapport à ses performances antérieures plutôt que par rapport à celles des autres élèves suscite davantage de confiance en ses capacités.
C. Comment agir pour moduler l’influence des représentations (des enseignants, des parents, de leurs pairs et d’eux-mêmes) sur le devenir des élèves ?
  • Transmettre à l’enfant des messages très explicites sur la qualité de son travail peut l’aider à réaliser que ses résultats ne sont pas dus à des causes insaisissables mais bien à des causes bien concrètes. Aider ces enfants en mal d’estime à constater le lien essentiel qui unit la qualité de leurs efforts à la qualité de leurs réalisations ne peut qu’être bénéfique. Etre exigeant sur la qualité du travail est une manière aussi de dire au jeune que l’on fait confiance à ses qualités et ses capacités d’apprendre.
  • Donner du sens aux apprentissages en termes d’acquisition de compétences plutôt qu’en termes de productions à fournir. Fixer des objectifs précis et à brève échéance afin que les élèves perçoivent leurs progrès et le lien entre leurs efforts et les résultats.
  • Présenter une activité comme une occasion de développer ses compétences et de s’améliorer plutôt que comme un test ou une compétition peut aider les élèves qui reconnaissent être moins brillants que les autres à rester motivés voire à se montrer résilients face à un échec[16].

    Le rapport à l’erreur est à retravailler, il existe un préjugé très fort qui dit que les notes reflètent le niveau d’intelligence et non les performances. Par ailleurs, réussir produit de nombreux avantages et échouer de nombreuses punitions. Comment donc « bien » vivre ses erreurs dans de telles conditions ?
     
  • Pour réussir ses études sur le long terme, il n’y a pas que les compétences intellectuelles et la quantité de travail qui comptent, mais aussi la stabilité émotionnelle, la résistance aux échecs, etc., toutes choses liées à l’estime de soi, disent Christophe André et F. Lelord. Selon eux, le rôle des parentsest d’instaurer un bon équilibre entre la sécurité (montrer à l’enfant qu’on l’aime quelle que soit sa réussite scolaire) et la loi (lui rappeler les règles). On observe trop souvent que certains élèves passent mal le cap de l’entrée en secondaireou dans le supérieur, ils ne sont pas devenus pour autant moins intelligents. Mais ils n’arrivent pas à travailler « pour eux », tandis que l’aide des parents va en diminuant (parce que les enfants la refusent ou que les parents ne suivent plus).[17]

    De plus en plus d’écoles sont conscientes du poids de l’estime de soi dans la lutte contre l’échec scolaire. Vous trouverez en annexe un témoignage d’une action concrète mise en place dans l’enseignement secondaire.
     
  • Se persuader qu’un enfant est maladroit et le lui faire savoir ou sentir l’incite à l’être et à le rester. Les étiquettes que l’on colle à un enfant par le biais de remarques, de gronderies ou de moqueries le poussent à s’y conformer. Il faut au contraire l’encourager, le mettre dans des situations qu’il sera capable de maîtriser et qui l’aideront à surmonter sa faiblesse de départ. Ce qui est vrai dans toute situation d’apprentissage ; que ce soit à l’école ou à la maison.

Conclusion

La confiance en ses capacités d’apprentissage n’est donc pas monolithique, donnée une fois pour toutes, mais elle se construit au fil des expériences vécues dans différentes matières. Ainsi, cette confiance ne dépend pas exclusivement de l’élève, mais également des types de dispositifs pédagogiques mis en place par les enseignants et des messages communiqués par les parents. En effet, la confiance en soi ne provient pas seulement des résultats scolaires, mais aussi et surtout de la manière dont il perçoit réussites et échecs et des implications qu’il en tire concernant ses capacités d’apprentissage. Et là le rôle des adultes est vraiment important, tant dans les paroles que dans les actes. Tous les chercheurs sur l’estime de soi ont souligné à quel point il était important que les parents ne confondent pas les performances de leur enfant avec leur valeur intrinsèque : L’enfant intériorise ainsi que sa valeur ne dépend pas que de sa performance, mais représente une donnée stable, relativement indépendante, du moins à court terme, des notions d’échec ou de réussite[18].
 
Et les parents ont aussi un rôle-clé à jouer par leur exemple face aux aléas de la vie ; s’ils ne se définissent eux-mêmes que par leurs performances, leurs réalisations, leurs possessions, il leur sera difficile d’induire un ancrage en soi chez leurs enfants. De même, si nos jeunes côtoient des adultes qui surmontent mal leurs faiblesses et leurs échecs, il leur sera difficile de les dépasser de leur côté.
Nous sommes donc bien face à un enjeu sociétal dans la mesure où la société sera d’autant plus innovante que les individus qui la constituent oseront se lancer dans l’action.
 
 
 
Anne Floor
 
 
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[1] André C., « L’estime de soi au quotidien », article de la rubrique Dossier « De la reconnaissance à
l’estime de soi », Mensuel, n°131, Octobre2002.
[2] California Task Force to promote self-esteem and social responsibility, 1990.
[3] André C., op.cit.                                                                                             
[4] Ils sont tous deux psychiatres et psychothérapeutes.
[5] André C. et Lelord F., « L’estime de soi – S’aimer pour mieux vivre avec les autres », Odile Jacob (poches), 2008, p.13.
[6] Op.cit., p.21.
[7] Galand B., « Réussite scolaire et estime de soi », Article de la rubrique « L'école en questions » du magazine Sciences humaines, N° Spécial N° 5
[8] Chapelle G. et Crahay M. (dirs.), « Réussir à apprendre », PUF, collection « Apprendre » 2009,p. 14.
[9] Chapelle G. et Crahay M. (dirs.), « Réussir à apprendre », PUF, collection « Apprendre »,2009,p. 14.
[10]Gaëtane Chapelle est attachée au Service général de pilotage du système éducatif de la Communauté française et professeur à l’UCL.
[11] Enseignant-chercheur à l’Université catholique de Louvain.
[12] Galand B., op.cit.
[13] Chapelle G. et Crahay M.(dirs.), « Réussir à apprendre », PUF, collection «Apprendre», 2009,p. 15.
[14] Galand B., « Réussite scolaire et estime de soi », Article de la rubrique « L'école en questions » du magazine Sciences humaines, N° Spécial N° 5
[15] Bouffard T., Vezeau C., Chouinard R. et Marcotte G., « L’illusion d’incompétence et les facteurs associés chez l’élève du primaire », Revue française de pédagogie, 2006, 155, 9-20.
[16] Lire à ce sujet l’analyse UFAPEC 06/10 Compétition ou coopération dans les apprentissages ?
[17] André C.et Lelord F., « L’estime de soi – S’aimer pour mieux vivre avec les autres », Odile Jacob (poches), 2008, p.104.
[18] André C., « L’estime de soi au quotidien », article de la rubrique Dossier « De la reconnaissance à l’estime de soi », Mensuel, n°131, Octobre2002.

 

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