Analyse Ufapec décembre 2013 par B. Loriers

30.13/ Parler de la mort d’un parent avec les élèves

Introduction

« Depuis que tu es mort, plus rien n’est comme avant.(…)[1] » La lettre que le petit Diégo écrit à son papa dans le livre On va où quand on est mort ? explique bien qu’il y a un avant et un après lors du décès d’un parent. Comment être à l’écoute des questions des enfants au sujet de la mort, dans une société qui laisse peu de place à ce sujet trop souvent dérangeant ? Avant, on mourrait chez soi et la famille s’occupait de l’avant, du pendant, et de l’après deuil. Aujourd’hui, la mort est laissée à des spécialistes, médecins, pompes funèbres… On semble la fuir.

Cela complique la tâche des enseignants, qui sont parfois démunis face aux questions des élèves, même s’ils sont sensibles aux répercussions émotionnelles d’un deuil vécu par un enfant sur l’ensemble de la classe et ressentent la nécessité d’aider les enfants à ce moment. Comment tenir compte des réactions de l’ensemble des élèves, comment leur parler, leur permettre de s’exprimer et d’être aidés face à cette épreuve de la vie ?L’analyse qui suit se concentre sur la perte d’un parent d’élève et le rôle des enseignants, tuteurs de résilience, lorsque de tels drames surviennent.

Mieux comprendre les spécificités du deuil chez l’enfant

Pour accompagner au mieux l’enfant endeuillé et sa classe, l’enseignant doit comprendre les réactions de l’enfant en fonction de son âge. Le petit enfant, le bébé déjà, comprend nos émotions : il ne faut pas hésiter à lui dire ce que nous ressentons. Le tout petit peut vivre une angoisse de séparation. Le jeune enfant, de 2 à 5 ans, s’interroge sur la mort. Il sait si quelqu’un est ailleurs, mais ne se représente pas cet ailleurs, il ne se représente pas la notion de temps. Il va poser des questions très concrètes : « Est-ce que les morts ont froid ? », « Est-ce que le mort est froid ? »… Il confond mort et sommeil et s’imagine que le défunt va revenir. Vers 8 ans, l’enfant comprend le caractère permanent, irréversible et universel de la mort. C’est à cet âge que viennent les questions philosophiques, en rapport avec ce qu’il va observer dans son entourage. Pour l’adolescent, les repères sont bousculés, on assiste parfois à de l’indifférence (mécanisme de protection du jeune), ou à des conduites à risques (assuétudes, vitesse, etc.).

Mais quel que soit son âge, l’enfant endeuillé est mis en crise dans son processus d’identification. Pour Michel Hanus[2], « le deuil d’un enfant est en bonne partie conditionné par celui des adultes qui l’entourent. Cependant, l’enfant ne vit pas les choses de la même façon : son vécu dépressif est différent. Il n’éprouve pas la souffrance affective de la même manière et il peut même la cacher sans souffrir moins pour autant. Le deuil réalise une interférence dans son développement. Même si l’enfant est très bien accompagné, une partie de son chagrin reste enfouie et ressurgira beaucoup plus tard.[3] »

Le travail de deuil consiste à recréer une nouvelle relation pour dépasser le manque. Pour Martine Hennuy[4], « les enfants ont, plus encore que les adultes, besoin de concret, comme un objet ayant appartenu au défunt, un foulard, une photo, ou un caillou... Les enfants ont parfois besoin d’écrire, de dessiner, de jouer à la mort pour apprivoiser ce qui arrive. [5] » Elle ajoute qu’à la différence de l’adulte, « l’enfant ne pourra pas rester triste longtemps, car il est un être en devenir, et sa croissance lui demande beaucoup d’énergie. Mais tout ce qui est mis en place dès l’enfance lui servira dans sa vie d’adulte.[6] »

Différents sentiments rencontrés chez l’enfant endeuillé

Chez l’enfant endeuillé, on retrouve souvent le sentiment de culpabilité, car il a l’impression que le parent défunt l’a abandonné. « Il est primordial de bien expliquer les circonstances du décès, car pour l’enfant, c’est anxiogène de ne pas savoir. Cet enfant pense qu’il a commis quelque chose de mal qui a pu provoquer la mort de son parent. Cette culpabilité a du sens, il faut l’explorer pour ensuite pouvoir la déposer. L’enfant doit pouvoir entendre qu’il n’est pas responsable du décès de son parent[7] ». On peut aussi lui expliquer que la mort est universelle. Dire que ce n’est pas contagieux, cela peut aussi être rassurant pour l’enfant. L’enfant endeuillé peut encore rencontrer la colère, avoir envie de « tout faire sauter ». Il peut aussi ressentir une profonde tristesse.

Il existe en Fédération Wallonie-Bruxelles des lieux de rencontres où parents et enfants peuvent partager leurs émotions au sujet du deuil qu’ils vivent. Ce sont les espaces papillons[8], qui permettent de faire circuler la parole dans les groupes-adultes ou dans les groupes-enfants en soulignant les similitudes et les différences entre les personnes.

Ces espaces ont aussi pour objectif de reconnaître la souffrance, de légitimer les émotions, de recréer du lien avec le défunt, de rebondir après le traumatisme de la mort d’un papa, d’une maman, ou d’un(e) conjoint(e).

Organiser des moments de discussions en classe

On constate qu’à l’école, l’enfant endeuillé va parfois avoir un statut à part : soit il est mis de côté, soit il est protégé. Le deuil de l’enfant est difficile à partager avec les autres élèves. Les comportements d’un enfant en deuil sont très variables : il est irritable, triste, d’humeur instable, boulimique, anorexique, il sous investit l’école (ou la surinvestit), il a des comportements régressifs (énurésie…), ou incroyablement adultes.

Pour l’enfant endeuillé, des tuteurs de résilience lui seront d’une aide précieuse : il peut s’agir d’un enseignant, d’un éducateur, d’un ami, d’un membre de la famille …La résilience est la capacité de rebondir pour se reconstruire après un traumatisme. Pour Martine Hennuy, « cette capacité de rebondir sera d’autant plus efficace si l’attachement avec les tuteurs est de qualité, et si l’enfant peut trouver du sens à ce qui est arrivé. Il est important pour les élèves de mettre des mots sur leur propre vécu, de recréer du lien, là où la mort a provoqué une rupture.[9] »

L’enseignant, un des tuteurs de résilience possibles, peut ouvrir un espace de parole sur la mort, et il est important qu’il dise les choses telles qu’elles se sont passées, d’utiliser les mots justes pour éviter toute confusion. Les enfants sont très sensibles à l’expression juste des adultes, ils ont besoin de cette authenticité pour pouvoir exprimer ce qu’ils sentent et ressentent à leur tour.[10] Les questions des enfants quand on aborde ce sujet sont souvent pertinentes. On peut se laisser guider par leur propre questionnement, en évitant d’arriver avec trop de certitudes d’adultes.

Les occasions de parler de la mort en classe sont nombreuses : décès de la tortue de la classe, fait d’actualité, cours de religion, fête de la Toussaint, un livre, une chanson… L’enseignant peut donner place au ressenti de chacun, en se laissant guider par les questions des enfants : il peut partir de ce que les élèves savent. La mort ne doit pas être un sujet tabou, et cela peut aider l’enfant endeuillé d’en parler avec d’autres enfants qui ont vécu la même situation, même si on ne peut pas obliger un enfant à parler de ce sujet délicat. Ce thème peut aussi être abordé de manière sereine en classe, en temps normal.

« Quel soulagement ! Aujourd’hui, en classe, on a parlé de la mort et je n’ai pas pleuré. Au début, il y a avait un énorme silence et personne n’osait prendre la parole[11] » Cet extrait du livre On va où quand on est mort ? fait sentir à quel point la littérature jeunesse constitue un précieux support pour engager le débat et aborder certaines questions autour de la mort, pour permettre aux élèves d’exprimer leurs émotions sur leur propre vécu.

Parlons-en

Faut-il participer avec les élèves de la classe aux funérailles du parent d’un élève ? Si on décide ensemble d’y participer, on peut faire appel à la créativité des enfants (dessins, textes, poésies, chanson…). Mais quoi qu’il en soit, il est essentiel de préparer ce moment avec les enfants, sur base de participation volontaire, d’expliquer ce qui va se passer, et de pouvoir en parler avant et après les funérailles. L’enseignant ne vient pas avec des réponses toutes faites aux questions des enfants, mais doit pouvoir accepter l’expression des sentiments, les pleurs, etc. Et si la décision est prise de ne pas participer aux funérailles, l’enseignant peut prévoir avec les élèves un moment de « célébration » en classe. En fait, il n’y a pas une attitude idéale à adopter lors d’un tel évènement. Pour savoir si l’enfant doit assister à des funérailles, le mieux, c’est de le lui demander. « Il faut expliquer à l’enfant qu’une cérémonie est organisée pour dire au revoir à la personne morte et qu’il peut choisir d’y aller ou de lui dire au revoir de la maison », propose encore le pédopsychiatre Jean-Yves Hayez. « Il y a beaucoup d’enfants à qui ça fait du bien de dire au revoir une dernière fois. Mais chaque enfant est différent, il est donc important de s’aligner sur ce qu’il dira. C’est pareil pour le funérarium et la vue du corps, il faut bien expliquer à l’enfant que le corps est là, qu’il ne bouge plus, qu’il ne respire plus, que l’enfant peut lui faire une caresse ou un bisou s’il a envie, mais qu’il n’en aura pas en retour. Et s’il préfère ne pas y aller, il peut aussi faire un dessin pour le mort ou transmettre un message à l’adulte qui dira qu’il l’aimait très fort… Mais quoi qu’il arrive, évitons de culpabiliser l’enfant, quel que soit son choix.[12] »

Et si le papa d’un élève est décédé, cet élève confectionne-t-il ensuite un bricolage pour la fête des pères? Il faut pouvoir en parler avec cet élève, avec sa maman, avec le groupe-classe. Il peut faire le bricolage et l’enseignant peut voir avec lui ce qu’il va en faire : le déposer sur la tombe du papa défunt, le donner à un grand-père, un oncle…

Conclusion

L’école, comme lieu de socialisation, ne peut écarter les questions telles que la mort, qui concerne tous les élèves de près ou de loin. Faire le pari de la parole avec les enfants, même tout petits, autour de situations qui cristallisent beaucoup d’émotions, c’est leur permettre de prendre le temps dont ils ont besoin pour comprendre ce qui se passe autour d’eux.

Ecoutés et portés par la parole de leur entourage, les enfants peuvent traverser les épreuves avec confiance, et ce quel que soit leur âge. Etre attentif à ce que les enfants ressentent, à ce qu’ils disent, les informer, les rassurer, c’est leur préparer déjà une place d’adulte. Pour aborder des sujets fondamentaux tels que la mort, l’enseignant devra apporter une authentique attitude d’écoute, pour favoriser l’expression émotionnelle des élèves, et leur permettre ainsi de rebondir.

 

Bénédicte Loriers

 

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[1]HENNUY Martine et BUYSE Sophie, On va où quand on est mort ?, Alice éditions, 2010.

[2]Michel Hanus est psychiatre, psychologue et psychanalyste, fondateur de la fédération européenne Vivre son deuil.

[3]HANUS Michel et Isabelle, La mort, j’en parle avec mon enfant, édition Nathan, 2008, p.57.

[4]Martine Hennuy est psychologue et psychothérapeute.

[5]HENNUY Martine, Parler de la mort avec les enfants, conférence donnée le 27 novembre 2013 aux FUND Namur.

[6]Ibidem.

[7]HENNUY Martine, Parler de la mort avec les enfants, conférence donnée le 27 novembre 2013 aux FUND Namur.

[9]Ibidem.

[10]SANZ Annette et GESSIAUME Simon, Comment parler avec l’enfant de la maladie grave et de la mort ?:http://www.afpssu.com/wp-content/uploads/2013/10/Livret-Comment-parler-avec-lenfant-de-la-maladie-grave-et-de-la-mort.pdf

www.espacepapillon.org

[11]HENNUY Martine et BUYSE Sophie, On va où quand on est mort ?, Alice éditions, 2010.

[12]WATTERMAN Estelle, Comment lui dire que Mamy est morte ?, in revue le Ligueur, 6 février 2013.

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