Analyse UFAPEC 2011 par Anne Floor

35.11/ Améliorer le bien-être des jeunes enseignants : groupes coopératifs, encadrement par des experts, aide à distance

Introduction

Nous avons dans l’analyse précédente présenté le mentorat individualisé qui réunit un enseignant expérimenté et un enseignant débutant. Nous avons vu que ce dispositif contribue à rompre l’isolement et amène progressivement le novice à une autonomie en lui donnant les moyens de construire lui-même sa propre stratégie. Et cela dans le meilleur des cas car le risque existe de voir le mentoré ne pas s’autonomiser à cause précisément des liens étroits qui s’établissent avec son mentor. L’une des difficultés principales de la relation mentorale est d’éviter que les liens parfois forts qui s’établissent entre le mentor et le mentoré constituent un frein à l’autonomie de ce dernier[1]. Il est de même fort important de constituer des paires bien équilibrées qui appartiennent au même établissement scolaire et qui enseignent auprès des mêmes niveaux de classe. Des divergences trop fortes entre mentors et mentorés pourraient avoir les conséquences inverses aux résultats attendus, soit du stress supplémentaire et des dysfonctionnements dans la relation.[2] Une alternative intéressante ou complémentaire à ce mentorat individualisé sont les groupes d’échanges où les jeunes enseignants et des enseignants expérimentés sont mélangés et peuvent échanger sur leurs expériences. Ce processus permet d’éviter que ne se crée une relation de dépendance car la relation mentor/mentoré est moins intense. Au Royaume-Uni, la formule des « Teacher support groups » est privilégiée, ce sont des groupes composés de jeunes enseignants et d’enseignants expérimentés. Au sein de ces groupes, les échanges et les procédures d’aide sont davantage diversifiés. De plus, le groupe est plus sécurisant qu’une seule personne, et peut apporter aux débutants la confiance qui leur fait souvent défaut.[3] De plus, les jeunes enseignants sont demandeurs d’échanges d’expériences, de pratiques surtout en ce qui concerne la gestion de la classe, les relations avec les élèves plus difficiles, le maintien de la discipline.

Face à leurs difficultés à gérer les classes, les jeunes enseignants ou stagiaires sont demandeurs d’échanges d’expériences, de mise en pratique, plutôt que d’exposés ou lectures théoriques

Une jeune stagiaire française explique ainsi son sentiment de n’être pas suffisamment informée sur les réalités de la profession : Il faut informer les jeunes stagiaires sur ce qui peut les attendre, ne pas dire comme le font certains formateurs que l’élève est foncièrement bon et gentil (…) ; Ce n’est que sur le terrain que l’on peut se rendre compte des difficultés. La théorie c’est bien mais ce n’est pas suffisant[4].

Dans leur étude menée auprès d’étudiants stagiaires, Catherine Blaya et Alain Baudrit[5] les interrogent sur les situations qu’ils estiment difficiles et/ou violentes. Ils analysent également leurs suggestions en termes d’accompagnement. En conclusion de leur enquête, les chercheurs français relèvent que les débutants redoutent l’imprévu, les situations conflictuelles, les dérives relationnelles au sein de la classe, ceci parce qu’ils sont seuls pour les affronter, souvent dépourvus pour y remédier. Selon eux, l’aide la plus efficace consiste à favoriser les échanges au sein d’une équipe pédagogique soudée et mobilisée sur ces questions et/ou de l’aide d’enseignants expérimentés. En tout cas, ils demandent de travailler à partir de cas concrets, sur des situations difficiles réellement rencontrées : Des visualisations de films (jeux de rôle) comportant des situations problématiques ; en tant qu’enseignante débutante et n’ayant donc pas ou peu d’expérience en ce qui concerne la violence, la multiplicité des exemples de cas difficiles ayant été résolus est très attendue.[6]

Ces échanges d’expériences, de cas vécus fait d’ailleurs partie des pratiques mises en place par les systèmes scolaires les plus performants. Le rapport Mc Kinsey de 2007[7] [8] fait ressortir l’importance d’une interaction de qualité entre les élèves et leur enseignant. Pour optimiser celle-ci, les systèmes scolaires les plus performants mettent en place un certain nombre de pratiques dont un accompagnement individualisé des enseignants dans leurs salles de classe (autrement dit « coaching »), l’instauration de la salle de classe comme pivot essentiel des formations à l’enseignement, le développement des compétences de leadership des directeurs d’écoles et l’échange d’expériences entre collègues enseignants.

Groupes d’échanges ou groupes coopératifs

Ce système réunit des enseignants débutants soit d’une seule école soit de plusieurs établissements et fonctionne comme des groupes de paroles où chacun échange sur son vécu, fait part de ses doutes, discute des bonnes et mauvaises pratiques. Le soutien est multiple : social (surtout si enseignants de la même école), personnel/émotionnel et professionnel. Si le groupe réunit des enseignants d’établissements différents, l’approche sera plurielle puisqu’ils bénéficieront des échanges de pratiques différentes en fonction des écoles.

A l’Athénée Royal Gatti de Gamond, des réunions sont organisées un midi par semaine pour permettre aux nouveaux arrivants d’exprimer en toute liberté leurs doutes, leurs peurs et leurs joies, mais également de réfléchir leurs pratiques en commun et de créer du lien social.Les enseignantes à l’origine du projet en explique la genèse[9] :Face à l’arrivée d’un grand nombre de nouveaux collègues, souvent déstabilisés par le choc de la réalité du terrain, il nous paraissait urgent de mettre en œuvre un dispositif pour lutter contre le sentiment d’impuissance, de solitude et d’inefficacité souvent ressenti. Ces groupes permettent d’intégrer plus facilement la culture de l’école. Les jeunes reprennent confiance, trouvent leur propre manière d’enseigner. D’un côté, ils parlent de ce qu’ils vivent et ressentent, de l’autre, ils analysent certains cas afin de trouver la meilleure solution, dans un esprit de bienveillance et en toute confidentialité.

Les réunions auxquelles j’ai participé cette année m’ont donné des pistes pour m’aider à gérer le groupe, confirme une jeune enseignante. Cela m’a permis également de me remettre en question et d’évaluer ma propre attitude dans certaines situations difficiles. Ce travail en groupe crée également du lien entre les professeurs et de la solidarité entre nous, on se sent moins seul.[10]

Un autre jeune enseignant témoigne : C’est positif que des anciens s’investissent là-dedans, ils pourraient se contenter de s’occuper de leurs affaires. J’ai fait une dizaine d’écoles en deux ans, le boulot de prof n’est pas évident. Il y a des moments où on doit encaisser. Dans certaines écoles, on doit se débrouiller seul. Or, encaisser à plusieurs, c’est plus facile que d’encaisser tout seul. Et puis, ça permet aussi de partager les bonnes nouvelles (un élève qui cartonne ou qui s’intéresse). C’est bon pour la motivation[11].

Les initiatrices du projet souhaiteraient que celui-ci s’étende à d’autres établissements tant il porte ses fruits : A l’échelle d’une école, un tel projet ne coûte pas si cher. Nous avons été libérées de quelques heures de cours pour faire cela. Pas cher, mais tellement utile, et plus efficace que la lecture d’un ouvrage théorique. Des bouquins sur « comment gérer la classe », il y en a plein les bibliothèques. Si cela marchait, on le saurait[12].

Accompagnement par des experts

Dans cet accompagnement, ce qui est privilégié est l’expertise et l’accès à des conseils extérieurs dans le but d’améliorer la maîtrise de la matière et de l’enseignement. L’idée est d’augmenter le pouvoir d’action du jeune enseignant sur son environnement de travail, de favoriser la compréhension qu’il a de son action professionnelle, de le soutenir et de l’encourager à de nouvelles pratiques. Les questions d’insertion dans l’équipe éducative, d’appropriation de l’environnement géographique et de la culture propre à une école particulière… ne sont pas prises en compte dans ce soutien. Les jeunes enseignants participent à des séminaires, à des cours donnés par des spécialistes et ont aussi accès à des ressources, du matériel de soutien.

Dans la région liégeoise, ce sont des enseignants ou directeur de Hautes Ecoles qui animent ces réunions pour les jeunes sortants : Elles apportent du soutien, du réconfort, des outils, des avis à chaque participant. Ce qui les aide, c’est de se rendre compte qu’ils ne sont pas seuls, précise Vincent Dessart, qui, en parallèle, a créé un site Internet (www.insert-instit.be) sur l’insertion professionnelle. Ce projet d’insertion porte le nom d’Insert’prof et a donné lieu à une évaluation et des propositions d’amélioration. Les réunions se déroulaient en soirée en semaine une fois par mois. Le bilan est très positif pour les participants qui sont restés jusqu’au bout. Il y a eu en effet beaucoup de défections dues au manque de temps : comment consacrer du temps à réfléchir plus loin sur sa pratique d’enseignant alors que les cours du lendemain ne sont pas prêts ?

Ce dispositif est intéressant pour les deux parties car, d’un côté, il soutient le débutant pendant la période critique de l’entrée dans le métier, il le rassure sur ses compétences et, d’autre part, ces aller-retour entre le milieu professionnel et l’établissement de formation initiale (Hautes Ecoles, Universités) permettent d’améliorer et d’adapter la formation initiale face au terrain et de limiter quelque peu le choc de la réalité pour les jeunes enseignants. Lorsque les établissements de formation initiale sont ainsi activement associés aux programmes d’insertion, ils peuvent s’inspirer des retours des jeunes enseignants qu’ils ont formés pour actualiser leur cursus.

Pour être réellement efficace, la présence régulière des jeunes enseignants à ce dispositif devrait être reconnue officiellement dans leur charge horaire afin de garantir un réel investissement de  leur part.

L’aide à distance dans une pratique réflexive

Il s’agit d’un système de soutien par les pairs mais sous la forme d’une communauté virtuelle. Ce système ne semble pas exister en Belgique de manière isolée, il vient le plus souvent en complément à des groupes d’échanges « réels ». Par contre l’expérience québécoise pourrait nous éclairer sur les enjeux et avantages de ce dispositif. En effet, le Québec a augmenté les heures de stage de ses futurs enseignants (au moins 700 heures), ce qui a engendré la nécessité d’améliorer aussi la supervision de ces stages. Et l’expérience d’un forum télématique a été lancée à cette occasion. Certains stagiaires de divers programmes d’enseignement au niveau secondaire ont accepté de remplacer leur rapport de stage par une participation quotidienne à des réflexions et échanges télématiques sur leur pratique pendant toute la période de leur prise en charge d’une classe. Il y avait en moyenne 6 à 15 personnes connectées (stagiaires, enseignants associés et superviseurs universitaires). Les objectifs visés étaient de favoriser une pratique réflexive, un questionnement critique entre partenaires et aussi de permettre aux superviseurs universitaires de recueillir des informations bien utiles sur les besoins réels des futurs enseignants en cours de formation. L’invitation de départ était simple : Si vous vivez des situations difficiles, si vous avez des questions, des réflexions dans la journée, nous vous encourageons à les partager : des gens, avec une certaine expertise, vont pouvoir y réagir. Mais dites-nous aussi ce que vous en pensez, quelle analyse vous faites de ce qui s’est passé, les causes que vous pouvez imaginer, etc [13], explique Jean Loiselle (professeur au Département des sciences de l’Education de l’Université du Québec). En tout plus de 900 messages ont été échangés. Au début, nous nous donnions le mandat, comme superviseurs, de répondre à tout le monde. Mais avec le recul, nous nous sommes rendu compte que c’est aussi formateur pour les stagiaires de réagir aux messages. (…) C’était très visible, quand ils se rencontraient en séminaire au milieu du stage. Ce qui les intéresse, c’est moins des opinions externes par rapport à des situations que d’échanger leurs idées avec des gens qui vivaient les mêmes difficultés, qui étaient dans la même situation. Cela pose la question, pour les superviseurs, du type d’interaction qu’il faut adopter pour aider ces personnes-là. Souvent, les personnes avec beaucoup d’expérience ont tendance à suggérer des façons de réagir, mais il n’est pas évident que c’est ce dont les étudiants ont besoin.[14]

Les avantages de ce type de pratique sont multiples : les stagiaires ont relevé et apprécié le caractère dynamique par rapport à la rédaction d’un rapport de stage qui tient du soliloque. Dans 90 % des cas, ils obtenaient une rétroaction sur la situation dans les 24 heures, ce qui leur permettait de s’adapter, d’agir rapidement. Le fait d’avoir à exposer une situation problématique par écrit a contribué aussi à un mode de réflexion plus profond tant de la part de celui qui envoie le message que de celui qui y répond. Par écrit, on peut prendre un certain recul. De la part des stagiaires, je trouve qu’on arrivait non seulement à des descriptions claires, mais aussi à des analyses. Si je prends mon expérience de superviseur comme exemple, j’ai des réactions, mais c’est souvent « à chaud » je dirais, alors que si j’utilise le courrier électronique pour en parler, contrairement à la communication orale, ça me donne du temps pour organiser et approfondir mes idées, explique Jean Loiselle. Les stagiaires ont aussi beaucoup apprécié la multiplicité des points de vue : (…) on pouvait voir des interactions peu ou très directives – par exemple un enseignant associé qui disait clairement comment lui réagissait dans une situation donnée – parfois même, entre superviseurs, des façons de voir assez opposées ! Et d’ailleurs les superviseurs ont, au fil de l’année et des interactions, affiné leur accompagnement. Ils sont passés de la fonction de conseiller à celle d’accompagnateur dans une pratique plus réflexive. Il est important aussi de souligner l’importance de la confidentialité des échanges ; rien de ce qui s’écrivait ne pouvait être ébruité à l’extérieur afin que chacun puisse s’exprimer en confiance.

Conclusion

Chaque nouveau venu dans le monde de l’enseignement doit pouvoir bénéficier de programmes d’insertion, l’UFAPEC en est persuadée. Il faut cependant tenir compte de la réalité particulière de chaque école. Et cette insertion ne peut se faire n’importe comment. Elle doit être réfléchie sur du long terme et être formalisée, reconnue par tous. Intégrer dans la charge-horaire des enseignants débutants et des enseignants encadrants les heures de tutorat, de présence à des groupes d’échanges, de formation continuée est la condition sine qua non pour qu’ils aient réellement la possibilité d’y participer. Demandeurs ils le sont, c’est juste le temps qui leur manque ; en effet, dans leurs premières années, ils sont dans l’urgence et essayent de parer au plus pressé. Les charger d’heures supplémentaires ne fera qu’alourdir leur quotidien. Il est fondamental aussi que les tuteurs le deviennent sur base volontaire et qu’ils suivent une formation adaptée et réfléchie. Les directeurs doivent également être mis dans les meilleures conditions pour faire preuve de leadership avec leurs jeunes recrues et insuffler un sain esprit de collaboration dans leurs écoles. Or bien souvent ils n’en ont pas le temps, débordés qu’ils sont par des tâches administratives. Placer le jeune enseignant au centre de l’école est un défi à relever et le jeu en vaut la chandelle. Ils représentent l’avenir de nos écoles et la qualité de l’enseignement et de la relation avec les élèves en dépend, ne l’oublions surtout pas. Au système et aux anciens à leur faire la place qui doit être la leur.

 

Anne Floor

 

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[1] C. Blaya et A. Baudrit,  Le mentorat des enseignants en début de carrière entre nécessité et faisabilité, Recherche et Formation n°53, 2006, p.117.

[2]C. Blaya et A. Baudrit, ibidem, p.117.

[3]C. Blaya et A. Baudrit, ibidem, p.117.

[4] C. Blaya et A. Baudrit,  ibidem, p.115.

[5]Catherine Blaya a fondé l’Observatoire européen de la violence scolaire et est professeur de sociologie de l’éducation à l’Université de Bourgogne.  Alain Baudrit est spécialisé dans la psychologie sociale des apprentissages et a écrit plusieurs ouvrages sur le tutorat et l’apprentissage coopératif.

[6]C. Blaya et A. Baudrit,  Le mentorat des enseignants en début de carrière entre nécessité et faisabilité, Recherche et Formation n°53, 2006, p.114.

[7]http://mckinseyonsociety.com/downloads/reports/Education/How_the_Worlds_Best_Performing_french.pdf.  Les clés du succès des systèmes scolaires les plus performants, Mc Kinsey and Company, septembre 2007.

[9]http://www.lalibre.be/debats/opinions/article/623125/enseigner-plus-jamais.html.

[10]  Ibidem.

[11]http://www.lalibre.be/debats/opinions/article/623125/enseigner-plus-jamais.html.

[12]Ibidem.

[13]http://www.mels.gouv.qc.ca/sections/viepedagogique/numeros/111/vp111_36-37.pdf

[14]Ibidem.

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