Analyse UFAPEC 2008 par M-N. Tenaerts

02.08/ Accès à l’éducation des femmes et des hommes : égalité des chances ?

Introduction

Alors que dans nos sociétés contemporaines certains clament l’égalité des sexes entre l’homme et la femme, que ce soit au niveau de l’éducation, de la formation, de l’emploi, des loisirs ou de manière plus générale un accès à la culture et à la vie sociale, des écarts non négligeables persistent. En effet, on remarque depuis le XIXème siècle, des mutations importantes pour les femmes mais aussi des changements majeurs qui restent inachevés. L’observation d’une asymétrie sociale, économique et professionnelle nous amène à nous interroger sur l’assimilation de ces inégalités au statut de femme. En outre les filles réussissent mieux que les garçons à l’école, quel que soit le niveau d’enseignement mais occupent, au final, des filières moins valorisées socialement.

Une analyse biaisée de la réalité sociale

L’analyse de la réalité sociale a longtemps été effectuée avec un « biais » : elle était exclusivement centrée sur les sujets « hommes ». De nos jours, on remarque pourtant que les pratiques et vécus des hommes et des femmes diffèrent. Ceci nous amène à observer la place de la femme dans la société, en relation avec celle de l’homme. C’est (seulement) à partir des années septante, que les premières études concernant les critiques de l’androcentrisme (l’androcentrisme est entendu comme «un système idéologique prenant comme norme et référent l’être humain masculin»(1) ) apparaissent en Europe. Cette réflexion est apparue dans la lignée du mouvement de « libération des femmes ». Pour Boudon et Bourricaud(2) , ce mouvement de libération a affaibli l’aspect hiérarchique de l’organisation sociale et est issu de causes multiples : Premièrement, un accès de moins en moins inégalitaire aux divers types et formes d’enseignement. Deuxièmement, une législation sur le divorce a permis aux femmes de sortir, par la mise en place d’un cadre juridico légal, de la tutelle de leurs maris. Troisièmement, le développement des techniques anticonceptionnelles a autorisé les femmes à planifier leurs grossesses, à libérer leur sexualité, soit à disposer d’elles-mêmes.

La prise de conscience des inégalités réelles entre les hommes et les femmes, celle qui a permis cette libération, peut être mise en relation, avec ce que G. Liénard nomme l’aspect « proactif et actif de la culture dans sa fonction critique ou contestatrice » sur base de conditions objectives d’inégalités (ex. les salaires des femmes sont en moyenne inférieurs à ceux de leurs équivalents masculins pour une fonction identique et un âge égal(3) ) mais aussi, subjectives dans la perception que les femmes ont de leur situation(4) .


La démocratisation de la culture

Dans les années 1945-1955, de nombreuses mesures sont prises dans le cadre de la démocratisation de l’enseignement dont les grands axes sont les suivants : l’enseignement va tendre à être de même qualité sur l’ensemble du territoire, les groupes sociaux intermédiaires (tels que les classes moyennes) vont dépasser les taux de scolarité des groupes supérieurs et, enfin, les filles vont entrer dans l’école à tous les niveaux. La voie ainsi ouverte va leur permettre de s’affirmer dans le domaine éducatif (5). Devait-on s’attendre à une égalité par « le savoir» ?

Si l’on reprend les termes de G. Liénard, professeur à l’UCL, la démocratisation de la culture porte non seulement sur les questions d’égalité des chances, mais surtout sur l’égalité réelle concernant l’accès, la possession ainsi que le degré de capacité effective d’appropriation et de répartition des ressources et biens culturels classés selon la «valeur» qu’ils prennent objectivement. Ainsi, les femmes, de par leur accès à la culture, devraient pouvoir avoir accès aux mêmes moyens d’actions -du moins culturels- que les hommes.

Egalité des chances ?

Cependant, Bourdieu introduit, dans La Domination masculine, un argument d’intérêt : «les changements visibles des conditions cachent des permanences dans les positions relatives : l’égalisation des chances d’accès et des taux de représentation ne doit pas masquer les inégalités qui subsistent dans la répartition des différentes filières scolaires et, du même coup, entre les carrières possibles. En effet, les filles sont en sous représentation par rapport aux hommes dans les options et qualifications les plus cotées»(6) . L’étude de Matéo Alaluf, professeur à l’Université libre de Bruxelles, nous le confirme. Les filles sont plus scolarisées que les garçons, elles accusent moins de retard scolaire et obtiennent de meilleurs résultats. Toutefois, elles choisissent des options, des filières qui sont en lien avec les stéréotypes véhiculés par la société. Elles s’orientent vers des options moins connotées comme masculines et prennent en considération, dans leurs choix, leurs projets familiaux. On retrouve de cette manière, le poids des déterminations et des permanences culturelles. C’est ce que Bourdieu désigne comme «fonction de l’institution scolaire dans la reproduction de la différence entre les genres (7)» .

Selon Dominique Lafontaine, professeur à l’ULg, si les filles réussissent davantage dans le domaine de la lecture, c’est parce que le choix opéré est fonction de leur intérêt, de leur motivation ainsi que des choix de vie et des valeurs auxquelles elles adhèrent. Ainsi, le choix se porte sur les options dites « littéraires, sciences humaines et sociales » alors que les garçons choisissent les options «mathématiques / sciences», en suivant la même logique. Il n’est donc nullement question de compétences mais bien de permanences culturelles, d’un déterminisme social donc les jeunes sont tributaires.

Toujours selon Bourdieu, «S’il est vrai que l’on retrouve des femmes à tous les niveaux de l’espace social, leurs chances d’accès (et leur taux de représentation) décroissent à mesure que l’on va vers les positions les plus rares et les plus recherchées». Cette affirmation se confirme si l’on regarde les statistiques de l’INS, elles sont en 2006, 19,7% à exercer la profession de chef d’entreprise contre 80,3% pour leurs homologues masculins. Pour la fonction de directeur et cadre, elles sont 19,2% contre 80,8% pour les hommes(8) .

Choix de vie… entre sphère familiale et professionnelle

Revenons à Pierre Bourdieu. Dans son ouvrage La domination masculine, il nous propose un point de vue plus qu’intéressant. Pour cet auteur, «[…] si les structures anciennes de la domination sexuelle semblent encore déterminer la direction et la forme même des changements, c’est que, outre qu’elles sont objectivées dans des filières, des carrières, des postes plus ou moins fortement sexués, elles agissent au travers de trois principes pratiques que les femmes, mais aussi leur entourage, mettent en œuvre dans leurs choix : - les fonctions convenant aux femmes se situent dans le prolongement des fonctions domestiques (services, soins aux personnes, personnel de vente, etc.) ; - une femme ne peut avoir autorité sur des hommes et a donc toutes les chances, toute chose étant égale par ailleurs, de se voir préférer un homme dans une position d’autorité et d’être cantonnée dans des fonctions subordonnées et d’assistance ; - confère à l’homme le monopole du maniement des objets techniques et des machines (9)» .

Dans la même logique, le communiqué de presse du 7 mars 08, réalisé par la direction générale statistique et information économique, nous rend compte de diverses observations. Les emplois à temps partiels sont occupés majoritairement par les femmes. En effet, on observe 43,0% des femmes travaillant à temps partiel contre 7,8% des hommes(10) . Si l’on regarde la répartition par classes salariales (2005) des salaires mensuels bruts des femmes et des hommes employés à temps plein, on observe que les salaires des femmes sont plus bas.

Ainsi, on assiste à un cumul de situations qui amènent, de façon contrainte ou non, les femmes à orienter leurs choix stratégiquement. Les femmes ont pleinement conscience de leur déterminisme biologique mais aussi des représentations de la société et dirigent leur carrière en fonction de cela. Leurs conditions les conduisent à s’occuper davantage des enfants, à travailler dans l’espace domestique et à accomplir les tâches ménagères. A la lumière de ces observations, peut-on vraiment parler d’égalité des chances ?

TENAERTS Marie-Noëlle
Sociologue
Chargée d’études et d’analyses pour l’UFAPEC

 

 

 

(1) Définition issue du rapport du Colloque international «Les enjeux de la participation politique des femmes», Yaoundé, 2007, disponible sur le site http://www.ifcdev.org/
(2)BOUDON-BOURRICAUD (2002), «Dictionnaire critique de la sociologie», coll.Quadrige, Presses Universitaires de France, Paris
(3)SPF Economie PME, Classes moyennes et énergie, Direction générale statistique et information économique, «Les femmes restent plus souvent au foyer, travaillent davantage à temps partiel, gagnent moins et sont plus exposées à la pauvreté», Communiqué de presse, 7 mars 2008, disponible sur le site http://www.statbel.fgov.be/
(4)Définition de la culture de G. Liénard dans «Sociologie de la culture», Faculté des sciences économiques, sociales et politiques, Université catholique de Louvain, Diffusion Universitaire CIACO, Louvain-la-Neuve, année académique 2005-2006
(5)CHARLIER J-E., «Sociologie de l’éducation, diagnostics et politiques», Université catholique de Louvain, Faculté des sciences politiques, sociales et économiques, année académique 2004-2005
(6)BOURDIEU P. (1998) «La domination masculine», coll. Liber, Seuil, Paris
(7)Ibidem
(8)Données statistiques : professions en Belgique en 2006 suivant, classification suivant la nomenclature des professions INS, disponible sur le site http://statbel.fgov.
(9)BOURDIEU P. (1998) «La domination masculine», coll. Liber, Seuil, Paris, p. 101
(10)SPF Economie – Direction générale Statistique et Information économique, 2007 : moyenne des trois premiers trimestres 2007, p. 2
 

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