Analyse UFAPEC décembre 2014 par M. Lontie

36.14/ Les internats, une réponse à des besoins très divers ?

Introduction

Interroger les raisons du choix des familles en faveur de l’internat, disons-le d’emblée, n’est pas chose aisée. En effet, un tel choix est toujours relatif à une situation particulière, à un moment donné. Avec des attentes parfois très différentes d’un enfant à l’autre, d’un parent à l’autre. Une chose est sûre : les internats continuent d’être demandés. Le réseau libre catholique compte plus de 4500 élèves répartis sur 46 internats (primaire, secondaire – ordinaire/spécialisé – et supérieur) en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). Ces chiffres sont relativement stables. Le réseau de la Fédération Wallonie-Bruxelles compte pour sa part 104 internats. Il en existe de tous types. Avec des frais à l’année différents (dans notre réseau), des infrastructures différentes et des perspectives éducatives et organisationnelles variées.

Mais, pourquoi les familles optent-elles pour l’internat ? L’internat remplit-il des missions éducatives particulières ? L’internat répond-il à des besoins spécifiques des familles ? Et ces besoins, ont-ils évolué avec le temps et avec la société ? Qu’est-ce que ça coûte ? Et ce coût, crée-t-il des situations inégalitaires ? Quid de la mixité sociale dans les internats ? Quant à la famille, comment concède-t-elle à l’école le soin de s’occuper de l’éducation de son enfant durant la semaine ? Prolonge-t-elle le mode éducatif de l’école et de l’internat en ses murs ?

Les questions que nous devrons explorer ici sont nombreuses. Nous nous appuierons notamment sur quelques témoignages, qui devront être considérés pour ce qu’ils sont : des vécus particuliers, dans des lieux particuliers, à un moment donné. Ceci dit, les vécus particuliers nous enseignent toujours des tendances. Et ce sont ces tendances qu’il nous semble intéressant d’observer et de mettre en question.

L’internat, c’est aussi un cadre. Et tout parent souhaite que ce cadre soit, pour son enfant, le meilleur et le plus à même à le mener à son épanouissement. Nous ne pourrons manquer d’observer, dans cette analyse, les difficultés auxquelles sont confrontés les internats, en particulier ceux de notre réseau. Car si nous devions conclure que les internats remplissent bien des missions utiles à la société et aux familles, nous devons aussi poser la question des moyens à mettre en œuvre pour les faire perdurer.

 

Opter pour l’internat : deux tendances fortes

Les différents parents et élèves à qui nous avons posé la question de savoir qui de l’élève, d’un parent, d’un acteur scolaire (enseignant, PMS…) ou autre avait le premier mis la question de l’internat sur la table, nous ont répondu de manière indirecte à la question. Ce sont soit des circonstances pédagogiques particulières (choix d’une option particulière – art, sport, agriculture, etc., nécessité d’avoir un suivi pédagogique mieux encadré, voire plus strict, punition des parents par rapport à un échec, volonté d’une immersion linguistique), soit des circonstances familiales particulières (père vivant seul avec son fils et travaillant beaucoup, famille recomposée et entente difficile entre les parents ou les enfants, difficultés liées à la gestion quotidienne des trajets pour l’enfant ou les différents enfants de la fratrie, profession des parents…) qui ont d’abord motivé la décision en faveur de l’internat. Bien entendu, il peut y avoir la conjonction de différents facteurs. Ainsi, Claire F. nous dit que la décision est survenue suite à une nécessité de réorientation. Parmi les différents choix d’option qui s’offraient désormais à elle, elle privilégiait les arts. Trois écoles avaient été envisagées : la première, en externat, ne rencontrait pas les visées éducatives de ses parents ; la deuxième, en externat également, aurait nécessité des trajets quotidiens en transport en commun ; la troisième, c’était l’internat. N’étant pas rétive à l’idée d’aller en pension, c’est cette alternative qui fut privilégiée par la famille.

A ces deux tendances fortes, s’ajoute une autre, mais qui se dissiperait avec les générations : le mythe selon lequel l’internat est une « école de la vie ». S’il est indéniable que le fait de vivre en communauté, de partager ses repas, de s’adapter aux conditions d’un lieu partagé par un grand nombre de personnes, de vivre en chambre commune… sont des expériences fondatrices dans le développement de la personnalité et que cela peut rester un élément important pour certains parents, il semble moins prioritaire qu’avant. C’est un plus, pas une raison première du choix opéré. A tel point que certains parents éprouveraient même désormais des difficultés à céder à l’internat son rôle éducatif. Bernard Delcroix, responsable de la cellule internats auprès de Secrétariat Général de l’Enseignement Catholique (SeGEC), insiste sur le fait que l’internat reste un lieu d’enseignement et d’éducation : « pourtant, aujourd’hui, un certain nombre de parents qui choisissent l’internat pour leurs enfants ont du mal à en suivre les règles ; ceux-là assimilent l’internat à un hôtel ». Or, l’internat a bien des règles propres, que l’élève doit intégrer et appliquer ; c’est une relation éducative particulière à laquelle il est important que les parents adhèrent et participent. Sœur Michèle Decoster, directrice de l’internat Don Bosco de Ganshoren, disait ceci de cette relation en 2012 : « Il faut surtout que l’on s’accorde sur les valeurs à transmettre. Par exemple, ne pas faire croire à l’enfant qu’il doit suivre des lignes directrices à l’internat, qu’il peut ensuite oublier à la maison pendant le week-end ! »[1]

Pointons encore une raison d’opter pour l’internat : l’offre scolaire. Dans cette catégorie, nous distinguons le public urbain et le public rural. Dans les grandes villes, et en particulier à Bruxelles, la pénurie de places peut pousser certains parents à inscrire leurs enfants à l’internat. Dans les villages, c’est la difficulté d’accessibilité aux écoles secondaires qui peut mener à ce choix.

Sans nier que cela arrive encore, ce qui nous est apparu dans les différents témoignages, c’est que c’est rarement l’enfant qui demande spontanément à ses parents d’aller en internat. Ce sont généralement « les circonstances » qui amènent les parents (le plus souvent) ou les enseignants (plus rarement) à suggérer l’internat à l’enfant. Un certain nombre d’enfants acceptent la proposition avec plaisir, d’autres à contrecœur. Et puis il y a les enfants qui ne veulent pas mais à qui les parents ne laissent pas le choix, soit parce qu’ils ne voient pas d’autre solution aux circonstances qui sont les leur, soit parce que l’internat sert de punition : « tu passeras une année au purgatoire et, après ça, on verra si tu peux retourner en externat ! » Plusieurs témoins nous ont fait part d’un certain nombre d’élèves en internat ayant ce profil. Quelques-uns ne vivaient pas cela comme une punition et se sont complètement épanouis. La plupart ne se plaisent jamais et repartent assez rapidement. Enfin, il y a les enfants à qui l’on propose, qui refusent, et obtiennent gain de cause. Béatrice D. raconte : « Mon fils aîné a toujours été très autonome ; il s’est toujours débrouillé tout seul et n’aimait pas qu’on se mêle de ses affaires ; je ne me souviens pas que le fait de l’inscrire à l’internat lui ait posé problème. Mais lorsque l’on a proposé au second d’aller en internat, c’était une toute autre affaire : il n’en était pas question ! Comme la situation familiale avait changé [en six ans, ndlr] et qu’il faisait preuve de moins d’autodiscipline que son grand-frère, on n’a pas insisté et on s’est organisé pour qu’il puisse aller dans la même école mais en externat ».

Il ne faut pas non plus négliger le fait qu’un certain nombre d’enfants sont inscrits en internat sur décision du Tribunal de la jeunesse et sont suivis par les services de protection et d’aide à la jeunesse (SPJ/SAJ). A ce titre, les internats rendent sans doute un grand service à ces enfants et adolescents, comme à la société : ils leur apporteraient un cadre de vie stable et une guidance éducative qu’ils n’auraient probablement pas ailleurs. Bernard Delcroix évoque le cas de la seule école primaire du réseau libre proposant un internat : « Nous avons un internat primaire à Ans ; il accueille un certain nombre d’enfants soumis à de grosses difficultés financières ou familiales ». Par ailleurs, il constate : « Il y a des internats de nature très différentes les uns des autres, en terme de profil du public scolaire notamment. Des tentatives pour favoriser la mixité sociale existent, mais ça reste très limité. Et lorsqu’une école commence à s’ouvrir à un nouveau public, elle prend le risque de perdre des effectifs dans son public traditionnel… »

Le coût de l’internat, un critère exclusif ?

Le choix d’un internat peut être conditionné, voire motivé, par les frais d’inscription. Conditionné lorsque le montant de la pension est élevé pour la bourse familiale ; motivé lorsque l’objectif est d’être dans un établissement « qui n’est pas accessible à toutes les bourses ». Les frais d’inscription pour une année scolaire dans un internat du réseau libre confessionnel est variable, mais ne peut dépasser le double du montant fixé pour l’ensemble des internats du réseau de la Fédération Wallonie-Bruxelles[2]. Pour l’année 2014-2015, ce montant était fixé à 1908.75€/an pour le primaire ordinaire et 2208.08€/an pour le secondaire ordinaire[3]. Ce qui signifie que, dans notre réseau, les plafonds sont de 3817.50€/an pour le primaire ordinaire et 4416.16€/an pour le secondaire ordinaire. Un internat ne peut donc en aucun cas exiger davantage aux parents. L’existence d’un plafond est-il à saluer pour autant ? Oui, dans la mesure où il garantit davantage que s’il n’existait pas à l’accessibilité du plus grand nombre à un internat, quelles que soient les conditions d’infrastructures et les perspectives éducatives ou pédagogiques. Non si l’on considère la difficulté de nos internats à garantir le renouvellement, voire le maintien (!) du cadre de vie et les conditions adéquates d’encadrement.

Il nous est parvenu que des parents versent davantage à l’internat que le montant plafonné, mais ce serait alors sur base volontaire. Certains internats ont par ailleurs décidé d’adapter le montant de l’inscription aux revenus des parents. Cette mutualisation doit permettre à des revenus plus modestes (la discrétion serait garantie…) d’intégrer l’internat tout en permettant à l’établissement de conserver une certaine qualité d’encadrement, d’activités et d’infrastructures. Ce qui n’exclut pas que, parfois, la ségrégation financière se joue ailleurs : via les activités ou voyages extra-scolaires notamment[4]. D’autres internats de notre réseau ont un montant annuel a priori identique pour tous, mais cherchent en permanence des solutions pour faire en sorte d’accueillir tous les milieux sociaux, tout en maintenant de bonnes conditions d’accueil pour l’ensemble des élèves. Ainsi, ils aident les parents qui ont des difficultés à payer en organisant des fêtes, des activités, en faisant des appels aux dons… Il n’est pas rare que l’Association de parents, lorsqu’elle existe, constitue un plus en ce domaine.

Quant aux différents parents que nous avons interrogés sur la question, la grosse majorité nous ont dit que les montants demandés par les établissements correspondaient à ce qu’ils étaient prêts à consentir en fonction des services fournis par les établissements qu’ils avaient choisis et aux valeurs éducatives et pédagogiques déployées par ceux-ci. Lambert M., qui a changé son fils d’internat récemment, a noté une différence à la hausse entre le premier et le second ; mais l’épanouissement de son fils et la qualité du niveau d’étude et d’encadrement restaient pour lui les éléments déterminants de choix : « Dans l’établissement où mon fils était l’an dernier, on comptait un éducateur pour 50 élèves ; dans celui où il se trouve actuellement, il y a un éducateur pour 30 élèves. Il n’y a rien à faire, l’encadrement n’en est que meilleur, et le suivi aussi ».

Des internats en difficulté

Mais qu’est-ce qui justifie cette différence allant parfois du simple au double entre les établissements de la Fédération Wallonie-Bruxelles et le réseau libre catholique ? Cette différence s’explique par le fait que le subventionnement des internats de notre réseau soit largement plus faible que celui des internats de la FWB. Sans entrer dans le détail des chiffres, notons par exemple que les subventions de fonctionnement ne couvrent pas toujours les frais d’entretien des bâtiments du libre. De plus, la législation sur les cuisines de collectivité, les normes d’environnement et les normes de sécurisation (pompiers) évoluent ; les internats du libre doivent répondre à ces évolutions sans pouvoir compter sur des subventions proportionnées. Concernant les bâtiments de la FWB, tout est pris en charge par l’Etat[5]. Dans le libre, si une partie du personnel ouvrier est subventionné, ce n’est pas le cas du personnel éducatif. L’administration et l’encadrement sont exclusivement à charge des internats, et donc financés par le montant de l’inscription. Dans ces circonstances, il est impossible pour les internats de notre réseau de proposer des tarifs annuels équivalents à ceux de la FWB. Même les établissements qui s’adressent de fait à des publics à revenus modestes n’y arrivent pas et flirtent souvent avec la barre des 3.000€ annuels. Certains internats, mais ils se font de plus en plus rares, bénéficient encore du bénévolat de religieux et religieuses. Ceux-ci sont généralement remplacés aujourd’hui par des laïcs, qui réclament légitimement une rémunération adaptée à leurs conditions de travail particulières (disponibilités en soirée, surveillance de nuit…). Cela implique aussi de nouveaux coûts pour les établissements.

Le Bureau des internats réunit des représentants de Pouvoirs organisateurs d’internats, des organisations syndicales et un représentant des parents mandaté par l’UFAPEC. En 2012, il a établi un état des lieux et un inventaire des besoins urgents des internats en matière de financement. Ce travail a permis de révéler que la première nécessité résidait dans la reconnaissance et le subventionnement d’un poste d’administrateur d’internat pour chaque établissement, à l’instar de ce qui se fait dans le réseau de la FWB. L’UFAPEC s’est unie à cette demande et a rappelé cette nécessité au monde politique dans son mémorandum 2014[6].

 

Conclusion

Concluons à partir d’un extrait de ce Mémorandum 2014, lequel s’inquiétait de l’avenir de nos internats : « Un nombre croissant d’élèves internes est confronté à des difficultés personnelles, familiales, relationnelles, pédagogiques, financières,… ; certains y sont envoyés par décision judiciaire. C’est à ces problèmes que répondent chaque jour les internats de l’enseignement catholique pour des milliers de jeunes et leur famille. Mais ces institutions d’enseignement pourront-elles encore assurer leur fonction essentielle d'éducation et de formation, dans le monde que nous connaissons, alors que leurs conditions de financement sont restées les mêmes qu’il y a 25 ans ? »[7]

En effet, l’internat rend de réels services aux enfants, aux adolescents, aux familles et même, on l’a évoqué, à la société. Qu’il s’agisse de circonstances pédagogiques ou familiales, que nous avions pointées comme les deux tendances fortes, ou d’autres raisons, comme l’offre scolaire ou la vision de l’internat comme « école de vie ». Qu’il s’agisse aussi d’une contrainte extérieure (et salutaire ?), comme un placement par un juge de la jeunesse…

Si nous nous sommes attardés sur la question des coûts, c’est pour mettre en évidence les difficultés que connaissent les internats de notre réseau et l’impact de ces difficultés sur les familles les plus modestes désireuses d’inscrire un enfant dans cette structure spécifique. Le risque, c’est que ces internats, et en particulier ceux où les familles disposent de moins de moyens pour suppléer au manque de subventionnement, disparaissent à terme. Persévérer dans un statu quo, c’est empêcher les familles à faibles revenus à faire le choix de l’internat. A tout le moins dans notre réseau. Car, ne nous le cachons pas, même (et surtout ?) là où les écoles développent des systèmes mutualistes, les frais d’inscriptions restent inaccessibles à certaines bourses. Aurions-nous pu passer à côté de cette question en ayant pour objectif d’interroger les raisons du choix des parents pour l’internat, quand la réalité fait que pour de nombreux parents c’est un choix qui ne peut tout simplement pas exister ? Et à travers cette question, nous avons pu approcher la question de la mixité sociale. Plusieurs moments de notre analyse l’ont révélé : cette mixité sociale est encore (trop ?) rare dans les internats.
Un certain nombre d’internats sont cependant en lutte permanente pour conserver la qualité de leurs infrastructures, leur encadrement et les activités temps-libre qu’ils proposent. Comment assurer qu’ils puissent poursuivre leurs missions si importantes pour les familles ?



[1]GERARD, B., « Ganshoren : collaborer avec les écoles »,in entrées libres n°65 de janvier 2012, dossier internats, p. 7 : http://www.entrees-libres.be/n65_pdf/65_jan2012.pdf.

[2]Cf. Arrêté royal du 10 septembre 1986, Art. 3 § 1er :

http://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/12376_001.pdf.

[3]Cf. Circulaire n°4917 du 27 juin 2014 : http://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/39977_000.pdf.

[4]Cf. HOUSSONLOGE, D., Les voyages scolaires, 3e partie : trop chers ?, Analyse UFAPEC n°02.13 de février 2013 : http://www.ufapec.be/nos-analyses/0213-voyages-scolaires-3-cout/.

[5]Les internats de la FWB bénéficient de nombreux autres avantages fournis par l’Etat. « Ce qui rend extrêmement difficile de savoir combien coûte réellement à l’Etat  un élève interne de le réseau de la FWB», nous dit Bernard Delcroix.

[7]Mémorandum 2014 de l’UFAPEC, p. 37.

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