Analyse UFAPEC 2008 par M-N. Tenaerts

04.08/ La nouvelle précarité au féminin : une construction et une intégration culturelle ?

L’observation d’une nouvelle précarité féminine nous amène à nous interroger sur les variables causales qui la génèrent. Le taux de chômage ainsi que la répartition des emplois précaires spécifiés par genre soulèvent le débat des conditions réelles de l’accès des femmes sur le marché de l’emploi. Les statistiques de l’INS(1) concernant le taux de chômage (défini par le B.I.T.) nous révèlent, en 2007, un pourcentage plus élevé de femmes que d’hommes. En outre, les femmes occupent davantage les emplois à temps partiel. Elles représentent, en 2007, près de 42, 6% contre 7,8% pour leurs homologues masculins(2) . Différentes hypothèses explicatives peuvent être formulées quant à ces chiffres. Toutefois, la question qui nous guide sera de voir dans quelles mesures, les femmes opèrent un choix délibéré ou contraint dans leur recherche d’autonomie et de liberté.
Afin de comprendre les logiques sous-jacentes à ce constat, nous aborderons dans un premier temps, la définition de ce qu’est être femme dans nos sociétés contemporaines. Dans un deuxième temps, nous étudierons les conditions d’accès à l’emploi afin de voir quels sont les possibilités d’accès ainsi que les obstacles que la femme rencontre ou non pour accéder au marché de l’emploi.

Sexe biologique et genre

La définition de ce qu’est « être femme » peut être abordée à partir de la relation entre le sexe et le genre et qui est « l’ensemble de dispositions établies par l’intervention humaine et sociale, sur base du sexe biologique, et qui détermine un cadre conventionnel pour chaque genre, à partir de chaque sexe(3) ». Cela implique : des significations, des valeurs, des contenus mentaux ou des représentations qui donnent sens, une définition de soi et sa relation à autrui, des actes et des prises de position normatives et politiques ; les manières de vivre de penser et d’agir ; l’accès ou l’impossibilité d’accès, la possession ou la privation, le type de consommation, d’utilisation ou d’appropriation des divers «biens culturels » (diplômes, compétences culturelles, scientifiques, artistiques, politiques, sociales permettant d’être culturellement pertinent dans les divers champs d’activité d’une société) ; et enfin, la capacité pleine ou partielle, peu ou très qualifiée ou l’incapacité à réaliser les divers types de production et/ou d’innovations culturelles. Le genre est par définition une construction culturelle. La société reconnaît ainsi deux sexes biologiques mais aussi deux sexes « sociaux », deux genres, deux normes de relation. Ces genres font partie de nos représentations de la société et nous permettent de l’interpréter, par le biais de modèles sexuels normalisés, ce qui présuppose un homme masculin et une femme féminine. Il existe ainsi une relation intériorisée entre le sexe et le genre.

Permanence de rôles dans l’accès au travail

Les changements entamés lors de ces dernière décennies amènent à constater qu’il y a de plus en plus de femmes actives salariées et instruites mais aussi plus de chômeuses, de salariées précaires et en situation de sous-emploi. Les femmes s’activent donc de plus en plus professionnellement mais conservent le quasi monopole du travail domestique. En effet, comme le démontre Ulrich Beck dans La société du risque(4) , « le chômage en masse des femmes induit une permanence et une restabilisation des rôles » que la société traditionnelle avait distribué, autrement dit, une femme au foyer qui s’occupe de l’espace domestique et un homme « productif », présent dans l’espace public. Comme le souligne le sociologue Anthony Giddens, « dans la mesure où les femmes doivent encore attendre d’être libérées de la famille, celles qui travaillent occupent dans la société capitaliste, une position largement périphérique par rapport au système de classe(5) ». Par cette affirmation, Giddens démontre l’existence d’une corrélation entre les catégories socioprofessionnelles et le sexe. On remarque en effet, qu’il y a une véritable existence de culture et de pratiques organisationnelles masculines alimentant des discriminations et stéréotypes tenaces quant aux postes et aux comportements qui conviennent aux femmes. En outre, les fonctions occupées majoritairement par les femmes sont représentées dans le domaine des services. En effet, sur le marché de l’emploi, on retrouve ce que Bourdieu nomme la « division sexuelle du travail » : les femmes qui sortent de la sphère domestique accèdent, en général, à des travaux simples et peu qualifiés où les compétences qui doivent s’exercer sont considérées comme des caractéristiques « naturelles » féminines. C'est-à-dire des travaux où il faut faire preuve de dextérité, de minutie et de dévouement(6) . Celles-ci étant jugées comme innées à la femme et ne devant requérir, de ce fait, aucune qualification « autre ». Cela contribue évidemment à la dépréciation du travail fourni tout en légitimant une baisse de salaire, une dévalorisation et déqualification relative de la profession.

Le constat du sociologue britannique John Goldthorpe est le suivant : tout d’abord la durée totale de l’activité professionnelle et le nombre d’interruptions de celle-ci montre que la participation des femmes mariées au marché du travail est restée limitée et intermittente. Ensuite, le cycle d’activité-inactivité professionnelle des femmes mariées est conditionné par le contexte de classe et enfin que l’homogamie (entendue comme la tendance à choisir un partenaire du même milieu social ou d’un milieu social proche(7) ) est fréquente car les emplois occupés par les épouses ne permet que rarement une trajectoire socioprofessionnelle ascendante. Une des conditions presque immuable (au vu du changement très faible) est que le travail domestique est associé très nettement au fait d’être femme(8) . Le partage des tâches est encore très sexué et évolue peu. En outre, l’arrivée des enfants accroît d’autant plus la spécialisation dans la construction des rôles parentaux.

Catégorie socioprofessionnelle et genre féminin

Une analyse distinguée par genre, à l’intérieur des catégories socioprofessionnelles, révèle des résultats marquants. Effectivement, la majorité des femmes demeure dans des emplois de faible qualification, des emplois à bas salaires ou des emplois à temps partiels. L’interrogation porte alors sur le choix que la femme doit opérer : est-il question d’un choix propre ou d’un choix contraint ? Selon Bourdieu, la domination sexuelle se laisse entrevoir dès que l’on observe que les femmes parvenues à de très hauts postes doivent payer en quelque sorte cette réussite professionnelle d’une moindre réussite dans l’ordre domestique. A l’inverse, la réussite de l’entreprise domestique a souvent pour contrepartie un renoncement partiel ou total à la grande réussite professionnelle. Ceci permet alors de déceler en partie une hiérarchie intériorisée et véhiculée dans la société, notamment par le biais des grandes institutions que sont L’Ecole, l’Eglise et l’Etat.

Comme l’affirme le sociologue Louis Chauvel dans Le retour des classes sociales(9) , « les consommations différentielles permettent de constater qu’aujourd’hui encore, les moyens économiques des classes populaires servent à couvrir des besoins de base, et que le différentiel de niveau de vie à la faveur des cadres leur permet de s’approprier des biens et services élaborés inaccessibles aux autres catégories. Les catégories socioprofessionnelles aisées peuvent alors déléguer le travail domestique vers d’autres catégories socioprofessionnelles. Le développement des Titres-services (sous impulsion de l’Etat et déductibles fiscalement pour la personne qui emploie) s’inscrit dans cette perspective.
En effet, les Titres-services couvrent les prestations de : nettoyage, lavage de vitres, lessive et repassage, préparation de repas, petits travaux de couture à domicile ou hors domicile des travaux tels que les courses ménagères et le service de transport accompagné pour les personnes moins valides(10) . On assiste de cette manière à la professionnalisation du travail domestique et donc au passage de la sphère domestique à la sphère marchande. Annie Fouquet, économiste et statisticienne de formation, relève cependant les effets pervers de ces nouveaux emplois en posant la question suivante : « le développement de ces emplois est-il concevable sans que se créent de très fortes inégalités entre femmes ?(11) » alors que l’achat du temps de travail d’autrui demeure, d’après Louis Chauvel, le lieu des principaux clivages(12) .
Irait-on jusqu’à dire, que le rapport homme - femme dans nos sociétés pourrait être entendu comme : un rapport entre deux groupes inégalement situés et dotés dans le système productif ; une reproduction permanente de ces mêmes groupes ; des références symboliques et des modes de vie partagés selon le groupe d’appartenance (homme ou femme) et enfin comme une capacité à agir collectivement ?(13) . Dans ce cas, la situation est bien plus préoccupante : s’agirait-il d’une distinction nette, d’une dualité qui s’affirme de plus en plus, de « nouvelles classes sociales » (notamment par la multiplication des familles monoparentales) entre les hommes et les femmes ?

La société contemporaine, avec ses nouvelles structures familiales et ses exigences de marché, conduit à aborder une nouvelle problématique. D’après U. Beck, sociologue allemand, dès lors que les deux membres du couple veulent être libres d’assurer leur existence matérielle, leur autonomie et leur sécurité économique, les questions telles que : avoir des enfants (quand et combien), et accomplir les tâches domestiques deviennent conflictuelles(14) . Les problèmes naissant de ces questions sont traités de manière privée, par chaque couple, chaque famille au vu de la situation à laquelle ils sont confrontés. Les arrangements subissent souvent les impératifs stéréotypiques (l’homme fera « carrière » et la femme s’occupera davantage des enfants). Mais comme le signale le même auteur, si l’on refoule les femmes du marché du travail tandis que les chiffres des divorces augmentent, alors on se prépare à exclure de la vie sociale une grande partie de la société(15) .

TENAERTS Marie-Noëlle
Sociologue
Chargée d’études et d’analyses pour l’UFAPEC
 

 

(1)Disponible sur le site http://statbel.fgov.be
(2)Disponible sur le site http://statbel.fgov.be, Travailleurs à temps partiel (1995-2007)
(3)RUBIN G. (1975) “El tráfico de mujeres: notas sobre la economía política del sexo”, Nueva Antropología, vol.VIII, n°30
(4)BECK U. (2001), La société du risque, sur la voie d’une autre modernité », coll. Champs, Flammarion, Paris, pp. 245-260
(5)Giddens en 1997 dans LAUFER J., (2001) « Masculin - féminin : questions pour les sciences de l’homme », coll. Sciences sociales et sociétés, Presses Universitaires de France, Paris
(6)LAUFER J., (2001) « Masculin - féminin : questions pour les sciences de l’homme », coll. Sciences sociales et sociétés, Presses Universitaires de France, Paris
(7)D’après www.ac-versailles.fr
(8)Afin de voir la permanence de ces schèmes de représentation, il suffit de se promener quelques instants aux rayons jouets : planches à repasser et poupées pour les filles ; voitures et outils pour les garçons. En effet, on se rend alors vite compte des intériorisations contre lesquelles les générations futures vont devoir lutter pour parvenir à une égalité.
(9)CHAUVEL L., « Le retour des classes sociales », revue de l’OFCE, octobre 2001, n°79, p 315-359
(10)«Tout ce que vous devez savoir sur les titres-services», www.titres-services.be
(11)FOUQUET A., « Le travail domestique : du travail invisible au « gisement » d’emplois », in Masculin féminin : questions pour les sciences de l’homme, sous la direction de LAUFER J., MARRY C. et MARUANI M., coll. Sciences sociales et sociétés, Presses Universitaires de France, Paris, 2001
(12)CHAUVEL L., « Le retour des classes sociales », revue de l’OFCE, octobre 2001, n°79, p 315-359
(13)Définition des classes sociales de Louis Chauvel in G. LIÉNARD, « Sociologie de la culture », Faculté des Science économiques, sociales et politiques, Université catholique de Louvain, Diffusion Universitaire Ciaco, 2005-2006
(14) D’après BECK U. (2001), « La société du risque, sur la voie d’une autre modernité », coll. Champs, Flammarion, Paris
(15)BECK U. (2001), « La société du risque, sur la voie d’une autre modernité », coll. Champs, Flammarion, Paris
 

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