Analyse UFAPEC février 2012 par Anne Floor

02.12/ La loi du plus fort n’est pas toujours la meilleure

Introduction

Le phénomène de la violence à l’école est complexe et multiforme. Il mérite débat et un positionnement clair des adultes pour garantir à nos enfants que leur école soit un environnement sûr où ils oseront entrer en relation sans se mettre en danger. Lors d’un colloque sur les jeux dangereux à l’école en novembre dernier, des élèves d’écoles secondaires liégeoises ont interpellé l’assistance : « Si vous ne faites rien, c’est de la non-assistance à personne en danger ». En février 2011, lors d’un jugement dans un cas de harcèlement en milieu scolaire, l’Etat français jugé responsable a refusé de faire appel reconnaissant ainsi sa volonté de ne pas laisser se répéter ce genre de fait et d’assumer ses responsabilités. Le harceleur menace sa victime de représailles si elle parle, l’enseignant n’ose pas dire ce qui se passe dans sa classe par pudeur ou honte de ne pas tenir sa classe aussi bien que ses collègues, certaines directions d’écoles taisent ou minimisent les faits de violence qui existent au sein de leurs murs par peur de perdre des inscriptions. Chacun a de bonnes ou mauvaises raisons de se taire mais la violence tire précisément sa force du silence qui l’entoure. La violence scolaire existe en outre sous des formes tellement différentes : intrusions extérieures, violence institutionnelle, violences des adultes entre et contre eux, harcèlement entre pairs (« School Bullying »). D’après l’ensemble des recherches sur la violence en milieu scolaire, cette dernière est la forme la plus répandue. Ces études ont beaucoup privilégié le point de vue de la victime et les conséquences pour celle-ci. Or les retentissements pour la vie future de l’agresseur ne sont pas à négliger ; c’est ce que nous allons explorer dans cette analyse.

Le « School  Bullying » : harcèlement et maltraitance entre pairs à l’école

Il s’agit d’une violence répétée, verbale, physique ou psychologique perpétrée par un ou plusieurs élèves à l’encontre d’une victime qui ne peut se défendre, en position de faiblesse, l’agresseur agissant dans l’intention de nuire à sa victime. La caractéristique principale du « bullying » est que l’intimidation physique ou psychique se produit de manière répétée, créant un état d’insécuritépermanent dangereux pour la victime. Ce que la recherche dit est que la continuité dans les mauvais traitements même peu visibles a des conséquences importantes sur les agresseurs, leurs victimes et les communautés.[1]Ce harcèlement entre pairs peut s’exprimer physiquement, verbalement, relationnellement (ostracisme), sur Internet. Il peut aussi s’attaquer à l’identité d’un groupe plutôt qu’à un individu en particulier (homophobie, sexisme, racisme, violence contre les handicapés…).

Une très récente enquête réalisée en école élémentaire en France[2] estime qu’un peu plus d’un enfant sur 10 est soumis au harcèlement et 1/20 à un harcèlement sévère ou très sévère. Globalement, l’enquête réalisée dans les collèges français en 2003 aboutit à la même estimation : 10 % d’élèves agressés à répétition.

Quelles conséquences pour les victimes et les agresseurs ?

Impact scolaire

Le fait d’être exposé régulièrement à des comportements violents altère les fonctions cognitives telles que la mémoire, la concentration ainsi que les capacités d’abstraction. Les enfants victimes d’ostracisme ont une opinion plus négative de l’Ecole, mettent en place des stratégies d’évitement et sont donc plus souvent absents et ont des résultats scolaires inférieurs à la moyenne. 29% des victimes ont du mal à se concentrer sur leur travail scolaire. Du côté des agresseurs, un pourcentage important d’entre eux est en échec scolaire. Une victime sur cinq s’absente de l’école pour ne pas affronter son ou ses agresseur (s).[3]

L’agresseur ne veut en général pas subir les conséquences de ses actes, il doit pour s’en assurer obtenir le silence de sa cible et ce silence renforce encore la vulnérabilité des victimes. Une personne ou une cible est vulnérable si elle peut être attaquée sans que son agresseur ne s’expose directement à des déboires, des représailles ou des sanctions. La vulnérabilité se définit donc par la faiblesse du système défensif censé protéger une personne ou une propriété : force physique, réseau de solidarité, vigilance verrous, alarmes, systèmes de surveillance…[4]L’école et les enseignants, aux yeux des enfants victimes de harcèlement, même modéré, perdent de leur aura, ils en ont une représentation plus négative, qui entraîne immanquablement démotivation pour les apprentissages et peut mener au décrochage scolaire. Ils perdent confiance dans les enseignants qui sont les adultes censés les protégerd’autant que très souvent pour les adultes également, le harcelé est responsable de son harcèlement, par un retournement de situation qui est vécu comme la plus grande des cruautés par les victimes et leurs parents.[5]Ils sont donc deux fois victimes, une première fois de leurs harceleurs et une deuxième de non-protection. Eric Debarbieux qualifie d’ailleurs ce phénomène de double peine des victimes.

Lutter contre le harcèlement entre pairs, c’est lutter aussi pour la réussite scolaire.

Impact sur la santé mentale

Le harcèlement affecte le métabolisme et les défenses immunitaires. Ainsi les victimes, mais aussi les témoins que l’on pourrait appeler la majorité silencieuse, peuvent souffrir d’un arrêt de croissance et de divers symptômes tels que vomissements, évanouissements, maux de tête, de ventre, problèmes de vue, d’insomnie…

La victime de harcèlement n’ose bien souvent pas demander de l’aide car elle se croit responsable de ce qui lui arrive et elle en a honte. Elle perd peu à peu confiance en elle, développe des sentiments d’anxiété, de dépression et peut avoir des idées suicidaires. Ainsi en France, Catherine Blaya[6], dans son étude sur le décrochage scolaire, a interrogé des jeunes en unité d’accueil hospitalière après une tentative de suicide. Sur trente jeunes interrogés, plus de la moitié avaient une expérience de victimes de harcèlement et de maltraitance en milieu scolaire.

Les maltraitants chroniques semblent avoir plus de difficultés à développer des relations humaines positives une fois adultes.[7] Ils sont plus susceptibles de maltraiter leurs compagnons et d’utiliser les punitions corporelles et la violence à l’encontre de leurs enfants.[8] Les garçons qui maltraitent leurs pairs de façon régulière à l’adolescence sont trois à quatre fois plus à risque d’adopter des conduites socialement inacceptables et violentes par la suite.

Dans un recueil destiné aux parents, enseignants et direction sur les persécutions à l’école[9], la place du persécuteur est vraiment bien expliquée. A court terme, le persécuteur recueille un certain bénéfice dans la mesure où il gagne en pouvoir, en influence, en prestige. Il est entouré d’ « amis », d’une « cour », alors que la victime est isolée. Mais en sondant des enfants dans un contexte de sécurité garantie, on découvre que ce ne sont pas de vrais amis. Ceux-ci en effet sont proches de lui pour éviter de se retrouver de l’autre côté, à la place de victime. Ils sont « amis » par peur. Et avec le temps, ils risquent de se détourner  du brimeur qui  se retrouve alors aussi isolé que sa victime. Il court aussi un grand risque de rester figé dans la place de persécuteur et il lui deviendra de plus en plus difficile de se débarrasser du rôle qu’on lui a reconnu. Il restera parfois malgré lui en discordance avec les autres (direction, enseignants, pairs). Souvent le comportement des brimeurs est mal compris ; les adultes et les autres enfants n’essayent pas d’aller voir ce qui se cache derrière ces agressions. Or bien souvent le comportement de brimeur traduit un mal-être dont il est urgent de sortir l’enfant. Comme ils éprouvent des difficultés à entrer en relation, à se faire accepter et respecter par les autres, ils imposent la crainte, ils s’imposent en roulant des mécaniques : Finalement, la violence ou l’intimidation sont les seuls moyens dont ils disposent  pour (oser) établir une relation avec les autres. En fait, le brimeur suit le même cheminement que le bouc-émissaire, en s’enfonçant toujours davantage dans son problème. Si on ne se décide pas à intervenir, il faut savoir où cela peut le conduire. Il est établi que les brimeurs courent davantage le risque d’entrer plus tard en conflit avec la société (…).[10]

Impact sociétal

Le risque de délinquance et de violence ultérieure est important. Une forte corrélation semble exister entre le fait d’être un « bully » (un maltraitant), durant les années passées à l’école et de connaître des problèmes avec la loi en tant qu’adulte. Dans l’étude d’Olweus, 60% de ceux qui étaient maltraitants à l’école ont été arrêtés au moins une fois pour un fait délinquant avant  l’âge de 24 ans.[11] 35 à 40 % d’entre eux ont même encouru trois condamnations ou plus. Pour les enfants qui n’ont jamais été mêlés à des brimades, ce chiffre est quatre fois moins élevé. Une étude toute récente menée par l’Université de Cambridge sur une population suivie de l’âge de 8 ans à l’âge de 48 ans[12]  a prouvé que le fait d’être agresseur en école primaire et secondaire avait comme corollaires à la vie future de ces agresseurs la violence, la délinquance et finalement l’échec personnel.Les harceleurs ne font pas carrière, ils sont plus souvent au chômage de longue durée, ils ont des emplois beaucoup moins bien payés et moins qualifiés. Par ailleurs, une recherche nord-américaine[13]montre le lien étroit entre le harcèlement subi à l’école et leschool shooting.[14]Il s’agit de la forme la plus extrême de violence en milieu scolaire puisqu’elle entraîne la mort d’une ou plusieurs personnes dans l’enceinte de l’école. 75 % de tous lesschool shootersavaient été au préalable victimes de maltraitance entre élèves. D’après ce rapport, le tireur s’était souvent senti persécuté, harcelé, humilié, attaqué ou blessé avant l’événement. Beaucoup avaient souffert d’un bullying sévère et de long terme et avaient été harcelés, ce que plusieurs agresseurs décrivent comme un tourment. La peur développée par l’élève agressé et humilié est une des raisons principales pour se rendre armé à l’école.

Prévenir précocement le harcèlement, c’est aussi prévenir des violences ultérieures qui peuvent être lourdes et de long terme.

Conclusion

Intervenir dès le plus jeune âge, prévenir plutôt que sévir est un droit des enfants. Il est urgent d’interrompre la spirale de la violence, c’est à la fois un enjeu sociétal, politique et éthique. La recherche a montré que les programmes de prévention précoce étaient bien plus efficaces et coûtaient beaucoup moins chers en termes de santé publique, d’assistance sociale, de maintien de l’ordre. De plus, la corrélation évidente entre harcèlement et décrochage scolaire ne peut que pousser à prendre la question à bras le corps. Cependant il ne faut pas confondre prévention précoce et fichage des « bullies ». Un rapport du FBI[15] prouve son inefficacité pour plusieurs raisons dont celles d’inclure 25 % d’élèves présentant des caractéristiques semblables à celles de futurs délinquants et qui pourtantne transgresserontpas les lois. Il y a aussi le risque de stigmatisation qui engendrerait une violence réactionnelle. Le harcèlement est une violence en continu, qui se répète, qui nécessite donc des actions sur un très long terme. Celles-ci doivent d’ailleurs avoir lieu en interne, au cœur des établissements scolaires puisque les premiers facteurs de risques sont précisément des facteurs liés aux écoles elles-mêmes. Le climat scolaire joue un rôle clé, nous l’avons déjà souligné dans une précédente analyse sur la violence à l’école.[16] Dans son rapport présenté en avril 2011 au gouvernement français, Eric Debarbieux rappelle l’importance d’avoir des équipes éducatives stables, régulées avec un chef d’établissement dont le rôle est clair. Ce dernier ne peut être le bouc-émissaire sur lequel on reporte tous les problèmes, sinon on assiste à un jeu de chaises musicales qui ne fait qu’insécuriser tout le monde.(…) les conflits au sein du personnel de l’école favoriseraient les comportements offensifs, antisociaux et violents des élèves. Enfin, les écoles où les règles ne sont pas claires et centrées sur la coercition et la punition sont fortement associées à l’échec scolaire et à la violence des élèves et au décrochage scolaire. D’après de nombreuses recherches, la stabilité des équipes éducatives et leur régulation sont des facteurs explicatifs[17] plus importants que tout autre. La qualité du climat scolaire est également considérée comme essentielle.[18]Le sentiment d’appartenance à une communauté éducativeest un élément du cercle vertueux se créant dans les écoles tant pour les élèves que pour les adultes. L’organisation d’expositions, de remises de prix, d’activités festives, de spectacles, la création d’un site internet de l’école qui soit un lieu d’expression partagé (école, direction, élèves…) créent et renforcent le lien d’appartenance des individus à la communauté scolaire. L’école doit baliser et non banaliser les actes répétitifs de violence; les agresseurs sont les premiers à dire que « ce n’est pas grave », que c’est « pour s’amuser ». Et cela peut en effet passer pour des gamineries sans importance si on prend les petits faits un par un. Mais c’est précisément leur répétition et la durée dans le temps qui sont destructrices. Toute non-réponse à ces actes résonne comme une autorisation à continuer pour le harceleur. Il faut établir, expliquer et communiquer des règles claires. L’interdiction de toute forme de harcèlement, d’intimidation ou de discrimination doit être inscrite dans le règlement d’ordre intérieur de l’école. L’intervention des adultes doit être orientée vers la résolution du conflit, l’écoute et la mise en confiance de la victime et doit donner la possibilité à l’agresseur de réparer les préjudices causés. Faire prendre conscience à l’agresseur des conséquences de ses actes est une étape indispensable car un des grandes constantes trouvées chez les agresseurs est le manque d’empathie, l’incapacité à se mettre à la place de la victime.

Notre société bouge, évolue, la parole circule de plus en plus et fait sortir le harcèlement de l’ombre. Il est du devoir de chacun, parent, enfant, enseignant, directeur, éducateur, de prendre ses responsabilités et d’oser baliser. Aider le harceleur à s’extirper de son rôle et l’accompagner dans une nouvelle manière d’entrer en relation avec l’autre et ce le plus tôt possible contribuera à enrayer la spirale de la violence et va dans le sens d’un mieux-être pour tous (agresseur, victime, témoins,…).

 

Anne Floor

 

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[1]E. Debarbieux- Observatoire International de la Violence à l’Ecole, Refuser l’oppression quotidienne : la prévention du harcèlement à l’Ecole, p.7, Université Bordeaux Segalen, avril 2011.

[2]Observatoire international de la violence à l’école pour l’Unicef France, « A l’école des enfants heureux … enfin presque », mars 2011. http://www.unicef.fr/userfiles/UNICEF_FRANCE_violences_scolaires_mars_2011.pdf

[3]Observatoire international de la violence à l’école pour l’Unicef France, « A l’école des enfants heureux … enfin presque », mars 2011, p. 11.

[4]M. Cusson, Criminologie, Paris, Hachette, 2000, p. 108.

[5]E. Debarbieux- Observatoire International de la Violence à l’Ecole, Refuser l’oppression quotidienne : la prévention du harcèlement à l’Ecole, Université Bordeaux Segalen, avril 2011, p. 23.

[6]C. Blaya, Décrochages scolaires: l’école en difficulté, De Boeck, Bruxelles.

[7]Oliver, Hoover and Hazler, the perceived roles of bullying in small-town Midwesterns schools, Journal of Counseling and Development, 416-419, 1993.

[8]Roberts, W.B, Morotti, A.A., The bully as victim : Understanding bully behaviors to increase the effectiveness of interventions in the bully-victim dyad, Professional School Counseling, vol 4(2), dec 2000, 148-155.

[9]G. Deboutte, L’enfant, ni loup, ni agneau… Comment en finir avec les persécutions à l’école?, Erasme, Namur, 1997.

[10]G. Deboutte, ibidem, p.68-69.

[11]D.  Olweus, Bullying at school: what we know and what we can do, Oxford: Blackwell. Traduction française: Paris, ESF, 1993.

[12]Farrington, D.P and Ttoffi, M.M, Bullying as a predictor of offending, violence and later life outcomes. Criminal behavior and Mental health 90-98, 2011.

[13]Vossekuil , B., Fein , R., Reddy , M.,Borum , R., & Modzeleski , W, The Final Report and Findings of the Safe School Initiative: Implications for the Prevention of School Attacks in the United States, U.S. Department of Education, Office of Elementary and Secondary Education, Safe and Drug-Free Schools Program and U.S. Secret Service, National Threat Assessment Center, Washington, 2002.

[14]Tuerie en milieu scolaire désigne dans cet article les actes criminels ayant entraîné la mort d'une ou plusieurs personnes dans l'enceinte d'un établissement scolaire.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Tuerie_en_milieu_scolaire

[15]Vossekuil et alii, op.cit.

[16]A. Floor, « La violence à l’école » : mise au point, Analyse UFAPEC 2011 N°18.11.

[17]De la propagation de la violence au sein des écoles.

[18]E. Debarbieux- Observatoire International de la Violence à l’Ecole, Refuser l’oppression quotidienne : la prévention du harcèlement à l’Ecole,  Université Bordeaux Segalen, avril 2011, p.19-20.

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