Analyse UFAPEC Février 2024 par A. Floor

03.24/ Les élèves peuvent-ils encore compter sur l’école pour apprendre à nager ?

Introduction

L'organisation de cours de natation est bien présente dans les programmes des cours d'éducation physique en primaire et secondaire, mais les écoles sont confrontées à un manque criant d'infrastructures pour les accueillir. Des parents nous interpellent régulièrement à ce sujet et se demandent dans quelle mesure le cours de natation est obligatoire et si c'est de leur responsabilité de compenser ce manquement dans la formation de leurs enfants. Les écoles peinent, quant à elles, à trouver une piscine accessible dans un environnement proche, à veiller à l'encadrement avant, pendant et après le cours. Déployer autant d'énergie pour passer, dans le meilleur des cas, 30 minutes dans l'eau, le jeu en vaut-il la chandelle ? Savoir nager n’est-il pas un enjeu de sécurité publique et d’équité démocratique ?» L’école serait-elle le seul lieu privilégié pour permettre à tout enfant d’apprendre à nager en toute sécurité et à des conditions financières abordables ? Que se passerait-il si cette responsabilité était dévolue complètement aux familles ?

Quelques chiffres éloquents

Selon la branche européenne de l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé), chaque année, au moins 20.000 personnes meurent par noyade en Europe. La noyade représente, d'ailleurs, la deuxième cause de décès chez les enfants âgés de 5 à 14 ans. Et les taux de mortalité par noyade sont directement corrélés au niveau de vie des personnes. En Europe, la noyade est également une question cruciale d’équité, les taux de mortalité variant de 20 fois dans les 53 pays de la région, les pays de l’Est affichant généralement les taux les plus élevés.[1] Même si tous les pays sont concernés, l'OMS dans son rapport "Noyade" de juillet 2023 précise que plus de 90 % des décès par noyade non intentionnelle se produisent dans des pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire[2].

Et en Belgique, quelle est la situation ? Chez les enfants entre 1 et 4 ans, la noyade est en 2011 la cause principale de décès (25 %).[3] Dans une interview au quotidien Le Soir de l'été dernier, Alexandre Mouton, professeur au département des sciences de la motricité de l'ULiège, confirmait ces chiffres en déclarant que la noyade est la principale cause de décès accidentel dans notre pays pour les enfants jusqu'à l'âge de 6 ans.[4] En 2016, une enquête officielle[5] avait été lancée auprès des établissements scolaires pour avoir un aperçu de l'organisation réelle des cours de natation dans les écoles. Il en ressortait que la natation était surtout organisée au niveau primaire et beaucoup moins en secondaire : Dans le secondaire, le taux d’élèves ayant droit à un cours de natation oscillait entre 9 et 16 %.[6] Depuis lors, la situation ne s'est certainement pas améliorée étant donné que bon nombre de piscines ont fermé en raison de travaux urgents de rénovation ou de l'augmentation des coûts de gestion à la suite de la guerre en Ukraine et des crises énergétiques. En effet, nos piscines ont pour la plupart été construites dans les années ‘70. Selon une étude de 2020 de perspective.brussels, la région de Bruxelles-Capitale comptabilise 31 piscines publiques (dont 17 de 25 m de long ou plus) qui sont réparties inégalement sur 18 sites de la Région, ce qui correspond à un bassin public pour 39.000 habitants ou 1 piscine publique pour 67.000 habitants. Certaines communes de l'ouest de Bruxelles se retrouvent sans piscines alors que l'est de la région compte davantage de bassins privés. En Wallonie, on compte une piscine publique pour 29.000 habitants et en Flandre une piscine publique pour 22.000 habitants[7]. Selon Denis Detinne, fondateur de l'asbl PromoSport, il manquerait 60 à 70 bassins pour couvrir les besoins de l'ensemble de la population scolaire de la FWB.[8]

Cours de natation dans les programmes

Pour le niveau maternel, il n'y a pas d'obligation pour les écoles d'organiser des cours de natation. Cela dépendra du pouvoir organisateur de chaque école.

En primaire, la circulaire de rentrée 2023-2024 stipule que des leçons de natation sont régulièrement données par un maître spécial d'éducation physique. Les élèves de primaire ont deux périodes de 50 minutes d'éducation physique par semaine dans leur formation commune obligatoire. À partir de l'entrée des 5e primaires[9] et 6e primaires[10] dans le tronc commun, le cours d'éducation physique et à la santé se déroulera sur 3 périodes de 50 minutes par semaine. En secondaire, au 1er degré, trois périodes d'éducation physique sont prévues dans la formation commune obligatoire.

Que l'on consulte les socles de compétences ou les référentiels des cours d'éducation physique du tronc commun, l'apprentissage de la natation figure bien au programme des cours de la 1e primaire à la fin de la 2e secondaire (avant l'arrivée du tronc commun) et à la fin de la 3e secondaire (avec le tronc commun).

Dans les socles de compétences (avant le tronc commun), il est précisé que l’élève devra être capable de : flotter, se propulser (au terme de la 2e année), nager en fin de 6e année primaire  et, à la fin du 1er degré du secondaire, nager 25 mètres dans un style correct.[11]

Dans le nouveau référentiel d'éducation physique du tronc commun (qui est en application actuellement jusqu'en 4e primaire), il est demandé en 2e primaire de flotter et se propulser et en fin de 3e secondaire de parcourir une distance autodéterminée dans la ou les nages de son choix avec la respiration adaptée.[12]

Coûts et bénéfices pour les parents et les écoles

Sont portés à la charge des parents les frais d'entrée à la piscine ainsi que les coûts de transport. La situation sera donc variable selon les kilomètres qui séparent l'école du lieu de natation. Et cette distance aura aussi un impact sur la durée de présence des élèves dans l'eau. Si théoriquement une période de cours de natation correspond à 30 minutes dans l’eau, il arrive régulièrement que des travaux sur la route, un retard du bus ou d'autres événements diminuent fortement la durée du cours. Pour d'autres écoles, c'est carrément devenu impossible d'organiser des cours de natation par manque de places disponibles ou parce que le coût financier du transport est devenu trop important.

À côté de ce manque d'infrastructures sportives accessibles, il y a la question des normes d'encadrement et de sécurité qui peut venir aussi compliquer l'organisation de ces cours. Aucun texte de la Fédération Wallonie-Bruxelles ne précise les normes d’encadrement suffisantes dans le cadre des activités de piscine. Il est seulement stipulé qu'il revient au pouvoir organisateur (PO) et à la direction de s’assurer que les élèves sont suffisamment pris en charge, tenant compte de leur âge, de leur nombre, de leur niveau en natation.[13] À la suite d’un accident mortel survenu en 2009 dans le cadre d'un cours de natation organisé par une école d'enseignement spécialisé, le SeGEC recommande, en primaire, outre l’encadrement du professeur d'éducation physique et la surveillance du maître-nageur, la présence de deux surveillants au bord de l'eau. En secondaire, le cours nécessitera seulement la présence du professeur d'éducation physique et du maître-nageur.[14]

Une autre difficulté pointée en particulier en primaire est l'impact de l'organisation de ce cours sur les autres apprentissages en classe. Les temps de trajet empiètent bien souvent sur une heure d'apprentissage en classe. Marie, enseignante d'éducation physique depuis dix-sept ans dans une école primaire du Brabant wallon, explique que les élèves viennent à la piscine à pied avec l'enseignant titulaire et que tout mis ensemble (trajet, vestiaire, cours, vestiaire et retour à l'école), il faut compter 1h30 à 1h40 selon l'âge des enfants.[15] Certains de ses collègues ont d'ailleurs remis en question l'organisation de ce cours de natation compte tenu de l’investissement humain et en temps. Ce questionnement quant à l'organisation du cours de natation est fréquent dans de nombreuses écoles. Entre le coût financier pour les parents et le risque des factures impayées, l'empiètement sur les autres heures de cours, l'encadrement des élèves avant, pendant et après les cours, beaucoup se posent des questions. Souvent le fait que ce cours soit clairement inscrit au programme, l'argument de la sécurité, la volonté de ne pas creuser encore plus les inégalités font pencher la balance vers un maintien, parfois à une fréquence moins élevée.[16]

Est-ce bien le rôle de l'école que d'apprendre à nager aux enfants ?

Pour Marie, cela ne fait pas l'ombre d'un doute. Elle voit vraiment les enfants évoluer, même s'ils ne viennent à la piscine que 30 minutes toutes les deux semaines et ce pendant 7 ans.[17] Cette évolution est encore plus visible auprès des enfants qui ne vont pas à la piscine avec leurs parents et qui ne reçoivent pas de cours en dehors de l’école. C'est la régularité qui porte ses fruits dans l'apprentissage de la natation. Il vaut mieux plus court et plus souvent que d'avoir cours une fois par mois. Tous les 15 jours sur 7 ans, oui cela vaut le coup. J’observe que des enfants qui n’avaient jamais mis un pied dans l’eau avant la 3e maternelle sont ceux que je dois tirer hors de l’eau en fin de 6e primaire. En 30 minutes, il y a tout à fait moyen, selon elle, de réaliser beaucoup de choses. Ce qui est le plus compliqué, c'est la gestion des différences de niveau entre les élèves et les oublis de matériel. Les plus faibles auront souvent tendance à vouloir faire comme les autres, quitte à négliger la technique, et les plus forts vont parfois s'ennuyer. Elle explique aussi que ce sont souvent les propres peurs des parents qui font obstacle à l'organisation de son cours. En tant qu'enseignante, elle arrive avec douceur à accompagner l'élève et à l'aider à surmonter sa peur. Mais parfois, elle va devoir rassurer préalablement le parent qui lui-même a vécu dans son enfance un traumatisme durant le cours de natation. Au niveau des parents, il y a un peu de tout : certains délèguent complètement cet apprentissage à l'école, alors que d'autres vont donner des cours préparatoires aux cours de l'école afin que leur enfant soit à l'aise dans l'eau ; d'autres souhaitent que leur enfant sache nager pour être en sécurité en vacances. Pour certaines familles, ce n'est pas une priorité et dans leur culture, leur organisation familiale, leur mode de vie, ce n'est tout simplement pas possible. Marie défend l'existence du cours de natation à l'école, précisément pour tous ces élèves qui n'ont pas la possibilité en dehors de l'école de mettre un pied dans l'eau. Pour elle, c'est tout simplement une question de sécurité. Si l'enfant tombe dans un lac, une rivière, il faut savoir nager. Et c’est pour cela que je suis exigeante en 1e et 2e primaire sur le fait qu’ils ne peuvent pas mettre leurs lunettes. Ouvrir les yeux dans l’eau, cela fait partie des items de l’accoutumance. Marie fait tout de même remarquer que les cours privés sont parfois très onéreux sans garantie d'être encadrés par des personnes ayant suivi une formation adéquate. N'importe qui peut dire je donne des cours privés de natation, parfois ce ne sont pas des enseignants d'éducation physique et les enfants risquent d'apprendre de mauvaises techniques de nage alors que le cours de natation à l'école est donné par un professionnel formé notamment en didactique de natation.

À côté de l'aspect "sécurité", les scientifiques soulignent combien la pratique sportive est un véritable enjeu de santé publique. Selon Alexandre Mouton, le fait de priver un enfant de natation freinerait son développement moteur complet.[18] Par ailleurs les effets de l’eau et de la natation en particulier sont connus et reconnus pour la santé physique et mentale. Ne pas savoir nager prive aussi les enfants de la pratique d’autres sports aquatiques ou simplement de fréquenter en toute sérénité n’importe quel point d’eau.

Dans une étude réalisée en juin 2017[19] par STA[20], il ressort qu'un enfant sur trois âgé de 10 à 16 ans au Royaume-Uni est incapable de nager. Or les 0-19 ans y représentent le pourcentage le plus élevé de noyades ; 32 décès au total en 2015, dont 27 âgés de 10 à 19 ans. Cette organisation caritative éducative de premier plan dédiée à l'enseignement des techniques de natation et de sauvetage a mené cette enquête indépendante en mai 2017 auprès de plus de 2.000 parents ayant des enfants âgés de 0 à 16 ans. Cette organisation a voulu comprendre les raisons pour lesquelles les enfants n'apprenaient pas à nager : 15 % des parents interrogés ont déclaré que c'était parce qu'ils n'avaient pas le temps de leur apprendre, 20 % ont blâmé le coût et plus d'un quart ont admis qu'ils n'aimaient pas l'eau eux-mêmes ou qu'ils ne savaient pas nager eux-mêmes.[21] 9 parents sur 10 sont d'accord sur l'idée que le fait de savoir nager est une compétence vitale et cependant, près de la moitié d'entre eux déclarent ne pas aller nager avec leurs enfants. L'organisation conclut qu'il y a toute une génération qui, ayant reçu peu de cours de natation, a développé une aversion ou un manque de confiance qu'ils ont transmis à leurs enfants. Et deuxièmement que, comme le nombre d'enfants apprenant à nager à l'école en 2017 a diminué de moitié par rapport à leurs propres parents au même âge, la responsabilité de l'apprentissage de la natation repose sur les familles. Et celles-ci, selon l'enquête, n'ont pas le temps, l'argent ou la confiance pour apprendre eux-mêmes à leur progéniture. C’est un cercle vicieux auquel il faut absolument s’attaquer, annonce cette organisation.

Faire reposer sur les épaules des familles la seule responsabilité des cours de natation, c'est creuser encore les inégalités et risquer un effet boule de neige semblable à ce qui s'est passé au Royaume-Uni. Il ressort d'un reportage du Soir de l'été dernier une baisse de fréquentation des cours privés de natation en fonction des régions qui s'expliquerait en partie par des raisons économiques. Philippe Legrand, administrateur général de la piscine Poséidon à Jemeppe-sur-Sambre, s'étonne aussi du fait que ce sont davantage les enfants de moins de 4 ans qui suivent les cours que ceux de primaire. Selon lui, pour certains parents, la natation est devenue facultative puisqu'il n'y a plus de cours de natation à l'école : Les parents savent que l’enfant n’ira pas à la piscine pour l’école. Donc ils choisissent de ne pas l’inscrire au cours pour l’y préparer comme auparavant.[22] Dans une autre piscine privée située à Rhode-Saint-Genèse, la propriétaire observe une évolution dans l'attitude des enfants. Ils sont plus peureux et cette crainte viendrait, selon elle, des parents et du fait que les enfants sont beaucoup moins en contact avec le milieu aquatique.

Conclusion

Il ressort clairement de cette analyse que la question du cours de natation dépasse de loin les murs de l'école. C'est un enjeu de sécurité et de santé publique qui se joue là : si les cours de natation ne sont plus organisés dans les écoles, tout lac, plan d'eau, piscine privée devient un danger pour un nombre grandissant d'enfants. La pratique sportive contribue par ailleurs à une meilleure santé physique et mentale. Malgré toutes les bonnes volontés déployées dans les écoles et dans les familles, un investissement public important est de mise.

Demander aux familles d'assurer le relais en payant des cours privés, l'accès à un club de natation ou en donnant cours elles-mêmes exclut un certain nombre de familles qui n'en ont pas les moyens, qui, elles-mêmes, craignent l'eau ou qui n'estiment pas cet apprentissage indispensable pour leur enfant. Et cela impactera les générations d'enfants suivantes.

N'oublions pas que le cours de natation est l’un des seuls apprentissages dispensés à l'école qui peut sauver la vie.

 

Anne Floor

 


[1] ONU info, Au moins 20 000 personnes meurent noyées chaque année en Europe (OMS), 24 juillet 2023. https://news.un.org/fr/story/2023/07/1137077

[4] HUBERTY, Adrien, « La prochaine génération sera-t-elle encore capable de nager ? », in Le Soir du 17/08/2023. https://www.lesoir.be/531588/article/2023-08-17/la-prochaine-generation-sera-t-elle-encore-capable-de-nager

[5] Circulaire n° 5663 du 17/03/2016 « Activités de natation : enquête ».

[6] Question écrite de Caroline Cassart, députée, à Caroline Désir, ministre de l’Éducation, concernant l’enquête réalisée auprès des établissements scolaires concernant la problématique des cours de natation - Octobre 2019.

[7] Perspective.brussels, Les piscines en région bruxelloise – État des lieux et pistes pour rencontrer les besoins des bruxellois, About.brussels, # 02, 2020, p. 2. https://perspective.brussels/sites/default/files/documents/ab_piscine.pdf

[9] Rentrée 2024

[10] Rentrée 2025

[11] VAN BELLINGEN, Gérald, « De nécessité à un réel luxe, quand les cours de natation tombent à l’eau… » in Entrées libres n°176, février 2023, p. 11.

[12] Référentiel d’éducation physique et à la santé et tableaux synoptiques. http://enseignement.be/index.php?page=28597

[13] Il convient de rappeler que le Pouvoir organisateur doit, à tout moment, organiser l’encadrement des élèves de manière à garantir leur sécurité. Ainsi, il ne peut pas, en particulier pour des activités en piscine, confier un nombre déraisonnable d’élèves à un seul maitre spécial d’éducation physique. Circulaire 8974 du 06/07/2023, Organisation de l'enseignement maternel et primaire ordinaire pour l'année scolaire 2023-2024. p. 209.

[15] Interview réalisée par Anne Floor le 22 janvier 2024.

[16] VAN BELLINGEN, Gérald, « De nécessité à un réel luxe, quand les cours de natation tombent à l’eau… », in Entrées libres n°176, février 2023, p. 11.

[17] Son école organise les cours à partir de la 3e maternelle.

[18] HUBERTY, Adrien, « La prochaine génération sera-t-elle encore capable de nager ? », in Le Soir du 17/08/2023.

[19] Swimming Teachers’ Association, A Third of UK Children Unable to Swim as Parents Struggle with Time and Money to Teach Them », juin 2017. https://www.sta.co.uk/news/2017/06/12/a-third-of-uk-children-unable-to-swim-as-parents-struggle-with-time-and-money-to-teach-them/ 

[20] Swimming Teachers’ Association.

[21] Swimming Teachers’ Association, op.cit.

[22] Huberty, A., op.cit.

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