Analyse UFAPEC avril 2020 par B. Loriers

04.20/ A l’école, des tickets pour aller aux toilettes ?

Introduction

Cette analyse se penche sur un enjeu de taille : le bien-être des élèves à travers l’assouvissement de leurs besoins physiologiques à l’école, et notamment l’accès aux toilettes. L’état des toilettes est souvent alarmant dans nombreuses de nos écoles. Mais outre ce constat[1], que penser des écoles qui distribuent des jetons, cartes, badges ou tickets pour réguler l’accès aux toilettes ? La question fait débat. Peut-on parler de violence institutionnelle de l’école lorsque l’enseignant régule le passage aux toilettes pendant les cours et, parfois, pendant la récréation ? La controverse tourne autour de la liberté d’accès aux toilettes et donc du bien-être indispensable pour apprendre, en opposition au besoin des enseignants et de la direction de réguler le trafic des élèves vers les toilettes, afin de prévenir perturbations, dégradations et harcèlement.

Cette problématique est liée à une autre : l’élève qui demande à aller aux toilettes doit-il vraiment y aller, ou a-t-il un autre besoin, celui de se défouler, d’échapper à l’ennui ou à un travail qui le met en difficulté ? Ceci n’est pas nouveau, de nombreux enfants ont beaucoup de mal à rester à leur place pendant de longues heures, sans pouvoir bouger. Peut-on impliquer les élèves dans la gestion de cette accessibilité ?

Pour une normalisation de l’accès aux toilettes

Pour les enseignants, c’est un casse-tête de gérer les allées et venues des élèves vers les toilettes, parfois pendant un moment crucial des apprentissages. Une institutrice témoigne de son ras-le-bol. Rien de plus agaçant que de rentrer de récré et d'entendre des " Maîtresse, je peux aller aux toilettes ? " Du coup, pour les responsabiliser, le lundi matin, je leur donne 2 tickets qui doivent leur servir toute la semaine. Puis un seul au fil du temps, puis je passe à 2 semaines, puis plus rien lorsque les bonnes habitudes sont prises... Ils veulent aller aux toilettes pendant le temps de classe, très bien, ils me donnent un ticket ! Si les tickets ne sont pas suffisants, ils doivent m'en échanger un contre un privilège. Je peux vous dire qu'à force ils prennent leurs dispositions et n'oublient plus d'aller aux toilettes pendant la récré[2].

A l'école fondamentale Saint-Etienne de Vottem, près de Liège, on a aussi mis en place un système de jetons pour aller aux toilettes. Pour Corinne Lamarque, la directrice, il ne s'agit pas d'un contrôle ou d'une mesure restrictive : si un élève demande à aller aux toilettes 4 à 5 fois par matinée, on est en droit de se demander s'il n'y a pas un problème de santé là-derrière.

Une maman de cette école trouve l’idée des tickets judicieuse, car elle permet de savoir, en cas de dégradation, qui a sali les toilettes[3]. Pour une autre directrice, une limitation des sorties de classe permet aussi de leur apprendre à s’autogérer[4].

Pour cet ancien directeur d’une école de Liège, qui a exercé son métier pendant 28 ans, les badges sont une manière de limiter les dégâts matériels et le harcèlement. Un chef d’école doit être le protecteur de la communauté scolaire contre des agressions, du racket, des règlements de compte… toute une série de choses qui s’opèrent dans des endroits non surveillés. Les toilettes sont un endroit privilégié, déjà en maternelle. Les parents prennent ça comme une interdiction d’aller aux toilettes au départ. Ce n’est pas ça du tout ! C’est une régulation. On n’interdit jamais un enfant d’aller aux toilettes, mais il y a des règles à respecter. Quand elles ne sont pas respectées, il y a un effet de groupe qui s’opère : on vous démonte les WC, on vous démonte les chasses, on monte sur les planches, on ouvre le robinet et on bouche les évacuations. On se retrouve avec des dégâts en permanence ! Donner un badge, ça veut dire qu’on évite qu’il y ait 25 enfants dans les WC et je peux vous dire qu’on n’a jamais été à court de badges. On ne se retrouve jamais avec plus de 5 badges pour les garçons et 5 badges pour les filles. En instaurant ce système, on n’a plus de dégâts ! En cas d’urgence, on en tient compte. On n’a jamais eu d’accident. Il y a souvent des enfants qui se baladent dans les couloirs. Là, si un enseignant voit un élève avec un badge autour du cou, il sait qu'il va aux toilettes et il ne sera absolument pas sanctionné. C’est impensable de mettre quelqu’un en permanence devant les toilettes, on n’a pas les moyens. Tous les élèves sont concernés et sont mis sur un pied d’égalité et c’est tout à fait naturel d’aller aux toilettes[5].

Contre une normalisation de l’accès aux toilettes

Limiter l’accès aux toilettes par des tickets ? Chaque élève a des besoins physiologiques qui sont différents de ceux de son voisin, donc il n’est pas simple pour les élèves d’être tous soumis au même régime concernant l’accès aux toilettes. Par ailleurs, une grande partie du temps scolaire oblige les élèves à être immobiles, position assise, souvent inconfortable. N’est-ce pas une forme de maltraitance de l’école, de privation d’un droit fondamental de ne pas laisser l’accès aux toilettes pendant toute la journée ?

Certains élèves et parents ressentent le manque de propreté, d’intimité, d’entretien, et la restriction d’accès aux toilettes comme une forme de violence institutionnelle, qui peut être vue comme une action commise dans et par une institution, ou toute absence d’action, qui cause a? l’enfant une souffrance physique ou psychologique inutile et/ou qui entrave son e?volution ultérieure[6]. Un étudiant nous a raconté que quand il était en primaire et secondaire, il ne buvait pas par crainte de devoir aller aux toilettes, elles étaient vraiment trop sales. Mais il avait continuellement des maux de tête, sans en comprendre l’origine. Maintenant, il est à l’université, les toilettes sont propres et il boit beaucoup plus. Mais surtout, il n’a plus mal à la tête…

Sophie Liebman, institutrice, a écrit un mémoire sur les toilettes à l’école. Elle explique que certains de ses collègues ont des pratiques contraignantes en la matière. Ils interdisent aux enfants d’y aller ou bien ils se servent de cette autorisation comme instrument de pouvoir. Bien sûr, certains enfants demandent à aller aux toilettes pour échapper au travail, parce qu’ils s’ennuient ou ont besoin de bouger. Il ne faut pas être naïf, on ne va seulement aux toilettes pour se soulager, mais c’est un besoin qui n’est pas reconnu à l’école[7]. Une interdiction stricte qui porte sur deux périodes de cours d’affilées est vécue pour les enfants comme un terrible stress. Une maman témoigne du cauchemar de sa fille : Marie en parlait tous les jours, ne dormait plus. Les enseignants devraient se rendre compte de ce stress. Je suis certaine que si le prof avait dit à Marie : ne t’en fais pas tu peux aller à la toilette toutes les heures si tu veux, elle aurait été moins stressée et du coup elle aurait eu moins envie d’y aller. La privation de sa liberté pour assouvir un besoin physiologique naturel peut avoir des retentissements psychologiques. C’est une privation d’un droit. Mais évidemment tout cela a aussi des répercussions sur le groupe classe : donner une permission à l’un et pas à l’autre n’est pas adéquat, cette permission doit se donner aux pairs également pour que les élèves se sentent tous sur le même pied d’égalité.

Pour Caroline Désir, ministre de l’Éducation, le principe des jetons ou tickets pour aller aux toilettes en classe est intolérable. Il est essentiel de permettre à chaque enfant de répondre à ses besoins physiologiques. C’est indispensable pour qu’il puisse consacrer toute son énergie aux apprentissages. L’autorisation normée du passage aux toilettes pendant les cours n’est pas tolérable. Si des faits de ce type sont signalés, la ministre de l’Éducation enverra son Inspection pour effectuer le contrôle des pratiques[8], indique son cabinet.

Baromètre du bien-être

Pas d’accès aux toilettes pendant les cours… Dans quel autre cas est-on empêché d’aller aux toilettes ? Dans le travail à la chaine ? Y en a-t-il d’autres ? Alors pourquoi imposer cela aux élèves ? Une école qui prend soin de ses élèves peut le faire notamment à travers sa gestion des toilettes. Un e?tat des lieux sur la the?matique de l’eau a? l’e?cole, commande? par le Fonds BYX en partenariat avec l’ASBL Question Sante? dresse ce constat : pre?s de 60 % des e?le?ves, du primaire et du secondaire, pre?fe?rent aller a? la toilette chez eux pluto?t qu’a? l’e?cole. J’aime mieux avoir mal au ventre du matin au soir et pendant toute l’anne?e que de devoir aller a? la toilette a? l’e?cole, confie un jeune interviewé. Dans le cadre de ce projet, plus de 700 personnes ont e?te? interroge?es dont 300 directeurs d’e?cole. Quels sont les principaux griefs e?mis a? l’encontre des toilettes ? Les odeurs (78 %), la malproprete? (65 %), la peur de rester enferme? (66 %), le manque d’intimite? (49 %). Loin de se vouloir une enque?te scientifique, ce sondage pointe aussi l’e?loignement des sanitaires par rapport a? la classe, leur nombre insuffisant, l’e?tat de ve?tuste?, le manque de papier et de savon, et l’interdiction de se rendre au petit coin pendant les cours[9].

Certains chercheurs considèrent le libre accès aux toilettes comme un baromètre du bien-être des enfants. Ce sujet est l’occasion de réfléchir en classe avec les élèves sur leurs droits et devoirs. Par exemple, j’ai le droit d’aller aux toilettes, j’ai droit à mon intimité, pour respecter mon besoin de sécurité, je dois garder l’endroit propre, je dois respecter mes camarades... Et pourquoi ne pas transformer ces droits et devoirs en charte de la classe ?

Conscient de l’importance de cette problématique, le Pacte pour un enseignement d’excellence insère dans ses recommandations l’aide de la plateforme « Ne tournons pas autour du pot[10] ». En vue d’améliorer la qualité? des sanitaires a? l’école, il est préconisé? de pérenniser et d’élargir les appels a? projet existant pour la rénovation des sanitaires en partenariat avec le Fonds BYX[11].

Le Mémorandum 2019 de l’UFAPEC préconise de veiller à? ce que chaque enfant bénéficie d’une qualité? d’infrastructure suffisante et saine pour son bien-être et nécessaire a? son apprentissage et son épanouissement[12].

Dispositions spéciales prises pour lutter contre le virus covid 19

La crise sanitaire liée à la pandémie de covid 19 met en évidence la gestion des toilettes dans les écoles. Elle complique leur accès, et demande une réelle réflexion au sein de chaque école. Une circulaire de Caroline Désir, ministre de l’éducation, du 25 avril 2020, précise les normes sanitaires pour les établissements scolaires, dont la reprise est prévue en partie le 18 mai 2020 : l'acce?s aux toilettes doit e?tre limite? au nombre de lavabos qu’elles comportent et doit e?tre pourvu de savon et de serviettes jetables[13].  

Cette situation met en évidence la vétusté de certaines installations, ainsi que leur gestion, parfois négligée. Les perspectives de reprise des cours font prendre conscience de l’importance d‘un nombre suffisant de toilettes, de planches pour chacune d’elles, d‘éviers qui fonctionnent, de savon ou gel hydroalcoolique disponibles, du séchage des mains, du nettoyage régulier des lieux... Nombreux responsables d’établissements scolaires réalisent que des travaux s’imposent pour lutter contre le virus, à une période où les commandes de matériel peuvent poser un problème de délais. De plus, l’usage de ces lieux va demander une plus grande sensibilisation des élèves au lavage rigoureux et systématique des mains et au maintien indispensable de la propreté des lieux.

Conclusion

Besoin d’aller aux toilettes, besoin de se défouler, de déjouer l’ennui ou de fuir une matière incomprise ? L’enseignant peut-il tenir compte des besoins de bouger pour les élèves dans son horaire de la journée ? Pas simple, mais y réfléchir en vaut certainement la peine. La recherche d'un équilibre d'activités de structuration, de découvertes, de respiration pourrait amener un respect du rythme de l'enfant[14], et pourrait donc amener à de meilleures conditions d’apprentissages.

Une réflexion collective sur l’accessibilité aux toilettes devrait avoir lieu au sein du conseil de participation ou, en tout cas, une uniformisation des normes sur cette question au sein de l’école serait déjà un plus. Cela nécessite donc d’avoir une réflexion avec l’ensemble du personnel : profs, éducateurs, surveillants, etc., mais aussi de communiquer et d’expliquer clairement aux élèves et aux parents le pourquoi et le comment de ces normes.

Prévoir et s’assurer d’une infrastructure sanitaire en ordre, c’est un premier pas qui permet de veiller au bien-être des élèves. Ensuite, une sensibilisation et responsabilisation répétées des élèves est un indispensable gage de respect de cette infrastructure. Enfin, chaque enseignant ne devrait-il pas ouvrir le dialogue sur le sujet de l’accessibilité des toilettes ? Réfléchir ensemble à cette problématique, n’est-ce pas finalement un véritable acte citoyen, quel que soit l’âge des élèves, pour un sujet qui touche au respect de chacun ?

 

Bénédicte Loriers

 

 


[1] LORIERS B., Réhabiliter collectivement les sanitaires à l’école, pour un bien-être propice aux apprentissages ? analyse UFAPEC 2015 n° 10.15 : http://www.ufapec.be/nos-analyses/1015-sanitaires-scolaires.html

[3] On en peut pas faire pipi quand on veut à l’école, RTBF info 9 octobre 2019 :   https://www.rtbf.be/info/regions/liege/detail_on-ne-peut-pas-faire-pipi-quand-on-veut-a-l-ecole?id=10337050.

[6] Tomkiewicz, T., Vivet, P. et coll., Aimer mal, cha?tier bien. Enque?tes sur les violences dans des institutions pour enfants et adolescents, Seuil, 1991.

[7] GERARD L., Lever le tabou des toilettes à l’école, in Lalibre.be, 23 novembre 2009 : https://www.lalibre.be/belgique/lever-le-tabou-des-toilettes-a-l-ecole-51b73258e4b0de6db975592b

[8] Interdiction de faire pipi pendant les cours : intolérable !: https://www.laprovince.be/472673/article/2019-11-14/interdiction-de-faire-pipi-pendant-les-cours-intolerable, in La province, 14 novembre 2019.

[9] LORIERS B., Réhabiliter collectivement les sanitaires à l’école, op cit.

[11] Avis n°3 du Pacte pour un enseignement d’excellence, mars 2017, p. 295. http://www.enseignement.be/index.php?page=28280

[14] SCHMIDT JP, Bouger pour être mieux disposé à apprendre ?, analyse UFAPEC 2016 n° 12 : http://www.ufapec.be/nos-analyses/1216-bouger-pour-apprendre.html

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