Analyse UFAPEC Mars 2024 par F. Baie

04.24 Expression théâtrale à l’école : un plus pour la citoyenneté et la confiance en soi ?

Le théâtre est un point d’optique. Tout ce qui existe dans le monde, dans l’histoire, dans la vie, dans l’homme,
tout doit et peut s’y réfléchir, mais sous la baguette magique de l’art.

Victor Hugo

Introduction

L’école a pour mission de créer des citoyens et futurs adultes qui ont confiance en eux, qui sont responsables, capables de contribuer au développement d'une société démocratique, solidaire, pluraliste, respectueuse de l'environnement et ouverte aux autres cultures. Former les élèves à devenir des CRACS[1] est un enjeu important à l’école.

Dans cette analyse, nous examinerons si l’expression théâtrale, dans le cadre du parcours d’éducation culturelle et artistique (PECA), que nous avons déjà abordé dans une précédente analyse[2], peut être un atout pour l’élève en tant que citoyen. En quoi l’expression théâtrale sert-elle l’élève ? Quelle est la place du théâtre dans notre système scolaire ? Y a-t-il des freins liés à cette démarche d’apprentissage ? Nous verrons également si l’expression théâtrale est accessible à tous.

Nous précisions que nous abordons, ici, uniquement les cours d’expression théâtrale donnés par les enseignants de l’école (parfois avec le soutien d’acteurs externes) et les pièces de théâtres organisées avec les élèves, par des enseignants bénévoles qui donnent de leur temps, pour en faire un véritable projet. Nous ne parlerons pas des acteurs externes ou troupes de théâtre qui viendraient faire une représentation théâtrale dans l’école et où l’élève est spectateur (ils ont pourtant eux aussi un rôle essentiel à jouer dans le PECA !).

Dans son cursus scolaire, quand l’élève peut-il pratiquer l’expression théâtrale ?

Progressivement, avec l’établissement du PECA[3] et du cours d’éducation culturelle et artistique (ECA)[4]  (au sein du tronc commun[5]), le langage musical, le langage plastique et le langage théâtral ont le vent en poupe à l’école avec l’acquisition de savoirs progressifs.

Le PECA qui commence à l’entrée en maternelle et qui se poursuit jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire est un parcours qui a pour objectifs de permettre à chaque élève d’accéder à la vie culturelle, de rencontrer des œuvres, des artistes et des pratiques culturelles, de fréquenter des lieux culturels, mais aussi d’acquérir des savoirs, des connaissances et des compétences, dans une perspective de développement de l’esprit critique et de l’expression personnelle.

Le cours d’éducation culturelle et artistique (ECA), quant à lui, est un cours qui se donne durant tout le tronc commun. L’éducation culturelle et artistique est dispensée par le/la titulaire à raison de quatre périodes hebdomadaires en maternelle et de deux périodes pour la suite du tronc commun, tandis que la créativité est travaillée à partir de tous les domaines d’apprentissage du tronc commun. L’objectif visé est que tous les élèves vivent au minimum 2 activités par année, une à l’intérieur de l’école, et une « hors les murs ». Aucune limitation n’est évidemment établie[6].

Les élèves bénéficient ainsi, de 3 à 15 ans, d’activités culturelles et artistiques, intra et extra-muros, traversant trois modes d’expression : l’expression française et corporelle, l’expression musicale et l’expression plastique. Ce n’était pas le cas avant que les nouveaux référentiels ne soient réécrits, car ces pratiques artistiques étaient alors aléatoires. Il y a donc une amplification d’activités artistiques et culturelles à l’école. Découvrir le théâtre, le mime, l’improvisation, l’art de raconter des contes, jouer avec son corps et sa voix, exprimer des sentiments voilà des exemples bien concrets de ce que les enfants peuvent désormais expérimenter et qui se trouvent dans le nouveau référentiel d’éducation culturelle et artistique[7].

Précisons ici que les dispositions quant à l’enseignement culturel et artistique au-delà du tronc commun ne sont pas encore arrêtées. En effet, les travaux sur « l’après tronc commun » sont en cours au niveau de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il est nécessaire, en tout cas, que cette préoccupation d’encourager l’expression théâtrale soit rencontrée dans ce qui sera décidé. C’est une dimension indispensable, selon nous, des apprentissages auxquels les jeunes doivent avoir accès jusqu’à la fin de leur parcours scolaire.

Par ailleurs, on constate que certains de nos adolescents, aujourd’hui, ont une attirance pour l’expression théâtrale et choisissent des options dans lesquelles ils peuvent développer leur attrait. Le théâtre est en effet motivant et porteur de sens, spécialement à l’adolescence. Il est certainement un moyen de lutter contre le décrochage scolaire[8]. Emmanuelle Detry[9], coordinatrice PECA pour le SeGEC, affirme d’ailleurs que durant cette année scolaire 2023-2024, pour l’enseignement catholique, en secondaire, un millier d’élèves a choisi cette spécialisation en théâtre. Dans l’enseignement général de transition, au deuxième et troisième degré du secondaire, 750 élèves[10] choisissent l’option « Arts d’expression ». Cette option est donc courante dans notre paysage scolaire. N’importe quelle école peut facilement ouvrir une telle option. Dans l’enseignement technique de transition, au deuxième et troisième degré « Humanités artistiques », les élèves peuvent choisir l’option « Arts de la parole ». Dans ce dispositif « Humanités artistiques », où les cours sont donnés en collaboration avec une académie, les occurrences "Théâtre" sont les plus nombreuses et on recense environ 200 élèves inscrits[11]. Dans certaines écoles, il y a aussi une 7e année préparatoire pour les élèves qui se destinent à une carrière artistique. Les élèves choisissent alors l’option « Arts et techniques de diffusion ».

Quels bénéfices éducatifs et pédagogiques ?

L’expression théâtrale semble utile dans la construction de soi. Elle permet à l’élève d'être acteur, de s’exprimer dans tout son être (expression orale, corporelle, gestuelle) et ce devant un groupe ou un public. Avec cette pratique, l’élève est confronté au regard sur soi, il apprend à mieux se connaître et à mieux connaître les autres, à jouer un rôle et à se mettre dans la peau d'un personnage, il apprend à s'extérioriser, et surtout il apprend à être empathique, à exprimer des émotions et des sentiments. Dans l’exercice de l’expression théâtrale, la collaboration est également mise en avant. Ces caractéristiques sont précieuses pour se former à être adulte et devenir citoyen.

Il n’y a pas que dans l’enseignement de transition que le théâtre prend une place. Les élèves qui sont dans l’enseignement technique de qualification, qui n’ont pas toujours l’habitude d’aller au théâtre, ont parfois l’occasion d’expérimenter ce que le théâtre peut leur apporter. À l’école Sainte-Thérèse de La Louvière, par exemple, les élèves de 4e « TQ assistant aux métiers de prévention et de la sécurité » ont découvert l’expression théâtrale en participant à des ateliers théâtre[12].Très réticents au départ, ils ont fini par être séduits par tout ce que cela leur apportait.

L’expression théâtrale est présente également dans les classes de l’enseignement spécialisé. En réalisant ensemble un spectacle de marionnettes « la légende du colibri », les élèves de l’école professionnelle Saint-Nicolas de Namur (enseignement spécialisé) ont ressenti de l’amusement, mais aussi beaucoup de fierté[13].

Les sujets exploités lors des cours d’expression théâtrale ou lors de la mise en scène d’une pièce de théâtre amènent souvent une réflexion sur le monde, sur la société. L’aspect citoyenneté est souvent présent dans les débats qui ont lieu lors de ces cours d’expression théâtrale. C’est une pédagogie qui met la vie en acte, qui permet au jeune de développer la confiance en soi et de s’inventer lui-même dans le plaisir à jouer sous le regard des autres[14].

Quelles limites ?

Si les sujets abordés lors de la mise en scène d’une pièce de théâtre à l’école sont souvent propices à la discussion autour de sujets de société, ils peuvent aussi faire émerger des thématiques délicates que l’enseignant non préparé aura des difficultés à aborder (thème sur les genres, l’inceste, le viol, etc.). Heureusement, les enseignants ont des ressources, des éclairages et des pistes d’action à leur disposition dans les programmes, même si ce n'est évidemment pas la panacée pour toutes les situations plus compliquées. Plutôt que d’éviter les sujets délicats, il faut s’assurer d’avoir des enseignants formés à les aborder, afin que les élèves puissent devenir des acteurs de notre société. La formation des enseignants est donc importante.

Que l'on vienne d'ici ou d'ailleurs, que l’on provienne d’un milieu socio-économique privilégié ou plus défavorisé, on peut évoquer la plus-value de l’expression théâtrale pour l'apprentissage de la langue et de la lecture. Mais n’y a-t-il pas tout de même des limites ? Le manque de maitrise de la langue d’enseignement est-il un frein à l’exercice de l’expression théâtrale ? L’expression théâtrale est-elle accessible à ceux qui ont des difficultés avec la langue ? Qu’il s’agisse d’élèves d’origine étrangère, d’élèves en difficultés avec l’écrit (pour pouvoir lire ou écrire son texte), d’élèves dys, faut-il mettre en place des adaptations lors des activités d’expression théâtrale ? Si oui, quels aménagements faire selon les profils de ces élèves ?

On a souvent tendance à dire que l’élève plus timide va pouvoir combattre sa timidité grâce à l’expression théâtrale, que cela va l’aider à pouvoir s’exprimer plus tard dans sa vie d’adulte, à jouer son rôle de citoyen. Mais cette discipline est-elle accessible à tous ? L’enfant plus timide ne va-t-il pas se mettre au contraire en retrait ? Ce que l’on espère avec l’expression théâtrale ne va-t-il pas avoir l’effet inverse, l’enseignant pouvant souvent donner les plus grands rôles aux meilleurs ?

Emmanuelle Detry explique qu’il existe des écueils à cette pratique. C’est pourquoi dans les programmes[15], on demande aux enseignants d’être réflexifs et de se poser certaines questions : « est-ce que je suis dans une logique de formation ou une logique d’action ? Soit j’arrive au résultat soit j’arrive à valoriser tout le monde ? ». Le rôle de l’enseignant est d’attribuer des rôles à tout le monde (acteur, technicien, souffleur) en essayant de mettre tous les élèves sur un pied d’égalité.

L’enseignant doit gérer également la « starification ». Certains élèves aiment, en effet, se mettre en avant, d’autres préfèreront gérer des aspects techniques autour de la pièce de théâtre. C’est donc à l’enseignant d’accompagner les élèves afin que tous trouvent une place, de changer parfois les rôles. Il faut également qu’il vérifie l’adhésion de l’ensemble des élèves quant au choix de ces rôles.

L’élève peut également faire du théâtre lorsqu’un enseignant, à titre bénévole (souvent un professeur de français), décide de monter une pièce de théâtre au sein de l’école. Un autre frein, explique Emmanuelle Detry, c’est que le projet déborde : certains élèves aiment tellement l’expression théâtrale qu’ils en viennent à brosser les autres cours ou à ne pas faire leurs devoirs… Il est rare qu’une pièce de théâtre se monte dans les temps et les élèves doivent souvent répéter. Cela ne fait pas toujours l’affaire des parents ! Cela doit rester dans un cadre acceptable qui n’empiète pas sur le reste de la scolarité.

Le risque de monter une pièce de théâtre au sein d’une école, c’est de ne toucher que quelques élèves par classe alors que le PECA se veut démocratique et accessible à tous. Il semble aussi que la pratique de monter des pièces en autonomie et en interne dans les écoles perde un peu de vitesse. C'est souvent devenu un peu trop lourd pour les enseignants. D'où l'intérêt ici du PECA, et du partenariat avec un opérateur pour ne pas porter cela seul du côté enseignant, ajoute encore Emmanuelle Detry.

Conclusion

Malgré les quelques freins précités, l’UFAPEC se réjouit de voir, avec la mise en place du PECA et du cours d’ECA (au sein du tronc commun), l’essor de l’expression théâtrale à l’école. Elle attend que cet essor contribue au rôle émancipateur de l’école. En effet, grâce à l’expression théâtrale, l’élève déploie de nombreuses compétences qui lui serviront, en tant que citoyen, dans sa vie d’adulte (confiance en soi, expression orale, corporelle et gestuelle, socialisation, empathie, expression des émotions et des sentiments, débats autour de sujets de société, etc.). L’élève pourra ainsi devenir un CRACS. N’est-ce pas là ce que nous demandons, entre autres, à l’école ?

Néanmoins, afin que l’expression théâtrale se fasse de la meilleure manière possible, l’UFAPEC insiste sur l’importance de la formation des enseignants et des programmes liés au nouveau référentiel (ECA).

L’UFAPEC préconise aussi de mettre à l’ordre du jour du conseil de participation l’organisation du PECA, tant au moment de son élaboration que de son évaluation.

Au conseil de participation, les parents et les élèves (dans le secondaire) pourront donner leur avis pour améliorer les choses ou exprimer leur satisfaction dans un but constructif. Ancrer l’art et la culture à l’école, permettre aux élèves d’entrer du début à la fin de leur scolarité dans un tel parcours culturel et artistique, et surtout rendre l’art et la culture accessible à tous les élèves sont de nouveaux défis enthousiasmants.  

 

France Baie

 


[1] CRACS  : citoyen, responsable, actif, critique et solidaire – Voir l’analyse de PIERARD A., Former des CRACS, un enjeu d’actualité ?, analyse UFAPEC n°22.19, décembre 2019 - https://www.ufapec.be/nos-analyses/2219-cracs.html

[2] BAIE F. Le PECA « parcours d’éducation culturelle et artistique » permettra-t-il d’assurer un accès égal de tous les élèves à l’art et à la culture ?, analyse UFAPEC n°15.19, septembre 2019 - https://www.ufapec.be/files/files/analyses/2019/1519-PECA.pdf 

[3] Dans le cadre du Pacte pour un enseignement d’excellence, le PECA est un parcours de l’élève de l’entrée en maternelle jusqu’à la fin de secondaire qui a pour objectifs de permettre à chaque élève d’accéder à la vie culturelle, de rencontrer des œuvres, des artistes et des pratiques culturelles, de fréquenter des lieux culturels, mais aussi d’acquérir des savoirs, des connaissances et des compétences, dans une perspective de développement de l’esprit critique et de l’expression personnelle.  - voir Fédération Wallonie-Bruxelles – Le PECA, c’est quoi ? - https://www.peca.be/le-peca-cest-quoi

[4] Le PECA s’appuie sur l’ECA, le cours d’éducation culturelle et artistique, et l’englobe. L’ECA explore l’ensemble des domaines culturels et artistiques (dont l’éducation au patrimoine, à l’image, à la culture scientifique et technique mentionnés dans les référentiels du tronc commun) à travers trois dimensions : connaître, rencontrer et pratiquer. Comme tout cours, elle repose sur un référentiel. - https://pactepourunenseignementdexcellence.cfwb.be/mesures/le-peca/#questions-frequentes

[5] Fédération Wallonie-Bruxelles – Le tronc commun, un nouveau parcours d’apprentissage - http://www.enseignement.be/index.php?page=28590 - Voir aussi LONTIE M., Les enjeux d’un tronc commun polytechnique et pluridisciplinaire, étude UFAPEC N°21.20, décembre 2020 - https://www.ufapec.be/files/files/analyses/2020/2120-ET4-tronc-commun.pdf

[6] Fédération Wallonie-Bruxelles – Pacte pour un enseignement d’excellence – Le PECA - https://pactepourunenseignementdexcellence.cfwb.be/mesures/le-peca/

[8] LOKOSO B., DAMMAN Q., RENSON L., Bruxelles : comment lutter contre le décrochage scolaire ? – L’art pour lutter contre le décrochage scolaire - 6 décembre 2018 - https://journalisme.ulb.ac.be/bruxelles-comment-lutter-contre-le-decrochage-scolaire/

[9] Interview de Emmanuelle Detry effectuée par France Baie, le 28 novembre 2023.

[10] Chiffres pour l’enseignement libre catholique donnés par Emmanuelle Detry (SeGEC), le 28 novembre2023.

[11] Idem.

[12] Sainte-Thérèse à Manage/La Louvière: https://www.youtube.com/watch?v=12nHn0e0QHo&t=92s

[14] DESMARETS M. et FASBENDER J-E., Apprendre (par) le théâtre - Adolescence et théâtre : enjeux d’une pédagogie de la dramatisation, revue Études Théâtrales n. 34, Centre d’études théâtrales, Louvain-la-Neuve, 2005, pp. 67 et 68.

[15] Les programmes déterminent des orientations méthodologiques, les dispositifs et des situations pédagogiques qui sont de nature à installer ces contenus. Les programmes sont la traduction pédagogiques des référentiels et aident les enseignants à répondre à la question « comment enseigner  ??». 

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