Analyse UFAPEC avril 2021 par A. Pierard

05.21/ Covid-19 et handicap : combinaison gagnante ? Quelle prise en compte des élèves à besoins spécifiques dans le cadre de la crise sanitaire ?

Introduction

Cela fait plus d’un an que nous sommes touchés par la Covid-19. Nous avons connu des phases de confinement et déconfinement. Il y a eu des fermetures d’écoles, des classes mises en quarantaine. Les mesures sanitaires ont impacté tous les élèves comme les élèves à besoins spécifiques et leurs familles. Quelle a été la prise en compte de leurs réalités et de leurs besoins propres ? Les besoins spécifiques ont-ils été sources d’adaptation dans l’application des mesures ? Ces élèves ont-ils bénéficié des aménagements raisonnables auxquels ils ont droit ? Ou ces jeunes ont-ils plutôt été oubliés par les politiques ?

La prise en compte des profils particuliers est essentielle pour assurer le bien-être des personnes concernées, proposer un accompagnement adapté et permettre la continuité de leur scolarité et leur suivi paramédical. Dans la pratique, quelle a été cette prise en compte ? Les droits de ces élèves ont-ils été respectés par les décisions du comité de concertation en matière de scolarité, mais aussi en matière de handicap au sens large ?

Comme nous l’ont fait savoir des parents d’élèves à besoins spécifiques, lors de contacts individuels ou lors de rencontres organisées en ligne depuis le début de la crise, un sentiment d’abandon est le sentiment le plus fort de ces familles face aux mesures prises. Perte du soutien des structures adaptées et des proches, manque de répit, lourdeur du handicap, longueur de la crise, sont source de fatigue, de détresse, d’incompréhension et de colère. Comment accepter autant de temps pendant lesquels les élèves et leurs familles ont été livrés à eux-mêmes sans soutien, accompagnement et prise en charge adéquate, indispensables à la gestion du quotidien et à leur bon développement ? Ceci alors que le politique déclarait ne laisser personne au bord du chemin.

Les familles des élèves à besoins spécifiques, comme les autres familles, ne sont pas égales face à une crise comme cette pandémie. Les réalités de chacune sont différentes selon le type de handicap, la structure familiale, le niveau socio-économique, l’entourage, et les besoins de prise en charge, etc. Y a-t-il eu une prise en compte des inégalités familiales ?

Qui sont les élèves dont il est question ?

Comme défini dans le décret rendant les aménagements raisonnables[1] obligatoires, un besoin spécifique est un besoin résultant d’une particularité, d’un trouble, d’une situation permanente ou semi-permanente d’ordre psychologique, mental, physique, psychoaffectif faisant obstacle au projet d’apprentissage et requérant au sein de l’école, un soutien supplémentaire pour permettre à l’élève de poursuivre de manière régulière et harmonieuse son parcours scolaire dans l’enseignement ordinaire fondamental ou secondaire.[2]

Notre système d’enseignement se voulant de plus en plus inclusif, les élèves à besoins spécifiques se retrouvent dans l’enseignement spécialisé, mais aussi dans l’enseignement ordinaire avec des aménagements raisonnables, voire un projet d’intégration.

Selon le besoin spécifique, les réalités de chacun sont différentes et les mesures sanitaires ont des impacts multiples. Il sera plus facile pour un élève ayant un handicap sensoriel ou mental léger de porter et garder un masque que pour un élève autiste ou présentant des troubles du comportement. La communication sera plus difficile pour les élèves malentendants qui ne peuvent plus lire sur les lèvres de leur interlocuteur vu le port du masque. Les distances de sécurité seront plus facilement mises en pratique par certains que par d’autres.

Face à l’enseignement à distance (lors des périodes de confinement ou lors de la mise en place de l’enseignement hybride pour les 2e et 3e degrés du secondaire), les élèves à besoins spécifiques ne sont pas égaux. Lors d’une réunion du regroupement des parents de l’enseignement spécialisé en novembre 2020[3], une maman explique que la crise pénalise les élèves à besoins spécifiques, car ils ont peu d’autonomie par rapport aux outils informatiques. Leur maitrise de ces outils est différente selon leurs compétences et besoins spécifiques, tout comme l’outil et les applications de prédilection. Effectivement, l’utilisation du numérique est positive pour certains élèves à besoins spécifiques, car ils y étaient déjà habitués avant la crise. Par exemple, des élèves ayant des troubles d’apprentissages utilisent des applications spécifiques sur tablette ou ordinateur comme aménagements raisonnables.

La COVID elle-même peut être plus dangereuse pour les élèves plus fragiles. En novembre 2020[4], une maman évoque le confinement obligatoire de ses enfants depuis mars 2020 vu la fragilité de leur système immunitaire. Agés de 18 et 14 ans, ces adolescents atteints du syndrome d’Ehlers-Danlos[5] suivent leur enseignement à distance depuis le début de la crise sanitaire avec l’intervention de Class Contact[6] afin de rester en connexion avec le reste de la classe.

Lors de la rencontre de février, cette maman a expliqué avoir témoigné pour demander la priorisation pour la vaccination des adultes et adolescents fragiles, comme le sont ses enfants.[7]

Les parents se rejoignent dans leur peur de régression pour leurs enfants : décrochage scolaire, stress, manque de tutorat, cours à distance moins attrayant, perte de contact avec les copains… Créer et maintenir le lien, s’entraider et s’encourager est d’autant plus important pour maintenir les élèves à besoins spécifiques dans leur scolarité.

Un impact réel sur le vécu de ces élèves et de leurs familles

En plus des impacts sur toutes les familles, les élèves à besoins spécifiques et leurs proches connaissent des difficultés dues à la perte du cadre et de la routine, éléments importants pour ces élèves, par exemple pour les enfants autistes. Il peut s’agir de troubles suite à la fermeture des écoles, de tension dûe à l’absence de la séance hebdomadaire à la piscine, de la perte de contact avec un aidant proche, etc. L’affectif doit être rassurant, ce qui n’est pas le cas dans le cadre de la crise actuelle.

Du 28 avril au 1er juin 2020, UNIA a mené une enquête auprès des personnes handicapées et de leurs proches[8] afin d’entendre leur vécu et d’avoir un aperçu fiable des difficultés rencontrées par ces familles.

Sur les 865 réponses provenant de toute la Belgique, il y avait :

  • 502 réponses de personnes handicapées. La majorité de ces répondants est âgée de 26 à 65 ans et vit en famille.
  • 363 réponses de proches. La majorité de ces répondants sont des femmes de 26-à 65 ans, mères vivant en famille avec leur enfant handicapé.

Il ressort de cette enquête que la crise sanitaire a laissé des traces très profondes dans la vie des personnes en situation de handicap et de leurs familles. Elles se sont senties abandonnées ou ont eu le sentiment de ne pas vraiment compter.[9] Comme l’explique Patrick Charlier, directeur d’UNIA, en temps normal déjà, la personne en situation de handicap est confrontée à des problèmes que les autres ne connaissent souvent pas ou connaissent moins. Pendant le confinement décidé suite à la crise corona, ces problèmes ont été exacerbés et sont devenus encore plus manifestes. Les contacts sociaux ont été mis « en veilleuse », les personnes en situation de handicap ont subi une forte pression psychologique et se sont souvent senties encore plus seules que d’habitude.[10]

Perte des repères, sentiment de solitude comme chez d’autres élèves, mais aussi exacerbation des problèmes liés au handicap, mal-être lié et régression suite à l’arrêt de prises en charge paramédicales, de soins de santé, épuisement des familles, manque de clarté des informations sur les mesures sanitaires, sont source de détresse, de colère et de fatigue pour les personnes handicapées et leurs familles. L’arrêt de différents secteurs implique une prise en charge continue par les proches, sans possibilité de répit, source de surmenage et d’épuisement. Cela ressort de l’enquête d’UNIA[11] mais aussi de nos contacts avec les parents d’élèves à besoins spécifiques.

Des extraits de réponses à l’enquête d’UNIA reflètent cette réalité :

  • Perte des repères, des activités qui lui font du bien (yoga, hippothérapie), plus de suivi logo, aucune projection possible. Ces enfants ont besoin d’être occupés et accompagnés tout le temps. Enfermés, ils deviennent comme des lions en cage.[12]
  • Ici, tout est à l’arrêt et on m’a abandonné. J’ai peur que ça s’empire et ça me stresse très fort. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé tout seul alors que j’ai besoin d’un programme pour me mettre en route chaque matin, pour aller dormir le soir à une heure convenable. J’ai des soins à recevoir pendant la semaine et des activités sociales de prévues.[13]

Au début de la crise, des familles ont été soumises à un choix cornélien : laisser son enfant dans le centre d’hébergement ou le reprendre à la maison, en étant seul à s’en occuper, sans solution de répit ?

  • J’avais le choix ou laisser mon fils polyhandicapé confiné en centre d’hébergement sans possibilité de le voir et de le reprendre comme je le fais d’habitude ou le reprendre à la maison. J’ai fait un choix de cœur en préférant le reprendre à la maison pour la durée incertaine du confinement.[14]
  • J’ai été confrontée à un choix inhumain : laisser mon enfant dans son centre d’hébergement et ne plus pouvoir le voir ou le reprendre à la maison et ne plus pouvoir aller travailler. Et je ne sais toujours pas quand je pourrai le revoir ![15]

Le répit, essentiel pour les familles, permis par les écoles, les centres d’hébergement et d’autres structures, n’a pas été possible pour les proches qui ont dû s’occuper de leur enfant handicapé 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 en période de confinement ou de quarantaine. Une distinction n’a pas été envisagée pour les parents d’enfants handicapés dans le cadre du congé parental spécial Covid, mais aurait été fortement appréciée par les parents comme nous en a fait part une maman.[16]

Dans ce cadre, quel respect des droits des personnes handicapées et de leurs proches ?

Les familles font part d’un manque de prise en compte dans la prise de décisions touchant les personnes handicapées, par exemple concernant les centres d’hébergement. Il semblerait que la convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées[17] n’ait pas été respectée. L’article 4 de la convention précise qu’il faut consulter étroitement les personnes handicapées, par l’intermédiaire des organisations qui les représentent, dans l’adoption de toute décision sur des questions qui les concernent. Ces organisations ont-elles été consultées dans le cadre de la crise sanitaire ?

De plus, il y a une réelle contradiction entre les règles sanitaires et les besoins des personnes handicapées, la réalité de leurs familles et des institutions. Quel respect du port du masque selon le type et la lourdeur du handicap ? Quelle distanciation physique dans une classe du spécialisé ou un centre d’hébergement ? Des élèves à besoins spécifiques ont besoin d’aide pour se laver, se nourrir. De plus, le contact physique a une extrême importance pour certains handicaps comme, par exemple, la malvoyance ou le polyhandicap.

L’article 11 de la convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées demande de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la protection et la sûreté des personnes handicapées dans les situations de risque. Est-ce le cas ?

Le terme de « lions en cage » utilisé par une maman est fort. Quel risque au niveau psychosocial pour les élèves à besoins spécifiques, leurs parents et leurs fratries ? La crise provoque un risque de violences intra-familiales. Celui-ci est accru dans les familles concernées par le handicap.

UNIA dénonce aussi le manque d’aménagements spécifiques alors que les aménagements raisonnables sont un droit inscrit dans la loi. Bénéficier d’un accompagnant qui se tient à 1m50 de distance quand on est malvoyant ? Comprendre les mesures sanitaires imposées quand on a un handicap intellectuel ? Rester à la maison avec un enfant autiste qui développe des troubles du comportement ? Faire ses courses avec un caddie quand on n’a qu’un seul bras ? Comprendre les gens qui portent un masque quand on lit sur les lèvres ?[18] Toutes ces situations demandent des adaptations des mesures sanitaires. Si des adaptations ont été acceptées, sont-elles pour autant connues des personnes handicapées et de leurs familles ?

Des profils oubliés des décisions sanitaires 

  • Au niveau de la scolarité

Durant le premier confinement, les réalités ont été différentes selon les écoles. Les garderies, le travail scolaire, le contact avec les parents, etc. Tout cela n’a pas été géré de la même manière par toutes les écoles.

Comme en témoigne Thomas Dabeux, secrétaire politique de l’ASBL Inclusion, le suivi pédagogique des élèves par les écoles (spécialisées et ordinaires) a été très faible durant la crise, voire inexistant. Nous comprenons bien que la situation a été difficile à gérer mais de nombreux parents se sont sentis, et se sentent toujours, oubliés par la structure scolaire de leur enfant alors qu’ils vivent souvent eux-mêmes des situations familiales complexes, devant souvent jongler entre le travail à domicile et le suivi d’un enfant à besoins spécifiques. L’enseignement, à n’en pas douter, fait partie des métiers essentiels qui doivent rester sur le pont pour ne pas perdre de vue leurs élèves, a fortiori lorsque ceux-ci ont des besoins importants de soutien.[19]

Des extraits de réponses à l’enquête d’UNIA reflètent cette réalité :

  • L’école est fermée, mon fils n’a plus pu être scolarisé. Cette sociabilité et cet apprentissage lui manquent beaucoup. [20]
  • L’enseignement de mon fils s’est complètement arrêté. Il n’y a pas non plus de possibilité de travail numérique avec son type de handicap. C’est une lourde charge pour la famille car il doit toujours y avoir quelqu’un de disponible pour surveiller et aider.[21]
  • Ayant un trouble de l’attention (TDA), l’enseignement à distance […] n’est pas du tout adapté pour mon trouble de l’apprentissage, mon domicile n’est pas un lieu propice à la concentration et à l’étude.[22]

Heureusement, l’enseignement spécialisé n’a pas été oublié pour la reprise en mai 2020. Même si cette reprise n’a pas concerné tous les élèves à besoins spécifiques, elle était légère et n’a impliqué que peu de jours de présence à l’école. Elle a permis de refaire du lien. Lien important, comme l’explique l’ONU. Pour de nombreux enfants en situation de handicap, les relations avec les pairs, le sentiment d’appartenance et la compétence sociale sont autant d’aspects importants de leurs plans d’éducation respectifs qui, lorsque les écoles sont fermées, sont remis en question. En cas de fermeture des écoles, de nombreux enfants en situation de handicap risquent également d’être privés d’accès à des services complémentaires.[23]

La mise en place d’un enseignement hybride pour les deuxième et troisième degrés du secondaire (ordinaire et spécialisé) n’est pas profitable à tous les élèves à besoins spécifiques. Si certains sont habitués à utiliser un outil numérique, d’autres peuvent être déboussolés par l’enseignement à distance. C’est ce que défend l’ONU. Les élèves à besoins spécifiques sont les moins susceptibles de bénéficier de solutions d’enseignement à distance. Le manque de soutien, d’accès à internet, de logiciels et de matériel d’apprentissage accessibles risque de creuser le fossé pour ce groupe. La perturbation des programmes de formation et de développement des compétences risque d’avoir des effets considérables sur les jeunes en situation de handicap, qui doivent surmonter une pléthore d’obstacles pour entrer dans la vie active.[24] Selon l’ONU, il faut donc veiller à ce que l’enseignement à distance soit accessible, à ce que les programmes de retour à l’école soient inclusifs et adaptés, à tenir compte de l’écart creusé, et à remédier aussi aux conséquences autres que celles purement liées aux apprentissages.

Si des adaptations ont été pensées pour l’enseignement spécialisé et sont mises en place dans les établissements du spécialisé, la ligne directrice des mesures était la même pour tout l’enseignement obligatoire. Pourquoi ne pas avoir fait plus de différenciation ?

  • Au niveau du suivi paramédical

La fermeture des écoles a impliqué non seulement l’arrêt des apprentissages pédagogiques, mais aussi le suivi thérapeutique et paramédical (kinésithérapie, logopédie, etc.) au sein des écoles de l’enseignement spécialisé. Pour beaucoup d’élèves à besoins spécifiques, l’école est un lieu important pour ce suivi, même si certains ont de la kinésithérapie ou une autre thérapie en dehors de l’école. La circulaire n°7757 du 29 avril 2020 adressée aux établissements d’enseignement spécialisé ne permet pas aux établissements de poursuivre les apprentissages et le suivi paramédical.

De plus, les professionnels externes à l’école ont aussi dû s’adapter, voire stopper temporairement le suivi. Certains proposent des séances de suivi psychologique, logopédique ou autre en visioconférence, ce qui ne correspond pas forcément aux besoins de l’élève.

Thomas Dabeux alerte sur l’importance du suivi thérapeutique des élèves à besoins spécifiques. Il y a fort à craindre que, pour ces élèves, il y ait un gap d’au moins six mois dans leur suivi. C’est énorme pour de jeunes enfants en plein développement et nécessitant souvent un accompagnement intensif et rapproché.[25] Le suivi paramédical est essentiel pour le développement de ces élèves. Des parents craignent une stagnation, voire une régression, de leur enfant. Une jeune fillette ayant les capacités d’une fillette d’un an (grâce à beaucoup de stimulation) à qui on ne propose pas de thérapie (kiné, logo, ergo) pendant quelques mois… Cela provoquera un retard beaucoup plus important. Juste au moment où elle commençait à dire et apprendre beaucoup de mots.[26]

Comme en témoigne un parent, les politiques oublient tous nos enfants en grande dépendance qui suivent leurs thérapies à l’école : kiné, logopédie, ergothérapie, etc. nous ne pouvons pas organiser tout ça à domicile ou à distance. (…) Rien, absolument rien n’est mis en place pour nos enfants particuliers. Et nous, parents, sommes à bout. [27]Cette vision des choses ressort de beaucoup de réponses à l’enquête d’UNIA et de nos contacts avec des parents d’élèves à besoins spécifiques : des élèves en grande dépendance, des familles à bout et un manque de la part de l’Etat dans la prise en compte du handicap dans la gestion de la crise sanitaire. Un problème soulevé par les familles, les institutions et les associations du monde du handicap est celui de la non prise en compte à la base des différences dans notre société et de la méconnaissance de la réalité des personnes handicapées et de leurs familles. Ce manque de considération, et donc d’anticipation et de prévoyance, est source d’inégalité. Quelle corrélation entre le handicap, la situation familiale et les impacts de la crise sanitaire ?

Dans la réalité, les situations sont toutes différentes. Certains élèves ont bien évolué et ont fait des bonds au niveau des apprentissages, du langage, de la motricité, etc., avec le soutien de leurs proches. D’autres ont stagné voire régressé. Cela dépend de plein de facteurs : compétences de l’enfant, volonté de l’enfant, disponibilité des parents, compétences des parents, etc. Les élèves à besoins spécifiques ne sont pas égaux face à l’évolution de l’enseignement en période de crise sanitaire et l’absence de suivi paramédical.

L’enseignement à distance a pu être bénéfique pour certains élèves à besoins spécifiques : moins de stress, absence des longs trajets en transport scolaire, adaptation du temps de travail selon leurs besoins spécifiques, etc. Il ne faut pas pour autant livrer les élèves à besoins spécifiques à eux-mêmes. Ceux-ci ont besoin du contact humain pour accompagner leurs apprentissages et d’un accompagnement adapté, individualisé, comme le propose l’enseignement spécialisé. Si la crise a reconnu l’importance du métier d’enseignant, celle-ci est accrue dans l’enseignement spécialisé et pour des élèves à besoins spécifiques.

Comme nous l’avons abordé dans une précédente analyse[28], le suivi paramédical peut être lourd dans le quotidien de l’enfant. La diminution de ce suivi peut-elle donc avoir un effet bénéfique ? Si le confinement a permis à certains élèves de souffler, c’est parce que les journées et trajets sont trop longs et non-respectueux de leur bien-être. Si la famille a les ressources pour aider l’enfant et si un suivi moins régulier ou en visioconférence convient, cette évolution permise par la crise peut faire du bien aux élèves à besoins spécifiques. Mais le suivi n’a pas à être pris en charge uniquement par les familles ou par l’intermédiaire d’un écran. C’est une grande source d’inégalité.

Des spécificités sources de souplesse

Des mesures sanitaires ont été adaptées au regard des spécificités des élèves à besoins spécifiques. Dérogation pour le port du masque, accompagnement pour les rendez-vous médicaux et d’autres activités, enseignement en présentiel à 100 % dans certaines écoles spécialisées, rencontres avec les parents pour les aménagements raisonnables considérées comme essentielles, enseignants du spécialisé considérés comme prioritaires pour la vaccination par la ministre Caroline Désir. Des mesures et des perspectives positives sont mises en place.

Concernant le port du masque, l’intérêt d’alternatives (masques transparents, visières, plexiglas) a vite été soulevé et reconnu. C’est important pour les malentendants. Il faut comprendre que la majorité des personnes sourdes […] communiquent également (pour ne pas dire principalement) visuellement. Pour les oralistes (lecture labiale), ce masque est une catastrophe dans la mesure où il les isole davantage du monde.[29] Il est même accepté, pour faciliter la communication, d’enlever son masque pour parler à un malentendant lisant sur les lèvres. Ces alternatives sont essentielles !

Les institutions responsables en matière de handicap, la COCOF[30] et l’AVIQ[31], comme l’explique Farah Ayari, directrice de la coupole bruxelloise de l’autisme, ont fait preuve d’indulgence et de flexibilité, laissant aux institutions une marge d’interprétation des circulaires, en fonction de leur réalité de terrain. (…) A un moment, c’en était trop et j’ai interpellé la Cocof : il fallait trouver une solution et permettre à nos résidents de voir leur famille. La Cocof nous a finalement obtenu une dérogation et nous avons été autorisés à mettre en place des retours le week-end, dès le 22 mai.[32]

En matière d’enseignement, les écoles spécialisées ont eu aussi une marge de manœuvre pour interpréter les circulaires et coller à leur réalité de terrain. Comme en témoigne Frédérique Verhulst, directrice de l’Escalpade à Limal[33], nous sommes autorisés à maintenir le présentiel à 100 % pour nos élèves, car nous avons des classes de maximum huit élèves (parfois seulement deux élèves). Vu la taille des classes, il est tout à fait possible de respecter scrupuleusement les règles sanitaires en maintenant tous les élèves présents.[34]

Frédérique Verhulst poursuit en exprimant qu’une majorité des élèves vont bien et sont heureux d’être à 100 % en présentiel à l’école. C’est un réel bénéfice pour eux de pouvoir les suivre en classe et les soutenir à temps plein. Cela fait du bien pour une grande partie des élèves, mais aussi pour l’équipe. Il y a une vraie vie au sein de l’école ![35]

Il faut reconnaitre les capacités d’adaptation remarquables de certains, que ce soit dans les familles, les écoles ou les institutions. Des personnes handicapées se débrouillent elles-mêmes face à la situation. Des proches accompagnent, soutiennent et pallient le manque de suivi paramédical. Des équipes encadrantes prennent des initiatives en pensant au bien-être des personnes handicapées.

Comme exposé dans la note de synthèse de l’ONU, l’inclusion du handicap rend les systèmes plus souples et donc mieux à même de s’adapter aux situations complexes, en ciblant les personnes les plus à la marge avant toutes autres.[36] Faire du handistreaming semble essentiel dans notre société actuelle. Il s’agit de vérifier toute mesure prise ou législation en projet quant à son impact sur les personnes en situation de handicap. Un répondant à l’enquête d’UNIA va dans ce sens en disant que les règles ont été édictées pour une majorité de personnes, mais la question du handicap (mais aussi pour d’autres minorités) a été assez vite éludée, et ces fractures seraient moins criantes si on pensait l’accessibilité pour tous comme un réflexe dans les périodes hors des crises.[37]

Conclusion

Comme pour d’autres personnes aux profils particuliers, le politique n’a pas anticipé les conséquences négatives de certaines mesures telles que la fermeture des écoles pour les élèves à besoins spécifiques. Une fois de plus dans l’histoire de l’enseignement spécialisé, ce sont les acteurs de terrain, professionnels et familles, qui ont dû tirer la sonnette d’alarme pour que des dérogations et des adaptations soient données. Pour une société qui parle d’inclusion, on découvre avec inquiétude qu’une fois de plus, la réalité se heurte aux bonnes intentions.

Le plus gros manque est celui de la non prévoyance et du manque d’anticipation des impacts des mesures sur les personnes handicapées. Les familles, les services et les associations concernées soulèvent un manque de prise en compte du handicap et de mise en place des aménagements nécessaires par les politiques. C’est à la demande du terrain que des adaptations ont été décidées. Un problème est resté celui de la connaissance des ajustements et mesures spécifiques par les personnes handicapées et leurs familles.

La situation actuelle reste particulièrement difficile pour ces personnes, car les mesures générales de bulle sociale et de distanciation restent indispensables. Ces mesures ne prennent pas en compte l’importance du contact, de l’humain et de la solidarité pour les élèves à besoins spécifiques. Ces mesures sont toutefois essentielles, d’intérêt public.

L’UFAPEC pense qu’il faut garantir le respect des besoins et des droits des personnes handicapées, comme ceux de tous citoyens, dans la lutte contre la Covid-19. L’inclusion du handicap dans la riposte à la COVID-19 et la relance consécutive sera dans l’intérêt général puisque, en rendant les systèmes plus souples et plus accessibles, elle les rendra mieux à même de s’adapter aux situations complexes en ciblant en premier lieu les personnes les plus à la marge, ouvrant ainsi la voie à un avenir meilleur pour toutes et tous.[38] La sensibilisation aux différences est donc primordiale.

Penser accessibilité, consultation, participation, protection sociale et soutien adapté est bénéfique pour l’ensemble des citoyens. La crise a permis de prendre conscience de fragilités et de faiblesses au sein de la population (impacts lourds pour certains publics, profils identifiés à risques) et de faire cheminer sur la reconnaissance de besoins particuliers et la prise en compte de chacun dans sa spécificité.

 

Alice Pierard

 


[1] Un aménagement raisonnable est une mesure concrète permettant de réduire, autant que possible, les éléments de l’environnement sources de handicap pour l’élève à besoins spécifique.  Au niveau scolaire, un aménagement raisonnable peut être matériel, pédagogique ou organisationnel.

[2] Décret relatif à l’accueil, à l’accompagnement et au maintien dans l’enseignement ordinaire fondamental

et secondaire des élèves présentant des besoins spécifiques, 7 décembre 2017, p. 1.

[3] Réunion en ligne du regroupement des parents de l’enseignement spécialisé, animée par Alice Pierard, le 24 novembre 2020. Ce regroupement rassemble les parents et associations de parents affiliés à l’UFAPEC.

[4] Idem.

[5] Maladie génétique, rare et orpheline liée à une anomalie du collagène. Le collagène est une protéine qu’on retrouve dans tous les tissus (peau, muscles, ligaments, organes, os) et qui sert d’armature au tissu conjonctif. Les personnes touchées par ce syndrome ont donc un système immunitaire plus faible.

[6] L'asbl ClassContact met gratuitement à disposition de l'enfant malade les moyens informatiques nécessaires pour rester connecté avec sa classe depuis l'hôpital ou la maison. Plus d’informations : ClassContact, Connecte l’enfant malade - Accueil

[7] Réunion en ligne du regroupement des parents de l’enseignement spécialisé, animée par Alice Pierard, le 3 février 2021.

[8] UNIA, Covid et droits humains : impacts sur les personnes handicapées et leurs proches. Résultats de la consultation, juillet 2020.

[9] UNIA, La crise du coronavirus a eu un impact dramatique sur les personnes en situation de handicap, 8 juillet 2020, La crise du coronavirus a eu un impact dramatique sur les personnes en situation de handicap | Unia

[10] Idem.

[11] UNIA, Covid et droits humains : impacts sur les personnes handicapées et leurs proches, op. cit., p. 35.

[12] UNIA, Covid et droits humains : impacts sur les personnes handicapées et leurs proches, op. cit., p. 35.

[13] Idem, p. 16.

[14] Idem, p. 33.

[15] Idem, p. 33.

[16] Réunion en ligne du regroupement des parents de l’enseignement spécialisé, animée par Alice Pierard, le 24 novembre 2020.

[18] UNIA, Covid et droits humains : impacts sur les personnes handicapées et leurs proches, op. cit., p. 2.

[19] Inclusion ASBL, « Enseignement : pour les élèves à besoins spécifiques, l’arrêt des cours signifie aussi l’arrêt du suivi thérapeutique et/ou paramédical », communiqué de presse du 8 mai 2020, Communiqués de presse - Publications - Inclusion asbl (inclusion-asbl.be)

[20] UNIA, Covid et droits humains : impacts sur les personnes handicapées et leurs proches, op. cit., p. 38.

[21] Idem.

[22] Idem, p. 19.

[23] Nations Unies, Note de synthèse : inclusion du handicap dans la riposte à la COVID-19, mai 2020, covid-19_inclusion_du_handicap.pdf (un.org),, p. 16.

[24] Idem, pp. 6-7.

[25] Inclusion ASBL, « Enseignement : pour les élèves à besoins spécifiques, l’arrêt des cours signifie aussi l’arrêt du suivi thérapeutique et/ou paramédical », op. cit.

[26] UNIA, Covid et droits humains : impacts sur les personnes handicapées et leurs proches, op. cit., p. 36.

[27] HOVINE A, « Une plateforme offre un peu de répit aux parents d’enfants en situation de handicap : "Les politiques oublient nos enfants qui suivent leurs thérapies à l’école" », in La Libre, 29 mars 2021, Une plateforme offre un peu de répit aux parents d’enfants en situation de handicap : "Les politiques oublient nos enfants qui suivent leurs thérapies à l’école" - La Libre

[28] PIERARD A, Double journée des EBS ? bénéfique pour leurs apprentissages ?, analyse UFAPEC n°20.20, décembre 2020, Ufapec - 20.20/ Double journée des EBS, bénéfique pour leurs apprentissages ?

[29] UNIA, Covid et droits humains : impacts sur les personnes handicapées et leurs proches, op. cit., p. 18.

[30] Commission communautaire française de la Région de Bruxelles-Capitale.

[31] Agence pour une vie de qualité.

[32] VAN REETH C., « Covid : le double handicap », in Alter Echos, n°486, septembre 2020, Covid : le double handicap – Alter Echos, p. 12.

[33] Ecole secondaire spécialisée de type 4 organisant les formes 1 et 4.

[34] Témoignage recueilli par téléphone le vendredi 12 février 2021.

[35] Témoignage recueilli par téléphone le vendredi 12 février 2021.

[36] Nations Unies, Note de synthèse : inclusion du handicap dans la riposte à la COVID-19, op. cit., p. 2.

[37] UNIA, Covid et droits humains : impacts sur les personnes handicapées et leurs proches, op. cit., p. 45.

[38] Nations Unies, Note de synthèse : inclusion du handicap dans la riposte à la COVID-19, op. cit., p. 20.

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