Analyse UFAPEC avril 2022 par A. Floor

05.22/ Les élèves en souffrance psychique sont-ils aussi des élèves à besoins spécifiques (EBS) ?

(…) la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres.

Extrait de la Constitution fédérale de la Confédération suisse

 

Introduction

Lors d’une soirée organisée par l'UFAPEC, en mai 2021 avec différents intervenants qui accompagnent des élèves à besoins spécifiques (EBS) dans l'enseignement ordinaire[1], il était ressorti que certains profils d’élèves à besoins spécifiques bénéficiaient d'une meilleure reconnaissance que d’autres.  En effet, au vu des retours des parents depuis ces trois dernières années et des acteurs interrogés en mai, les élèves "dys" font partie des mieux lotis parmi les EBS. Il est, en effet, évident pour tous les acteurs et parents interrogés qu'un enfant dys fait partie des EBS. D'ailleurs, les fiches outils éditées par la FWB à destination des enseignants pour l'accompagnement des EBS font la part belle aux dys (7 fiches sur les 12). Les parents ayant des enfants avec des troubles d’apprentissage osent à présent, pour la plupart, franchir les portes de l’école, parler des difficultés rencontrées par leurs enfants. Cela ne fut pas toujours le cas et le décret du 7 décembre 2017[2] y est certainement pour quelque chose. Nous saluons cette avancée. Cependant tous les besoins spécifiques ne sont pas logés à la même enseigne. Les intervenants avaient, entre autres, pointé combien les élèves atteints de maladies chroniques, de difficultés psychologiques ou ayant un diagnostic plus difficile à partager par les parents étaient laissés de côté.

Nous recevons depuis la rentrée scolaire de nombreuses questions de la part de parents ou d’enseignants sur la question de l’accompagnement des élèves en détresse psychique. Faut-il en parler à l’école et qu’en dire ? A qui s’adresser ? Comment réagir lorsque l’enfant ou le jeune refuse que l’on en parle ? Ces élèves rentrent-ils dans le cadre du décret aménagements raisonnables ? Peuvent-ils être considérés comme étant à besoins spécifiques ? Nous pensons à l’UFAPEC qu’il est urgent de se pencher sur cette question : pourquoi est-il plus difficile de cerner et de prendre en considération les besoins psychologiques des élèves ? Qu’est-ce qui fait obstacle dans la communication entre l’école et les familles d’élèves concernés ? De quels moyens les écoles bénéficient-elles pour accompagner ces élèves ? C’est un enjeu de société fondamental que de prendre soin des plus fragiles. Surtout dans ce contexte où la santé mentale de tous et surtout de nos enfants et jeunes est mise à mal.

Qui sont ces élèves en souffrance psychique ?

Nous avons organisé une soirée le 22 février dernier sur la communication avec l’école quand on est parent d’élève en souffrance psychique. La soirée a été bâtie sur base des questions et attentes des parents exprimées via un formulaire électronique à compléter lors de l’inscription. Une question nous est revenue régulièrement sur ce que signifie être en souffrance psychique, à partir de quand s’inquiéter, quels sont les signes d’alerte ? Hélène Pensis, psychologue-psychothérapeute au service de santé mentale Entre-Mots[3], reconnait qu’il n’est pas aisé d’identifier une difficulté mineure et passagère de manifestations qui signent une souffrance psychique, surtout que celle-ci peut être silencieuse. Plus un jeune va mal, moins il sollicitera de l’aide, avertit-elle. Les signaux d’alerte sont les suivants : la répétition dans la durée, dans l’intensité, dans la fréquence, une rupture brutale par rapport au comportement habituel. Les adultes qui entourent l’enfant peuvent se poser les questions suivantes : Y a-t-il d’autres personnes qui partagent les mêmes inquiétudes qu'eux ? Est-ce la première fois qu'ils font ce constat ? Elle insiste sur l’importance de ne pas rester seul face à des tels questionnements, que l’on soit parent ou enseignant. Pour elle, l’école et les intervenants psycho-sociaux autour de l’enfant ont à s’entretenir avec l’élève, à rencontrer les parents et, si nécessaire, à orienter l’élève vers une structure de prise en charge spécialisée. Elle rappelle également que l’hybridation et les confinements successifs ont révélé un certain nombre de souffrances latentes. Mais ce contexte a aussi entrainé des difficultés particulières chez des jeunes qui fonctionnaient bien avant.

Sabine, éducatrice en secondaire et responsable de la cellule dys, met en évidence ce rôle de sentinelle de l’école et, en particulier, des éducateurs : On observe beaucoup les élèves et c’est en les observant que l’on peut constater leur mal-être. Un élève qui est toujours tout seul sur le temps de midi ou qui travaille systématiquement tous les temps de midi, un élève qui change de comportement : ils viennent souvent nous parler de choses ou d’autres et subitement ils ne viennent plus du tout nous parler. Cela doit nous interpeller aussi. Les élèves que l’on retrouve dans toutes les bêtises : qu’est-ce qui se cache là-derrière ?

Ces élèves ayant des besoins psychologiques peuvent-ils être considérés comme des élèves à besoins spécifiques ?

Que dit le décret relatif à l’accueil, à l’accompagnement et au maintien dans l’enseignement ordinaire fondamental et secondaire des élèves ?  Ce décret prévoit que tout élève de l'enseignement ordinaire présentant un ou des besoin(s) spécifique(s) est en droit de bénéficier d'aménagements raisonnables appropriés, pour autant que sa situation ne rende pas indispensable une prise en charge par l’enseignement spécialisé. Et la définition d'un besoin spécifique est la suivante : besoin résultant d'une particularité, d'un trouble, d'une situation permanents ou semi-permanents d'ordre psychologique, mental, physique, psycho-affectif faisant obstacle au projet d'apprentissage et requérant, au sein de l'école, un soutien supplémentaire pour permettre à l'élève de poursuivre de manière régulière et harmonieuse son parcours scolaire dans l'enseignement ordinaire fondamental ou secondaire[4]. Un élève en souffrance psychique peut donc être considéré comme élève à besoins spécifiques au regard du décret.

C’est ce que confirme d’ailleurs Gengoux Gomez, secrétaire général-adjoint de la FCPL (Fédération des Centres PMS Libres) : Le décret aménagements raisonnables (AR) a une définition très large de ces besoins spécifiques qui peuvent être soutenus. Une des difficultés, c’est que très vite après ce décret, l’administration de l’enseignement a sorti des fiches outils[5] qui ont été envoyées dans les écoles et qui ont épinglé des catégories : dys, TDA/H… Mais derrière toutes ces catégories, le décret AR parle de besoins psycho-affectifs, de besoins psychiques. Pour un enfant qui ne va pas bien, il peut y avoir des aménagements raisonnables mis en place. Ces réunions de concertation peuvent donc aussi dans ces cas-là être activées avec le thérapeute, le CPMS pour identifier les besoins du jeune et voir comment l’élève peut se sentir au mieux.

Comment sont présentés les élèves en souffrance psychique dans ces fiches-outils ? Les maladies psychiques sont intégrées dans une fiche globale réunissant les maladies invalidantes. Par maladie invalidante, il faut comprendre une maladie grave de longue durée (ex. cancer), une maladie chronique (ex. asthme, diabète, épilepsie…) ou une maladie psychique (ex. dépression, phobie scolaire, troubles anxieux, problèmes du comportement alimentaire, psychose…).[6] Cette présentation nous semble plutôt desservir la cause de ces élèves ; il faut en effet fouiller pour les trouver au milieu des maladies invalidantes. À côté de ce manque de visibilité et de reconnaissance, nous allons explorer en quoi la communication avec l'école quand on est parent d'élève en souffrance psychique peut s'avérer complexe.

Communiquer avec l’école

  • Besoins d’ordre psychologique : plus difficile d’en parler

Hélène Pensis explique que la communication vers l’école est un vrai défi pour les parents. La souffrance psychique d’un enfant bouscule tout le monde : l’école et la famille. C’est plus facile de revenir vers l’école en parlant de dysorthographie ou dyscalculie et des aménagements à mettre en place que de venir avec des difficultés, des souffrances psychiques. En tant que parent, on est aussi autrement remis en question quand on est avec un enfant qui a des souffrances psychiques qu’un enfant qui a des troubles avérés d’apprentissage. Hélène Pensis fait part de la peur de l’école d’avoir à gérer ces problèmes d’ordre psychologique en plus de tout le reste. Dans le milieu scolaire, la souffrance psychique fait peur aussi car c’est déjà un défi en soi que de gérer un groupe classe. La tentation, c’est d’essayer d’étiqueter et de mettre dans des cases. Or, ce n’est pas l’étiquette qui va aider une école, mais plutôt d’identifier ce dont l’élève a besoin. Bénédicte, enseignante relais EBS dans le secondaire,[7] explique que les élèves en souffrance psychique de son école ne sont pas repris dans la liste des élèves à besoins spécifiques. Nous avons des élèves en burn out, dépressifs, avec une phobie scolaire. Bien souvent, ils n’ont pas de problèmes scolaires. L’école les envoie plutôt au CPMS, c’est comme si le psychologique, c’était pour le CPMS.

Michèle Lux, bénévole à l’École à l’hôpital et à domicile, observe une difficulté des parents à aller vers l’école. Ces parents lui partagent leur crainte de ne pas se sentir entendus ni compris par l’école. Ils ont parfois le sentiment que l’école n’a pas pris la mesure des difficultés de leur enfant. Ils sont aussi très pris par la gestion de la thérapie ou de la maladie (rendez-vous médicaux, traitement…). Bénédicte relève aussi davantage de difficultés dans la relation familles-écoles quand il s’agit de besoins spécifiques d’ordre psychique. Il y a beaucoup plus d’affect et de désarroi du côté familial. Cela exige beaucoup d’empathie, de prise de distance et de lâcher prise. Il ne faut pas prendre leur agressivité pour soi, ils sont dépassés par une situation qui leur fait terriblement peur.[8]

  • Communiquer avec l’école même si son enfant refuse totalement d’en parler ?

Les enfants et les jeunes en souffrance font tout pour cacher leurs difficultés. Ils ont très peur de ce que les autres vont penser. Ils vont donc freiner cette communication vers l’école. Ce constat ressort unanimement des témoignages et des questions posées par les parents lors de notre soirée du 22 février. Cela explique aussi pourquoi, bien souvent, l’école n'est au courant de rien jusqu’à ce que le jeune aille tellement mal qu’il n’arrive plus à le cacher. Hélène Pensis explique que, lors de ses consultations en cabinet, elle va voir comment l’enfant fonctionne dans les différentes sphères de sa vie : familiale, scolaire et parascolaire (loisirs). Un enfant qui ne fonctionne plus dans aucune des trois sphères est un enfant qui ne va vraiment pas bien. Un enfant qui arrive à fonctionner dans la sphère scolaire arrive à préserver une certaine partie de sa vie et cela peut être important, selon elle, de respecter cela. Les questions à se poser alors sont les suivantes : à quel moment est-ce important d’échanger autour de cela ? Le jeune est-il d’accord ? Quelles conséquences positives et négatives ? Est-ce que mon enfant peut identifier des personnes de confiance à l’école pour parler ? Quels mots mettrait-il sur ce qu’il vit ?

Pour Hélène Pensis, il est important d’obtenir l’accord de son enfant avant d’aller parler à l’école. Elle nuance cependant en fonction de l’état de l’enfant. Il y a des jeunes qui sont trop en souffrance et qui se mettent en danger, c’est de la responsabilité de l’adulte, du parent d’en parler à l’école. Il faudra alors au minimum informer le jeune que l’on va parler à l’école.

Gengoux Gomez évoque aussi la diversité des chemins, des voies d'entrée pour arriver jusqu'à l'école : éducateur, titulaire, mail à la direction, CPMS… Il est important, pour les parents, de réfléchir à la situation dans laquelle le jeune est et à l'impact que cela aura pour l’école. Il sera peut-être nécessaire de rencontrer la direction si des aménagements organisationnels sont à envisager.

Rappelons également à quoi sont tenus les différents acteurs scolaires en termes de confidentialité ou devoir de réserve. Le choix de la personne de contact pourra aussi être guidé par cet élément. Les personnels des CPMS et PSE sont soumis au secret professionnel, cela peut donc être une des portes d’entrée quand on veut obtenir une confidentialité, rappelle Gengoux Gomez. Les enseignants et les éducateurs sont soumis au devoir de discrétion[9]. En revanche, ce qui se dit au conseil de classe doit rester confidentiel. Les psychologues sont soumis au secret professionnel strict. Aucune communication avec l’école sans les parents et sans le jeune, précise Hélène Pensis.

  • Pourquoi communiquer avec l’école ? Que dire ?

Anne, titulaire de 5e en secondaire et maman d’une élève en phobie scolaire, explique que, si l'école n'est au courant de rien, elle ne pourra pas prendre en compte la situation, ni mettre en place des adaptations. Un élève en souffrance psychique est difficile à détecter, car il va tout faire pour donner le change jusqu'à ce qu'il n'en soit plus capable. Il y a beaucoup de souffrance silencieuse dans les classes. Et si on ne nous en parle pas, c’est vraiment très compliqué à voir, déclare-t-elle. La majorité de mes élèves en souffrance ne sont pas en échec et sont plutôt dans une recherche de la performance. Ils se mettent beaucoup de pression.

Informer l'école via un membre du personnel quel qu’il soit est la première étape pour établir un dialogue. Ce qui sera le plus utile pour les enseignants sera de connaitre ses besoins, les leviers à actionner pour l'aider : Nous ne discuterons pas de la même façon en conseil de classe si nous ne connaissons rien de la souffrance de l’élève ou si nous avons un minimum d’éclairage sur ce qui se passe pour cet élève. Cela va nous permettre de proposer des pistes d’adaptations comme une diminution de la pression, des aménagements de matières, des aménagements pour les évaluations, la mise en place d'un cadre sécurisé pour l’élève en fonction de ses besoins médicaux…

 Elle partage aussi lors de cette soirée le parcours de sa fille en phobie scolaire et pour laquelle l'école n'avait rien vu. A la base, elle se suradaptait, car elle ne voulait absolument pas que l’on en parle à l’école. C'est une élève idéale, très douée scolairement, souriante, première de classe, déléguée de classe, tout le monde l’aime bien, alors qu'elle a des pensées suicidaires et lutte chaque matin pour aller à l’école. Elle ne voulait pas en parler, car elle se sentait déjà tellement extraterrestre et incomprise de tous qu’elle voulait encore moins qu’on en parle. Dans sa première école, la première personne à qui elle a parlé n'a rien compris et cela a été la catastrophe. C’est donc essentiel d’identifier la bonne personne de confiance : je lui ai demandé dans sa nouvelle école de me dire en qui elle avait confiance et à qui elle voulait s’adresser. On a trouvé les personnes avec qui elle se sentait bien. Cela lui permet d’avoir des alliés à l'école. Cette communication avec l'école lui a permis de se sentir plus acceptée dans sa différence, même si cela ne résout pas le problème : elle ne se sent plus humainement isolée. Elle sent qu’elle a sa place à l’école, dans sa différence. Elle se sent accompagnée pour trouver son chemin quel qu’il soit. Le fait d’avoir pu communiquer, d’avoir pu être entendue et reconnue dans sa différence, cela l'aide dans son cheminement personnel.

Anne explique qu'une demande d'aménagements a été faite dans la seconde école sur base d'un certificat médical demandant qu'elle puisse sortir de la classe en cas de crises d’angoisse. En coordination avec la pédopsychiatre, la direction, l’éducateur, sa titulaire et un autre professeur, une procédure a été mise en place pour lui permettre de sortir de la classe de façon sécurisée. Il était important d'en parler avec l'école car même si elle a une autorisation de sortie de la classe, l’école doit à tout moment pouvoir savoir où elle est. Elle doit donc systématiquement prévenir l’éducatrice ou lui envoyer un sms si elle n'est pas là pour dire où elle se trouve à tout moment. Elle souffre aussi d'hyperacousie[10] et a l'autorisation de mettre ses écouteurs quand le bruit est générateur de trop d’anxiété aux cours. Il y a ainsi plein de petits aménagements mis en place car, au fil du temps, nous avons pu identifier quels étaient ses besoins.

Bénédicte explique que bien souvent, ce qui manque pour ces élèves, c'est d'avoir un professionnel qui dit les besoins de l'élève et donne des pistes d'aménagements, comme éviter les travaux de groupe ou les exposés oraux, demander une rentrée aménagée (mi-temps médical)… J'ai des jeunes qui reviennent de service psychiatrique et nous ne recevons aucune demande d'aménagements.[11]

Tiers médiateur

Michèle Lux qui est bénévole à l’École à l’hôpital et à domicile fait le lien entre l’école, l’élève et les parents. Elle arrive à bâtir, dans la plupart des cas, un partenariat positif avec les enseignants, car ils prennent mieux la mesure de la situation si c‘est un tiers extérieur qui en parle que si ce sont les parents. De plus, ce tiers extérieur est aussi professionnel de l’enseignement puisque ce sont des enseignants retraités qui travaillent à l’EHD. On se met en contact avec l’école, on fait le lien, on propose des solutions et cela soulage les parents. Quand on explique à l’école les difficultés dans les apprentissages ou dans le lien à créer avec le jeune, l’école comprend mieux combien la situation est compliquée. En général, ils essaient de trouver des solutions avec nous. Nous travaillons avec les enseignants, la direction, nous participons au conseil de classe, nous essayons de trouver des solutions, des AR (supprimer une partie de la matière, ne prendre que les essentiels). Des solutions sont mises en place pour permettre à l’enfant de se reconnecter à l’école et d’être plus rassuré pour son avenir et pour sa façon d’y retourner. Et en général quand ils y retournent, cela se passe mieux parce que tout le monde a compris que c’était vraiment nécessaire de travailler en collaboration autour du jeune.

Dans la fiche outil sur les maladies invalidantes, il est préconisé d’identifier dans l’école une personne ressource pour (r)établir les liens famille/école, enseignant/élève, élève/pairs… et gérer les relations avec les partenaires extérieurs[12]. Cet aménagement prend tout son sens au vu des obstacles que nous venons d’identifier. Les familles sont mises en difficulté et ébranlées par ce que traverse leur enfant et l’école ne perçoit pas toujours l’ampleur de la situation vécue par l’élève étant donné que celui-ci essaie de dissimuler sa souffrance ; le fossé qui sépare les deux parties est donc grand. Avoir au sein de l’équipe éducative une personne-ressource formée à cette thématique particulière semble indispensable. Bénédicte joue ce rôle-là dans son école : Je rencontre les jeunes et je leur demande de m'expliquer ce qu'ils ne supportent pas en classe, ce qui est difficile pour eux et j'identifie alors des aménagements avec eux. Ces élèves ont besoin de documents médicaux, d'une personne qui connaisse bien le système scolaire et d'une personne qui est capable de dire de quels aménagements ils ont besoin. Les psychiatres doivent savoir qu'ils ont le droit de demander des aménagements à l'école pour leur patient. Il est important aussi de former les personnes ressources des EBS et des pôles territoriaux sur ces questions-là.[13]

De quels moyens les écoles bénéficient-elles pour accompagner ces élèves ?

Tous les intervenants de la soirée du 22 février, qu’ils soient éducateur, enseignant ou représentant des CPMS, ont déploré le manque de moyens et de temps pour exercer leur travail au quotidien et ce bien avant l'apparition du coronavirus. Gengoux Gomez explique qu’une personne travaillant à temps plein dans un CPMS a en moyenne la charge de sept cent cinquante élèves. Anne rajoute que la prise en charge des élèves en souffrance psychique est difficile en temps et en effectifs pour les enseignants. Un enseignant qui travaille à temps plein et qui est titulaire d’une classe de 28 élèves organise une réunion de parents d’un quart d’heure en moyenne par élève et ce trois fois par an. Cela ne laisse pas beaucoup de place à un réel accompagnement des jeunes et à une communication constructive avec les parents. Aussi, beaucoup d’enseignants donnent bien plus que leur temps de travail, surtout lorsqu’ils sont titulaires de classe. Personnellement, je suis à temps partiel et titulaire d’une classe de 5e année dont la moitié des élèves ne va vraiment pas bien. J’ai déjà rencontré individuellement les parents concernés et parfois à plusieurs reprises. Mais cela m’est possible grâce à mon temps partiel. Si j’étais à temps plein, je ne pourrais faire un tel suivi. Même son de cloche de la part de Sabine : Les équipes éducatives aimeraient être plus proches des jeunes, mais elles manquent de temps et de moyens. Beaucoup de personnes donnent bien plus que leur temps de travail pour encadrer les jeunes.

Avec l’épidémie de COVID, les moyens ont été renforcés dans les écoles et les CPMS. Pour toute l’année scolaire 2021-2022, des périodes COVID ont été octroyées aux écoles d’enseignement secondaire ordinaire et spécialisé. Des acteurs sociaux tels que des éducateurs, psychologues, assistants sociaux, accompagnateurs CEFA, etc. ont été engagés pour établir des relations d’aide, de soutien et de confiance entre les différents publics de l’école (enseignants, élèves et parents) : L’octroi de ces périodes vise à répondre aux effets multiples de la crise sanitaire COVID-19 et poursuit les objectifs d’offrir de la remédiation scolaire et de l’accompagnement personnalisé, de soutenir la santé mentale et le bien-être des élèves, de développer et/ou garantir un climat scolaire serein et bienveillant et de lutter contre le décrochage scolaire.[14]

Les CPMS ont reçu eux aussi des moyens supplémentaires pour le secondaire au prorata de leur nombre d’élèves. Gengoux Gomez explique que ces moyens ont été attribués avec l’objectif principal de remettre en lien les jeunes les uns avec les autres (travail collectif, groupes de paroles…). Même si ces ressources supplémentaires sont à saluer, elles compensent difficilement la charge de travail. Les demandes de consultations individuelles ont, en effet, explosé, les jeunes décompensent[15], déclare Aline Pirlot qui travaille au CPMS libre de Dinant.[16] Elle a d'ailleurs mis sur pied un groupe de paroles pour des élèves de 4e secondaire grâce à ces moyens supplémentaires COVID. L'école est le lieu où s'expriment toutes les souffrances ; les échanges entre adolescents peuvent être porteurs et susciter la résilience s'ils sont cadrés. On n'est pas tout seul à vivre des choses compliquées, cela donne aussi de l'espoir, nous rapporte-t-elle. A la question de la pérennité de ce projet de groupe de paroles, elle nous répond que si les moyens supplémentaires COVID ne sont pas renouvelés l'an prochain, il leur sera impossible de continuer de tels projets collectifs. Leur priorité, ce sont les élèves et le suivi des demandes individuelles. Sabine, éducatrice, explique également que, même si le renfort reçu via ces moyens COVID a été très bénéfique, les éducateurs ont été surchargés de travail administratif qui les a éloignés de leurs missions premières qui sont l'observation et l'écoute des élèves. Bénédicte suggère à l'avenir d'augmenter le nombre d'éducateurs présents dans les écoles : avoir des éducateurs volants formés à l'écoute et à la gestion émotionnelle pour accompagner les élèves en souffrance. Son école a engagé des éducateurs volants grâce aux moyens COVID et l'expérience s'est révélée très positive.

Pistes et conclusion

Les élèves en souffrance psychique sont-ils des élèves à besoins spécifiques ? Au sens du décret, oui. Dans la réalité des écoles, ils passent un peu inaperçus, d'abord parce que c'est ce qu'ils souhaitent : en parler, c'est risquer de se sentir encore plus extraterrestres et différents des autres. De plus, s'ils ne sont pas en échec scolaire, leurs besoins risquent encore moins d'être pris en compte. Leur souffrance est invisible et silencieuse. Les parents ne sont parfois pas entendus tant le jeune ou l'enfant entretient une façade à l'école. Les professionnels qui suivent ces élèves, tout comme les parents, ne semblent pas toujours au courant de la législation sur les aménagements raisonnables, du fait que les élèves en souffrance psychique sont aussi des élèves à besoins spécifiques et de la possibilité de suggérer des aménagements auprès de l'école.  

Nous avons lu dans les témoignages combien la parole donnée au jeune ou à l'enfant sur ce qui lui est difficile à l'école peut adoucir son mal-être même s'il ne le résout pas. Trouver la bonne personne pour en parler à l'école est extrêmement important ; sensibiliser et former les enseignants, les éducateurs et les pôles territoriaux[17] aux besoins spécifiques d'ordre psychologique est pour nous inévitable. En effet, la proportion d'élèves concernés a considérablement augmenté depuis le début de la crise sanitaire. Il est important de souligner aussi que beaucoup de ces jeunes sont laissés à eux-mêmes et n'ont pas toujours le soutien parental ou subissent des pressions et des violences au sein même de leurs familles. Le rôle de sentinelle de l'école dans ces cas-là est vraiment primordial.

La question des moyens disponibles dans les écoles pour accompagner les élèves en souffrance psychique nous a entrainée à évoquer ce qui a été mis en place en période de coronavirus. Et ce sera sans doute un des effets positifs de cette crise que de mettre en évidence les initiatives heureuses (groupes de paroles, personnel supplémentaire dans les CPMS, éducateurs volants formés à l'écoute…) afin de les pérenniser dans le temps. Il semble en effet inenvisageable d’imaginer un retour à la normale et donc aux moyens antérieurs que nos intervenants du 22 février dénonçaient déjà comme insuffisants.

Tous ces constats du terrain ne font qu’appuyer les propos de la docteure Sophie Maes[18] qui avait déjà tiré la sonnette d’alarme en novembre 2021. Ce n’est pas le coronavirus qui est dangereux pour nos jeunes, mais le manque d’attention porté à leur santé mentale. En septembre 2021, les services de soins de santé mentale, hospitaliers et ambulatoires, connaissaient un afflux sans précédent. La docteure militait pour que des mesures de prévention soient mises en place et en particulier dans les écoles. L’école et nos jeunes méritent plus d’investissement. L’école n’a pas à faire face seule aux défis actuels. Il est grand temps que tout politique et que tout adulte assument à leur tour leur part de responsabilité dans la gestion de la crise sanitaire. C’est dans un esprit collectif, bienveillant et créatif que nous pourrons continuer à faire face à cette pandémie en tenant compte des effets collatéraux que les décisions prises ont entrainés. [19]

L'UFAPEC continue à plaider, comme elle l'a fait dans une carte blanche publiée dans La Libre du 22 février 2021, pour la mise en place d'un plan de relance de la santé mentale, inscrit comme une priorité absolue, tout aussi ambitieux que celui concernant la relance économique.

 

Anne Floor

 

 


[1] Réunion zoom organisée le 19 mai 2021 par l’auteure. Enseignants et éducateurs relais EBS, direction d'école secondaire, psychologue d’un centre PMS, formatrices d'enseignants sur la thématique des EBS, orthopédagogue, neuropsychologue, personnes travaillant dans un pôle territorial, parents d'EBS, APEDA, EHD, Le ballon vert, Class Contact…

[2] Le 7 décembre 2017 était publié un décret relatif à l’accueil, à l’accompagnement et au maintien dans l’enseignement ordinaire fondamental et secondaire des élèves présentant des besoins spécifiques. Ce décret est entré en vigueur le 1er septembre 2018. Il a été intégré dans le code de l’enseignement depuis le 1er septembre 2020. Lien vers le code : https://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/47165_000.pdf (p.98 à 102) 

[3] Centre ambulatoire de soins et de consultations psychiatriques, psychologiques et sociales. Ce service fait partie intégrante du Service de psychiatrie, dont il constitue l’unité de consultations. https://www.cspo.be/entre-mots

[5] Ces fiches outils sont présentées dans la circulaire 6831 du 19 septembre 2018 dont l'objet est la mise en œuvre des aménagements raisonnables permettant l'accueil, l'accompagnement et le maintien dans l'enseignement ordinaire, fondamental et secondaire des élèves présentant des besoins spécifiques

[7] Interview réalisée le 8 mars par l’auteure.

[8] Interview réalisée le 8 mars par l’auteure.

[9] Les enseignants sont soumis à une obligation statutaire de devoir de discrétion via l'article 18 du décret de la Communauté française fixant le statut des membres du personnel subsidiés de l'enseignement libre subventionné. Les membres du personnel ne peuvent révéler les faits dont ils auraient eu connaissance en raison de leurs fonctions et qui auraient un caractère secret.

[10] Trouble rare du sens de l'ouïe, caractérisé par une perception exacerbée des sons (définition issue du Larousse en ligne https://www.larousse.fr).

[11]  Interview réalisée le 8 mars par l’auteure.

[13] Ibidem.

[14] Circulaire 8220 du 20/08/2021 Covid-19 : Dispositif exceptionnel de soutien pédagogique, éducatif et psycho-social ciblé et renforcé pour l'année scolaire 2021-2022.

[15] S’effondrer nerveusement après un choc, un stress (Le Robert poche, 2021).

[16] Interview réalisée le 17 mars par l’auteure.

[17] Concrètement, un pôle territorial est une structure attachée à une école d’enseignement spécialisé, dite « école siège ». Les pôles territoriaux constitueront, pour les écoles d’enseignement ordinaire, un soutien concret dans la mise en place des aménagements raisonnables (AR) et des intégrations permanentes totales (IPT) au bénéfice des élèves à besoins spécifiques (EBS), sur tout le territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

[18] Pédopsychiatre et thérapeute de famille.

[19] Sophie MAES, Covid 19 : l’impact sur la santé mentale des jeunes, Coll. Temps d’arrêt/Lectures, Yapaka.be, p.56.

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