Analyse UFAPEC Juin 2023 par D. Houssonloge

05.23/ Soldats, policiers, gardiens, pompiers en herbe à l’école secondaire

Introduction

Depuis septembre 2022, la Fédération Wallonie-Bruxelles a ouvert une nouvelle option à partir de la 4e secondaire : aspirant(e) aux métiers de la défense, de la prévention et de la sécurité. Pour la première fois dans l’histoire de l’enseignement obligatoire, cette option a été mise en place en collaboration avec trois ministères : l’enseignement, la défense et l’intérieur.

De prime abord, alors que l’on parle de crise de l’autorité, cette option qui exige un certain sens de la discipline a de quoi surprendre. Y aurait-il une demande pour un retour à plus de cadre ? Ou est-ce un besoin de susciter de nouvelles vocations dans les métiers de la sécurité ?

Cette option semble faire un carton et attire surtout les garçons, davantage touchés par l’échec scolaire que les filles. De ce fait, peut-on voir l’option sécurité comme une nouvelle piste pour enrayer le décrochage scolaire en particulier des garçons ?

Enfin, une option réservée aux élèves belges ou ressortissants de l’Union européenne n’est-elle pas discriminatoire dans l’enseignement obligatoire ?

Quelques informations

Selon les chiffres fournis par la Fédération Wallonie-Bruxelles, pour 2022-2023, 13 écoles organisent cette option en 4e année secondaire technique de qualification. On comptabilise 546 élèves au 15 janvier 2023, soit 403 (74 %) garçons et 143 (26 %) filles.[1] À l’institut Sainte-Véronique-Marie-José à Liège, où l’on a aimablement accepté de répondre à notre interview[2], il y a deux classes pour cette option (soit 55 élèves de 4e secondaire avec 11 % de filles et comprenant des élèves de 15 à 18 ans).

Comme nous l’expliquent Pauline Rorive, professeure de psychologie et coordinatrice de l’option, et Mathias Thyssens, directeur, la 4e est une année relativement théorique et vise une ouverture au métier. Cette formation, qui existait déjà en Flandre pour les 5e et les 6e années, s’inscrit en Communauté française dans la perspective du PEQ (Parcours d’enseignement qualifiant) mis en place en attendant la réforme du Pacte[3] et s’étend donc sur trois ans. Par ailleurs, il y a des cours qui ne peuvent pas se donner à des élèves trop jeunes. Cette 4e année est qualifiante, mais ne donne pas accès à un diplôme au niveau de l’armée. Cette option comporte notamment dans sa grille horaire le néerlandais comme première langue, des heures de technologies des métiers données par des personnes externes et toujours en exercice dans leur métier, des heures sur les institutions, l’histoire et la géographie de la Belgique, des heures d’éducation physique appliquée et de psychologie.

Pourquoi : insécurité versus sécurisation

Alors que l’on parle de crise de l’autorité, l’organisation de cette option est-elle le signe d’une volonté d’un retour à plus de discipline pour la jeunesse et en particulier pour les garçons ? Il ne semble pas que ce soit la motivation du politique. Pallier la pénurie dans les métiers de la sécurité est le but premier pour créer cette option. Le manque d’attractivité pour ces professions viendrait de la méconnaissance par les jeunes, d’où l’idée de les faire découvrir dès la 4e secondaire.[4]

D’autant que la Défense investit chaque année presqu’« à fonds perdus » pour former de nouvelles recrues étant donné que pratiquement la moitié des recrues militaires, soit 3.116 candidats, quitte l’armée durant sa formation d’après l’ACMP, le syndicat militaire.[5] Autrefois, le service militaire (supprimé en 1995) permettait d’expérimenter la vie de soldat et de la choisir en connaissance de cause. Aujourd’hui, ce métier attire moins et serait victime de fausses représentations, comme l’explique encore l’institut Sainte-Véronique-Marie-José : L’option en trois ans leur permet aussi de se rendre compte de la pénibilité ou des désavantages de ces métiers. Par exemple, les élèves découvrent qu’à la police, il y a aussi beaucoup de travail administratif, ou que les pompiers peuvent rester des heures à la caserne. Le but, c’est vraiment de dépasser les fausses représentations que les jeunes peuvent avoir via la télé ou autres. Et si, finalement, ils ne veulent pas travailler dans ces secteurs-là, ce n’est pas grave, ils ont leur CESS, leur préparation physique et pourront faire autre chose.

Outre une pénurie, qu’est-ce qui a motivé les parties concernées à consentir un tel investissement notamment pour la Défense ? Tout d’abord, la collaboration des trois ministères précités n’est pas nouvelle. Elle a démarré il y a 13 ans avec la mise en œuvre de la formation 7e de qualification « assistant.e aux métiers de la prévention et de la sécurité »[6].. Comme nous le confirment encore Pauline Rorive et Mathias Thyssens par les contacts qu’ils ont eus dans le cadre de la création de l’option, il y a tout d’abord un contexte national et international de menace pour la population et les institutions : des événements tels que les attentats de New-York en 2001, de Paris en 2015 et de Bruxelles en 2016, en lien avec la montée de l’islamisme, ne sont pas encore derrière nous. Il y a également une recrudescence d’un certain type de criminalité. Ces deux éléments ont généré de l’insécurité, ou un sentiment d’insécurité, et l’état a voulu réagir en déployant et redéployant certains métiers de défense publique, en sous-traitant la prise en charge de certains de ces métiers à des entreprises privées. Cela permet une sécurisation plus grande d’une société qui voudrait toujours plus atteindre le risque zéro. Il faudra peut-être faire plus que pallier la pénurie de ces métiers pour assurer réellement la sécurité de la population, en investissant notamment dans la prévention.

Pour qui ?

A qui s’adresse cette option sécurité ? Y a-t-il un certain profil d’élèves ? Interviewée sur le lancement de l’option, la ministre de la Défense Ludivine Dedonder a évoqué les 300.000 jeunes sans diplôme et sans emploi :  Le but est de les aider à se sortir de l’aide sociale[7]. Organiser l’option dès la 4e secondaire devrait permettre de toucher une partie de ces jeunes.

Et dans les faits ? Cette option qui s’ouvre dans le qualifiant, en technique de qualification plus précisément, attire essentiellement des garçons ; or, l’on sait qu’être un garçon augmente le risque de retard scolaire[8] et de sortie prématurée de l’école sans diplôme[9]. Dès lors, cette option sécurité, en plus de répondre à un besoin sociétal de sécurisation, est-elle aussi une piste pour réduire le décrochage particulièrement masculin dans l’obligatoire ?

Ce que l’on sait c’est que le nombre d’écoles organisant l’option sera limité et que par ailleurs, elle ne s’adresse qu’à un nombre lui aussi restreint d’élèves répondant à un certain profil : goût pour les activités physiques, la discipline et l’auto-discipline, sens de la responsabilité, de la solidarité, de l’intégrité et du dépassement de soi… Dans ce sens, Pauline Rorive et Mathias Thyssens qui ont interrogé les élèves sur leurs motivations évoquent encore le prestige du métier et de l’uniforme, la sécurité et les perspectives d’emploi et enfin le salaire qui plaisent à ces étudiants et leurs familles.

Par ailleurs, le fait que cette option attire essentiellement des garçons interpelle sur une inégalité de genre persistante dans les choix du cursus : les filles se projettent toujours très peu dans des métiers intéressants et stables, mais entrainant de longues prestations avec des horaires variables, avec un éloignement parfois de longue durée de leur domicile, lequel les contraindra à faire le choix entre vie professionnelle et vie de maman.[10]

En outre, cette option est réservée aux élèves belges ou de nationalité européenne.[11] On peut se demander si ce n’est pas une discrimination dans l’accès à l’enseignement obligatoire. Geoffrey Van Puymbrouck, juriste au SeGEC voit, à l’examen de la circulaire 8465, une formation extrêmement spécifique concernant des métiers particuliers faisant l’objet de conditions d’engagement très spécifiques. Cette nouvelle option ne relève donc pas d’un choix de l’école ou de la Fédération Wallonie-Bruxelles.[12]

Enfin, cette option est-elle accessible financièrement à toutes les familles ? Si de nombreux frais sont pris en charge par la Défense, le fédéral et les écoles, la circulaire 8465 évoque des coûts à charge des écoles ou des familles comme les frais liés aux sorties et voyages et les frais associés aux tenues vestimentaires[13]. Interrogé dans le cadre d’une étude à paraitre sur le coût du qualifiant, un élève de 7e de cette même option budgétise à 400 euros uniquement les frais liés à sa tenue vestimentaire, somme qu’il a dû investir en début d’année[14] . Ce montant élevé pour l’option nous est confirmé par Patrick Magniette, chargé de mission à la direction de l’enseignement secondaire catholique pour le qualifiant[15]. Certaines écoles comme Sainte-Véronique-Marie-José tentent de réduire les frais en mettant par exemple des sweats à disposition des élèves pour les sorties ; d’autres écoles n’ont pas imposé de dress code.

Cette option si intéressante et valorisante soit elle pour les élèves qui s’y retrouvent, reste donc une solution à petite échelle face à l’enjeu sociétal du décrochage scolaire en secondaire et en particulier celui des garçons. 

Conclusion et pistes

En conclusion, la création de l’option métiers de la sécurité aux 2e et 3e degrés de l’enseignement qualifiant relève d’abord d’une responsabilité politique en réponse à un besoin de la société qui dépasse le secteur de l’enseignement et la lutte contre l’échec scolaire. La création de cette option est révélatrice d’une insécurité ou d’un sentiment d’insécurité de nos citoyens auquel le politique répond via la sécurisation. Les sociétés qui traversent des crises successives rencontrent souvent davantage de violence et de repli sur soi. L’enjeu sociétal est de ne pas tomber pour autant dans l'autoritarisme et de rester attentif aux autres axes à mettre en œuvre tel que celui de la prévention.

Cette option répond au besoin d’un profil bien précis d’élèves qui trouvent ainsi leur voie et la motivation à poursuivre leur cursus secondaire. Ces élèves sont essentiellement masculins, ont besoin de bouger, aiment la discipline, l’esprit de corps et souhaitent se rendre utiles à la collectivité. Si elle représente une belle opportunité pour ces jeunes, l’option sécurité ne touche cependant qu’un nombre limité d’entre eux et freine encore les filles. Cette option n’est par ailleurs pas accessible aux élèves étrangers. Elle comporte aussi le risque de ne pas être accessible financièrement aux élèves moins favorisés alors que c’est prioritairement à eux, selon la ministre de la Défense, qu’elle s’adresse.

Dans le cadre de la revalorisation du qualifiant mise en place par le pacte, tout en restant attentive à la non-discrimination de genre et à l’accès financier pour toutes les familles, l’UFAPEC salue la création de cette nouvelle option pertinente et motivante. Toutefois, elle souhaite que cet investissement se déploie dans d’autres métiers d’utilité publique en pénurie comme les soins de santé ou l’enseignement. Mais susciter des vocations demande au préalable la revalorisation de ces secteurs.

 

Dominique Houssonloge

 

 


[1] Information reçue par mail le 6 mars 2023 de la Direction générale de l'enseignement obligatoire.

[2]  Voir l’interview complète en annexe.

[3] Voir notamment l’article Le Parcours d’Enseignement Qualifiant (PEQ), une transition vers la filière métiers à la suite du tronc commun ? in Les Parents et l’École, n° 119, juin 2023, p. 18

[4] FWB, Circulaire 8465 du 10/02/2022 Option de base groupée « Aspirant·e aux métiers de la Défense, de la Prévention et de la Sécurité » : Programmation, organisation et sanction des études, http://www.enseignement.be/upload/circulaires/000000000003/FWB%20-%20Circulaire%208465%20(8720_20220211_120500).pdf

[5] BELGA, Près de la moitié des recrues militaires quittent l’armée durant leur formation  in Le Soir, 13/03/2023 - https://www.lesoir.be/500562/article/2023-03-13/pres-de-la-moitie-des-recrues-militaires-quittent-larmee-durant-leur-formation

[6] Circulaire 8465, op. cit.

[7] HUTIN C., École: une formation dès la 4e secondaire aux métiers de l’armée in Le Soir, 13/05/2022, https://www.lesoir.be/442045/article/2022-05-13/ecole-une-formation-des-la-4e-secondaire-aux-metiers-de-larmee

[8] FWB, Indicateurs de l’enseignement 2022, indicateurs 4 et 8. http://enseignement.be/public/docs/000000000006/000000017525_CJWDSBNP.PDF

[9] Op. cit., indicateur 18.

[10] HOUSSONLOGE D, Pourquoi les filles réussissent-elles mieux à l’école mais

«choisissent» des professions moins valorisées ?, analyse UFAPEC 18.09, https://www.ufapec.be/nos-analyses/1809-les-filles.html et HOUSSONLOGE D., Cinquante ans après Mai 68, l’égalité hommes-femmes en tension, Étude UFAPEC n°15.18-ET2, https://www.ufapec.be/nos-analyses/1518et2-egalite-hommes-femmes.html

[12] Information obtenue par mail le 11/04/2023

[13] Circulaire 8465, op. cit., pp. 8-9.

[14] Entretien téléphonique par Anne Floor le 05/01/2023.

[15] Interview réalisé par Anne Floor le 20/10/2022.

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