Analyse UFAPEC mai 2021 par B. Loriers

06.21/ La publicité a-t-elle sa place à l’école ?

Introduction

La publicité, omniprésente dans notre société, touche inévitablement le monde scolaire. A ce propos, le rôle de l’école est-il de bannir toute forme de publicité de son enceinte pour éviter que le jeune soit exposé aux risques de la consommation ou, au contraire, le confronter aux publicités en lui apprenant à développer son esprit critique ? Le rôle de l’école est-il de former des consommateurs ou des citoyens ? La question n’est pas anodine, quand on sait que les enfants et les jeunes sont une cible très intéressante pour les publicitaires et de plus en plus, le pouvoir d’achat des enfants étant en augmentation[1].

Les adultes éducateurs rencontrent aujourd’hui une difficulté supplémentaire dans ce domaine : face à l’explosion de contenus médiatiques[2], ces adultes sont moins au courant de tout ce que les enfants regardent.

Cette analyse est en lien avec le droit pour l’élève d’apprendre dans un environnement neutre, non pollué par le commercial, le droit d’être protégé de la pression du monde économique en tant que public vulnérable, le droit de s’épanouir et de vivre à l’école sans sollicitation et manipulation permanentes. Il s’agit aussi pour les enfants du droit de bénéficier de l’éducation aux médias, et plus particulièrement ici à la publicité, et du droit pour l’institution scolaire de fonctionner selon les valeurs de son projet.

Mais avant tout, qu’est-ce que la publicité ? Selon le dictionnaire Larousse, il s’agit d’une activité ayant pour but de faire connaître une marque, d'inciter le public à acheter un produit, à utiliser tel service, etc. ; ensemble des moyens et techniques employés à cet effet[3]. La publicité à l’école concerne toute activité commerciale qui se passe dans l’enceinte de l’école, mais aussi toute activité en lien avec la vie scolaire.

Qu’en dit la législation ?

La Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) se préoccupe de la place de la publicité à l’école, et des règles précises sont édictées dans le code de l'enseignement. En effet, son article 1.7.3-3[4] interdit toute propagande politique et toute activité commerciale, et l’article 1.7.3-4 détaille la fonction de la commission « Article 42 », créée pour veiller au respect de l’article 1.7.3-3. Cette commission, qui donne un avis sur les plaintes déposées, possède son propre site internet, qui en détaille son fonctionnement[5].

La circulaire n°7809[6] précise les bonnes pratiques et les règles à respecter, eu égard aux interdictions édictées à l'article 1.7.3-3 du Code de l’enseignement.

France Baie, chargée de missions à l’UFAPEC, a écrit une analyse sur la publicité à l’école en 2008[7], au moment où la commission « article 42 » a été mise sur pied[8]. Le travail de cette commission vise à réguler les pratiques trop commerciales au sein des écoles. Un ancien directeur nous explique que la publicité était très présente avant les années 2000 : nous étions envahis de folders à distribuer dans les cartables, notamment de maisons d’éditions… C’est une bonne chose qu’il y ait moins de publicités au sein des écoles. Les écoles ne sont pas les boites aux lettres des firmes commerciales qui veulent toucher les enfants[9].

La jurisprudence de cette commission « article 42 » permet de se rendre compte de la présence de la publicité à l’école.

  1. Exemples d’activités commerciales qui, selon la commission « article 42 », seraient à éviter[10] :
  • Accepter sciemment qu'un démarchage commercial d’une maison d’édition se déroule dans l'établissement par la distribution de folders proposant la souscription à un abonnement de revues aux élèves;
  • Faire circuler dans l’établissement des brochures destinées à promouvoir des carrières, si elles sont truffées de publicités commerciales;
  • Accepter des propositions de marketing, ou des ventes sur catalogue, ou sur internet, au sein de l’établissement, même à l’initiative de certains parents.
  1. Exemples d’activités commerciales qui, selon la commission « article 42 », seraient tolérées[11] :
  • Dans une section du qualifiant option mécanique, utilisation d’outils, de composants ou de machines d’une certaine marque qui en a fait don : faut-il s’en insurger, en coupant les élèves du monde de l’entreprise, et faire payer les parents de l’enseignement libre, qui souffre d’un déficit de subsides ? La commission article 42 est tolérante et accepte que cette pratique donne l’occasion à l’enseignement technique d’être justement proche de la réalité du monde industriel.
  • Un établissement scolaire peut, à titre pédagogique, mettre à disposition des élèves des revues qui exposent l’histoire de certains produits commerciaux, par exemple dans le cadre d’un cours de langue, ou pour analyser les mécanismes de la publicité[12].

En tant que mouvement d’éducation permanente et organisation représentative des parents et associations de parents d’élèves de l'enseignement libre catholique, l’UFAPEC soutient et stimule le renforcement de la législation visant à protéger le jeune consommateur, le partenariat avec les associations reconnues de défense des consommateurs et notamment la diffusion d’outils et de publications pour soutenir les parents et les écoles, l’éducation à la consommation dans les écoles notamment avec la collaboration des associations de parents[13]. Elle suit de près les différentes plaintes soumises à la commission "article 42" en veillant à cette tension permanente qui existe entre la démarche publicitaire et l'intérêt pédagogique qu'elle revêtirait pour les élèves, tout en observant les modalités d'appropriation par les équipes pédagogique de la démarche publicitaire visée. Michael Lontie, actuel mandataire de l'UFAPEC au sein de cette commission, nous explique : un aspect auquel nous veillons particulièrement dans la démarche commerciale, à côté des démarches directement centrées sur l'élève comme consommateur actuel ou futur, est celui qui consiste à s'adresser au parent par l'intermédiaire de l'enfant (par exemple lorsqu'un courrier avec des logos est transmis aux parents dans le cadre de l'activité proposée aux élèves). Pour prendre un exemple parmi d'autres, une activité d'éducation aux médias au sein des classes proposée par des entreprises technologiques ou de télécommunication peuvent avoir pour objectif caché de vendre des logiciels de protection et de surveillance aux parents[14].

Eduquer à la pub

De manière plus large, le Mémorandum UFAPEC de 2019 demande aux équipes éducatives d’intégrer davantage l’éducation aux médias dans les programmes et ce de manière transversale[15]. Ne faudrait-il pas rendre l’élève responsable de ses choix de consommation par une approche critique de la publicité? Nous avons rencontré à ce propos Yves Collard, expert et formateur en éducation aux médias à Média Animation. Selon lui, avoir une approche protectrice en interdisant la publicité à l’école est un vœu pieux. Pourquoi ? Les élèves sont les proies des publicitaires, donc si on interdit totalement la publicité à l’école, sans leur donner quelques bribes de décorticage, ils risquent de sortir de l’école et d’être bombardés de publicité sans avoir été éduqués à ce recul[16].

Yves Collard ajoute que la publicité à l’école, ce n’est pas que le placement d’affiches ou de banderoles. C’est aussi le placement de produits dans certains films que les enseignants projettent par exemple : la publicité s’est déplacée. C’est utile de décortiquer la publicité avec les enfants et les jeunes, car on leur permet en même temps de décortiquer la société. Les publicitaires surfent sur les tendances et les stéréotypes de notre société, qui les rend acceptables. Il est étonnant d’observer qu’en cette période de confinement, certaines marques de voitures surfent sur le thème de la liberté. Dans un catalogue de jouets, on peut aussi travailler avec les enfants et les jeunes sur les stéréotypes : qui joue à la poupée, qui joue avec un garage ? Ces points d'attention permettent d’analyser avec eux les tendances de notre société, comme celle actuelle de non-assignation de genre. Ce travail de décorticage de la pub peut se faire très tôt avec les enfants. Par exemple : comparer avec eux une publicité d’une boite de légumes pour couscous avec une vraie boite, quelle est la différence ? L’analyse de la publicité est une entrée facile vers l’éducation aux médias. Très tôt les enfants sont capables de détecter s’il s’agit d’une pub. Il leur faudra un peu plus de maturité pour comprendre que la publicité leur donne envie d’acheter le produit vanté. Cette éducation aux médias peut se faire au sein de l’école, mais aussi en famille. L’éducation aux médias a le souhait d’éviter tout radicalisme, du genre « je ne vais pas à cet endroit, car c’est gratuit pour moi ». Mais c’est important de prendre conscience que cette gratuité constitue de la publicité à part entière. Cette éducation aux médias est un bagage de base pour le futur citoyen[17].

Conclusion

L’UFAPEC est très attentive à ce qu’il n’y ait pas d’abus dans les institutions scolaires en matière de promotion de produits et, dans ce cadre-là, elle exerce un mandat[18] à la commission "article 42". Les témoignages récoltés nous permettent d'observer une diminution de la présence de la publicité dans les écoles, notamment grâce à une plus grande vigilance des équipes éducatives, ce qui est profitable pour les élèves qui peuvent ainsi apprendre dans un contexte qui n'est pas pollué en permanence par des activités commerciales. Pour Michael Lontie, une vigilance constante des acteurs de l'enseignement reste de mise, car des mécanismes bien huilés existant dans d'autres régions ou dans d'autres pays (où, par nécessité, par habitude ou par culture, la présence de la publicité dans l'école fait moins débat que chez nous) ont tendance à venir s'inviter en FWB[19].

En cas de crainte d’abus en matière de publicité à l’école, le sujet peut toujours faire l’objet d’un débat lors de réunions en association de parents et en conseil de participation, préalablement à une plainte devant la commission "article 42".

Les manipulations et stéréotypes font partie des messages publicitaires, souvent de manière bien cachée. Ces messages peuvent influencer les élèves dans leurs représentations, la construction de leur personnalité, et leurs relations aux autres. C’est pourquoi il est essentiel d’éduquer élèves, mais aussi équipe éducative et parents, à l’esprit critique. Sur ce sujet, n’est-il pas intéressant d’installer un partenariat entre ce qui est mis en place à l’école et à la maison ?

 

Bénédicte Loriers

 

 

 


[1] EZAN Pascale et MAZARGUIL Isabelle, Maman, Papa, … la consommation et moi, EMS éditions, 2014 : https://www.cairn.info/maman-papa-la-consommation-et-moi--9782847695939-page-71.htm

[2] Nous sommes conscients que la publicité touche aujourd’hui les enfants via de multiples sources numériques (télévision, réseaux sociaux, plateformes, ordi ou tablette offerts par l’école …), et cet aspect fera l’objet d’une réflexion ultérieure.

[4] Code de l’enseignement, Article 1.7.3: https://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/47165_000.pdf

Cet article remplace l’article 41 de la loi du 29 mai 1959, dite du Pacte scolaire.

[7] BAIE France, La publicité envahit-elle l’école?, analyse UFAPEC 2008 n°30 : http://www.ufapec.be/files/files/analyses/PUB.pdf

[8] Décret datant du 13 décembre 2007, qui met sur pied cette commission autonome, qui a pour mission d’examiner les infractions aux dispositions de l’article 41 du pacte scolaire, d’apprécier les faits en tenant compte des particularités liées au milieu scolaire et à l’intérêt des enfants, et d’émettre un avis au Gouvernement. Cette commission comprend les interlocuteurs classiques de l’enseignement (représentants des services du Gouvernement, de l’inspection, les fédérations des pouvoirs organisateurs, les syndicats, des experts et les organisations représentatives des parents et associations de parents d’élèves, soit l’UFAPEC et la FAPEO) : voir Composition actuelle de la Commission - ::: ::: - Administration Générale de l'Enseignement - Fédération Wallonie-Bruxelles (cfwb.be)

[9] Témoignage d’un ancien directeur recueilli par Bénédicte Loriers le 1er avril 2021.

[12] Idem, p. 8. Voir exemple en annexe.

[13] HOUSSONLOGE Dominique, Les marques, crédo des ados ?, analyse UFAPEC 2009, n°13 : http://www.ufapec.be/files/files/analyses/2009/13les-jeunes-et-marques.pdf

[14] Interview de LONTIE Michael réalisée par Bénédicte Loriers le 5 mai 2021.

[16] Interview de COLLARD Yves réalisée par Bénédicte Loriers le 26 mars 2021.

[17] Ibidem.

[19] LONTIE Michael, suite de l’explication du 5 mai 2021.

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