Analyse Ufapec avril 2014 par A. Pierard

07.14/ L’entrée dans l’enseignement spécialisé

Introduction

Depuis sa création en 1970, l’enseignement spécialisé accueille dans ses établissements des élèves à besoins spécifiques. Ces élèves sont, pour certains, inscrits dans l’enseignement spécialisé dès leur scolarisation et l’entrée à l’école maternelle. Pour d’autres, l’orientation se fait en cours de parcours scolaire, lorsque des besoins spécifiques sont détectés. Ces besoins révèlent des difficultés trop importantes pour leur permettre de poursuivre avec succès leur scolarité dans l’enseignement ordinaire.

L’inscription dans l’enseignement spécialisé soulève diverses questions pour les parents, concernant leur enfant à besoins spécifiques et la suite de son parcours scolaire. Pourra-t-il réintégrer l’enseignement ordinaire ? A la fin de sa scolarité, sera-t-il possible pour lui de poursuivre des études supérieures ? D’intégrer le marché du travail ?[1]

Les premières questions qui se posent sont les suivantes : Comment se passe concrètement l’orientation, l’entrée dans l’enseignement spécialisé ? Quelles sont les démarches à effectuer ?

Rôle du centre P.M.S. lors de l’orientation

Chaque école, de l’enseignement ordinaire comme du spécialisé, est rattachée à un Centre Psycho-Médico-Social (C.P.M.S.) qui assure la guidance des élèves, sauf si les parents la refusent. Il peut intervenir de sa propre initiative ou être sollicité par l'école, l'élève ou sa famille.

« Le Centre P.M.S. développe des actions pour offrir à l’élève les meilleures chances de se développer harmonieusement, de préparer son futur rôle de citoyen autonome et responsable et de prendre une place active dans la vie sociale et économique. Il favorise la mise en place des moyens qui permettent d’amener les élèves à progresser toujours plus, et ce, dans la perspective d’assurer à tous des chances égales d’accès à l’émancipation sociale, citoyenne et personnelle. Il soutient l’élève dans la construction de son projet personnel, scolaire et professionnel.[2] »

L’orientation dans l’enseignement spécialisé fait partie des missions des Centres P.M.S. Effectivement, lors d’une orientation dans l’enseignement spécialisé, il faut passer par le Centre P.M.S. ou un service d’orientation scolaire et professionnelle reconnu et agréé par la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Pour l’enseignement spécialisé de types 1 (élèves atteints d’arriération mentale légère), 2 (élèves atteints d’arriération mentale modérée ou sévère), 3 (élèves atteints de troubles du comportement et de la personnalité), 4 (élèves atteints de déficiences physiques) et 8 (élèves atteints de troubles de l’apprentissage), le centre orienteur va réaliser un examen pluridisciplinaire. Cet examen porte sur des aspects médicaux, psychologiques, pédagogiques et une étude sociale. A la suite de cet examen, plusieurs documents seront écrits par le centre :

  1. une attestation précisant le type et le niveau d’enseignement répondant aux besoins spécifiques de l’enfant qui sera transmise aux parents ;
  2. un protocole justificatif qui sera transmis à l’école d’enseignement spécialisé accueillant l’enfant.

Pour l’enseignement spécialisé de type 5 (élèves malades ou convalescents), ce n’est pas un Centre P.M.S. ni un autre service qui réalisera l’examen et fournira les documents nécessaires, mais un pédiatre. Sur base de cet examen médical, le médecin référent du service de pédiatrie, de la clinique, de l’hôpital ou de l’institution médico-sociale où l’enfant est hospitalisé rédigera le rapport d’orientation.

Pour l’enseignement spécialisé de types 6 (élèves atteints de déficiences visuelles) et 7 (élèves atteints de déficiences auditives), des médecins peuvent aussi être à l’origine de l’orientation dans l’enseignement spécialisé. Il s’agit respectivement de médecins spécialistes en ophtalmologie et en oto-rhino-laryngologie.

Sur base de l’attestation donnée par le centre orienteur, les parents pourront inscrire leur enfant dans une école de leur choix organisant le type d’enseignement répondant aux besoins spécifiques de leur enfant. Effectivement, ce sont les parents qui décident et choisissent l’établissement scolaire où inscrire leur enfant sur base du projet pédagogique, de valeurs partagées et véhiculées au sein de l’école, d’un feeling avec l’équipe éducative et d’autres critères leur correspondant. Mais ce choix est altéré par un manque de places, des difficultés pour trouver une école adaptée. « L’UFAPEC constate, pour lespécialisé, un déséquilibre dans l’offre d’enseignement en fonction des régions, des niveaux et suivant les types accueillis et les formes dispensées en FWB.Il apparaît donc nécessaire d’investir dans un élargissement de l’offre, de manière judicieuse.[3] »

L’orientation dans l’enseignement spécialisé est possible tout au long de la scolarité de l’enfant à besoins spécifiques, à tout moment de l’année scolaire en cours. Elle peut se faire dès la première maternelle, lors du passage en primaire ou plus tard dans le parcours scolaire de l’élève à besoins spécifiques.[4]

Le Centre P.M.S. relié à cette école joue un rôle auprès de l’enfant dès son inscription et jusqu’à sa sortie de l’enseignement. Le Centre P.M.S. a un rôle d’expertise et de suivi tout au long du parcours scolaire de l’élève, en participant à l’élaboration de son P.I.A.[5] et, depuis novembre 2013, dans l’enseignement secondaire, de son P.I.T.[6]

Questionnement et interpellations…

Une orientation dans l’enseignement spécialisé interpelle car elle confirme le besoin d’un encadrement spécifique. Elle ravive le choc de l’annonce du handicap de l’enfant.[7]

« Pour les parents, mettre leur enfant dans l’enseignement spécialisé représente souvent une étape difficile dans « l’acceptation du handicap »… Les limites intellectuelles de leur enfant s’imposent à eux comme une réalité…[8] »

Effectivement, l’annonce du handicap et l’entrée dans l’enseignement spécialisé ne sont pas des moments isolés. Ils font partie, comme d’autres évènements de la vie des familles concernées, du processus de l’acceptation du handicap.

Cette orientation soulève pour les parents diverses questions sur les apprentissages, l’insertion sociale, la future insertion professionnelle, la possibilité de revenir dans l’enseignement ordinaire,…

Quel type de l’enseignement spécialisé ?

Lors de l’orientation dans l’enseignement spécialisé, le Centre P.M.S. ou un autre centre orienteur doivent préciser, suite à l’examen pluridisciplinaire, le type d’enseignement répondant aux besoins spécifiques de l’enfant.

Rappelons que l’enseignement spécialisé est divisé en huit types et quatre formes. Cette typologie est présentée en annexe.

A partir de cette classification, l’enseignement spécialisé offre un rythme, des méthodes et une pédagogie adaptés aux besoins spécifiques des élèves dans une structure composée de petites classes permettant une meilleure prise en charge des élèves.

De manière globale, l’enseignement spécialisé a pour mission de développer un maximum les potentialités, les compétences de l’élève en vue d’une réinsertion dans l’enseignement ordinaire quand cela est possible ou de son insertion sociale et professionnelle future.

Selon les types et niveaux d’enseignement, l’équipe enseignante et éducative est accompagnée de personnel paramédical, psychologique et social pour ensemble répondre aux besoins spécifiques des élèves.

Orientation abusive ?

L’on peut constater des orientations dans l’enseignement spécialisé qui interpellent. Ces orientations concernent essentiellement des enfants de familles modestes, des enfants dont la langue maternelle n’est pas le français, des enfants ayant des difficultés scolaires ou des enfants « ingérables ». Ces enfants pourraient s’en sortir dans l’enseignement ordinaire, mais sont relégués dans le spécialisé ou n’arrivent pas à rester dans l’ordinaire, faute d’un encadrement et d’un système de remédiation adéquat à l’école.

Infor Jeunes Laeken en fait part : « L’orientation vers les types 1, 2, 3 et 8 dépend essentiellement du niveau socioéconomique du quartier de résidence des élèves. Plus le quartier est modeste, plus les enfants sont orientés vers l’enseignement spécialisé. Les critères qui déterminent ces orientations confondent «troubles d’apprentissage» et «difficultés scolaires liées à un milieu socioculturel modeste». L’orientation vers l’enseignement spécialisé est alors considérée comme une remédiation, ce qui est pourtant le rôle de l’enseignement ordinaire. Il faut donc éviter ces orientations qui ne sont pas justifiées par des troubles instrumentaux et ou des troubles d’apprentissage.[9] »

Eric Bruggeman d’Infor Jeunes Laeken ajoute que« Quand on colle l’étiquette d’"ingérable" sur un élève, surtout en primaireune des "solutions" est de l’orienter vers l’enseignement spécial (ndla : sic).Et donc, on transforme de plus en plus l’enseignement spécial en une filière de relégation pour les élèves qu’on n’arrive pas "à gérer".[10] »

Il faut donc faire attention, éviter d’orienter trop vite vers le spécialisé et conseiller les parents dont l’accord est indispensable pour une inscription dans l’enseignement spécialisé. Ce sont eux les décideurs finaux.

Intégration dans l’enseignement ordinaire ?[11]

L’intégration est possible pour les élèves des différents types de l’enseignement spécialisé. C’est un projet, une démarche construite ensemble, entre l’école ordinaire accueillante et l’école spécialisée, le PMS et les familles.  Elle est un libre choix des parents dans l’intérêt de l’enfant, en tenant compte de ses capacités et de son projet de vie futur.

L’intégration n’est qu’UNE réponse possible pour les élèves ayant des besoins spécifiques. Cela peut très bien marcher pour certains, alors que d’autres réussiront mieux leur parcours scolaire dans l’enseignement spécialisé.

L’intégration ne peut pas être généralisée à tous et sur l’entièreté de leur scolarité. Certains projets d’intégration peuvent se limiter à une partie des cours ou une période définie de la scolarité. Cela montre une fois de plus que l’intégration est un projet individuel, façonné pour l’élève pour qui cette démarche est réalisable et bénéfique.

Retour dans l’enseignement ordinaire ?

Un retour dans l’enseignement ordinaire, sans intégration et les moyens qui y sont associés est aussi possible, en respectant certaines conditions. « Toute demande de réorientation vers l’enseignement ordinaire doit être faite sur base d’un avis motivé non contraignant du Conseil de classe et du CPMS. En cas d’orientation vers l’enseignement secondaire, l’élève doit également obtenir l’avis favorable du conseil d’admission de l’école d’accueil. L’avis des parents n’est que consultatif. Ils n’ont donc pas la possibilité d’imposer la réintégration dans l’enseignement ordinaire.[12] »

Dans la pratique, Infor Jeunes Laeken fait part d’une observation selon laquelle « Les orientations vers l’enseignement spécialisé primaire permettent rarement à l’élève d’accéder à l’enseignement général secondaire ordinaire. Selon les types (1, 2, 3 ou 8), seuls 1 à 8 % des élèves obtiennent leur CEB et parviennent à entrer en 1ère C (commune) de l’enseignement général secondaire, tandis que 20 à 52 % doivent se contenter de la 1ère D (différencié). Les 39 à 72 % d’élèves restants sont orientés vers l’enseignement secondaire spécialisé.[13] »

Cette réflexion est également portée par l’UFAPEC dans son mémorandum en parlant plus spécifiquement des élèves relevant du type 8 et en demandant la création d’un type 8 au premier degré de l’enseignement secondaire.

« Schématiquement, à la fin du primaire en type 8, soit l’élève :

  • obtient le Certificat d’Etudes de Base, ce qui est assez exceptionnel, et va en première commune de l’enseignement ordinaire secondaire ;
  • est orienté en première différenciée ;
  • est réévalué par un centre PMS, et se voit orienté vers un autre type de l’enseignement spécialisé secondaire.

L’objectif de la FWB est d’amener un grand nombre d’élèves sortant du type 8 vers l’enseignement ordinaire et, dans les faits, c’est le cas pour un bon nombre d’entre eux. Parmi ceux-ci, une grande partie rejoint le degré différencié. Constat interpellant : cette orientation vers le secondaire différencié mène majoritairement à terme vers le qualifiant… D’autre sont dirigés vers le spécialisé de type 1 ou de type 3 pour bénéficier du suivi lié à l’intégration. Mais il s’agit d’un détournement préjudiciable pour l’enfant, qui se verrait dans un cadre plus adapté s’il était pris en charge dans un type 8 en secondaire, toujours dans un objectif d’intégration dans l’ordinaire.[14] »

Conclusion

L’enseignement spécialisé a été pensé pour accueillir des élèves dont les besoins spécifiques rendent difficile la poursuite du parcours scolaire dans l’enseignement ordinaire.

Lors de l’orientation et de l’inscription, ces besoins spécifiques doivent être avérés par un centre orienteur ou un médecin compétent selon le handicap, selon les difficultés de l’élève. C’est là qu’entrent en jeu le Centre P.M.S., l’examen pluridisciplinaire, l’attestation d’orientation et le protocole justificatif permettant l’inscription dans un établissement de l’enseignement spécialisé.

Retenons que, même si la recommandation vient du médecin ou du centre orienteur, la décision finale relève des parents et ce sont eux qui choisissent l’école pour leur enfant. Ce choix, ils le réfléchissent en tenant compte du projet pédagogique, des valeurs, etc. Cependant, ce choix fondamental est souvent altéré par le manque d’offre dans l’enseignement spécialisé en Fédération Wallonie-Bruxelles. C’est pourquoi l’UFAPEC revendique une augmentation de  cette offre pour une meilleure réponse aux besoins. Dans ce sens, l’UFAPEC demande de « Continuer l’ouverture de nouvelles implantations répondant à la demande, en gardant à l’esprit les problèmes de mobilité et le risque d’inscription d’un enfant dans une forme d’enseignement qui ne lui convient pas pour des difficultés d’ordre pratique ou géographique (avec toutes les conséquences que cela induit) (et de) Motiver le refus d’inscription lors d’une quelconque demande par les parents.[15] »

L’enseignement spécialisé partage les objectifs et les missions de l’enseignement ordinaire en prenant en compte les besoins spécifiques de ses élèves, en s’adaptant au rythme de chacun et en développant un encadrement pédagogique individualisé.

Les parents et l’enseignement spécialisé sont des partenaires éducatifs dans l’intérêt de l’enfant, en lui proposant un encadrement adapté et en respectant ses besoins personnels.

 

 

Alice Pierard

 

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[1]Pour des réponses à ces deux dernières questions, voir les analyses: PIERARD Alice, Faire des études supérieures quand on a des besoins spécifiques, est-ce possible ?, Analyse UFAPEC juillet 2013 N°13.13 et PIERARD Alice, Passage vers la vie active pour les élèves à besoins spécifiques, Analyse UFAPEC juillet 2013 N°14.13.

[2]DE BEL Philippe, « Orientation vers l’enseignement spécialisé :rôle et limites du Centre Psycho Médico Social (CPMS) », Inforjeunes.eu, paragraphes 2 à 4.

[3]UFAPEC, Mémorandum 2014, p 41.

[4]« Inscription dans l’enseignement spécialisé », page du site Enseignement.be.

[5]Plan individuel d’apprentissage. Pour plus d’information voir PIERARD Alice, Le Plan Individuel d’Apprentissage de l’élève et ses enjeux, Analyse UFAPEC avril 2012 N°11.12.

[6]Plan individuel de transition préparant la sortie de l’enseignement spécialisé et rendu obligatoire par la circulaire n°4623 du 4 novembre 2013 http://www.enseignement.be/hosting/circulaires/upload/docs/FWB%20-%20Circulaire%204623%20%284846_20131104_152718%29.pdf

[7]Voir PIERARD Alice, L’annonce du handicap, Analyse UFAPEC mars 2014 N°05.14.

[8]CHAIDRONNicolas, « L’enseignement spécialisé… pour qui ? Pour quoi ? », p 2.

[9]Infor Jeunes Laeken, « L’enseignement spécialisé : orientation », p 2.

[10]BOCART Stéphanie, « Les élèves « ingérables » sont relégués dans le spécialisé », La Libre, article mis en ligne le 17 mai 2013, paragraphe 4.

[11]Pour plus d’information sur le sujet, PIERARD Alice, Intégration dans l’ordinaire, prémisse à l’insertion sociale des élèves à besoins spécifiques ?, Analyse UFAPEC juin 2012 N° 18.12

[12]Infor Jeunes Laeken, op cit, p2.

[13]Idem.

[14]UFAPEC, Mémorandum 2014, p 39.

[15]UFAPEC, Mémorandum 2014, p 18.

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