Analyse UFAPEC mai 2019 par B. Loriers

07.19/ Les marches des jeunes pour le climat, un apprentissage citoyen ?

Introduction

Depuis quelques mois, les jeunes défilent et se mobilisent par milliers, un peu partout dans le monde et aussi en Belgique, pour réclamer des mesures efficaces de lutte contre le réchauffement climatique. Cette mobilisation historique de la part de nos enfants du secondaire nous amène à réfléchir à plusieurs enjeux de société.

Ces marches se déroulant souvent le jeudi, donc pendant les heures de cours, les adultes qui encadrent ces jeunes se demandent comment réagir face aux absences parfois répétées des élèves.

Peut-on inclure ces marches dans les missions de l’école ? Devons-nous expliquer à nos jeunes que leur première mission est de suivre les cours sans faire d’exception ou devons-nous avoir une attitude souple en matière de fréquentation scolaire et encourager les élèves dans leur engagement citoyen et leur souci de préservation de notre planète ? Nous avons rencontré certains parents qui soutiennent ces marches, mais nous en avons aussi croisé d’autres qui ne les soutiennent pas.

Ces mobilisations sont-elles pour ces jeunes l’occasion d’apprendre des fonctionnements démocratiques, de devenir citoyen un peu plus chaque jour ? Ou bien ces marches sont-elles pour eux juste l’occasion de sécher les cours, de se balader et s’amuser entre copains ?

Enfin, cette mobilisation des jeunes inclut-elle tous les milieux sociaux, est-elle socialement marquée ?

Ces marches peuvent-elles être incluses dans les missions de l’école ?

Préparer les élèves à devenir des citoyens engagés dans leur école, dans leur quartier, dans la société, c’est une des missions essentielles de l’école. C’est ce que stipulent les articles 6 et 8 du décret Missions[1], qui définissent les objectifs de notre enseignement (voir annexe 1).

Dans le même sens, le texte qui définit la Mission de l’école chrétienne, propre au réseau libre catholique, précise que l’école doit former le futur citoyen à prendre part à la vie collective. L’école vise également à former le citoyen de sa région, de son pays, de l’Europe et du monde dans une société́ démocratique fondée sur le respect des droits de l’homme. Pour que les élèves deviennent des acteurs de la vie sociale, soucieux de justice et de paix, l’école développe en son sein des pratiques démocratiques. De cette manière, elle les prépare à prendre part à la vie collective, dans ses dimensions associatives et politiques[2].

D’un point de vue éducation à l’environnement, ne pourrait-on pas considérer que ces marches peuvent être intégrées dans les missions de l’école comme le prévoit le décret Missions ? Article 67-§2 Le plan de pilotage dont le modèle et les modalités sont arrêtés par le Gouvernement, comprend notamment les points suivants : (…) la stratégie relative notamment à la promotion de la citoyenneté, de la santé, de l’éducation aux médias, de l’environnement et du développement durable. Article 73 -Tous les trois ans au moins, le projet d’établissement comprend également le bilan des indications relatives (…) aux initiatives prises en matière d’éducation aux médias, à la santé, à la vie relationnelle, affective et sexuelle et à l’environnement.[3]

Pour certains, cette mobilisation permet de rendre du sens aux cours, notamment en sciences, et de mettre sur pied des projets qui sensibilisent à l’environnement. On profite de l’état d’esprit ambiant pour reconscientiser les élèves à l’effort écologique, et à mobiliser une équipe qui nous permettra de relancer le tri au sein de l’établissement[4].

Si on pense que les marches sont l’occasion de sensibiliser les jeunes à l’environnement, il faut reconnaître que ces marches ne suffisent pas, elles sont l’occasion de lancer le débat à l’école, en famille et ailleurs, et de lancer des activités mobilisatrices en faveur de notre planète.

A titre d’exemples, nous avons relevé quelques projets mis sur pied dans les écoles : lancer une opération zéro plastique, placer des fontaines à eau, utiliser des gourdes, trier les déchets, installer des parkings à vélos pour encourager leur usage, fabriquer des boules à graines pour les oiseaux (afin de promouvoir la biodiversité), adopter un jour par semaine sans viande, ramasser les déchets le long d’une route, mettre en place une éco-team, réduire la consommation d’eau, d’électricité, de chauffage, encourager les transports en commun, le covoiturage, acheter si possible local, placer des panneaux photovoltaïques...

Démarche citoyenne ?

Certains sont convaincus que cette mobilisation des jeudis constitue un manque pour les apprentissages. Pourquoi ne pas organiser des marches le week-end ? Peut-être n’auraient-elles pas le même succès ? Si on fait le compte, cela fait déjà pas mal de journées d’enseignement perdues. L’enseignement francophone se distingue déjà par des contre-performances lors des comparatifs internationaux, si en plus on institue une culture du brossage et on lui ampute des journées de cours, cela ne risque pas de s’améliorer. Ce témoignage est livré par un enseignant, qui est aussi parent, et qui prétend que les jeunes manifestent contre leur propre style de vie. Les motivations de beaucoup de marcheurs sont floues. Lorsque j’ai demandé à ma fille pourquoi elle souhaitait participer, elle m’a dit que c’est parce que toute la classe y allait… En y réfléchissant, à leur âge j’aurais certainement aussi aimé brosser les cours pour aller me promener avec les copains, surtout si les politiciens, les journalistes, voire même les directions d’écoles, cautionnent ces actions. Mais cela ne constitue pas une bonne motivation[5].

La journaliste norvégienne Kathrine Jebsen Moore pense que l’initiatrice du mouvement, la jeune suédoise Greta Thunberg, manifeste aussi contre son propre style de vie. Cette journaliste écrit que les propos de la jeune suédoise sont adoptés par une fille qui a la chance de vivre confortablement (sa mère est une célèbre cantatrice) dans l’une des contrées les plus riches et les plus sûres. Exhorter les gens à la panique relève peut-être d’une puissance rhétorique certaine, mais son appel à la mélancolie est un étrange moyen d’inspirer la jeunesse. (…) Cette jeune militante dessert la cause qu’elle prétend défendre à coups de pessimisme apocalyptique[6]. D’autres se demandent si Greta Thunberg et les autres figures de proue de ces manifestations ne seraient pas les marionnettes d’un mouvement ou d’un parti ? La journaliste Hélène Maquet se pose la question. La jeune fille qui fait la grève de l'école, chaque vendredi, est-elle manipulée, instrumentalisée ? N'est-elle qu'un gros coup de com' ? Depuis que son visage occupe les médias du monde entier, l'adolescente fait l'objet de toutes sortes de théories, parmi lesquelles il est parfois difficile de démêler le vrai du faux[7].

On peut se demander si tous les élèves se rendent compte des objectifs de leurs marches. Nous avons reçu le témoignage d’un papa qui pense que les marcheurs ne comprennent pas ce que représentent concrètement les objectifs du GIEC[8]. On voit des politiciens de tous bords participer aux marches, sans qu’une seule fois on évoque concrètement comment atteindre les fameux objectifs du GIEC. Ici on ne parle pas de petits gestes, si on veut réellement que la température ne dépasse pas 1,5°C, comme le préconise le GIEC, il faut prendre des mesures drastiques, et elles sont tout simplement inacceptables pour la majorité des citoyens[9].

Par ailleurs, ces marches des jeunes ne constituent-elles pas un apprentissage à la citoyenneté, une occasion de se confronter à d’autres idées, de se forger sa propre opinion, d’oser la transmettre, et d’ainsi aller plus loin que les slogans ? Fatima Amkoui, secrétaire générale de l’asbl Jeune et Citoyen (JEC), écrit qu’il s’agit de nous saisir de l’opportunité que représentent ces manifestations pour aller à leur rencontre et réfléchir AVEC eux à des modèles alternatifs de communication. Et, bien sûr, l’école a un rôle à jouer. Certaines permettent aux élèves de s’absenter pour aller manifester. Mais il faut un accompagnement, les professeurs peuvent aussi se mobiliser, leur donner des outils de communication, d’habilitation à l’expression de leurs besoins, de leurs revendications[10].

Nous nous demandons aussi si tous milieux sociaux sont représentés parmi les jeunes qui manifestent pour le climat. En d’autres termes, l’origine sociale du jeune pourrait-elle être déterminante dans le choix de s’impliquer ou pas dans ces marches pour le climat ? Il n’est pas simple de répondre à cette question, bien qu’il semble que les jeunes des milieux populaires ne soient pas présents en grand nombre au sein des marches pour le climat[11]. Plutôt que d’interpeller la classe politique, sont-ils déjà dans un mode de de vie plus écologique, anti-gaspillage, avant tout pour des raisons budgétaires ? Ne se sentent-ils pas concernés pour manifester ?

Quoi qu’il en soit, nombreuses sont les personnes qui défendent et admirent les jeunes qui se mobilisent pour défendre leurs idées. Nous avons recueilli l’avis d’un papa qui soutient ces initiatives. Là où de nombreux adultes traînent encore les pieds, font la sourde oreille, expriment du scepticisme et de la fatalité, les jeunes sont parfaitement conscients des enjeux, de l'urgence d'agir et de la nécessité de changer radicalement nos modes de production et de consommation. Les slogans et interviews témoignent de cette compréhension : contrairement à ce que certains disent, nos jeunes savent très bien pourquoi ils manifestent. Et en effet, on peut dire qu'ils manifestent contre leur propre style de vie, ou plus exactement contre notre style de vie et nos modes de consommation et de production. Mais ils le reconnaissent : en témoignent les multiples slogans proposant de réduire notre consommation de viande, de limiter l'utilisation de plastic ou les vols en avions. En témoignant également les changements amorcés par de nombreux jeunes qui choisissent de devenir végétarien, de tenter le zéro-déchet, etc... (…)[12].

Notons que le Pacte pour un enseignement d’excellence soutient aussi l’apprentissage de la démocratie à l’école, en demandant le développement d’une dynamique participative au sein même des classes en cohérence avec la dynamique du conseil de participation.[13]

Avis du SeGEC et de l’UFAPEC sur ces marches

Quel est l’avis du SeGEC[14] et de l’UFAPEC sur la participation des élèves à ces marches répétées ? Marcher ne suffit pas, les manifestations sont un tremplin vers une démarche de réflexion. La note du SeGEC relative à ces marches pour le climat précise que cette participation exceptionnelle doit se comprendre comme une démarche d’éducation et non comme une instrumentalisation de l’école au service d’une mobilisation sociale ou politique, aussi légitime soit-elle[15].

La participation à la vie de l’école et de la société est aussi une revendication-phare des parents, reprise dans le Mémorandum UFAPEC 2019. Les parents demandent que soit favorisé le développement dans chaque école d’un projet annuel qui ouvre sur le monde, dont la philosophie s’inscrit dans le projet d’établissement et en concertation avec le conseil de participation. Ce projet doit s’intégrer en fonction des réalités de l’école. Par exemple, en fonction de la situation géographique : une école qui se trouve à côté de la Sambre organise une journée de nettoyage des berges, une école proche d’une maison de repos ou d'un centre d'accueil pour refugiés organise des rencontres, etc. Les projets peuvent toucher à l’éducation à la citoyenneté, l’écologie, le respect, le civisme, viser la participation des élèves dans la vie de l’établissement (...) Les élèves doivent être impliqués dans des actions et des projets concrets afin qu’ils se sentent capables d’être des acteurs et des moteurs du changement[16].

Les revendications des parents de l’UFAPEC mettent aussi l’accent sur le fait que chaque établissement scolaire devrait susciter auprès de chaque enfant, des projets et actions concrètes en lien avec l’environnement, la biodiversité, la gestion des ressources naturelles, l’impact des modes de production et de consommation (vois annexe 2).

Gestion des absences pour les établissements scolaires

En marchant pour le climat, certains jeunes atteignent tout doucement le quota au-dessus duquel ils passent dans un statut d’élève libre et ne sont plus « délibérables » en fin d’année. C’est un réel souci pour de nombreux parents, mais aussi pour les directions d’école.

A ce sujet, la ministre Schyns a envoyé une circulaire invitant les directions d’école à considérer la présence à une des manifestations climat (attestée par les parents ou des professeurs) comme une absence justifiée[17].

En revanche, pour le SeGEC, dans l’hypothèse où la participation à une telle activité ne relève pas d’une activité éducative prévue par l’établissement, l’absence ne peut être qu’injustifiée. En cas d’accident pendant une période d’absence injustifiée, l’accident ne sera pas couvert par l’assurance de l’école, les élèves étant considérés comme étant en « vie privée »[18].

Par ailleurs, le SeGEC propose d’organiser au sein de chaque établissement scolaire une tournante dans la participation des classes aux marches. De cette manière, toute l’école, et donc chaque élève, est concernée par la démarche entreprise, sans pour autant mettre à mal l’organisation de l’école[19]. Pour Adélaïde Charlier, élève du Collège Notre Dame de la Paix à Erpent, et figure du mouvement côté francophone, les jeudis où par exemple il est très important pour les rhétos d’être en classe, d’autres années se mobilisent plus[20].

L’UFAPEC rejoint la position du SeGEC : en tant qu’adultes et éducateurs, une telle mobilisation doit nous inciter à continuer la réflexion avec nos jeunes, et à aller au-delà d’un positionnement sur les absences. En effet, axer notre action sur la seule sanction des absences ne donnera certainement pas un signal positif à l’égard de cette génération qui se montre manifestement pleine d’espoir face à un enjeu de taille pour l’avenir de tous[21].

Conclusion

Certains parents rencontrés témoignent de leur scepticisme par rapport à la participation des jeunes aux marches pour le climat, pensant que cette participation constitue une perte de temps pour les apprentissages. D’autres personnes sont admiratives devant une telle mobilisation. D’où la question centrale de de cette analyse : les marches des jeunes pour le climat constituent-elles réellement un apprentissage de la citoyenneté ?

Il semble que ces manifestations peuvent s’intégrer dans une des missions de l’institution scolaire qui est d’éduquer à l’exercice de la citoyenneté. Mais cette analyse fait ressortir la nécessité d’aller plus loin que la simple manifestation, en intégrant l’apprentissage de gestes citoyens de manière transversale dans chaque cours.

En matière d’éducation à l’environnement, autre mission de l’école, ces marches peuvent aussi s’intégrer dans les programmes. D’ailleurs, nombreux sont les enseignants qui profitent de cet engouement en faveur de la protection de la planète pour intégrer ce thème dans différents cours comme notamment les cours de sciences, d’étude du milieu, de géographie, de religion et d’économie.

Cette analyse a donné un aperçu de projets qui pouvaient être mis sur pied dans le cadre de l’école, projets qui offrent l’occasion à tous les acteurs scolaires de se fédérer, notamment via le conseil de participation.

Mais l’école n’est pas le seul lieu où les jeunes peuvent être sensibilisés à la citoyenneté, et l’entourage plus large du jeune a un rôle à jouer pour l’impliquer dans la vie collective.

 

Bénédicte Loriers

 

 

[1] Décret du 24 juillet 1997 définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre. http://www.enseignement.be/index.php?page=23827&do_id=401, Les deux premiers livres du code de l’enseignement ont été votés et entreront en vigueur le 1er septembre 2020. « CHAPITRE PREMIER Des missions prioritaires Art. 1.4.1-1

http://www.pfwb.be/le-travail-du-parlement/doc-et-pub/documents-parlementaires-et-decrets/documents/001634450

[2] Conseil général de l’enseignement catholique, Mission de l’école chrétienne, projet éducatif de l’enseignement catholique, nouvelle édition, novembre 2014, p. 13. http://enseignement.catholique.be/segec/fileadmin/DocsFede/SeGEC/mission_EC_web_01.pdf

[3] Ibidem.

[4] Comment les écoles se préparent à la manif pour le climat ? témoignage de la direction de l’Institut Saint-Boniface à Ixelles, in L’Écho du 23 janvier 2019.

[5] Témoignage d’un professeur de chimie à la Haute Ecole HELMO Liège, récolté le 20 mars 2019.

[6] JEBSEN MOORE K., Malheur à la ville dont le prince est un enfant, in Lepoint.fr, 30 mars 2019.

[8] Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

[9]. Témoignage d’un enseignant-papa récolté par Bénédicte Loriers le 20 mars 2019.

[10] AMKOUY Fatima, Marches pour le climat, Comment accompagner ? in Entrées libres n°136, février 2019.

[11] De CABANES A., La mobilisation pour le climat est socialement marquée, in La Libre Belgique, mercredi 27 mars 2019.

[12] Témoignage d’un papa recueilli par Bénédicte Loriers le 31 mars 2019.

[13] Pacte pour un enseignement d’excellence, avis n°3 du groupe central, 7 mars 2017, p. 309.

[14] Secrétariat Général de l’enseignement catholique.

[15] Note du SeGEC relative aux marches pour le climat, 29 janvier 2019 http://webservices.segec.be/gestdoc/Topix/web/app.php/download/14622

[17] Circulaire n° 7045 du 14 mars 2019 : https://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/46055_000.pdf

[18] Note du SeGEC relative aux marches pour le climat, 29 janvier 2019 http://webservices.segec.be/gestdoc/Topix/web/app.php/download/14622

[19] Ibidem.

[20]CHARLIER A., in L’écho, 31 janvier 2019.

[21] Note du SeGEC relative aux marches pour le climat, 29 janvier 2019 http://webservices.segec.be/gestdoc/Topix/web/app.php/download/14622

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