Analyse UFAPEC juin 2021 de Dominique Houssonloge et Jean-Philippe Schmidt

07.21/ Redoublement : la Fédération Wallonie-Bruxelles toujours championne !

Introduction

Depuis 2015, la première réforme systémique et ambitieuse de notre système scolaire s’est mise en place. Le Pacte pour un enseignement d’excellence est né des constats, étayés par la recherche, du manque d’efficacité et d’équité de notre système scolaire avec un taux d’échec et de redoublement particulièrement élevé[1]. C’est sur la pratique et les effets du redoublement en secondaire que portera notre analyse.[2]

Le redoublement est aujourd’hui interdit au 1er degré du secondaire et le taux de redoublement est globalement en baisse. Par ailleurs, un des objectifs essentiels du Pacte étant la lutte contre l’échec scolaire[3], les plans de pilotage[4], la réforme du tronc commun[5] et une pédagogie axée sur la différenciation et la remédiation sont occupés à se mettre en place.

Et pourtant, la pratique du redoublement est encore le premier moyen activé dans les écoles pour répondre à l’échec scolaire. La FWB reste championne du redoublement au niveau des pays de l’OCDE[6] ! A 15 ans, un enfant sur deux a déjà redoublé au moins une fois dans son parcours d’élève. Ce redoublement coûte cher à l’élève, mais aussi à la FWB : 10 % de son budget enseignement…

Qu’est-ce qui explique qu’on garde ainsi cette « place de choix » ? Est-ce la responsabilité de l’école, et en particulier des enseignants, qui continuent à faire comme on a toujours fait ? Est-ce, bien au-delà des pratiques enseignantes, une culture du redoublement et de l’échec scolaire au niveau sociétal, les écoles répondant ainsi à un attendu de la société ? Est-ce lié à la conception du rapport au savoir et de ses programmes que l’école continue à véhiculer au détriment du rapport à l’apprenant ?

L’UFAPEC est régulièrement interpellée par des parents sur la question du redoublement. Si certains sollicitent son avis concernant des redoublements qu’ils jugent injustifiés, à l’inverse, d’autres la consultent parce qu’ils souhaitent faire doubler leur enfant « pour son bien » et contre l’avis de l’école.

A côté de cela, l’UFAPEC est souvent témoin du découragement, de l’incompréhension et de la révolte d’élèves et de leur famille face à un système scolaire à qui ils ont fait confiance et qui a manqué à sa mission. Et ce, tout particulièrement durant la crise sanitaire où la course au programme et le gavage intensif des savoirs[7] sont trop souvent restés les priorités malgré les assouplissements du législateur et en dépit des difficultés et du décrochage de nombreux élèves.[8]

Engagé pour une école de la réussite et un enseignement d’excellence qui reposent sur le droit à l’éducation pour tous, notre mouvement tenait à parler sans ambigüité du redoublement parce qu’il conduit principalement à la spirale de l’échec, de la relégation (orientation imposée) et de l’abandon scolaire et parce que le redoublement est inéquitable (les élèves des milieux défavorisés étant nettement plus impactés).

Faits et chiffres

Précisons tout d’abord ce que l’on entend par redoublement : c’est le fait pour un élève de recommencer une année scolaire.[9]
Nous ne parlons même pas ici de la pratique courante de délivrer une AOB[10] vers l’enseignement technique ou professionnel, l’élève relégué étant amené à faire des pseudo-choix.

En 2019, la FWB a consacré 8 milliards 125 millions € à son système éducatif. D’après les indicateurs de l’enseignement, l’échec scolaire a généré un surcoût d’environ 391 millions € dans l’enseignement obligatoire ordinaire de plein exercice selon les chiffres officiels.[11]

statistiques du coût du redoublement en FWB de 2009 à 2019

Depuis 2010, le taux de redoublants diminue faiblement à l’école secondaire ordinaire, passant de 15,3 % à 12,9 %, mais nous constatons une petite reprise depuis deux ans.

Voici d’autres chiffres éclairants :

statistiques de redoublement en fonction de l'année et du sexe

Les indicateurs montrent que, globalement, les garçons sont plus en retard et ce dans n’importe quelle filière. La hiérarchisation des filières est malheureusement très explicite. On ne s'étonnera pas que dans la dynamique de relégation qui caractérise notre enseignement secondaire, les élèves « à l’heure » (donc les non-redoublants) soient plus nombreux dans le général que dans les autres filières, avec des taux de 70 % en 5e générale contre 10 % en 5e professionnelle.

Par ailleurs, concernant le lien entre retard lourd[12] et niveau socioéconomique, les résultats confirment le poids du déterminisme social : plus le milieu d’origine est socioéconomiquement défavorisé, plus la probabilité pour un doublant d’avoir doublé plus d’une fois est élevée. L’impact du milieu socioéconomique sur le risque de « récidive » n’est observé que dans 7 pays sur 34. La Fédération Wallonie-Bruxelles se caractérise par un déterminisme social important sur le risque d’être un grand retard scolaire.[13]

Enfin, il semblerait que le changement d’école fréquent (11,7 % des élèves de l’enseignement secondaire) provoque chez ceux-ci, trois fois plus de redoublement.[14]
La question de l’efficacité de l’orientation est ici clairement en jeu. La mise en place du plan individuel d’apprentissage (PIA)[15] élargie à tous les élèves semble indispensable.
Pascale Prignon, secrétaire générale adjointe de la Fédération de l’Enseignement secondaire (FeSEC), nous explique : « Pour rappel, l’élève et ses parents sont invités à l’élaboration de ce PIA. Je crois beaucoup au travail de l’éducation au choix. Permettre au jeune d'élaborer son projet d'apprendre, son projet professionnel, son projet de vie... avoir un projet permet d'appréhender les choses de manière plus positive ».[16]

Des croyances tenaces

Pourquoi continue-t-on à faire redoubler autant en secondaire alors que cette pratique pédagogique ne porte pas ses fruits et s’avère même inefficace quand elle n’est pas contre-productive ? En effet, le redoublement tel qu’il est pratiqué se résume souvent à refaire la même chose de la même façon en espérant de meilleurs résultats, de quoi être démotivé ou en perte de confiance en soi et dans le système. Dans un ouvrage de référence en matière de redoublement Peut-on lutter contre l’échec scolaire ? sous la direction de Marcel Crahay, on peut lire que les recherches mettent en évidence les effets délétères du redoublement sur le devenir scolaire à long terme (équivalence des compétences scolaires mais en un an de plus, risque accru de décrochage, déclin des chances d’obtention d’un diplôme ou d’une inscription d’enseignement supérieur). On ne peut pas oublier non plus les études anglo-saxonnes qui attestent du lien entre redoublement et décrochage scolaire. Ce constat combiné avec celui des conséquences socio-affectives négatives (estime de soi, confiance en soi, ajustement socio-émotionnel) nous paraît crucial.[17]

Et pourtant, des enseignants continuent à croire que le redoublement est le meilleur moyen de remettre un élève à niveau et, par ailleurs, que le redoublement reste un des seuls moyens de contrainte pour impliquer les élèves dans les apprentissages (pas de bonnes notes, pas de passage dans l’année supérieure), qui plus est avec des ados nettement moins motivés par le scolaire. La professeure Micheline-Johanne Durand[18] constate qu’il y a deux manières de concevoir le redoublement pour le milieu de l’école : soit le redoublement constitue un outil d’intervention qui vise à venir en aide aux élèves en difficulté. Il leur offre, alors, une seconde chance. D’autres acteurs du milieu scolaire considèrent plutôt que le redoublement réfère à une méthode punitive qui contribue à augmenter le taux d’échec scolaire.[19] On le voit, la tension est bien présente entre ces deux approches. Pour certains enseignants et même pour certains parents, une école qui ne pratique pas le redoublement est inconcevable. C’est un mal nécessaire. A l’UFAPEC, nous entendons régulièrement ce genre de remarques. Marie, maman de Pénélope en 2e secondaire : Ma fille ne peut quand même pas passer, si elle a des lacunes. Je veux qu’elle redouble. Patrick, enseignant de français en 4e secondaire : Il est mieux pour Antoine de recommencer son année. Il repartira sur de bonnes bases.

Cela fait partie des « habitudes » et des croyances en FWB comme partout où l’on a toujours pratiqué ainsi. Un sondage de 2012[20] montre que 70 % des parents et 64 % des professeurs interrogés sont d’accord avec la phrase « Le redoublement permet réellement à l’élève de rattraper son retard et d’être mieux préparé pour les classes supérieures. » Faire redoubler un élève serait aussi permettre au jeune de développer sa maturité et de prendre du temps pour consolider ses apprentissages.

Vouloir que tous les élèves deviennent intelligents, cultivés, etc., est une utopie. Faire en sorte que tous ces chers bambins accèdent aux études supérieures suppose que l’on nivelle par le bas. Résultats : je côtoie de jeunes universitaires au travail et je constate que l’orthographe et la grammaire sont déplorables, et je ne parle même pas de leur « culture générale ». Parlez-leur de peinture ou littérature et ils vous regardent comme si vous étiez un extraterrestre !!!

Et encore heureux qu’elle [la ministre de l’Enseignement] ne veut pas interdire le redoublement. Dans ce cas aussi, aussi, autant arrêter les évaluations puisqu’il n’y a aucune sanction […] Ce système est basé sur le fait que les élèves sont motivés et veulent réellement apprendre ; cependant sans le bâton, peu le seront et feront d’efforts.[21]

Les chercheurs montrent clairement le caractère systémique des croyances dans les pratiques du redoublement associé à une culture de l’échec : l’analyse des données recueillies au cours de ces différentes recherches tend à confirmer la thèse selon laquelle ces systèmes éducatifs [France, FWB et canton de Genève] sont imprégnés par une culture de l’évaluation, de l’échec et du redoublement. Une majorité de parents, d’enseignants et d’élèves adhèrent à la pratique du redoublement […] Cette culture de l’échec semble particulièrement vivace en FWB[22]

Ces croyances sont partagées par les enseignants, mais aussi par les parents, les élèves et M. et Mme Tout le monde, comme l’illustrent les témoignages ci-dessus et comme le montrent les chercheurs, entre autres, dans Peut-on lutter contre le redoublement ? [23]

Oser douter, dans certains établissements élitistes dans le chef des professeurs ou des parents, de l’efficacité du redoublement serait aussi faire du nivellement par le bas… N’y a-t-il pas là, des enjeux pour les milieux possédant un certain capital scolaire de maintenir leur rang socio-culturel ?

Par ailleurs, il est suspect qu’un enseignant fasse réussir tous ses élèves : il serait laxiste. Le professeur, qui hérite des élèves l’année suivante, devra rattraper le tout par une posture sévère demandée par l’institution. Il se disait que les élèves qui réussissaient dans ma classe étaient bien formés, parés pour les années ultérieures. Des parents m’en félicitaient. La culture de l’établissement ne permettait guère aux autres de protester. Je compris plus tard que c’était chez mon collègue « laxiste » que les élèves étaient des heureux apprenants.[24] Il semble évident que ces heureux apprenants étaient motivés pour apprendre. L’encadrement de cet enseignant dit laxiste était bienveillant, constructif, à l’écoute des difficultés de ses élèves. Comment éviter le principe de culture de l’échec ? Il est ardu de la part d’un enseignant d’engager sa responsabilité et de laisser passer un élève vers un professeur de la classe supérieure sans l’assurance que ce jeune puisse suivre…

Et que penser des divergences de pratiques entre établissements ou même entre enseignants au sein d’une même école ? Dans l’école « A », réputée plus facile, l’élève passera dans l’année supérieure. Dans l’école « B », réputée plus « select » ou « élitise », l’élève, avec les mêmes options et résultats que l’élève de l’école « A », aura une AOB ou une AOC[25]. Est-ce à dire que le redoublement ne touche pas seulement aux compétences de l’élève, mais aussi aux exigences, aux pratiques et aux modes d’évaluation propres à chaque établissement ou à chaque enseignant ?

Unia va dans ce sens dans le Baromètre de la diversité qu’il a publié en 2018 : l’orientation vers le professionnel n’est que rarement le résultat d’un choix positif, mais plutôt le produit d’une orientation « en cascade ». Cela signifie qu’à la suite d’un échec, l’élève se voit délivrer une attestation d’orientation B. Celle-ci autorise le passage dans la classe supérieure mais avec une restriction, barrant l’accès à certaines options. Pour ne pas redoubler, l’élève est incité à choisir une autre option, souvent considérée comme plus faible… Cela montre que les enseignants et les directions ont tendance à développer une perception stéréotypée de l’échec des élèves, selon leur origine sociale, nationale ou ethnique, ou leur genre.[26] En effet, les chiffres montrent que ces orientations en cascade touchent davantage les jeunes issus des milieux populaires ou de l’immigration.

Du côté des responsables de l’enseignement libre, la FeSEC envoie aux directions de l’enseignement secondaire une note intitulée Pour une délibération réussie depuis des années. Note que chaque directeur reçoit fin mai - début juin, qui recontextualise les choses, qui mentionne quelques grands principes et qui est destiné à l’aider dans le pilotage de son établissement. Pascale Prignon[27], nous partage un extrait de celle de 2021 : Au vu des circonstances exceptionnelles vécues cette année et de l’impact psychologique et émotionnel des mesures sanitaires sur les jeunes, il sera accordé une attention particulière à l’intérêt de l’élève, tant d’un point de vue pédagogique que psycho-éducatif, en tenant compte des perspectives les plus favorables pour lui en termes de poursuite du parcours scolaire et en valorisant particulièrement ses réussites. Cela signifie qu’il faudra envisager toutes les pistes d’accompagnement et de remédiation possibles pour favoriser le passage dans l’année supérieure, en accordant aux décisions de redoublement un caractère exceptionnel et en évitant les sessions d’examens de repêchage. Changement de vision en vue ? Ceci participera-t-il à une évolution des représentations sur le redoublement ?

Un remède pire que le mal qu’il prétend soigner ?

Comme nous l’avons déjà dit, des scientifiques ont étudié le problème du redoublement en FWB et ailleurs. Leurs recherches présentent des divergences qui nourrissent le débat ; elles sont pour le moins unanimes sur la nécessité de lutter contre l’échec scolaire source de discrimination.

Sous la direction de Benoit Galand (UCLouvain), le service d’analyse des systèmes et des pratiques d’enseignement (aSPe) de l’Université de Liège sort un texte fort intitulé : le redoublement est inefficace, socialement injuste, et favorise le décrochage scolaire.[28]

L’équipe d’universitaires ne prétend pas que la promotion automatique apporte une solution, mais elle souligne que le redoublement est un remède pire que le mal qu’il prétend soigner… Elle admet également que trouver des arguments scientifiques en faveur du redoublement est difficile mais qu’à l’inverse, nous disposons d’indices pointant son inutilité voire ses conséquences négatives potentielles. L’équipe conclut ainsi : si le redoublement était un médicament, il serait interdit, car il n’a pas fait la preuve de ses bénéfices, et s’accompagne régulièrement d’effets secondaires négatifs. Si nous voulons réduire les inégalités qui minent notre système scolaire et soutenir les élèves en difficulté, il est temps de changer de médecine.

A cela, Hughes Draelants (UCLouvain) leur répond par un texte intitulé Le redoublement n’est pas un médicament.[29] En effet, avant de recourir au redoublement, il suggère de penser les conditions de possibilités d’un usage plus réflexif du redoublement. Son propos ne vise nullement à réhabiliter le redoublement, mais plutôt à le dédiaboliser. Il est frappé de constater combien le redoublement tend à être présenté comme un des problèmes majeurs de l’école belge francophone, voire comme le premier problème de notre école, alors qu’il n’est qu’un symptôme d’un problème plus profond : les difficultés de certains enfants, généralement ceux issus des milieux populaires, face aux apprentissages scolaires. Ne nous trompons donc pas de cible, réduire le taux de redoublement n’est pas une fin en soi, ce qui importe est de réduire les inégalités d’acquisitions cognitives et culturelles.

Dans la même idée, Megan Fresson et Benoît Dardenne dans Peut-on lutter contre l’échec scolaire ? émettent une hypothèse intéressante : les effets négatifs du redoublement -performances, estime de soi, sentiment de compétence et motivation scolaire ne viendraient pas du mécanisme de redoublement en soi mais bien des stéréotypes dévalorisants véhiculés par rapport aux redoublants (terme qui parle déjà par lui-même) : paresseux, manquant d’intelligence[30]

À la lumière de ces constats, faut-il pour autant interdire de manière décrétale le redoublement ? Sûrement pas et il n’y a que trois pays en Europe[31] qui l’imposent[32], tous les autres le permettent et le redoublement n’est que la face émergée de l’iceberg.

Ce sont nos lunettes qu’il faut changer, pour changer de regard. Un système scolaire qui repose sur la culture de l’échec, des points, un rapport au savoir utilitaire (on travaille pour des notes ou pour ce que le diplôme va permettre d’obtenir directement), un rapport au savoir transversal (l’enseignant transmet le savoir via le programme à un élève qui est certes gavé, mais qui n’est pas acteur de ses apprentissages et donc qui n’est pas motivé et qui s’ennuie) [33], ce système ne peut pas prétendre à être efficace ni équitable.

On choisit trop vite de mettre le curseur sur la matière et le programme (par goût de l’enseignant pour la matière, par réputation de l’école, par rapport aux attendus des parents) que sur l’élève, sa réussite et son intégration ! Une réflexion est indispensable sur la manière de concilier les deux et de les penser comme complémentaires.

Dans ce sens, le Pacte a défini la créativité, l’engagement et l’esprit d’entreprendre, apprendre à apprendre et poser ses choix comme sixième et septième domaines d’apprentissage du référentiel du tronc commun[34].

Des alternatives

Dans son Mémorandum 2019, l’UFAPEC demande que le redoublement soit mis en œuvre dans des situations exceptionnelles et de :

1. permettre à chaque élève d’avancer à son rythme, suivant un parcours à déterminer et progressif.
2. identifier clairement les matières constituant des prérequis.
3. valoriser les unités d’acquis d’apprentissage (UAA) non seulement dans la filière métier[35], mais également dans la filière de transition et tout au long du tronc commun.
4. évaluer les compétences de l’élève avant d’en proposer d’autres.
5. valoriser un accompagnement et une remédiation immédiats et individualisés.
6. accorder les moyens à tous les élèves pour progresser, indépendamment de la nature de leurs difficultés[36].

Il y a quelques semaines, Caroline Désir, ministre de l’Éducation, a envoyé aux écoles une circulaire[37] invitant les équipes pédagogiques à faire preuve de bienveillance dans l’appréciation des acquis des élèves et que la décision du conseil de classe soit prise en dialogue avec les parents et les élèves.
Les travaux du Pacte ont montré l’envie de réformer des manières de faire dans le système éducatif à ce niveau. La pandémie aurait-elle accéléré le mouvement ?

Y a-t-il des alternatives au redoublement ? Comment sortir de cette culture du redoublement ? C’est là un des grands défis du Pacte qui s’est fixé comme objectif de réduire de 50 % le redoublement en FWB pour 2030 tout en augmentant les résultats moyens des élèves dans les savoirs de base[38]. S’inscrire dans une pédagogie axée sur la personnalisation et la remédiation demande l’adhésion de l’équipe éducative. C’est un changement de modèle qui demandera du temps mais aussi une formation, un accompagnement et un soutien des enseignants pour que tous puissent concevoir et s’autoriser d’autres pratiques.

Des alternatives au redoublement sont possibles. Des écoles, des enseignants se sont déjà engagés dans cette voie avec des résultats probants.

L’une de ces alternatives est d’évoluer dans les modes d’évaluation. Ne pas courir après des évaluations notées, mais plutôt des évaluations formatives qui permettent aux enseignants, aux élèves et aux parents de voir d’abord les réussites réalisées et ensuite de cibler, diagnostiquer plus précisément les difficultés rencontrées. A ce titre, la FeSEC a transmis un document important et novateur à toutes les directions. P. Prignon[39] : Pour nous, l’évaluation scolaire est un des outils les plus puissants dont disposent les enseignants pour améliorer les apprentissages de leurs élèves. Elle fait partie intégrante de l’apprentissage, à toutes les étapes. Se contenter de faire passer un test, de le corriger et d’y attribuer une note n’aura que peu d’effets s’il n’existe pas, en amont d’une part, des moments d’évaluation sommative[40] et d’autre part de la part du conseil de classe, un travail de diagnostic, d’intervention et de communication. En optimisant ces éléments, la démarche deviendra alors une véritable « évaluation-valorisation » au service de l’apprentissage, bien éloignée de la manière dont elle est trop souvent perçue par les acteurs concernés, que ce soient les enseignants et les élèves, mais aussi les parents, à savoir une « évaluation-sanction » pénalisant les élèves en difficulté, sans analyser ni surmonter celle-ci.

Une autre alternative étroitement liée à l’évaluation formative est de travailler efficacement la remédiation et de l’inclure comme partie intégrante du processus d’apprentissage. Cela demande au préalable de revoir le concept lui-même comme le prévoit le Pacte :  La remédiation s’envisage dans un processus d’apprentissage non linéaire (spiralaire) et multidimensionnel (pas seulement cognitif), où le fait de rencontrer des difficultés est ordinaire. La remédiation est donc conçue comme partie intégrante des modalités d’enseignement-apprentissage et répond aux différences de rythme et styles d’apprentissage des élèves[41].

Chaque école met en place de la remédiation en fonction de son public (rattrapage, remédiation psycho-relationnelle, méthodes de travail sur l'encadrement périscolaire, sur le tutorat, etc…). « La remédiation ne fonctionne pas sur du copié-collé », nous dit P. Prignon[42]. Elle ajoute : « il ne faut pas donner cette heure de remédiation en dehors du volume horaire. Cela rallonge la journée...et la quantité de travail. C'est à l'enseignant, au moment de son enseignement, de pouvoir apporter directement une maitrise des éléments. On donne des pistes pour travailler en classe et surtout travailler les représentations d'élèves avant de lui soumettre une tâche d'apprentissage. L'élève se lancera dans une tâche d'apprentissage à partir du moment où il aura une représentation de l'accessibilité ou la possibilité de la réaliser. Le faire de manière collective aura plus de poids, il permettra aux élèves qui ont compris de restructurer leur savoir et autres de le maitriser, enfin. » Mieux travailler la remédiation, c’est aussi respecter le rythme de l’apprenant. Les élèves n’évoluant pas tous en même temps et au même rythme, cela ouvre également de nouveaux champs de réflexion. Est-il pertinent d’avancer en laissant des élèves largués sur la route ? Est-il pertinent de reléguer quelqu’un qui ne se connaît pas et qui ne sait pas où il va ?

Une autre alternative est de maintenir ou recréer le triangle pédagogique et de changer le rapport au savoir. En effet, selon le pédagogue Jean Houssay, la situation pédagogique peut être définie comme un triangle composé de trois éléments, le savoir, le professeur et les élèves, dont deux se constituent comme sujets tandis que le troisième doit accepter la place du mort ou, à défaut, se mettre à faire le fou (comme au bridge)[43]. En fonction des deux éléments privilégiés, on sera dans la posture Enseigner, apprendre ou former.

triangle pédagogique : savoir-enseignant-étudiant

En évitant un rapport asymétrique au savoir où l’enseignant connait sa matière et l’enseigne et où l’étudiant se résigne « à faire le fou », il y a reconnaissance d’un trio où l’élève peut être pleinement acteur. P. Prignon complète[44] : « Il faut mettre l'élève en situation de projet, il écoutera l’enseignant différemment et il participera autrement... Travailler aussi la réflexivité (Prendre du recul sur sa pratique d’apprenant) ... Comment ai-je fonctionné pour apprendre ? »

Thérèse, enseignante en sciences à Charleroi, propose une manière de faire qui favorise la culture de la réussite : « Lors d’une première interro, je formule cinq questions. Je permets aux élèves de choisir deux questions auxquelles ils vont pouvoir répondre... Cette variété de questions, lors d’interrogations répétitives, m'a permis de constater qu'en fin d'année tous mes élèves avaient répondu aux attendus. J’avais placé mes élèves dans un cadre sécurisant, ludique et motivant. »
Par cette manière de faire, cette enseignante prend la mesure de l’intérêt et la motivation de l’élève comme premier vecteur de l’apprentissage. L’élève se place d’abord dans la posture « je travaille pour apprendre » et non plus « je travaille pour réussir ».

Dernière alternative : rencontrer le quatrième objectif d’amélioration du système scolaire via le plan de pilotage.[45] Depuis quelques mois, chaque établissement a rédigé ou est en train de rédiger un plan de pilotage[46] suivant ses réalités locales. Les écoles poursuivent les objectifs d'amélioration permettant au système éducatif de, par exemple, réduire progressivement le redoublement et le décrochage. Ce travail de collaboration et de réflexion pose aussi la question de la formation continue des enseignants (il faut convaincre les anciens), mais aussi de la formation initiale où le principe d’un non-redoublement travaillé et construit semble faire chemin.

Conclusion

On nous le dit depuis longtemps déjà : le redoublement n’est pas une pratique efficace pour réduire l’échec et les inégalités scolaires. Au contraire la pratique intensive du redoublement telle que pratiquée en FWB, qui remporte toujours la palme en la matière, comporte le risque majeur, par les préjugés négatifs qu’elle génère, de stigmatiser, exclure, démotiver, reléguer et faire décrocher plus d’élèves que d’en aider.

Pourtant notre société et notre système scolaire continuent dans cette voie, par habitude, convictions culturelles et incapacité à changer de modèle. On a toujours pratiqué ainsi alors pourquoi et comment faire autrement ?

Si ne plus faire redoubler et ne rien mettre en place à côté n’est pas une solution, des alternatives au redoublement existent déjà et s’avèrent efficaces là où elles sont portées, encouragées et partagées.

La crise sanitaire a généré la fermeture des écoles, l’obligation de l’enseignement hybride dès la 3e secondaire, la pression sur les apprentissages et la course au programme coûte que coûte, malgré le mal-être et l’isolement des adolescents. Beaucoup en cette fin d’année scolaire sont démotivés, certains ont carrément décroché. Peut-être cela nous aidera-t-il à comprendre la nécessité d’une pédagogie qui laisse une large part au plaisir d’apprendre ensemble, au droit à l’erreur et au questionnement ?

Comme les travaux du Pacte l’envisagent, cela demande que les écoles, les équipes éducatives mais aussi tous les partenaires dont les parents puissent s’emparer de la question pour envisager une modification profonde de la manière d’évaluer et d’utiliser l’évaluation. Cela passe nécessairement par la mise en place d’un nouveau paradigme quant au fonctionnement des conseils de classe et de la prise en compte d’une vision à 360° de l’élève lorsqu’une décision de redoublement ou un conseil d’orientation est donné (l’AOB étant appelée à disparaître). Cela nécessite l’éducation au choix, mais aussi la prise en compte des manières multiples d’apprendre et la nécessité de travailler la confiance en soi de l’élève et sa capacité à entreprendre.

La lutte contre l’échec scolaire et le redoublement est à l’origine et au cœur des travaux du Pacte. Peu à peu, la réforme prend forme et dessine les contours d’une nouvelle école. Mais une réforme si ambitieuse soit-elle, ne pourra se faire que si les mentalités changent. Cela demande d’abord de croire à l’éducabilité de tous.

 

Dominique Houssonloge et Jean-Philippe Schmidt

 

 


[1] Source : Fédération Wallonie-Bruxelles, Le Pacte pour un enseignement d’excellence, http://www.enseignement.be/index.php?page=28280

[2] En ce qui concerne l’enseignement fondamental, le décret du 14 mars 1995 relatif à la promotion d’une école de la réussite interdit le redoublement. Les Conseils de classe ne peuvent pas imposer à un élève un maintien dans l'année d’études fréquentée sans l'accord préalable de ses parents. Le Conseil de classe ne peut proposer qu’une seule fois que l'élève soit maintenu dans son année d’études. Pour la fréquentation d'une 8e et d'une 9e année dans l’enseignement fondamental, les parents doivent introduire une demande de dérogation.

[3] Axe stratégique 4 du Pacte - Afin d’améliorer le rôle de l’enseignement comme source d’émancipation sociale tout en misant sur l’excellence pour tous, favoriser la mixité et l’école inclusive dans l’ensemble du système éducatif tout en développant des stratégies de lutte contre l’échec scolaire, le décrochage et le redoublement. Le Pacte vise un enseignement de haut niveau et la lutte contre le redoublement y contribue indéniablement. Le Groupe Central considère que la lutte contre le l’échec et le redoublement constitue un objectif essentiel du Pacte. Source : Enseignement.be - Document: Pacte d'Excellence - Avis N° 3 du Groupe central, 7 mars 2017 p. 225.

[4] Le plan de pilotage est élaboré par l’école dans le cadre d’une dynamique collective mise en place au sein de l’équipe pédagogique et éducative. Les équipes construisent les solutions qui leur paraissent les plus adéquates eu égard à leur situation et proposent elles-mêmes les stratégies à définir pour rencontrer les objectifs spécifiques qu’elles se fixent. Concrètement, le plan de pilotage décline les objectifs spécifiques que l’école se propose de mettre en œuvre pour atteindre les objectifs d’amélioration du système éducatif. Chaque école détermine, en fonction du diagnostic qu’elle a posé, sur quels objectifs spécifiques elle devra se concentrer prioritairement. Source : https://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/46684_000.pdf p. 2.

[5] Les grandes finalités d’un tronc commun redéfini et renforcé - polytechnique et pluridisciplinaire - consistent dans la plus grande maîtrise des compétences disciplinaires de base et d'un bagage commun de savoirs fondamentaux par tous les élèves ; la construction d’une citoyenneté commune reposant sur un ensemble de valeurs et de références partagées ; la promotion d’une plus grande égalité sociale face à l’école ; et la garantie de la maturation du choix d’orientation ultérieur, notamment par le recul du choix des filières de spécialisation. Source : Enseignement.be - Document: Pacte d'Excellence - Avis N° 3 du Groupe central, 7 mars 2017 p. 46.

[6] L'Organisation de coopération et de développement économiques est une organisation internationale d'études économiques, dont les pays membres — des pays développés pour la plupart — ont en commun un système de gouvernement démocratique et une économie de marché.

[7] Retour à 100 % à l’école : surtout pas un retour à l’anormal, 12 mars 2021, Carte blanche parue dans La Libre Belgique du 12/03/2021. Source : http://www.ufapec.be/positions-de-l-ufapec/12032021-carte-blanche-fin-d-annee-scolaire.html

[8] Notamment lors de l’interrégionale UFAPEC Liège-Charleroi du 31 mars 2021, Motiver ses ados, en période de (dé)confinement. Comment les rebooster ? http://www.ufapec.be/agenda/31032021-reg-motivation.html

[9] Auteur du "Dictionnaire des belgicismes", Michel Francard note que l’utilisation du verbe "redoubler" est essentiellement français, alors que "l’usage de ‘doubler’ est le plus anciennement attesté" et encore utilisé dans de nombreux pays francophones. "Le concurrent ‘redoubler’, d’abord employé avec le sens de ‘rendre double’, a pris au XIXe siècle le sens de ‘recommencer’ (une année d’étude). Cet emploi en contexte scolaire de ‘redoubler’ est donc une innovation hexagonale." In LLB, le 27 juin 2018, par Bosco d’Otreppe.

Source : https://www.lalibre.be/belgique/doubler-ou-redoubler-5b33be3f5532692547c486d7

[10] Attestation Orientation B est une attestation de réussite avec, pour le passage à l’année supérieure, restriction sur le choix de la section, de la forme ou de l’option.

[12] Nous pouvons considérer qu’un retard lourd, c’est un retard de trois ans et plus.

[13] Baye A., Chenu F., Crahay M., Lafontaine D., Monseur C., Le redoublement en FWB, 2014. Source : Le redoublement en FWB.pdf (uliege.be) p. 23.

[14] Les indicateurs de l’enseignement 2020 p. 40 - Ces nombreux changements d’école produisent, outre des difficultés d’organisation, une ségrégation des publics tout au long du parcours scolaire. Ils posent aussi la question de l’effectivité du continuum pédagogique et de l’efficacité des orientations proposées.

[15] Décret relatif à l'organisation pédagogique du 1er degré de l'enseignement secondaire p. 4. Microsoft Word - 20060630s30998.doc (cfwb.be)

[16] Entretien réalisé via visioconférence le 4 juin 2021.

[17] Peut-on lutter contre l’échec scolaire ? sous la direction de Marcel Crahay, 4e édition revue et corrigée, Louvain-La-Neuve, 2019, p. 230.

[18] Professeure titulaire à la Faculté des sciences de l'éducation de l’Université de Montréal. https://fse.umontreal.ca/faculte/corps-professoral/fiche/in/in15265/sg/Micheline-Johanne%20Durand/

[19] Durand, M.-J., Redoublement, Repentigny, Québec : Commission scolaire des Affluents. 1999.

[20] OpinionWay, Le redoublement à l’école, quels ressentis des enseignants et des parents. Sondage, Novembre 2012. Présentation PowerPoint (apel.fr)

[21] Peut-on lutter contre l’échec scolaire ? op. cit., p. 292-293.

[22] Idem, p. 351.

[23] Idem, chapitre 5 et p. 437.

[24] Maingain, A., Quelles écoles pour demain ?, Mardaga, 2019, p. 137.

[25] Attestation d’Orientation C ou attestation d’échec.

[27] Entretien réalisé via visioconférence le 4 juin 2021.

[28] Galand, B. et al., Le redoublement est inefficace, socialement injuste, et favorise le décrochage scolaire, aSPe, les cahiers des sciences de l’éducation n°38, 2019 - http://www.aspe.ulg.ac.be/Files/cahiers_aspe_redoublement.pdf

[29] Draelants, H., Le redoublement n’est pas un médicament - Réponses et pistes pour une approche modérée et réflexive de son usage, Les Cahiers de recherche du Girsef, mai 2019.

[30] Peut-on lutter contre l’échec scolaire ? op. cit., chapitre 4.

[31] Bulgarie, Islande et Liechtenstein.

 

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