Analyse UFAPEC Septembre 2023 par A. Floor

07.23/ Les groupes WhatsApp de parents : un plus pour le partenariat école-familles ?

Introduction

Les groupes WhatsApp[1] ou autre application de messagerie instantanée réunissant des parents d’élèves fleurissent de plus en plus dans nos écoles. Ce sont des parents d'une même classe d'enfants, principalement de maternelle ou primaire, qui sont conviés à rejoindre ce genre de groupes ; en effet, les enfants ne sont pas encore autonomes dans leur organisation et les informations diffusées sur le groupe permettent d'éviter des oublis de matériel ou d'équipement de sport, de recevoir des informations sur les devoirs ou leçons... Une fois, en secondaire, ce seront généralement les élèves qui seront à la manœuvre. Le côté pratique et instantané de ce canal de communication, la possibilité de créer facilement du lien, de s'entraider et de s'intégrer dans la classe de son enfant motivent souvent la décision de s’y inscrire. Cette adhésion peut mener cependant à certaines dérives. S’en prendre à un des enseignants de la classe, à un élève dérangeant, à l’organisation de l’école via ce groupe et s’échauffer les uns les autres, faire circuler des rumeurs, etc., sont le revers de la médaille, surtout si aucun professionnel de l'école n'y est présent[2]. Comment faire pour éviter que ces groupes dérapent en devenant des radios trottoirs qui portent atteinte à la réputation d’une école, d’un enseignant, d’un parent, d’un élève ? C’est un vrai défi de vie en communauté qui confronte des droits fondamentaux tels que celui de la liberté d'expression (article 19 de la déclaration universelle des droits de l'homme) et celui du respect de l'honneur et de la réputation de chaque individu (article 12 de la même convention). N'oublions pas non plus que nous adultes et parents sommes observés par nos enfants. Si nous adultes, nous arrivons à interagir de manière respectueuse et positive via ces plateformes, nous pourrons peut-être les aider à éviter les écueils du harcèlement et du cyberharcèlement.

Les plus de ces groupes

Les familles vivent souvent à des rythmes effrénés en jonglant entre l'école, le travail, les déplacements, les activités parascolaires, les devoirs et les leçons, les repas… Avoir l'occasion de poser une question et recevoir rapidement la réponse est un avantage non négligeable pour l'organisation des familles. C'est aussi un bon moyen pour tisser du lien avec les autres parents, s'intégrer dans l'école, dans la classe.

Pour le parent délégué de classe, recourir à ces messageries instantanées permet de toucher rapidement tous les parents de la classe pour les informer ou les associer à un projet de classe ou d'école.

Les parents peuvent aussi mieux comprendre le fonctionnement ou les attendus de l'école, dépasser ainsi leurs peurs et trouver certaines réponses à leurs questions.

Est-ce un vrai choix de faire partie du groupe WhatsApp de la classe de son enfant ?

C'est souvent lors d'une soirée de réunion de parents en début d'année scolaire que  le parent élu délégué de classe propose de créer un groupe WhatsApp entre parents pour faciliter la communication, s'entraider… L'aspect pratique et le fait de faire partie du groupe classe comme les autres parents seront souvent les moteurs de l'adhésion des parents. Ils acceptent car ils souhaitent avoir accès aux informations, être intégrés pour le bien de leur enfant surtout s'il n'y a pas d'autre forme de communication qui est proposée. Comment et pourquoi donc refuser de prendre part à cette initiative ?

Et pourtant, ce groupe "parents de la classe" est bien différent des autres groupes auxquels le parent d'élève adhère généralement : collègues, famille, amitiés… Ici, rien ne relie a priori les membres si ce n'est le fait d'avoir son enfant dans la même classe que les autres parents. Géraldine Mosna-Savoye[3], chroniqueuse dans Les Matins de France Culture avec Carnet de philo, s'efforce de décrire cette forme particulière de sociabilité entre parents d'élèves : Car c’est bien le paradoxe de tout commerce avec un autre parent d’élève : il nous est aussi nécessaire qu’insupportable… et pas comme n’importe quelle autre relation sociale : car ce parent d’élève qu’on déteste, c’est nous. On est aussi ce parent d’élève qui se prend de passion pour un bonnet (perdu[4]) ou qui s’indigne d’une activité[5]. La chroniqueuse explique cette position presque schizophrénique du parent qui lit les messages, qui participe à ce groupe tout en se demandant pourquoi il y participe : Et c’est peut-être ça le problème : pas de jouer le jeu, car il faut bien le jouer (au moins pour sa progéniture), mais de voir dans ce miroir WhatsApp qu’on a beau vouloir être au-delà de ça, on ne l'est pas.

Les enjeux cachés de ces groupes

S'inscrire dans le groupe WhatsApp de classe va permettre de compenser d'éventuels oublis, incompréhensions de son enfant par rapport aux attentes de l'école. C'est très confortable et rassurant d'avoir ce moyen de "repêchage". En tant que parent, il peut être intéressant de se demander si c'est bien notre rôle de jouer ainsi au sauveteur. Est-ce bien à nous d'essayer de compenser les oublis et inattentions de notre enfant ? Ne serait-ce pas plutôt à lui à chercher l'information en contactant un copain ou une copine ? Ne risque-t-il pas de se dire que finalement papa ou maman cherchera la solution et que ce n'est pas son problème ? La réponse dépendra, bien entendu, de l'âge de l'enfant et du contexte (éventuel handicap ou trouble d'apprentissage, difficultés personnelles, scolaires...). En lui laissant ainsi la responsabilité, le parent donne l'occasion à son enfant de prendre son autonomie. Se poser la question sur ce qu'entraine cette adhésion à un groupe WhatsApp de parents de la classe, c'est aussi clarifier ses propres exigences parentales en termes d'autonomie et de prise en charge de son enfant. Ce n'est finalement pas si anodin que cela. Dans une précédente analyse UFAPEC, Dominique Houssonloge explique que la surprotection risque d'entraîner, dans le chef de l'enfant, du stress, de l'anxiété, un manque de créativité mais surtout un grand manque de confiance en lui. Le fait d’être constamment pris en charge dans sa scolarité et dans ses relations lui renvoie le message que, sans son père ou sa mère, il n’est pas grand-chose. Finalement l’enfant va arrêter de puiser dans ses propres ressources et un cercle vicieux va s’installer.[6]

Dans le cas de groupe WhatsApp qui rassemble exclusivement des parents, une des dérives les plus importantes sera que le groupe devienne une sorte de défouloir de certains parents à l'encontre des pratiques pédagogiques de l'enseignante, de l'organisation de l'école, du réfectoire, de la surveillance des cours de récréation… Cécile enseignante en France, témoigne dans un billet intitulé "L'instit'humeurs"[7] : Les parents de notre école ont des groupes WhatsApp et il n’y a clairement plus aucun respect de la part de certains parents qui nous critiquent non-stop (choix pédagogiques, absences, etc.). La relation avec les parents a clairement changé à cause de ça : à l’écrit derrière leur téléphone il n’y a plus de filtre ! Et les autres parents ne reçoivent qu'un seul son de cloche puisque les personnes incriminées ne se trouvent pas sur le groupe. La communication école-familles est alors bien malmenée car, le temps que l'information parvienne aux oreilles de l'école, les dégâts seront importants. Il faudra reconstruire la confiance entre l'école et les familles, démêler le vrai du faux, s'expliquer… Alors qu'il aurait été plus simple de solliciter un rendez-vous avec l'enseignant.e ou la direction pour en discuter calmement. Encore faut-il bien entendu que l'école reste ouverte et disponible à ce genre de demande des parents.

Les relations peuvent aussi mal tourner entre les parents eux-mêmes, comme le témoigne Samia : Dans mon école, il y a eu des poux dans une classe. Les parents en ont averti le groupe WhatsApp de la classe, mais une mère d’élève est devenue hystérique en quelques jours, elle a commencé à quasiment insulter les autres parents, leur reprochant de ne pas traiter leur enfant, elle a même posté un audio de sa fille en train de pleurer parce qu’elle lui coupait les cheveux ! Ce témoignage met en évidence combien l'hyper parentalité peut créer des dégâts dans ce genre de groupe de discussion entre parents. En voulant tout contrôler et protéger son enfant de toute expérience négative, l'hyper parent n'hésitera pas à régler lui-même les problèmes de son enfant via ce groupe.

Mettre son enfant à l'école, c'est le plonger dans la vie en collectivité avec ses joies et ses frustrations, c'est se confronter aussi en tant que parent à des visions éducatives différentes… Et ce n'est pas toujours facile à comprendre et accepter. Les réunions parents-enseignants, les rencontres avec les autres parents lors d'activités festives à l'école contribuent à nouer une relation de confiance avec l'école et à faire évoluer les mentalités dans certains cas. Si les parents se limitent à ce qu'ils croient comprendre de ce que leurs enfants leur racontent de l'école ou s'abreuvent d'informations partielles ou de rumeurs diffusées par certains sur les messageries instantanées, le partenariat école-familles est clairement mis en danger. Il est essentiel qu'à côté de ces moyens de communication instantanés, les portes de l'école restent grandes ouvertes (accueil accessible en journée, suivi des mails, prise de rendez-vous possible facilement…) et que les parents prennent aussi du temps pour oser la rencontre et parler en face à face.

Pistes et conclusion

Les messageries instantanées créent une communication immédiate, sans possibilité de prise de recul et qui exigent en plus de la réactivité. Tous ces ingrédients mis ensemble peuvent devenir explosifs si un cadre et un modérateur ne sont pas mis en place. Il sera essentiel de se mettre d'accord sur les objectifs poursuivis, le ton utilisé, ce qui est permis ou non… C'est sans doute là une nouvelle mission de l'association de parents : se pencher sur cette nouvelle forme de communication et la baliser pour que le respect de chacun soit garanti.

Pour l’UFAPEC, ces groupes de messagerie instantanée entre parents ne sont pas une obligation et ne remplacent en aucune façon la rencontre avec les enseignants. Les problèmes ne se règlent pas sur ce type de canal qui est simplement un outil pour partager des informations utiles à tous les parents d'une classe. Le numérique ne peut pas faire de l'ombre à la communication directe parents-école. Il est donc essentiel que les écoles veillent à rester accessibles à tous les parents.

N'oublions pas que nos enfants s'inspirent de la manière dont nous nous comportons dans la vie réelle, mais aussi sur les réseaux sociaux.

 

 

Anne Floor

 


[1] Whatsapp est la messagerie la plus couramment utilisée, c’est pourquoi nous la citons nommément. Vu le format de ce texte, nous ne pouvons pas citer toutes les messageries existantes. Cela ne fait pas non plus l’objet de notre analyse. Par ailleurs, nous n’abordons pas ici le non-respect du RGPD par Whatsapp.

[2] Une prochaine analyse sur les groupes de messagerie instantanée rassemblant parents et enseignant sera rédigée.

[3] Elle est aussi productrice déléguée des Chemins de la philosophie sur France Culture et titulaire d’un master en philosophie politique. Elle est devenue collaboratrice spécialisée de l’émission philosophique de France Culture en 2010.

[4] La chroniqueuse évoque un message reçu sur le groupe WhatsApp de classe à propos d’un bonnet perdu : “Bonsoir bonsoir les parents de la PS1 (Petite Section 1, je traduis), auriez-vous, par hasard pris un bonnet bleu avec des oreilles d’ours ? Si oui, c’est peut-être celui de notre petit loulou, Gabriel…” Emoticône fou rire. »

[5] MOSNA-SAVOYE, Géraldine, Le groupe WhatsApp des parents d’élèves,  Carnet de philo sur Radio France Culture,  https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/carnet-de-philo/carnet-de-philo-du-vendredi-11-mars-2022-4346443.

[6] HOUSSONLOGE, Dominique, 19.15/ Les risques de l’hyperparentalité : être parent, mais jusqu’où ?, analyse UFAPEC, 2015. https://www.ufapec.be/nos-analyses/1915-hyperparentalite.html

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