Analyse UFAPEC juin 2021 par F. Baie
  • Comment l’école communique-t-elle avec les parents qui ne maitrisent ni la langue française ni les codes scolaires ?

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08.21/ Comment l’école communique-t-elle avec les parents qui ne maitrisent ni la langue française ni les codes scolaires ?

Introduction

S’il y a consensus sur un des objectifs du Pacte pour un enseignement d’excellence pour améliorer le rôle de l’enseignement comme source d’émancipation sociale en renforçant le dialogue avec les parents d’élèves qui ne maitrisent pas la langue et les codes de l’école[1], il est nécessaire de s’interroger sur la faisabilité de cette noble intention. Est-ce réaliste pour les écoles fondamentales à encadrement différencié ? Comment faire et avec quels moyens ?

Dans une précédente étude de l’UFAPEC intitulée : Comment faciliter le partenariat école-familles dans l’enseignement fondamental à encadrement différencié ? [2], nous avions vu combien la non maîtrise de la langue française et des codes scolaires[3] est un véritable handicap pour certains parents défavorisés, souvent issus de l’immigration. Cette connaissance insuffisante représente également un frein pour le partenariat école-familles. L’école se sent souvent dépourvue quand il s’agit de communiquer « vers » des parents « qui ne comprennent pas ».

Les parents, eux aussi, se sentent fragilisés quand ils ne parviennent ni à comprendre ni à se faire comprendre. Sans langue et codes communs, les parents ne parviennent pas à prendre « leur juste place » à l’école, dans la scolarité de leur enfant et encore moins à jouer un rôle dans les instances de représentations parentales (association de parents et conseil de participation).

Cette analyse se veut donc un prolongement de l’étude citée ci-dessus, car il nous paraît essentiel d’approfondir ce sujet, si important aux yeux de l’UFAPEC. En effet, dans nos animations, en présentiel, mais également en visio-conférence, lors d’interviews et de contacts téléphoniques, l’UFAPEC remarque, dans le chef des directions d’école, des enseignants, des éducateurs, mais également des parents, une frustration voire un désarroi occasionnés par le barrage de la langue et par une incompréhension des codes scolaires. Dans leur communication, l’école et les parents ne sont, hélas, pas toujours sur la même longueur d’ondes. Quelle est la cause de cette communication boitillante ? Comment peut-on en atténuer les effets ? L’école et notre société doivent-elles faire leur introspection et évoluer pour améliorer cette communication dans les écoles fondamentales à encadrement différencié ?

Ne pas pouvoir ou savoir communiquer est un réel frein et ne permet pas d’exercer ses droits et devoirs de parents d’élève ni de soutenir pleinement son enfant dans sa scolarité, clé majeure de son émancipation sociale. Faciliter cette communication au sein de l’école est un enjeu sociétal primordial. Dans une société multiculturelle, c’est un véritable défi pour les années à venir ! Les différents acteurs de l’école, y compris les parents, ont le droit de pouvoir s’exprimer, d’être entendus, de comprendre et d’être compris.

Jacques Salomé[4] ne disait-il pas, en parlant de l’amour d’un couple (mais ceci peut s’appliquer également au couple école-familles[5]), c’est la qualité de la communication verbale et non verbale qui nourrira l’amour, qui amplifiera les rêves et donnera aux désirs leur puissance et leur ampleur[6].

Comment faire fi des stéréotypes ?

N’entend-t-on pas parfois dire : certains parents d’origine étrangère ne maîtrisent pas la langue française. Ils sont pourtant, pour certains, depuis longtemps en Belgique. Ils feraient bien de faire des efforts d’intégration… C’est leur faute s’ils ne veulent pas s’adapter à notre pays ! Faut-il se contenter de ces réflexions ? Ne faut-il pas résister à un discours simpliste et truffé de stéréotypes sur l’intégration qui considère l’apprentissage du français sous le seul angle de « l’effort » à fournir par l’étranger ou comme une « dette à payer » en échange de sa présence en Belgique ?

À la demande de la Fédération Wallonie-Bruxelles, et plus spécifiquement de son service de la langue française, des chercheurs ont mené une enquête en 2012 (dont les conclusions sont toujours bien d’actualité) dans le but d’étudier la façon dont les Belges francophones se représentaient les rapports entre langues, immigration et intégration. L’analyse des chercheurs Philippe Hambye et Anne Sophie Romainville[7]  a permis de réinterroger certaines idées parfois trop rapidement considérées comme allant de soi. Ils nous invitent à prendre un peu de distance par rapport à certains discours qui tendent aujourd’hui à stigmatiser les populations issues de l’immigration.

En effet, nos représentations sont bien souvent erronées. Dans la série de stéréotypes visés dans la recherche, nous pouvons en pointer un qui est de taille : On tend ainsi à confondre la cause et la conséquence : en règle générale, ce n’est pas parce qu’on ne parle pas bien français qu’on a du mal à s’intégrer, mais c’est parce qu’on est confronté, au départ, à des difficultés pour s’intégrer que l’on ne se trouve pas dans les conditions adéquates pour s’approprier le français[8].

Contre toutes les idées reçues, ne serait-ce donc pas, d’abord, à notre société d’agir pour éviter à ces personnes les obstacles d’intégration afin de leur permettre, ensuite, de se concentrer sur l’apprentissage de la langue française ? Dans ce sens, ne faudrait-il pas s’interroger sur la ségrégation urbaine, mais aussi scolaire ?

La faute aux parents ?

Pour connaître les raisons de cette non maîtrise du français et des codes scolaires, l’UFAPEC a rencontré Pierre Laurens[9], directeur de l’école Saint-Antoine à Forest (Bruxelles). Cette école fondamentale à encadrement différencié, dont l’ISEF (Indice socio-économique) est de niveau 2 (faible), brasse une population en grande partie d’origine étrangère (26 nationalités différentes) et totalise en moyenne 20 % de parents qui ne maîtrisent pas du tout la langue française et les codes scolaires.

Selon Pierre Laurens, il serait un peu simpliste d’attribuer la faute aux parents. Certaines familles ne sont pas à l’aise avec la langue française et les codes scolaires pour plusieurs raisons. Nous avons, au sein de notre école, un tiers des parents qui sont primo-arrivants et qui ont quitté leur pays d’origine pour des raisons de sécurité, pour des raisons économiques, politiques ou pour des raisons de regroupement familial. Certains sont venus de pays comme l’Erythrée ou la Syrie. Le vécu compliqué de ces personnes fait que la scolarité et l’apprentissage de la langue française ne sont pas leurs priorités. Leur objectif premier est de reconstruire une vie familiale, de répondre aux besoins de base de leur famille et d’être en sécurité. Quand ils arrivent dans notre pays, ils ont tendance à se rassembler avec des gens de leur communauté. Ils restent dans « l’entre soi ». Cela peut paraître raciste ce que je dis et pourtant si j’étais dans leur cas je crois que je ferais la même chose. Ils vont trouver des gens qui ont plus ou moins le même parcours ou au moins la même langue. Cet « entre-soi » permet une grande entraide et, dans notre école, on ne le vit pas du tout comme quelque chose de négatif. Même pour les parents qui sont en Belgique depuis plus longtemps, certains ont le besoin de retrouver leur langue d’origine. Cet « entre soi » fait que la langue de l’école est peu pratiquée en dehors de l’école.

Ceci rejoint les conclusions des chercheurs Philippe Hambye et Anne Sophie Romainville qui expliquent, eux aussi, que le parcours difficile de certains parents peut être une des raisons de leur non-maîtrise du français. Il est dès lors facile, mais simpliste, de considérer qu’il suffit de faire « quelques efforts » pour apprendre la langue ou pour s’intégrer, quand on n’envisage aucunement tous les obstacles qui peuvent se dresser sur la route d’une personne ayant été amenée, et le plus souvent contrainte, à quitter son pays, et quand on sous-estime toutes les difficultés qui s’ensuivent pour les familles de ces personnes, même après plusieurs générations[10].

Les raisons de cette non maîtrise du français et des codes scolaires sont multiples, tout autant que l’hétérogénéité du public des écoles à encadrement différencié. Dans ces écoles-là, le public est varié (beaucoup de nationalités différentes), il est vrai, mais une chose les rassemble. La grande majorité des parents ont des ressources financières limitées. Leur principal objectif est souvent de faire vivre leur famille et de boucler le mois sans avoir trop de dettes à payer. Il ne s’agit pas de vivre, mais de survivre. Certains de ces parents sont des primo-arrivants, d’autres n’ont pas eu une scolarité complète, d’autres encore sont analphabètes[11]. Non seulement, les parents analphabètes ne maîtrisent pas la langue française, mais ils ont également des difficultés concernant la compréhension des documents administratifs. Certains parents analphabètes ont des attentes énormes par rapport à l’école, d’autres, à l’inverse, parce qu’ils n’ont pas été ou peu scolarisés, restent en décalage par rapport aux codes scolaires et à l’évolution que l’école a pu avoir.

À côté de cela, il existe néanmoins des communautés de personnes plus fermées qui vivent repliées sur elles-mêmes par choix. Elles choisissent de vivre recluses dans leurs quartiers de manière volontaire et non par la force des choses. Ces familles n’acceptent pas toujours les codes scolaires ou le fonctionnement de l’école. En effet, certaines directions que l’UFAPEC rencontre se plaignent parfois d’une intrusion de certains parents dans le pédagogique, dans la vie de l’école. Ces parents peuvent critiquer la manière dont l’école fonctionne et s’organise parce que ça ne correspond pas à certains de leurs prescrits culturels et religieux. Par exemple, dans une école des enfants étaient insultés parce qu’ils mangeaient du porc. Dans de nombreuses grandes villes (Bruxelles, Liège, Charleroi…) des quartiers entiers de type ghettos sont achetés par certaines nationalités, et on peut véritablement parler de petit pays à l’intérieur de la ville.

Il faut donc nuancer nos propos. Même si de nombreux parents d’origine étrangère désirent véritablement s’intégrer et que la société ne les y aide pas, certains parents (une petite minorité) ne désirent pas s’intégrer, restent fermés et refusent d’être partenaires de l’école. Ce véritable « blocage » pose un grand souci aux directions d’école.

Quelle place à l’école pour les parents qui ne maîtrisent pas le français et les codes scolaires ?

Quelqu’un qui est analphabète ou qui rencontre des difficultés en français et avec les codes scolaires est souvent perçu comme un locuteur non légitimé, comme quelqu’un qui manque d’éducation ou comme un « immigré », avec toutes les discriminations que cela peut engendrer. Comme nous l’expliquions déjà dans notre étude, lorsque l’on ne maîtrise pas la langue française, les rapports avec l’école deviennent fort compliqués. De nombreux parents n’osent pas ou plus venir à l’école de peur de ne pas comprendre. D’autant que la langue française, on le sait, est particulièrement difficile à apprendre et à comprendre.

Force est de constater qu’on ne voit pas souvent, à la tête d’une association de parents ou d’un conseil de participation, dans le rôle de délégué de classe, aux réunions de parents, les parents d’origine étrangère ayant des difficultés avec la langue française, les parents analphabètes, les parents défavorisés, etc.

La difficulté qu’ont ces parents à s’exprimer, à se faire comprendre, à communiquer, à comprendre les codes scolaires, leur peur de l’échec (échec qu’ils ont parfois déjà vécu à l’école quand ils étaient enfants), leur confiance en eux diminuée, le regard que portent les autres parents sur eux, les remarques des enseignants, la peur, voire la phobie, de l’école et de l’autorité, l’asymétrie ressentie entre l’enseignant (ou l’image du maître tout puissant) et eux se sentant bien souvent ignorants, la fracture numérique (certaines familles n’ont pas d’ordinateur ou un seul pour une famille parfois nombreuse et ne savent pas forcément utiliser les différentes applications), la fracture culturelle (culture scolaire tout à fait différente de leur culture familiale), etc., peuvent les rebuter et les éloigner de la sphère de l’école.

Pour le sociologue Pierre Périer, les parents des milieux populaires, même s’ils s’intéressent à la vie scolaire de leur enfant, ont très souvent des difficultés à décrypter certains messages issus de l’école. Selon lui, il semble aller de soi pour la plupart des acteurs de l’école que les parents ont pour tâche élémentaire de « suivre la scolarité » de leur(s) enfant(s). Cette évidence partagée, telle une norme, sert d’appréciation du degré d’implication des parents, voire de jugement sur leur responsabilité éducative. Or les parents de milieux populaires perçoivent l’attente de l’école à travers des supports de communication fabriqués à leur intention. Mais il leur est parfois difficile d’en décrypter et les messages et les informations – y compris au sens littéral de la lecture –, d’en apprécier le caractère de nécessité, ce qui ne fait qu’ajouter à leur doute pour y répondre.[12]

Dans un tel contexte, il est donc difficile pour l’école d’avoir des contacts et de communiquer avec ces parents, car ces derniers ne franchissent parfois même pas la grille de l’école, ne viennent pas aux réunions de parents, n’ont pas toujours les outils technologiques pour communiquer (pas d’adresses mails, des numéros de téléphone changeant très souvent, etc.). Or, il est pourtant très important que tous ces parents prennent leur place à l’école.

Pourtant, dans certains établissements, des parents qui ne maîtrisent pas la langue française et les codes scolaires prennent vaille que vaille leur place. Et c’est très souvent grâce à la bonne volonté des directions et à tout ce qu’elles mettent en place, avec parfois l’aide de l’UFAPEC, que cela fonctionne. Le témoignage de Pierre Laurens est à ce sujet encourageant (Voir annexe 1, dans le PDF ci-contre).

Que mettre en place pour faciliter la communication école-familles ?

Lors de créations d’associations de parents qui peuvent prendre des formes diverses et comporter des cafés des parents, et de conseils de participation, les animateurs de l’UFAPEC remarquent que les écoles concernées sont très débrouillardes en matière de communication. Elles tirent, en effet, toutes les ficelles pour parvenir à communiquer avec les parents. Certaines d’entre elles font appel à l’aide d’interprètes externes. On fait alors aussi appel à des interprètes du SeTIS (Service de Traduction et d’Interprétation en milieu Social Bruxellois). Nous les sollicitons en moyenne deux à trois fois par mois pour nous aider à traduire lors de certaines réunions, explique encore Pierre Laurens. D’autres font appel aux aides internes c’est-à-dire qu’elles demandent lors de réunions à certains parents d’origine étrangère de traduire pour elles, de jouer en quelque sorte les interprètes. Lorsque la communication se veut écrite, une invitation, par exemple, à une fête, fancy fair, réunion de parents, l’école demande également à ces mêmes parents de faire des affiches, des folders dans plusieurs langues. L’association de parents de l’école joue alors un rôle essentiel, car leurs représentants officiels font appel à la solidarité et à l’aide des uns et des autres. Le conseil de participation de l’école joue également un rôle très appréciable, car tous les acteurs de l’école, réunis autour d’une même table, réfléchissent à la manière dont on pourrait communiquer avec les familles « plus discrètes » et « plus vulnérables » et qu’elles puissent également donner leurs avis.

Mais lorsque la communication est écrite et surtout numérique, c’est là parfois que cela coince ! En effet, tous les parents des écoles fondamentales à encadrement différencié ne disposent pas toujours des outils technologiques demandés par l’école pour communiquer (ordinateurs, smartphones, imprimantes, scanners, etc.) et lorsqu’ils en possèdent, ils ne savent pas toujours comment les utiliser. C’est là que l’on voit que la fracture numérique des premier et deuxième degrés[13] existe bel et bien. Quand les e-mails, le téléphone ne fonctionnent pas, il faut parfois que la direction ou l’enseignant trouvent d’autres pistes, fassent preuve d’imagination ou qu’ils aient un peu de chance pour croiser le parent à l’entrée ou la sortie de l’école afin de donner l’info en direct, de vive voix. Certains enseignants utilisent des applications[14] qui traduisent leurs messages en plusieurs langues. Pierre Laurens, dans son témoignage, explique combien il est précieux également de pouvoir compter sur l’éducateur de l’école pour faciliter la communication. Cette personne occupe apparemment un rôle relais fondamental dans la transmission, mais également dans la compréhension des messages adressés aux parents. L’éducateur veille et s’assure que le message ait bien été reçu et compris. L’école peut également compter parfois sur le (les) secrétaire(s) ou sur certains enseignants d’origine étrangère pour faciliter la traduction de certains messages. A priori, ce n’est pas dans le contrat de toutes ces personnes d’assurer un tel suivi mais, sur le terrain, l’école agit bel et bien comme cela en exploitant tous les bons filons pour communiquer. Face à ce constat, ne faudrait-il pas y avoir plus d’aide pour les écoles ? Vu leur formation sociale, ne faudrait-il pas systématiser la présence des éducateurs dans toutes les écoles fondamentales, qu’elles soient à encadrement différencié ou non ?[15] Et si ces éducateurs sont si importants, ne doit-on pas davantage les valoriser ?

Ne faudrait-il pas aider également les écoles à encadrement différencié à proposer plus souvent des ateliers et rencontres, faciliter des partenariat avec les organismes d’alphabétisation au sein de leur établissement ? L’association de parents joue également un rôle important en proposant des idées et en collaborant aux activités qui permettront de donner envie aux parents les plus fragilisés de franchir la porte de l’école.

Pour communiquer certaines informations importantes, l’école profite également d’événements festifs et conviviaux organisés souvent par l’association de parents, en faisant un message au micro, pour toucher le plus grand nombre de parents.

Le centre PMS[16] joue également un rôle fondamental pour aider l’école à communiquer avec les parents qui ne maîtrisent pas la langue française et les codes scolaires. Le centre PMS a différentes missions d’information, d’orientation, de guidance et se positionne entre le rond de la famille et le carré de l’école.[17] Le centre PMS est une plaque tournante, une interface entre l’école, l’enfant ou l’ado et ses parents. Cette interface peut donc fonctionner dans tous les sens. De l’école vers les parents, mais aussi des parents vers l’école[18]. Tout comme l’UFAPEC, les centres PMS participent parfois, dans les écoles à encadrement différencié, à ces moments très précieux que sont les cafés des parents. Le café des parents est un moment informel, où après avoir amené son enfant à l’école, on peut un peu souffler, vider son sac, parler du quotidien, échanger des soucis d’ordre éducatif (alimentation, sommeil, devoirs, écrans, etc.), rencontrer d’autres parents qui vivent la même chose. Un éducateur, un membre du personnel enseignant, un membre du centre PMS (souvent un psychologue), un animateur de l’UFAPEC est parfois présent à ces cafés. L’UFAPEC y aborde la place des parents à l’école ou organise des débats sur des thèmes liés à l’éducation des enfants. La direction passe parfois également pour dire bonjour ou répondre à certaines questions. C’est un moment convivial sans prise de tête qui fait du bien à tout le monde et qui privilégie les échanges dans la bienveillance.

Au niveau politique, quelles avancées ?

Qu’est-ce que le politique met en place par rapport à la problématique décrite dans cette analyse ? Quels sont les moyens et dispositifs prévus ? Pour répondre à ces questions, il faut se pencher sur le Pacte pour un enseignement d’excellence. Un des objectifs du Pacte est, en effet, de viser un dialogue renforcé avec les parents, avec une attention particulière pour les familles et les élèves dont la culture familiale est éloignée de la culture scolaire et qui ne maitrisent par l’ensemble des codes relatifs aux attentes scolaires, aux dispositifs d’apprentissages, au rapport au savoir et à l’école.[19]

Cet objectif est une grande avancée pour une meilleure communication avec toutes les familles. Une autre avancée est la mise en place des plans de pilotage[20]. En effet, en vue de l’élaboration des plans de pilotage et de la transformation de ceux-ci en contrats d’objectifs, les établissements scolaires poursuivent les objectifs d’amélioration permettant au système éducatif, entre autres, de réduire les différences entre les résultats des élèves les plus favorisés et ceux des élèves les moins favorisés d’un point de vue socio-économique et d’accroître les indices du bien-être à lécole et de l’amélioration du climat scolaire.[21] Chaque école va choisir ses propres stratégies par rapport à sa situation de départ, par rapport à ses lacunes, et examine ce qu’elle devrait améliorer.  Elle a à choisir parmi une liste de thématiques celles qui nécessitent des actions nouvelles à mettre en œuvre prioritairement. Parmi ces thématiques, on en trouve deux qui pourraient concerner l’amélioration de la communication avec les familles qui ne maîtrisent pas le français et les codes scolaires. Il s’agit des thématiques :

c) les dispositifs d’adaptation et d’encadrement spécifiques, dont ceux à destination des primo-arrivants ;

j) le partenariat et la collaboration avec les parents des élèves de létablissement, en concertation avec le Conseil de participation[22].

Les écoles peuvent faire le choix de privilégier ces aspects et de mener des actions dans ce sens pour améliorer son fonctionnement. Notons que le DCO (délégué au contrat d’objectifs) aura un rôle de contrôle et veillera à ce que ces stratégies et objectifs soient bien atteints. Le politique a donc bel et bien prévu des pistes pour faire avancer la communication entre l’école et les familles défavorisées. Les plans de pilotage et les actions mises en place par les écoles peuvent y contribuer. Une autre avancée est la présence dans le code de l’enseignement[23] d’un chapitre dédié entièrement à la participation parentale (conseil de participation et association de parents).

Mais en matières politiques, certains directeurs estiment qu’il y a encore du travail à fournir… Selon Pierre Laurens, il faudrait faire en sorte que les familles défavorisées soient beaucoup plus tôt en contact avec certaines structures accueillant leurs enfants (crèches, garderies) et qu’elles mettent également le plus tôt possible leurs enfants à l’école pour faciliter cette communication par après. Ceci favoriserait l’intégration, l’apprentissage du français et des codes scolaires. Pierre Laurens appuie ce point avec ces propos : je crois que le gouvernement devrait mettre le focus sur le pré-scolaire, faire en sorte de tisser du « lien » bien plus tôt avec toutes ces familles, que les enfants apprennent à se détacher de leurs parents avant qu’ils ne soient en âge d’aller à l’école. Il faudrait ouvrir plus de crèches et qu’elles soient moins onéreuses.

Conclusion

Pour l’UFAPEC, faciliter la communication école-familles est un prérequis indispensable aux bonnes relations entre acteurs scolaires. Une communication harmonieuse contribue à la réussite scolaire des enfants et à leur épanouissement. Les associations de parents, les conseils de participation, le rôle moteur des directions d’écoles, mais également les rôles de transmetteur d’informations et de facilitateur de la compréhension des messages qu’endossent les éducateurs dans les écoles fondamentales à encadrement différencié sont primordiaux. Les éducateurs de ces écoles devraient, sans nul doute, être davantage reconnus et valorisés à leur juste valeur. Il faudrait systématiser leur présence dans toutes les écoles fondamentales, qu’elles soient à encadrement différencié ou non (ce qui n’est pas encore le cas actuellement).

Notre analyse étaie et prolonge les revendications exprimées par l’UFAPEC dans son dernier mémorandum. Concernant la relation parents-école dans sa dimension individuelle, nous demandons que ce partenariat soit construit en tenant compte des différences d’accès aux clés de compréhension des codes scolaires, des contraintes horaires des parents et des potentielles barrières culturelles.

L’une des difficultés les plus fréquentes dans la relation individuelle se situe dans le hiatus entre la posture pédagogique de l’enseignant et la posture émotionnelle et affective du parent. De part et d’autre, enseignants et parents (et plus largement tous les acteurs de l’école) doivent trouver les clés d’un partenariat compréhensif et respectueux du rôle de chacun pour développer ensemble les pistes qui pourront bénéficier au mieux à l’enfant.[24]

Dans son propre intérêt et dans celui de chaque citoyen, notre société ne doit-elle pas intensifier le processus d’intégration notamment en soutenant et outillant les écoles afin que l’intégration des parents les plus vulnérables se fasse de manière plus fluide ?

La ségrégation urbaine, mais également scolaire, participe à cette exclusion. L’apprentissage du français et des codes scolaires sera facilité dans un contexte de bienveillance et d’intégration. Et cette intégration peut se passer à l’école grâce aux plans de pilotage, via l’action des associations de parents et des conseils de participation, en réfléchissant à l’accueil des familles les plus en retrait par rapport à l’école, en organisant des café des parents et des cours d’alphabétisation ; en mettant en place des dispositifs structurels pour permettre des rencontres conviviales et de qualité, etc.. N’avons-nous pas, tous intérêt à faire de nos écoles des lieux vivants où chacun trouve sa place ?

 

France Baie

 

 

 

[1] Pacte pour un enseignement d’excellence, Avis n°3 du Groupe Central, p. 23, http://enseignement.be/index.php?page=23827&do_id=14928&do_check=RRGYKNCGHJ

[2] France Baie, Comment faciliter le partenariat école-familles dans l’enseignement fondamental à encadrement différencié ?, étude UFAPEC 11.18/ET 1, août 2018, p. 64 et p. 66., http://www.ufapec.be/nos-analyses/1118-partenariat-familles-ecoles-encadrement-differencie.html

[3] Nous entendons par codes scolaires : les normes de l’école, le langage et sigles utilisés par l’école, les habitudes de l’école, les obligations scolaires, l’organisation de l’école… Dans les écoles « classiques », ces codes sont généralement compris de manière implicite. Dans les écoles à encadrement différencié (écoles où le public est en majorité défavorisé), ces codes auraient intérêt à être explicités de manière claire pour être compris de tous.

[4] Jacques Salomé est un psycho-sociologue et écrivain français. Il est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages, consacrés à la communication au sein du couple et de la famille.

[5] Ceci fait référence à l’alliance éducative nécessaire pour permettre à l’élève de vivre et réussir sereinement sa scolarité.

[7] Philippe Hambye et Anne-Sophie Romainville sont chercheurs à l’Université catholique de Louvain (UCL, Centre de recherche Valibel – Discours et Variation, Institut Langage & Communication). Les résultats de leur travail ont fait l’objet d’une présentation détaillée dans la revue Français & Société (Hambye, Ph. & A.-S. Romainville, « Apprentissage du français et intégration : des évidences à interroger », Français & Société n°26-27, 2013). Les informations concernant cette publication sont disponibles sur le site du service de la Langue française: http://www.languefrancaise.cfwb.be/index.php?id=1237

[8] Philippe Hambye et Anne-Sophie Romainville, Maîtrise du français et intégration. Des idées reçues, revues et corrigées, Dial -Digital access to libraries, 2014, p. 17, file:///C:/Users/france/Downloads/Hambye%20Romainville_2014b.pdf

[9] Interview de Pierre Laurens effectuée par France Baie, le 22 avril 2021.

[10] Philippe Hambye et Anne-Sophie Romainville, Maîtrise du français et intégration. Des idées reçues, revues et corrigées, Dial -Digital access to libraries, 2014, p. 22, file:///C:/Users/france/Downloads/Hambye%20Romainville_2014b.pdf

[11] Dans sa première définition de 1958, l'Unesco décrit l'analphabète fonctionnel comme une personne incapable de lire et d'écrire, en le comprenant, un énoncé bref et simple de faits en rapport avec la vie quotidienne. Le plus souvent, cette personne a été à l'école, sans pour autant y avoir acquis ces savoirs de base.

[12] Pierre Périer, Familles des classes populaires - Décrochage parental, dans L’école des parents, 2012/6, n°599, p. 26 à 28, Cairn info, https://www.cairn.info/revue-l-ecole-des-parents-2012-6-page-26.htm

[13] La fracture numérique du premier degré concerne l’équipement, la possibilité d’avoir un smartphone, un ordinateur ou une connexion à internet par exemple. La fracture numérique du deuxième degré concerne les compétences pour utiliser le numérique. À la fois certaines compétences techniques (installer un logiciel ou un antivirus, savoir utiliser une souris…) et des compétences critiques et tout ce qui faut pour utiliser le numérique avec discernement (savoir trouver l’info dont on a besoin, repérer les arnaques…). Et pour les parents, avoir la capacité d’accompagner ses enfants et de les guider dans leurs pratiques : de les éduquer au numérique.

[14] Exemple : «?class DOJO?»,  https://www.classdojo.com/fr-ca/

[15] Contrairement à l’enseignement secondaire, l’enseignement fondamental ne dispose pas d’éducateurs. Seules les écoles fondamentales à encadrement différencié peuvent, avec les moyens qui leur sont alloués, faire le choix de demander des éducateurs pour les aider. La présence ou non d’éducateurs dans l’enseignement à encadrement différencié est donc un choix d’écoles et non quelque chose de systématique. Certains préfèrent utiliser ces moyens pour disposer de plus d’équipements, d’autres personnes ressources, etc.

[16] Centre Psycho-Médico-Social.

[17] Référence au livre de la sociologue Danielle Mouraux, Entre rondes familles et école carrée, Editions De Boeck, 2012. Les familles rondes sont plus dans l’affectif et l’émotionnel. L’école est plus carrée et adopte une posture pédagogique.

[19] Pacte pour un enseignement d’excellence, Avis n°3  du Groupe Central, p. 23, http://enseignement.be/index.php?page=23827&do_id=14928&do_check=RRGYKNCGHJ

[20] Un plan de pilotage est une feuille de route élaborée collectivement qui décrit les actions concrètes à mettre en place pour tendre vers les objectifs généraux d'amélioration du système scolaire fixés par le gouvernement de la FWB.

[21] Décret définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre, 24 juillet 1997, Mise à jour 01 septembre 2019, p. 40, https://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/21557_051.pdf

[22] Idem, p. 42

[23] Code de l’enseignement, Chapitre 3- section 1 et section 3, 3 mai 2019, https://www.ejustice.just.fgov.be/cgi_loi/change_lg_2.pl?language=fr&nm=2019A30854&la=F

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