Analyse UFAPEC mai 2016 par A. Pierard

09.16/ Le jeu, outil d'apprentissage de la citoyenneté ?

Introduction

Phénomène universel qui perdure, le jeu parle du monde dans lequel nous vivons, a une place importante dans l'épanouissement de l'enfant (apprentissages, découvertes, relation à autrui), l'éveil des facultés du corps et de l'esprit, le développement cognitif et affectif. Le jeu est une activité de l'enfance même si elle va être appropriée différemment par chacun (jouets possédés, créativité ludique, temps consacré, place donnée au jeu à la maison…). L'objectif visé en jouant est d'y trouver du plaisir, de passer un moment agréable. Indirectement, le jeu sert les apprentissages, le développement de valeurs et la construction de soi.

L'activité ludique semble être un outil au service de l'éducation et du vivre ensemble. Est-ce réellement le cas ? Qu'apprenons-nous en jouant ? Jouer participe-t-il à la construction de citoyens actifs, responsables, critiques et solidaires ? Tous les enfants sont-ils égaux dans l'accès au jeu ?

Dans notre société actuelle prônant la performance, la compétition et l'utilisation efficace de son temps, quelle place donner au jeu, activité considérée comme futile ?

Face aux préoccupations pédagogiques et aux visées d'apprentissage des parents pour leurs enfants, quelle place attribuer au jeu dans la vie quotidienne ?

Différents types de jeux

Sur le site du Larousse, le jeu est défini comme une "activité d'ordre physique ou mental, non imposée (…) et à laquelle on s'adonne pour se divertir, en tirer un plaisir[1]". Le jeu est un droit fondamental de l'enfant défendu à l'article 31 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant (ONU, 1989): "Tout enfant a droit au repos et aux loisirs, de se livrer au jeu et a des activités récréatives propres à son âge.[2]"

Fait social ayant une valeur éducative, le jeu est une activité exercée sur base volontaire, en recherchant du plaisir tout en respectant le cadre établi: règles du jeu, limites de temps, de lieu et d'espace.

  • Selon la forme du jeu

L'activité ludique peut prendre différentes formes (jeu d'extérieur, jeu de plateau, jeu sur console, jeu numérique…) et toucher l'enfant de manières variées selon quelle présente des composantes sensorielles, motrices, cognitives ou affectives. Chacun peut s'y retrouver et préférer un type de jeu à un autre, car la subjectivité personnelle est abordée.

  • Selon les visées du jeu

Même si le plaisir est l'objectif premier, le jeu peut viser divers objectifs selon le but à atteindre par le jeu ou les relations établies avec autrui lors du jeu. "Avoir une attitude de jeu, c'est être spontané, utiliser son sens de l'humour, être curieux et imaginatif, avoir le goût de courir des risques et de prendre des initiatives. Avoir une attitude ludique, c'est aussi ne pas se prendre au sérieux et ne pas prendre au sérieux la situation.[3]" Quel intérêt de jouer seul, face à d'autres ou avec les autres ? Un jeu en solitaire va permettre la découverte de soi et de son environnement. Un jeu en parallèle permet l'observation des autres et le développement de stratégies pour interagir. Un jeu associatif va plus loin en permettant le développement des habiletés sociales. Un jeu coopératif va souder le groupe et permettre la construction de liens forts. La différence entre les jeux compétitifs, associatifs et coopératifs est qu'on joue contre ou avec l'autre, mais ils apportent tous quelque chose à l'enfant. La compétition lui apprend la persévérance et la gestion des victoires et des défaites. L'association permet d'évacuer toute forme de compétition, de prendre le plaisir de jouer. La coopération organise le groupe en alliant solidarité et plaisir de gagner.

Différents rapports au jeu

Comme évoqué, le rapport au jeu peut différer selon le type de jeu, mais il est aussi influencé par la sphère familiale, la place donnée au jeu à la maison et le goût des parents pour le jeu. Les parents n'ont pas tous le même rapport au jeu et ne savent pas toujours mettre à disposition de leurs enfants les mêmes-jeux ou comment jouer avec eux, quelle priorité accorder au jeu. Quelle place donner au jeu à la maison ?

Le jeu n'est pas familier pour tous. La culture, la langue d'origine, le manque de ressources personnelles et financières… sont des éléments à prendre en compte. Quel rôle de l'école face à la diversité des situations familiales pour permettre à tous de jouer ? L'école, l'association de parents, la ludothèque doivent porter attention à ces parents, jouer un rôle de facilitateur et amener ces familles à s'emparer du jeu.

Se pose aussi la question de l'accès au jeu pour tous les enfants. L'école, vu sa mission d'éducation de tous les enfants, n'a-t-elle pas un rôle à jouer à ce niveau ? Ne faut-il pas pour certains expliciter des règles et notions qui vont de soi pour d'autres ?

Quelle promotion des jeux à la maison et à l’école ?

Face au jeu, les parents peuvent se poser diverses questions. Comment jouer avec mon enfant sans compromettre l'autorité parentale ? Faut-il le laisser jouer seul ? Quels jeux sont les plus profitables pour mon enfant ? Quel laps de temps consacrer ? Il n'y a pas de règle bien définie, l'idée est de suivre son instinct en se disant que le jeu aide à grandir, se construire, vivre ensemble. Il s'agit de créer une interaction riche, de se découvrir mutuellement, de profiter du moment présent tout en évitant le piège de vouloir transformer le jeu en activité éducative, car cela risque de dénaturer le jeu, d'ôter le plaisir et la liberté d'action émanant du jeu. Il semble intéressant, pour l'éveil de l'enfant à l'activité ludique, de varier les jeux proposés et les jouets mis à sa disposition. "Jouer à divers jeux, c'est permettre aux enfants de découvrir, de comprendre et d'utiliser divers éléments de leur environnement.[4]" A cet effet, les ludothèques, les ventes d'occasion et les bourses d'échanges ont un rôle important.

Aux côtés des parents, l'école peut mettre en place des choses: visiter une ludothèque, utiliser le jeu comme levier d'apprentissage… Le partenariat école-famille a toute son importance. Dans ce sens, des collaborations peuvent se mettre en place via le Conseil de Participation ou l’Association de Parents pour créer une ludothèque dans l'école, organiser une bourse d'échange de jeux, des activités jeux de société[5], réintégrer les jeux de groupe dans la cour de récréation[6]...

Le jeu, outil d’apprentissage ?

Vu l'opposition faite entre plaisir du jeu et sérieux, effort de l'apprentissage, la question est réelle. Apprendre et jouer, est-ce conciliable ? Le jeu peut-il servir les apprentissages ? Comment l'utiliser pour donner du sens aux apprentissages ? Selon les jeux, il peut permettre le développement d'habiletés et aptitudes comme la compréhension des consignes, la mémorisation, la structuration de l'action, l'anticipation, le développement de stratégies… Comme l'évoque Pascal Deru, responsable d'un magasin de jouets à Bruxelles et formateur dans le domaine du jeu, le jeu permet aussi l'apprentissage de l'échec tout en douceur. Cela semble plus facile d'accepter et de gérer la défaite et la frustration par le jeu qui a une part de fictif, que dans le vécu d'un échec scolaire, professionnel… "Pour la plupart des enfants, mais aussi pour de nombreux adultes perdre, est, en effet, une expérience douloureuse alors que nous pourrions apprendre à la normaliser, découvrir qu'elle fait intrinsèquement partie de l'expérience humaine et que le monde ne s'écroule pas quand nous la traversons.[7]"

Pourquoi jouer ? Avant tout pour s'amuser, mais aussi pour développer des compétences sociales, culturelles et cognitives. Le jeu permet d'être actif et créatif, d'apprendre par essai et erreur, d'aller au-delà de ses limites. C'est un outil d'apprentissages multiples, en termes de compétences transversales, de connaissance de soi et de construction de repères individuels, sociaux et familiaux. Nous pensons comme Abdourrafik Kais Mediari, collaborateur pédagogique de la Coordination des Ecoles De Devoirs de Bruxelles, que le jeu"stimule l'acquisition et le développement de compétences sociales qui sont mises en œuvre non seulement dans la scolarité de tout enfant, mais également dans la vie quotidienne(…). Autant d'apprentissages indispensables au développement de son épanouissement propre et à l'apprentissage du vivre ensemble.[8]"

Comment utiliser le jeu comme matériel didactique sans le dénaturer ? Ceci est possible, comme l'explique Abdourrafik Kais Mediari, en distinguant "le temps du jeu, à proprement parlé, où l'accent devrait être mis essentiellement sur le plaisir de jouer et le temps d'accompagnement où les enfants sont invités à construire et ancrer progressivement les apprentissages.[9]"

Le jeu, outil pour développer les compétences citoyennes ?

La citoyenneté est une "situation positive créée par la pleine reconnaissance aux personnes de leur statut de citoyen[10]". Il s'agit de pouvoir exercer ses droits et devoirs de citoyen en respectant autrui. "Devenir citoyen c'est évoluer dans l'art de combiner l'égalité et la liberté, les droits et les devoirs, l'autonomie et la responsabilité, l'individu et la collectivité, pour apprendre à subordonner les actes à la pensée gage de l'exercice d'une liberté responsable et citoyenne.[11]"

Favoriser la participation active à la vie collective et éduquer aux valeurs de notre société, cela peut se faire entre autres par le jeu. Comme l'explique Francine Ferland, "Savoir se comporter avec les autres, ce n'est pas inné. Attendre son tour, accepter de partager, coopérer, respecter les autres, comprendre leur point de vue, apprendre à négocier, voilà autant d'habiletés que l'enfant doit développer pour fonctionner de façon harmonieuse en société.[12]"

Le jeu permet:

  • l'apprentissage de règles,
  • le développement de la confiance en soi et en l'autre,
  • le développement de l'autonomie et de la créativité,
  • le vécu de l'expérience du groupe,
  • l'écoute des autres,
  • la construction de son avis et de ses stratégies,
  • la compréhension mutuelle,
  • l'adaptation,
  • la responsabilisation,
  • l'apprentissage de la négociation,
  • etc.

L'activité ludique est source d'apprentissage et de développement de valeurs comme le respect, la justice, l'ouverture d'esprit, la solidarité, la tolérance, la bienveillance. Elle permet de développer des habiletés personnelles et sociales au service de la coopération. Dans ce sens, les jeux coopératifs et éducatifs se développent de plus en plus pour répondre à une réelle demande à ce sujet. Les adultes veulent apprendre aux enfants et aux adolescents la valeur de la collaboration et du travail en équipe mais aussi l'importance du respect de soi, des autres et de l'environnement.

Pour qu'un jeu développe la citoyenneté, il devrait remplir les critères suivants:

  • tisser du lien dans la convivialité;
  • permettre la confrontation au groupe, la cohésion et la coopération;
  • susciter la confiance et la compréhension mutuelles;
  • faire appel à de l'écoute, du respect et de l'entraide.

Nous pensons comme Pascal Deru que "si des enfants peuvent être régulièrement appelés à solutionner des jeux qui requièrent des qualités d'imagination, de confiance, d'écoute et de coopération, ils assimilent progressivement une manière d'être au monde qui construit des vies plus humaines et des sociétés plus démocratiques.[13]"

Différents acteurs, par exemple l'Université de paix, proposent des jeux permettant de développer les compétences relationnelles des enfants, de vivre la coopération, d'aller à la rencontre de soi, de l'autre, des normes et des lois.[14]

  • Apprentissage du respect

Le jeu est un moyen au service de l'apprentissage du respect sous différentes formes: respect de soi, des autres, des règles, du matériel et de l'environnement.

Pour ce qui est des personnes, il est important que l'activité ludique se fasse dans le respect de chacun. Un jeu doit être source de plaisir et d'épanouissement. Dans ce sens, les jeux dangereux auxquels s'adonnent parfois les enfants et les adolescents ne sont plus du jeu.[15]

Les règles donnent le cadre dans lequel le jeu est réalisé. Il est essentiel de les respecter. Il peut être intéressant, selon le jeu, de revisiter les règles, de les construire ensemble en début de partie. Comment permettre la réflexion et la prise de décision en entendant les avis de chacun ? Voilà un apprentissage de l'exercice de la citoyenneté permis par le jeu…

  • CRACS

Au vu de tous ces apports, le jeu permet-il de devenir des citoyens responsables, actifs, critiques et solidaires ?

L'activité ludique, selon la manière dont elle est réalisée et encadrée, permet à l'enfant et à l'adolescent d'être un:

  • citoyen car il s'agit de vivre quelque chose ensemble, de faire partie d'un groupe de joueurs;
  • responsable par la responsabilisation et la prise de conscience des règles, de ses droits et devoirs;
  • actif en s'engageant ensemble lors de jeux coopératifs;
  • critique car il faut préparer ses actions et prendre des décisions de manière réfléchie;
  • solidaire par l'entraide demandée dans certains jeux.

Nous pensons comme Pascal Deru que jouer, c'est avant tout vivre ensemble. "Après avoir entendu des mots sur la solidarité ou sur la capacité de se remettre debout, jouer est un plus qu'on se donne. Il est fécond pour le groupe non par le message qu'il contient mais par ce qu'il fait vivre de bon et de conciliateur à ce groupe. C'est d'avoir joué ensemble que le message s'illustre et devient concret. C'est d'avoir joué ensemble que nous nous trouvons revêtus d'une histoire commune, d'une trace de plaisir partagé, d'une connivence qui permet l'avenir. (…) le jeu quand il est joué est vivant et, indépendamment de son thème et des joueurs, produit par lui-même de la vie.[16

Conclusion

L'apprentissage de compétences transversales et d'habiletés sociales n'est pas la finalité première du jeu mais il est réel, sous-jacent lorsqu'une activité ludique est menée. "L'enfant ne joue pas pour apprendre, mais le plus merveilleux, c'est qu'il apprend à différents niveaux, et ce, sans s'en rendre compte et dans le plaisir. Le jeu est véritablement un instrument privilégié pour permettre l'épanouissement de l'enfant dans les différentes dimensions de sa personne et le développement d'une attitude positive qui pourra l'accompagner tout au long de sa vie.[17]"

Alliant plaisir, implication, créativité et expérience, le jeu est source d'apprentissage car il participe naturellement au développement de l'enfant. Le jeu permet à l'enfant de se construire, de poser des choix, de les vivre, de prendre ses responsabilités, de partager des moments en groupe… de devenir un CRACS. Vu leur apport pour les enfants et les adolescents, l'UFAPEC souhaite faire redécouvrir aux familles les jeux de société (d'où la rubrique "A vous de jouer!" dans notre revue "Les Parents et l'Ecole"). L'UFAPEC encourage les écoles et les associations de parents à continuer la création de ludothèques, l'organisation d'activités parascolaires autour du jeu et de séances de jeux et l'utilisation du jeu comme levier d'apprentissage.

 

 

Alice Pierard

 

 


[3] FERLAND Francine, Et si on jouait ? Le jeu durant l’enfance et pour toute la vie, Editions de l’Hôpital Sainte-Justine, 2005, p 41.

[4] MARISSAL Véronique et KAIS MEDIARI Abdourrafik, « Jouer en école de devoirs, pourquoi, comment ? », in AfeuilleT, feuillet d’information mensuel de la Coordination des Ecoles de Devoirs de Bruxelles (CEDD), N°216, février 2016, p 11.

[5] Voir annexes.

[6] Voir annexes.

[7] DERU Pascal, Le jeu vous va si bien!, Editions le Souffle d'or, 2006, p 95.

[8] KAIS MEDIARI Abdourrafik, « Le jeu coopératif en EDD ? », in AfeuilleT, feuillet d’information mensuel de la Coordination des Ecoles de Devoirs de Bruxelles (CEDD), N°199, mai 2014, p 10.

[9] KAIS MEDIARI Abdourrafik, op cit., p 11.

[11] WAUTERS-KRINGS Frédérique, Jeux éthiques, Editions Casterman, 2011, p 10.

[12] FERLAND Francine, op cit., p 129.

[13] DERU Pascal, op cit., p 293.

[14] Vous trouverez différents exemples de jeux à proposer aux enfants et aux jeunes dans ces deux livres : Université de paix, Jeux coopératifs pour bâtir la paix, Edition Chronique Sociale, 2005 et WAUTERS-KRINGS Frédérique, Jeux éthiques, Editions Casterman, 2011.

[15] Pour plus d’information, lire FLOOR Anne, Les jeux dangereux, ce n’est plus du jeu !, Analyse UFAPEC N°20.11, 2011.

[16] DERU Pascal, op cit., p 295.

[17] FERLAND Francine, op cit., p 200. 

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