Analyse UFAPEC 2009 par M-N. Tenaerts

10.09/ Censé savoir et sens et savoir

Introduction

Les critiques sur l’enseignement voire même de l’enseignement lui-même se font entendre et sont sous le joug des médias. Que ce soit en termes d’organisation de l’école, des réseaux, des contenus d’enseignement, du rôle des professeurs, des directions, etc. Les discours ambiants, prônés par des obédiences diverses, pointent du doigt l’incurie des dirigeants à faire de l’Ecole une Institution qui prépare les individus à ce que la société en attend, en multipliant les injonctions paradoxales : un individu citoyen qui s’investit dans des processus démocratiques mais aussi un individu soumis à l’autorité scolaire ; un individu qui apprend par lui-même mais qui ne va pas plus vite que le professeur dans la révision de la matière ; un individu à qui on donne « des chances égales d’émancipation sociale » mais qui devra se battre, telle une compétition pour être le meilleur- pour accéder au marché de l’emploi, etc.
Les exemples sont nombreux et les critiques le sont tout autant. Mais que répondre quand on entend « le niveau baisse », « l’enseignement rénové ne vaut pas l’enseignement traditionnel latin-grec d’autrefois » ?
 
Pour Vincent Troger, historien français, historiens et sociologues apportent des explications concernant les critiques de l’enseignement. Ils analysent les savoirs scolaires comme des constructions sociales et des enjeux de pouvoir entre différents groupes de pression. Nous noterons par exemple certains programmes ou idées politiques comme supprimer le cours de philosophie à l’école ; proposer davantage de sport, etc. En outre, une critique également adressée à l’Ecole porte quant à elle sur « la conception intransigeante de l’autonomie des savoirs scolaires, qui conduirait l’école à se constituer en monde clos, imperméable aux évolutions de la société »[1]. Les connaissances se multiplient sans cesse dans une société en pleines mutations, ce qui rend plus difficile encore d’adapter les contenus en fonction de l’actualité, qu’elle soit politique, économique, sociale, culturelle, etc.

Critiques de la forme scolaire : enseignement rénové et compétences

Comme nous l’avons évoqué dans une analyse précédente[2], la forme scolaire mise en place privilégiait une pédagogie et une seule. Pour Dominique Raulin, deux évolutions paradoxales rendent la tâche de l’école plus difficile encore dans la définition des apprentissages : « une suspicion grandissante face à l’incapacité prétendue l’école de remplir ses missions ainsi que des recours de plus en plus fréquents au système scolaire pour prendre en charge des apprentissages que la sphère privée n’arrive plus à assurer pleinement »[3].
 
Concernant l’enseignement rénové, Pour Dominique Raulin, « en fait, les enseignants, et donc les programmes scolaires, n’ont jamais subi les remaniements nécessaires pour s’adapter à ces nouvelles demandes sociales, et aux « nouveaux publics » qui fréquentent aujourd’hui l’enseignement secondaire. Et notamment, ce sont les disciplines académiques, celles qui prédestinent aux études générales, qui ont continué à structurer l’enseignement délivré par le collège unique. L’enseignement obligatoire se présente donc comme un ensemble disparate de contenus d’enseignement qui n’ont pas permis de définir un véritable corpus que tous les jeunes posséderaient à la sortie du collège. La nécessité de définir, pour l’enseignement obligatoire un socle commun s’est donc progressivement imposée en France comme dans la plupart des pays occidentaux »[4]. En effet, en Communauté française de Belgique, les programmes sont définis d’après les socles de compétences à atteindre en fin de cursus.

Formation générale ?

Les pratiques d’enseignement où domine l’obsession de l’âge et des cursus normaux part du constat que les élèves étant incapables de suivre une scolarité normale (c'est-à-dire l’enseignement général), il convient de les réorienter, en raison même de leurs difficultés, vers l’enseignement technique et professionnel. François Dubet, sociologue français, met en garde contre trois dangers existant dans ce type de conception : - renonce au principe d’une scolarité obligatoire commune et réinstaure le thème des deux jeunesses qui seront fort différenciées socialement ; - entérine une sélection vers l’enseignement professionnel par l’échec, ce qui n’est ni juste (faut-il avoir échoué pour devenir ouvrier ?) ni efficace en terme de formation de capital humain ; -la solution part de l’idée que le premier degré d’enseignement secondaire est éternellement conçu comme le premier degré de l’enseignement secondaire alors que beaucoup n’iront pas jusqu’à la fin des études générales[5]. En effet, comme le rappelle Girod, le rapport au savoir dépend de l’utilité qui en est faite[6]. C’est essentiellement dans ce cadre que s’inscrivent les pédagogies du projet, c'est-à-dire l’élaboration d’un projet commun et la construction des apprentissages autour de celui-ci. Ou encore, les pédagogies par situations problèmes, qui invitent, in situ, les élèves à mobiliser des ressources et à solliciter des apprentissages pour résoudre le problème auquel ils sont confrontés.
 
Victor Duruy, historien et homme politique français, écrivait en 1863 – nous remarquerons au passage que le problème cité ne date pas de la restructuration de l’enseignement traditionnel en enseignement rénové – « notre France est si profondément pénétrée de l’esprit latin qu’il existe un préjugé contre l’enseignement pratique. Ce préjugé ne pousse pas à mieux faire des études classiques, mais il empêche de bien faire des études usuelles »[7]. De nombreuses études actuelles corroborent ces dires, applicables en tout point au contexte belge[8]. Dans le même sens, Troger réactualise l’idée en partant des écrits de la Commission Langevin Wallon[9] de 1947 : « l’organisation actuelle de notre enseignement entretient dans notre société le préjugé antique d’une hiérarchie entre les tâches et les travailleurs. Le travail manuel, l’intelligence pratique sont encore trop souvent considérés comme de médiocre valeur ». Troger dénonce la hiérarchisation arbitraire qui, au nom d’une culture prétendant à l’universalisme, privilégie excessivement les savoirs les plus abstraits au détriment des savoirs plus contextualisés »[10].  

Quels contenus dans les programmes ?

Le choix des contenus est associé à ce que Troger désigne comme rapports de force. Pour cet historien, les savoirs scolaires maintiennent la hiérarchie sociale. Pour Troger « l’élaboration de savoirs scolaires est d’abord déterminée par les intérêts des classes sociales dominantes. Ainsi, la vigilance orthographique, l’histoire, la géographie sont les conséquences de la volonté bourgeoise moderniste du XIXè siècle d’imposer une identité commune à une population culturellement hétérogène. 
En outre, François Dubet insiste sur la distance existante entre la culture scolaire et les cultures sociales des élèves ainsi que sur l’influence de ce décalage sur l’échec scolaire des enfants de milieux populaires. En effet, plus grande est la proximité entre la culture des élèves et la culture scolaire, plus les chances de réussites le sont également. A l’inverse, plus les élèves sont éloignés de la culture scolaire, plus les difficultés se présentent dans le parcours scolaire.
 
Les contenus et la manière d’organiser l’enseignement a considérablement changé ces dernières années et les problèmes semblent identiques à ceux rencontrés bien avant. Les critiques adressées à l’Ecole ne cessent de se multiplier et pourtant… L’Ecole d’aujourd’hui se doit de remplir de nombreuses missions, toujours plus difficiles à concilier à doit satisfaire tout le monde. Elle doit prendre en compte la diversité et viser l’égalité. De nombreux défis sont donc à relever… Comparer l’enseignement traditionnel d’autrefois avec l’Ecole d’aujourd’hui, c’est apporter de nombreux biais dans l’analyse. En effet, la démocratisation culturelle, l’obligation scolaire, les exigences du monde du travail, les transformations sociales et économiques sont autant de variables que l’éducation « nouvelle » doit prendre en compte...
 
 
Marie-Noëlle Tenaerts
Sociologue, chargée d’études et d’analyses
 
 
 
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[1] TROGER V., « Entretien avec François Dubet, raisonner en termes de culture commune, c’est d’abord raisonner en terme d’intégration », in « Sciences humaines », mensuel n°136 « Les nouveaux visages des inégalités », mars 2005
[2] « D’où viennent les savoirs d’aujourd’hui », analyse Ufapec 2009
[3] RAULIN D., « Que faut-il enseigner ? » in « Sciences humaines », Numéro spécial n°5 « L’école en questions »
[4] RAULIN D., « Que faut-il enseigner ? » in « Sciences humaines », Numéro spécial n°5 « L’école en questions »
[5] TROGER V., « Entretien avec François Dubet, raisonner en termes de culture commune, c’est d’abord raisonner en terme d’intégration », in « Sciences humaines », mensuel n°136 « Les nouveaux visages des inégalités », mars 2005
[6] GIROD R., « Que reste-t-il de nos connaissances ? » in « Sciences humaines », Hors-série n°24, « La dynamique des savoirs, mars-avril 1999
[7] DURUY V. cité par TROGER V., « Entretien avec François Dubet, raisonner en termes de culture commune, c’est d’abord raisonner en terme d’intégration », in « Sciences humaines », mensuel n°136 « Les nouveaux visages des inégalités », mars 2005
[8] Exemple, « promouvoir un choix positif de l’enseignement qualifiant » in « La Libre Belgique », 11 septembre 2008
[9] Issue du travail de Paul Langevin et Henri Wallon et qui visait à restructurer l’enseignement en France
[10] TROGER V., « Entretien avec François Dubet, raisonner en termes de culture commune, c’est d’abord raisonner en terme d’intégration », in « Sciences humaines », mensuel n°136 « Les nouveaux visages des inégalités », mars 2005

 

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